Il m'est assez difficile d'exprimer en des termes simples, ce que l'on ressent lorsqu'on est perdu dans cette forêt luxuriante. Avec toutes ces variétés de plantes et de couleurs, ces créatures de multiples formes et de caractères, donnant l'impression que toute son existence n'est rien comparé au jeu qui se déroule en son sein.
Le monde des e-motios est certainement le plus complexe que j'ai eu l'occasion d'étudier. Et croyez-moi, de la connaissance, j'en ai à offrir.
Lors de ma rencontre avec la jeune Alpha, je ne m'étais jamais figuré qu'elle tiendrait à son rêve, d'une manière si acharnée.
Nombre d'aventuriers ont déjà essayé de revenir sur ces terres inexplorées. Et si elle l'avait été, le secret reste bien gardé. Cela fait près de deux mille ans, que nous n'avons plus tenté de pénétrer dans le monde des e-motios. Nous nous sommes réservé le soin de goûter à une mort atroce ou de délirer, en tentant de changer leurs émotions changeantes.
Jusque-là, les e-motios restaient un mystère apparent pour la majorité des peuples parcourant Lodart. Cependant, seuls les archanges et les seigneurs d'Alarius, connaissaient plusieurs facettes de ces êtres au destin bouleversants.
Parlons un peu des e-motios, avant de nous lancer, bien évidemment, dans la suite du récit qui vous pousse à frémir chaque minute qui passe.
Les e-motios sont des créatures doués d'un lien inaliénable. Avec des émotions provenant des différents mondes où leur cadeau, qu'ils aient été donné de gré ou de force, a évolué et s'est complexifié. Dans d'autres cas, il s'est paralysé.
Il va de soi qu'Alpha ne pouvait vous raconter l'intégralité du parcours qu'elle a traversé, durant sa visite sur les terres des seigneurs lumineux. Elle a rencontré plus d'âmes tourmentées que de vies agréables. Surtout sur cette planète qui nous est peu connue et qui attise toute notre curiosité.
La planète bleue a de nombreux défauts, dit-on, désormais. Mais en vérité, rien n'est vraiment parfait dans l'univers, s'il n'y a pas une certaine volonté à maintenir ses pulsions, bien rangées dans ses bottes. Lorsque l'un de nous visite la terre, c'est pour y apprendre les nouvelles mœurs terriennes.
Autrefois, nous nous étions aventurés sur leur terre, dans le but de leur rajouter un rien de la science que nous possédions, à l'époque.
Dorénavant, l'écart est tellement effarant que c'en devient presqu'ironique. On dit que l'élève dépasse le maître, n'est-ce pas ? L'homme suit nos traces, mais reste encore bien loin derrière. La raison ne sera cependant pas avancer dans ce récit, je ne tiens pas à vous dévoiler autant de secrets sur ce mystérieux monde qu'est le nôtre.
Toujours est-il que je parlais des e-motios. Vous l'aurez compris, ces bêtes ne sont pas des tendres lorsque les émotions s'écoulent dans leur canal d'émotion. Doté de fil aux multiples nuances appartenant à un titulaire. Un dévoreur abandonne sa condition lorsque le titulaire de l'émotion, dite désagréable, est remplacée par une autre, bien plus agréable, on ne se le cache pas. Mais en vérité, l'agréable et le désagréable n'existe pas dans la perception réelle.
Une émotion jouit d'un levier que nous nommerons « la décharge. » Ledit levier est activé lorsque l'être ressentant l'émotion se doit de l'extérioriser. Ce que l'on nomme « tension libérée. » La tension qui a été provoquée par un facteur extérieur à l'organisme, ne doit pas oser conserver le levier dans le sens inverse, c'est-à-dire verrouillé.
La réponse à cette action sera l'accumulation de tension dans le corps. Prenons le cas d'Emy, par exemple : elle a connu des moments joyeux dans sa vie, elle désire encore les ressentir dans sa chair. Mais curieusement, c'est l'effet inverse au moment même où elle fait fasse à sa plus grande peur. À votre avis, laquelle des deux sensations tiendrait-elle à ressentir encore et encore ?
Emy a mal. Elle a peur. Mais elle ne veut pas en parler. Elle fuit cet état par tous les moyens. Elle va se réfugier dans sa bulle, en expérimentant de nouvelles choses. En allant à des fêtes avec des amis, en suivant la télévision, en se cherchant un semblable qui puisse partager son quotidien. Et bien évidemment, c'est normal.
Ce qu'Emy ne sait pas, c'est que ces émotions finissent inexorablement dans le canal d'émotion d'un e-motio qui en souffre atrocement, jusqu'à exprimer l'émotion qu'elle s'est volontairement forcé à ignorer.
L'e-motio, de cet écoulement, va devenir violent et sera sujet à de terribles crises, le conduisant peu à peu, à la mort. Cependant, Emy n'en est que partiellement la responsable. Les dévoreurs à l'origine, sont plus susceptibles à attirer ce genre d'émotion refoulée. Ils s'en nourrissent pour dévorer d'autres de leurs semblables.
Emy n'avait jamais voulu leur porter préjudice, car elle ne les connaissait ni d'Adam ni d'Eve. Mais une autre chose qu'Emy ne sait pas, c'est que la peur qu'elle refoule s'accumule en elle, formant peu à peu une couche plus épaisse difficile à balayer, un soir autour du feu : des agrégats.
La jeune fille avait peur de la foule. Il lui fallait donc éviter de se retrouver en état de stress, pour ne pas subir quelques dégâts bien illustrés dans ses pensées. Elle a donc fui tout ce qui se rapportait à ce problème. Elle a vaqué à d'autres occupations. Et au moment où le sujet est remis sur la table, Emy y place un silencieux et reprend ses habitudes.
Nous, les habitants de Lodart observons tous ces changements, soyez-en sûrs. Et les dévoreurs en profitent, devenant plus puissant au passage.
Mais qu'est-ce qui la pousse à ressentir pareille émotion ? C'est simplement un groupe de personne bruyant, à quelque chose près qu'ils parlent librement, tout comme elle devrait se sentir libre de parler ?!
La réponse provient du cadeau que la lumière a accordé à chaque être doué d'un simple nerf, au début de la création de l'univers : un cerveau.
Vous devez le savoir, humain, vue votre volonté à atteindre, sans le savoir, le degré de connaissance que nous avons commencé à faire germer en vous.
Dans le cerveau d'un être humain se trouve le siège des émotions que nous nommons dans nos deux mondes, le cerveau limbique. Associé au cerveau reptilien ainsi qu'au cortex cérébral, l'humain est capable d'analyser les informations perçues, lors de ses interactions avec l'extérieur de son corps. Mais aussi l'intérieur, car les sensations ressenties par l'organisme sont suffisants pour susciter une émotion.
Mais revenons à des termes bien moins paraphrasés. Dans le cerveau d'Emy, se trouve des réflexes et des mécanismes d'autodéfense, ainsi que de sociabilité inscrits depuis des millénaires, par ses ancêtres, les premiers homo-sapiens. Ce système bien rodé, lui permet de répondre à un événement déjà bien petit et à les enregistrer dans sa mémoire, nous parlons du cerveau limbique avec l'hypocampe.
Lorsqu'un événement similaire à celui rencontré auparavant, est à nouveau vécu, Emy va répondre par rapport aux souvenirs qu'elle conserve de ce passé. Comment cela va-t-il se dérouler ?
D'abord, la personne va jauger l'information entrant avec ses émotions, en faisant appel à sa mémoire et non à son esprit de réflexion. Ensuite, la personne va commencer à réfléchir sur les raisons de cette information et les confronter, pour en jauger le degré d'importance. Cela se répercute sur l'émotion et ainsi la personne réagit, au moyen du langage ou corporellement avec des réactions végétatives, voire les deux, afin d'exprimer son ressenti par rapport à l'information.
C'est sans compter sur les besoins de la personne qui sont pris en compte au moment de la pensée. Il peut s'agir de besoins d'ordre physiologique, emphatique, relationnel et bien d'autres.
Mais cela n'explique pas le problème d'Emy. Allons ensemble et vous comprendrez :
Emy a eu peur pour la première fois de sa vie, de ladite foule lorsque sa mère lui avait assuré, petite, qu'elle ne dirait que des bêtises à la fête de son amie, la plaçant, elle, comme la honte de sa mère si jamais elle osait prononcer mot. Petite, elle a enregistré ces propos et surtout le ton utilisé.
On minimise l'impact de nos mots sur les plus jeunes, pas vrai ? Remarquez, cela n'est pas toujours volontaire. Nous réagissons, régulièrement, de manière déstructurée envers nos proches. Surtout lorsque nous n'avons pas la pleine maîtrise de nos affects, au moment de l'interaction avec l'autre.
