La Chute

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Un jour qu'elle s'éloignait de son refuge doré

Pour chercher sa pitance, ses pas un peu troublés

La menèrent comme suivant un fatal destin

Sur le seuil du chalet tout au bout du chemin.


Quand l'enfant l'aperçut, perdue dans ses pensées,

Elle vint à sa rencontre, toute pleine de gaieté,

Surprenant à nouveau notre ancienne princesse

Par tant de naïveté et tant de gentillesse.


Les événements qui suivent se produisirent très vite,

Comme poussés par la force d'un destin trop tragique :

Courant presque vers elle, les bras chargé de mets,

La fillette trébuche et s'étale à ses pieds.


La Bête, surprise, s'avance comme pour la rattraper,

Au même temps que le serf s'extirpe des fourrés.

Les fruits et les gâteaux roulent au sol en silence,

Et dans les yeux de l'homme, la peur et la violence.


Notre Bête se penche, et le jeune homme s'élance

Dégainant son poignard, sans hésiter s'avance,

Hurlant après la Bête, comme pour la faire fuir,

L'éloigner de l'enfant qu'il avait vu grandir.


La Bête terrifiée, fuit sans se retourner,

Tandis que le garçon la pourchasse à regret,

Alors que la fatale machine du destin

S'engrange pour les mener sur son triste chemin.


Fuyant l'enfant ami et le jeune homme dévoué

Qui souffre son devoir dans l'action de tuer

Ce dangereux animal menaçant son foyer,

La maudite ne voit pas son chemin s'égarer.


Prise au piège, acculée - d'un mauvais tour des dieux,

La Bête désespéré se tourne vers l'homme pieux,

Qui, le regard rempli des peines de tout un monde,

Se jette, lame en avant, sur la grande Bête blonde.


Tout est flou, tout est noir, et, pour sauver sa vie,

La Bête se défend, par instinct, dans un cri,

Et c'est sans le vouloir qu'elle frappe son assaillant,

L'assommant d'un coup brusque, faisant couler le sang.


L'homme tombe dans la mousse, sans un bruit, sans un son,

Sous un regard perdu, dans un silence de plomb,

Ses paupières fermées, il reste sans bouger,

Et le monstre s'avance prudemment, effrayé.


Et alors que ses yeux prennent mesure de la scène,

Dans son cœur la douleur surpasse enfin la haine,

Toutes ses forces la quittent, tout paraît s'arrêter,

Et la Bête sanglote, horrifiée, terrassée.


Elle se laisse tomber tout près du corps aimé,

Effleurant de ses pattes le front clair maculé,

Et soudain, miracle amer, ricanement dans l'horreur,

Les poils et la terre deviennent peau et fleurs !


Et tandis que la Bête redevient la Belle,

Son péché remboursé de regrets éternels,

La jeune femme défaite pleure l'amour échappé

Et le bonheur fragile qu'elle vient d'assassiner.


Elle hurle sa douleur et sa peine dans les bois,

Ne pouvant rattraper cette vie qui s'en va ;

Son vœux est exaucé, son visage restauré,

Sa fortune et son titre promptement retrouvé,


Mais rien n'a d'importance, ni les bijoux ni l'or,

Alors qu'elle vient de perdre le plus grand des trésors.

Contes Trahis : BestialeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant