*
* *
Jamais, je n'aurai imaginé le talent d'Alpha si développé. J'en reste bluffé, comme happé par le déroulement des évènements. Nous revenons de l'accrochage avec les e-motios. Je suis perturbé. Des batailles, j'en ai vu, à m'en harasser. Cependant, celle-là a le mérite de me produire une impression fade.
Alpha a vite fait de calmer les bêtes. Elle a maîtrisé l'e-motio de la voracité, ceux de la tentation et même celui de la jalousie — bouleversant.
Nous nous retournons vers ce qui me semble être une grande haie — Non — C'est juste des lianes enveloppées par des ronces aux fleurs blanches, par endroit. Nous arrivons à un angle où des grosses pierres grises forment un arc.
Je suis prêt à porter le poids de l'incident. Je me retourne, en jetant mon postérieur sur le caillou lisse, lâchant un soupir.
— On n'aurait pas dû le laisser là... Il a cheminé avec nous... Il méritait au moins une tombe digne de ce nom.
— Ah ! lâché-je, éreinté. Et je suppose que tu étais en bonne position pour réaliser ce travail ?
— Nom de Dieu ! C'était à toi de nous guider. Tu t'es loupé, enrage l'aventurier en m'indexant.
— Eh, eh ! intervient Nsenga. On se calme...
J'avais dit que je me terrais et encaisserais les reproches, mais visiblement le simple fait d'être incriminé, me déplaît grandement. J'ai les nerfs à vif. C'est comme si je devenais le vilain de l'histoire. Nonobstant le fait que cela est vrai.
— Eh, toi ! Tu gueules beaucoup, mais je te rappelle que tu étais supposé être au départ, un aventurier expérimenté, vociféré-je, me voulant blessant dans la voix.
Je me désintéresse de ce petit aventurier, tombant à terre. C'est cette petite qui attise ma curiosité, bien plus que la première fois où nos pupilles se sont croisées. C'est à en tomber à la renverse. Elle a reçu une formation hautement qualifiable d'indispensable.
Si je devais désigner qui devrait être épargné, je choisirais certainement cette jeune aventurière. Mais, prudence. Cette gamine peut suspecter quelque chose. Que dire de l'e-motio ?! Il doit être remonté contre moi. C'est pourtant la faiblesse de ces cloportes qui nous a amené à un seul cadavre.
Je m'incline quelque peu pour écouter ce que me chuchote Selfor.
— Notre plan se voit assez compromis. Les membres du groupe sont clairement plus inefficaces que ce que l'on envisageait. Seule la gamine est apte à s'aventurer plus loin.
— Je le sais ! Cependant, nous ne pouvons pas décider de les renvoyer, encore moins de les supprimer. Alpha refuserait de nous accompagner, sinon.
— Je propose d'éliminer Eskiell. Il est le seul à cogiter et sa blessure va en sa défaveur.
— Je propose que nous avancions. Lorsque nous aurons atteint le coin Nord-ouest, nous pourrons achever les indésirables. Pour l'instant, ils nous servent de bouclier.
J'y repense. En excluant Alpha, nous sommes quatre. En ne me comptant, il n'y a plus que trois pions, Selfor en fait partie. Faut-il que je l'abandonne ? C'était à prévoir, je l'avais envisagé. En tous cas, cette petite escarmouche m'a donné un aperçu des talents de mes coéquipiers.
La nuit succède au jour. Je me concentre sur le dîner. Je ne peux cependant pas arracher de mon esprit le fait que je pourrais poursuivre ma route avec Alpha. Elle avait l'air d'être une suicidée en pénétrant dans la forêt, mais là, je prends de plus en plus une assurance d'avoir une très bonne descriptrice, lors de mon périple.
Les autres sont affairés à revoir leurs équipements, excepté le blessé — Une vraie lopette — Alpha se repose. Elle me paraît plus belle encore que Mayvis. La belle dame doit être entrain de voguer à travers le monde des terriens. C'est le monde qui interagit le mieux avec Lodart.
J'avais aimé Mayvis, mais elle s'est fait capturer par l'un des rebelles qui sortait d'une petite ruelle, fusil à propulsion électrique à la main, à Prisma. Le temps de réagir, il était déjà trop tard. L'enterrer me fut pénible. Je me croyais assez enraciner dans ma philosophie du lâché prise que je me suis étonné de ressentir tout le mal qu'un homme puisse ressentir pour sa moitié.
Sur Lodart, les larmes ne se différencient pas de celles des terriens, pas plus que le reste des mimiques faciales et des affects. Le parallélisme s'impose au niveau de nos croyances et de notre manipulation de l'énergie spirituelle.
Un humain ne peut pas évoluer avec ses mœurs que nous trouvons quelque peu dépravées, mais surtout déséquilibrées. Les fêtes sur nos terres ne se finissent jamais en une euphorie, liant deux corps à un destin fugace. Nous ne lorgnons jamais sur des jeunes pousses encore en âge de se tortiller sous les jupes de leur mère. Nos monarques sont respectés à juste titre et nos cérémonies sont toujours liées à un symbole bien souvent vivant.