En grandissant, elle s'est sentie en danger dans cette même foule, car sur le chemin qu'emprunte chaque être vivant, c'est-à-dire, son vécu, la jeune fille avait été exhortée de bien se tenir, de ne point chercher à contrarier les autres, sinon ces derniers risquaient bien de répondre méchamment à son égard.
Elle a dû, de ce fait, prendre le sentier de la sécurité et permettre à ses émotions de l'interpeller au moindre évènement, appelant sa personne à affronter la foule. Cela ne veut pas dire qu'à chaque fois où elle rencontre la foule, elle désire s'éclipser. Mais lorsqu'elle ressent toute l'attention portée au petit grain qu'elle représente, elle ne peut que réagir par une fuite tel un lâche.
Et le simple fait de ne pas chercher à affronter à nouveau cette sensation de mal-être en elle, produit les meilleures graines nécessaires à l'appel d'une plus grande peur encore de la foule. Le seul problème est qu'Emy pourrait remporter multiples victoires, en osant se mettre en avant. Le plus curieux, c'est qu'elle le sait.
Mais alors, comment affronter le problème ? La question a été posée des centaines de fois, dans votre monde. Et Alpha y a répondu. La première des choses est d'en parler.
Mais que fait-on, si personne ne veut vous écouter ? Que faites-vous pour allumer une cheminée ? Vous allez chercher du combustible. Trouvez la personne et parlez-en. Alpha a commencé par identifier le problème des titulaires, les permettant ainsi d'avoir, d'une part, une vision moins brumeuse de leur situation, ensuite, de leur présenter des pistes pour répondre à l'information. Mais elle ne s'est pas arrêtée là. Elle a tenté de leur faire comprendre qu'il se devait d'affronter le problème quoiqu'il advienne.
Vos émotions se doivent d'être ressenties. Lorsqu'il faut pleurer, pleurer. Ne gardez pas cette boule dans votre cœur. C'est une tension, une telle charge qui finira par sortir, soyez en certain, mais bien plus chargée qu'au départ.
Pourquoi avons-nous l'habitude de renflouer nos émotions ? C'est à cause de notre interaction avec les autres et du souvenir que nous avons des interdits, susurrés ou non, portés à notre réaction. C'est en majeure partie, due à l'éducation stricte des parents. Devons-nous leur jeter la casquette du coupable.
Il est notable qu'avec l'âge, nous apprenons, tous, à maîtriser nos émotions et à ne pas les laisser nous perturber, même lors d'évènement désagréable. Cependant, un humain finit, à un moment ou un autre, à se faire prendre de vitesse par ses émotions. Ceci le pousse à commettre certains actes qui deviennent stupéfiants lorsqu'ils sont révélés au grand jour.
Revenons-en aux e-motios. Un classique ressent toute une variété d'émotion, même les catégories présentes chez un dévoreur. À la seule différence que le classique ne peut dévorer ces semblables. Il n'arrive qu'à générer une forte lumière, éclairant son entourage et à afficher certains traits propres à ce dit état émotionnel.
Face à la jalousie, le classique va empêcher un de ses collègues de se mouvoir. Face à la colère, l'animal devient rouge et lutte contre ses frères. Face à la joie, c'est un théâtre de bisounours, chanson au rendez-vous, qui dépeint cet instant.
Avant même que les dompteurs et les aventuriers n'apparaissent au grand jour, les e-motios ne pouvaient évacuer simplement leurs émotions. Mais, curieusement, ils arrivaient à prolonger leur existence, bien plus que ces dernières années. En effet, les émotions se sont complexifié au point de rendre le monde e-motio, presqu'invivable.
La raison principale provient du fait que l'homme a évolué au vue des changements qui se sont produits dans son environnement. Nous ne sommes pas ouverts à un changement significatif dans notre monde, ce qui nous étonne grandement. Certes, nous changeons notre environnement au fil des siècles, mais les révolutions dans le domaine des mœurs sont rares dans notre histoire. À dire vrai, cela fait bien longtemps que Lodart n'a rien changé de ces habitudes.
La marque du changement s'ancre en l'être humain, car il lui est difficile de se contenter de ce qu'il possède. C'est certainement l'une des causes de son inégalité — Mais, je ne vous ai rien dit.