Je me situe dans une pièce délabrée et poussiéreuse. Des dizaines de planches flanquées en plusieurs endroits de la pièce. Je constate une veste placée sur un fauteuil étant certainement beige au départ, mais se retrouvant presque blanc due à la chaux du toit tombant régulièrement. Quelques-uns parsèment déjà le vêtement visiblement neuf et laissé là depuis près de quelques heures.
J'enregistre tout ce qui m'entoure. Un bruit me parvient. Cela provient de l'autre côté de la porte. Avant même que je comprenne, je recule instinctivement vers ma gauche et assiste à l'entrée brusque d'un homme en chemise noire et une cravate rouge. Il ferme rapidement la porte et se met à compter ses dernières balles.
— Et merde, jure-t-il, en fonçant à présent vers le centre de la pièce où il relève rapidement le tapis marron au sol, laissant apparaître une autre arme.
Il se précipite face au mur à sa gauche où un pendule vieux comme le monde, d'une taille remarquable le couvre d'une suite de balle qui transperce la porte. L'homme presse son corps contre le mur blanc, cherchant visiblement quelque chose.
Soudain, il se retourne et aperçoit une porte qu'il entrouvre alors qu'il s'abaisse remarquant un saut rempli d'eau à ses côtés. Il se dépêche de le soulever et de le lancer contre la fenêtre, face à lui.
Je le vois foncer vers la cachette qu'il venait d'enfoncer et reprend ses armes avant de s'y engouffrer.
Ses poursuivants explosent la porte et s'introduisent tout en le cherchant des yeux.
— Alors, tu crois qu'il... craint le premier avec une manche ensanglantée.
— Je ne crois rien... répond l'autre en costume noir qui précise son autorité. Vas-y ! Fais le tour.
Son collègue se précipite vers la fenêtre en remarquant les vitres brisées.
— Chef ! Je crois que vous pouvez venir voir cela...
Je décide de ne plus rester là et m'enfonce dans l'autre pièce par un simple saut tel un spectre. Je me retrouve dans une autre pièce où une dizaine de lits est disposée en rangée de quatre. Il fait sombre et une odeur de vieillie emplit cette pièce. Je constate une vitre relevée au loin. Il doit s'être échappé. Je suis vite rejointe par les deux filous levant leurs armes et visant des yeux, chaque recoin.
— C'est raté ! dit le meneur en cognant son pistolet contre sa cuisse.
Je ne dois pas traîner ici et le retrouver. Le simple fait de me figurer sa face, devrait m'emmener à lui. Je ferme les yeux une seconde. En les rouvrant, je me retrouve dans une pièce exiguë qui rend le tout étouffant. Il fait froid. Je lève la tête et remarque le climatiseur marchant à plein régime. Et au sol, mon homme, adossé au bas du lit, près de la porte. Nous sommes dans une chambre très modeste composée de ce lit et d'un tiroir. Le sol au carreau nous précise des motifs en fleur, tels des glaçons.
L'homme a les jambes écartées. Ses vêtements empestent le sang et sa respiration est intercalée de léger reniflement. Il s'approche d'un état d'hébétude. Ses deux mains détiennent encore leurs gadgets respectifs.
— Est-ce que tu vas bien ? lancé-je, assurée de son attention.
J'entends d'abord un souffle assez agité. Un silence soutenu par le ronronnement de la machine.
— J'ai quelques côtes brisées, mais je m'en sors comme un bébé dans son lit.
Une douleur surgit. Il se crispe. Il relève la tête en poussant un cri. Il ferme ses paupières et murmure un juron. Il transpire à grosse goutte. Il a une petite barbe de trois jours, un menton carré, des cheveux bruns et une égratignure sur le visage.
Je ne peux que me demander si le monde appartient à ses truands ou aux honnêtes gens peuplant ce minuscule globe. Je considère sa main se serrant contre son abdomen. Il a été blessé et par une lame, à première vue.
— Tu as de quoi te soigner ?
— J'aimerai bien...
— Allez, lève-toi et cherches-en. Dépêche-toi.
