C'est dans une ruelle, moins fréquentée aux heures de pointe, qu'Emy Matinson se dépêche de retourner chez elle. Les baies vitrées des boutiques de parfums et de vêtements jalonnant sa route, lui font office d'affiche publicitaire trop illusoire, pour ses yeux.
Le sol, dont les blocs de pierre forment un parterre produisant un tintement à chacun des pas de la jeune fille, est empreint de quelques poussières et d'infimes traces de chaussures en pagaille.
On pressent en elle, un malaise. C'est celui de la foule. Elle semble relativement plus calme en empruntant cette voie. Mais cette paix porte un goût amer pour la demoiselle, car déjà, elle se figure devoir repasser par l'enfer de la masse, se dépêchant de l'autre côté de la voie.
L'idée de s'arrêter un instant pour reprendre contenance lui effleure l'esprit. Mais elle ne tente rien. Elle doit achever une tâche à son retour. Devoir académique oblige.
Soudain, elle stoppe net son élan. Elle se retourne. De ses prunelles, elle cherche. Quelqu'un a prononcé son nom. Elle ne voit pourtant personne arrêtée dans la foule, à dix mètres.
— Qui es-tu ? prononce-t-elle, comme parlant dans le vide.
Elle ne paraît pas touchée, le moins du monde, par ce phénomène insolite.
— Serait-il possible que tu arrives à me voir ? répond une voix efféminée dans le vide.
— Bien-sûr... mais tu as l'air si... transparente... acquiesce-t-elle. Si...
— Tu n'as pas peur ? demande l'inconnue.
— Je... Non, j'ai déjà vu ce genre de chose dans mes rêves... déclare l'adolescente, en clignant ses paupières.
Sa respiration se veut de plus en plus saccadée. Elle cherche à se maîtriser le plus possible.
— Je suis contente de te rencontrer Emy, reprend la voix sans corps.
— Qu'est-ce que vous êtes ? demande l'étudiante sans essayer de s'enfuir.
— Je suis ton amie, Emy.
— Comment connaissez-vous mon nom ?
— Je t'observe depuis longtemps... Je sais qui tu es...
— C'est possible ?! Je ne rêve pas ?
— Je suis là devant toi. Toi seule peux me voir...
— Qu'est-ce que vous me voulez ?
— Emy, je suis ici pour te tenir la main... Je sais ce que tu vis...
— Ce sont les anges qui vous envoient ? Vous êtes ici pour me dire quoi faire, c'est ça ?
Les battements de son cœur s'accélèrent. L'idée d'une fuite commence à lui susurrer le plan.
— Me fuir... tu peux... mais moi, je suis prête à te donner une chance...
— Une chance ? s'interloque-t-elle, les larmes prêtes à jaillir. De quoi ? Pourquoi ? Je...
— Emy ! Je ne sais combien de temps je vais rester là à te parler, je te promets de revenir... et cette fois, tu ne seras plus seule.
Sans comprendre, sa vue se brouille. Elle souffre de rester ainsi impuissante. Elle craque.
— Mais qui êtes-vous à la fin ? s'écrie-t-elle, en tremblant. Elle craint d'avoir alerté les passants de la rue, face à elle.
— C'est moi... qui te parle quand tu as mal, qui te calme quand tu es en colère... qui t'encourage... dans ta joie et qui te soutiens... quand la peur te dévore...
Un silence s'installe pendant lequel Emy imprime dans son esprit, ce qu'elle croit être une hallucination au stress qui l'habite.
— Je suis Alpha... une aventurière.
*
* *
Il me serait difficile de donner une étiquette appropriée au terme d'aventurier. Mais, il est dans mes moyens de vous donner une définition assez explicite de ce qui vous attend.
Vous êtes-vous déjà demandé à quoi pouvait ressembler votre colère ou votre euphorie dans une autre temporalité ? Remarquez, je le dis ainsi, mais si je n'avais pas été de ce monde-là, je ne l'aurai pas cru, moi non plus.
Et pourtant, le moindre de vos états émotionnels, qu'elles soient basales ou primaires voire modales, sont perçus dans notre espace. Prenons le cas de la peur face à l'inconnue ; la joie, lorsque vous obtenez un emploi dans une haute société — Je resterai sobre à votre place, dans ce cas-là — Et même face à une sensation de dégoût à l'égard d'un corps en putréfaction.
Bien des systèmes sont mises en place dans nos enveloppes charnelles afin de répondre à plus d'un évènement, aussi bien externe qu'interne.
Mais je m'égare encore une fois. Une étoile brille au-dessus de chacune de vos têtes. Une multitude de couleurs teinte votre cerveau. Mais difficile d'interpréter (dans nombre de cas) les actions d'une personne dans son présent.
Sur terre, vous vous empressez d'enquêter sur le passé de la personne, aux circonstances l'ayant amenée à poser tel ou tel acte. Et bien d'autres encore.
Si chez vous, cela relève du domaine psychologique, sur Lodart (mon monde), c'est un phénomène encore plus époustouflant que tout ce que l'on vous a fait miroiter dans votre vie.
Imaginez un animal capable de déraciner un arbuste grâce à la rage de vaincre qui vous a animé un samedi soir, autour d'une table en famille, les nerfs à vifs. Figurez-vous une créature gémissant chaque jour de son existence, parce que vous lui avez envoyé des signaux négatifs de votre journée for stressante.
C'est en cela que repose notre histoire. Je vais vous relater l'aventure d'une jeune femme, qui, jadis, j'avais fait la connaissance à son très jeune âge. Mais je n'aurai jamais su qu'elle serait capable de pareil projet.
Oui, car cette petite, comme je vous le dis, va entreprendre un voyage fort dangereux dans le but de retrouver « quelque chose » qui lui tient à cœur.
Ô que vous êtes féroce lorsque l'on touche à votre bien le plus précieux. Il en va de même si vous le perdez. Vous devenez hystérique. Vous cherchez « la petite bête » autour de vous sans prendre la peine de vous inquiéter d'autrui. Comment le pourriez-vous ? Votre bien a disparu.
C'est le même cas pour cette personne spéciale que je m'apprête à vous narrer les aventures. Pourquoi ne pas commencer par ma rencontre avec elle ? Après, nous lui laisserons tout le loisir de nous raconter ce qu'elle a vécu et ressenti.
Alors, messieurs et dames — sans oublier mes chères demoiselles — dirigeons-nous de suite, vers la cité d'Achlys, dans mon monde.