Le brun s'exécute. Il cherche dans le tiroir s'il ne s'y trouve pas un petit élément pouvant faciliter un bandage ou quelque chose s'y rapprochant. Je ne donne pas cher de sa peau, s'il retourne ainsi dans la société.
Au bout d'une heure, le corps est bien parsemé de draps blancs déchirés et d'alcool récupéré au rez-de-chaussée. J'en profite pour lui poser quelques questions, question de me mettre dans le bain.
— Alors, que se passe-t-il ?
— Ce qui se passe ? reprend-t-il, allumant rapidement une cigarette qu'il porte à ses lèvres et me fait attendre trois minutes avant de me répondre :
— Je ne me souviens pas m'être posé cette question en commençant ce job...
— Tu es dans cet état à cause de tes choix, n'est-ce pas ?
— Mais oui... Et j'en ai tous les droits. Toi, par contre... Ça se voit que t'as de gros problèmes...
— Qui te poursuit ?
— Le gang des De la muerte et tu le sais...
— Comment le saurais-je ?
— Eh bien... rétorque-t-il, tout en se tournant vers moi, me dévisageant.
« On t'a envoyée ici pour me servir de protection, n'est-ce pas ? Autrement, je t'aurai déjà descendu. »
— Qu'est-ce qui t'assure que je ne suis pas ton ennemi ?
— Je n'sais pas. Tu m'es apparue et personnellement, je m'en contrefiche du reste.
— Ton raisonnement est absurde et complètement irréfléchi.
Il se met à me sourire de toutes ses dents. C'est alors que je comprends.
— Tu n'es pas poursuivie par les De la muerte, n'est-ce pas ?
— Dis-moi qui tu es, et pourquoi tu me suis.
— Comment sais-tu que je t'ai suivi ?
— Tu connais beaucoup de personnes qui pénètrent dans une pièce avec une seule entrée ? Si je ne t'ai pas tiré dessus, c'est à cause de cet endroit et de l'importance de mes blessures. J'aurai tout aussi pu te menacer, mais je préfère être doux pour l'instant.
Ce serait plutôt qu'il n'en a pas eu la force. Il se remet la clope à la bouche et attend sûrement des explications. J'ai le choix entre lui raconter ma vie ou de lui pondre un baratin.
— Je suis ta conscience...
Je manque d'informations sur sa personne et en plus, il ne m'a point révélé son nom. Je n'ai même pas droit à un flash.
— Je ne peux que te féliciter de te construire une image tout à fait passable, merci.
— J'ai été amenée ici pour une bonne raison et tu dois me la donner.
— Qu'est-ce que tu racontes, précise-toi.
— Il y a des forces surnaturelles qu'il vaut mieux que tu ne saches rien de leur existence. Je te dis simplement que j'ai été dirigée vers toi pour te servir de guide.
Il me fixe un moment avant de rire aux éclats.
— T'es sérieuse ? Tu crois que je vais gober ça ?
J'use de mes aptitudes pour lui parler mentalement. Lorsque je lui dessers quelques informations me concernant, il reste abasourdi et conclut à une manipulation ou le fait de l'épuisement. Après l'avoir donné le temps d'y réfléchir un moment, il se décide à me parler. Il me demande de lui prouver que je ne suis point capable d'interagir avec un élément matériel dans la pièce. Ceci m'est simple à démontrer et c'est ce que je fais.
— Je ne pouvais pas m'imaginer pareille chose. Je croyais que dans notre monde, il n'y avait pas de raison de nous faire seconder par des esprits ou des trucs du genre.
— Je ne suis pas un esprit...
— Non, je sais... Mais... ah... C'est assez soudain... Et donc, tu dis que t'es là... pour me guider ?
— Je suis ici pour soigner une plaie, t'aider à résoudre le problème des De la muerte et te faciliter la transition.
— La transition vers quoi ?
— Vers une vie sans balle, sans peur et sans prix.
Il recommence à rire. Il s'appelle Ted Luis Fernandez, le jeune frère De Raymond Fernandez Gonzalez. Il a grandi dans le Michigan. Fils d'un médecin, il s'est retrouvé en Colombie où il a appris à se mêler aux cartels influents et alors qu'il a grimpé les échelons, il s'est retrouvé relayé au second plan à cause d'une livraison mal orchestrée par ses subalternes. L'affaire s'est transformé en haut lieu sous la version d'un détournement de dus fiscaux de la semaine de livraison. Une chasse à l'homme a été lancée pour le retrouver.
— Cela fait combien de temps que tu n'as pas vu ta famille ?
— Quelle importance... Je suis vivant, c'est tout ce qui compte.
— Je ne suis pas sûre que le terme vivant te corresponde. En ce moment, tu survis et ce n'est pas ainsi que tu peux continuer.
— Ah, donc... Tu es venu me proposer une solution ?
— Tu es tendu... Chaque jour est une guerre ou une attente d'une guerre imminente. Vous semblez heureux... Mais, constamment sur vos gardes. Des insomnies, des regards méfiants. Et des camps... Ou tu es pour l'un ou tu es pour l'autre. Dans les deux cas, tu finiras avec une balle dans la poitrine.
— Ça se voit que t'es pas d'ici. Comment ça se passe au fait, dans ton monde ? Il n'y a pas de monnaie ni de système de transaction, pas vrai ? Je parie que tout le monde est heureux et respire la joie ?
— Pour ta gouverne, nous possédons un système bien rodé concernant le partage des rémunérations. Mais il y a un détail qui nous différencie de vous et tu le découvriras bien assez tôt dans cette phrase : « la vie est si simple, sauf que son seul point négatif est son contraire. »
— Et tu crois l'avoir trouvé toute seule ? Mes félicitations ! Depuis le commencement de notre existence sur terre, les hommes se font la guerre, tout cela pour obtenir un petit morceau de plaisir. Plus la part du gâteau se fait rare, plus l'on devient un prédateur pour son frère. Nous sommes trop nombreux. D'autres natures sont tapies au fond de nous. Nous désirons le pouvoir, même en temps de paix. Lorsque nos besoins vitaux sont comblés, une petite voix nous chuchote : « j'en veux encore plus. » Et tu crois pouvoir régler le problème aussi facilement ? Je...
— Nous ne parlons pas des autres, mais de toi.
— Oui, là maintenant, je deviens le criminel, celui qui doit laisser la part du gâteau ! Je vivais un enfer quand je n'avais rien. Je ne suis pas le seul à avoir eu un passé des plus horribles. Ce monde est pourri, Alpha et ceux qui cuisinent les autres avec tes salades à la conscience, on les renvoie fêter le nouvel an dans les bras de la muerte. Et n'ajoute rien si tu ne tiens pas à m'énerver inutilement.
— Tu as beau t'énerver, cela ne résout rien.
— Je vais te dire ce qu'on va faire. Avec ton talent, tu vas me prévenir de l'arrivée de mes ennemis. Ainsi, je pourrais pioncer en paix pendant un moment.
— Et après ?
— J'attends un membre très influent qui doit me donner mes nouveaux documents afin de partir d'ici aussi vite que possible.
— Et après ?
— Eh bien, je me dirigerai vers l'Argentine avant de transiter pour l'Europe.
— Et après quoi ? Tu vas reprendre ta vie trépidante jusqu'à ce qu'une balle t'entre dedans ?
— Nous finissons tous par-là, un jour où l'autre.
Il ferme son visage en ne voyant aucune réaction sur mon visage.
— Quoi ? Tu t'imagines que je vais me jeter du haut d'un gratte-ciel et finir mes jours comme un trafiquant ? Nous rêvons nous aussi d'une vie pépère, loin des ennuis, de la coque et de toutes les merdes qui gravitent tout autour.
— Mais personne n'essaye réellement de changer...
— Et si on se décidait de tout abandonner, hein ? Que crois-tu qu'il se passera ? Une vie tranquille à l'ombre, une famille fondée sur la base d'un mensonge...
— Rien ne t'oblige à mentir sur ton passé...
— Et quand bien même, je dirais la vérité... ces gars-là ne sont pas des tendres. Ils rappliqueront tôt ou tard et là... Que crois-tu qu'ils feront à cette famille bâtie et entretenue pendant de longues années avec amour et sacrifice ?