Je m'extirpe de mon analyse. Alpha s'est levé.
— Cette nuit, c'est moi qui serai de garde.
Je constate qu'elle a envie de se dégourdir les jambes. Se sentirait-elle, elle-même, coupable ?
— C'est ok, mâchouillé-je dans ma barbe.
Je me laisse choir sur l'herbe. Nous sommes bien loin de notre destination. Bien que je sache que j'ai obtenu le droit de m'y rendre sans encombre, je suis tout de même mal à l'aise du fait de perdre plus d'un atout, en ma possession.
Je dois parler à la petite — Oui — question de me rapprocher d'elle. Je l'ai choisie pour partir avec moi. Aussitôt ai-je achevé cette pensée, que mademoiselle se pointe, sortant des broussailles.
— Ah, te voilà ! dis-je, la voix enrouée.
Elle se met à inspecter le cercle que nous formons.
— Il est endormi... la rassuré-je, voyant où elle pose son regard.
« Depuis le temps que je le connais, il ne sera pas des nôtres avant un bon bout de temps. »
Je ris d'un cœur sincère. Il faut dire que cela me rappelle un évènement bien drôle où mon compagnon avait raté le TGV de Prisma (c'est exactement cela), tout simplement parce qu'il s'était endormi sur le siège d'attente.
Je remarque son armement et décide de débuter la conversation par là. Je me souviens de son refus de détenir un propulseur et je comprends maintenant pourquoi. Je savais déjà que ses outils étaient d'une rareté poignante.
— Cet arc... J'ai remarqué...
Ces sourcils forment un trait. Elle est très méfiante, cela se voit. Je ne me désiste pas. Je dois gagner du terrain.
— C'est une de ses armes légendaires pouvant tirer sans flèche ? Un forgeur de destinée ?
Aucune réponse — Elle n'est vraiment pas très loquace. J'imagine qu'elle a grandi en étant isolée du monde. Ce doit être pour cela, qu'elle évite de se mêler parmi nous.
— Ce sont des armes tellement recherchées qu'une seule en vaut pour un siècle à l'ombre comme un prince... continué-je, en jetant une bûche au feu qui se met à crépiter de plus belle.
« Tu sais qu'il n'en existe que trois comme ça ? L'arme est toujours accompagnée d'un ensemble, permettant sa polyvalence... Incroyable ! On s'est maintes fois demandé de quoi se constituait l'arsenal invisible de ces armes... Il arrive même, en brin de causette, d'assurer qu'il est capable de balancer une dizaine de flèches ou de sabres simultanément. »
Elle reste murée dans son silence. Je comprends maintenant qu'elle n'aime pas parler d'elle. C'est la preuve qu'elle ne se sent pas en confiance avec nous. Nous fera-t-elle faux bond ?
— Dis-moi ! Que penses-tu de notre situation ?
— Nous avons été négligent, articule-t-elle immédiatement.
Cela me produit l'effet d'une surprise. Elle enchaîne calmement :
— Nous nous sommes aventurés à la vue de n'importe quel prédateur, c'est un fait. La chose n'est pas à répéter.
Je me prépare à argumenter, mais il me faut bien choisir mes mots. Le genre à sortir du contexte, ne lui ressemble pas :
— Et selon toi, penses-tu que nous rencontrerons à nouveau de telles bêtes ? questionné-je.
— Inutile d'espérer le contraire... Nous avons attisé la curiosité d'une bonne dizaine de leurs semblables... Il y a trop de grabuge... Quelle que soit la route que nous prendrons, nous n'en démordrons pas.
Si tu savais ce qui se trame, en ce moment ?! Je reprends en inclinant mon visage :
— Et selon toi, quel chemin serait susceptible d'abriter le moins possible de ses affamés ?
— Évitons les grottes et tout ce qui se rapproche d'un terrain dégagé... Prenons uniquement les allées aux plantes à haut sommet.
— Hum, je vois... Ah ! Il est certain que notre voyage va être un théâtre de marionnettes...
Je me lève. J'essaie de me rapprocher d'elle tout en gardant mes distances, pour lui faire croire que je ne l'ai abordé que dans une démarche professionnelle. J'ai réussi tout de même à engager la conversation et à l'accrocher sur le fil jusqu'au bout.
— Nous allons nous en sortir... Nous sortirons de la Toile.
*
* *
— Bien, Messieurs... Mademoiselle ! débuté-je, les dents serrées à chaque nouveau mot prononcé.
Je débute par une analyse de la situation. Nous sommes bien dans la mouise. Que faire si le temps nous est compté ? Il l'est — mais que puis-je y faire ? C'est pour ma patrie que je me bats. Ou plutôt pour mon orgueil sifflant mon intérêt d'une position plus agréable à Prisma.
Cette nuit, J'ai reçu en songe le lieu de la prochaine embuscade. Ils m'ont assuré que personne n'en réchapperait. J'ose m'inquiéter, tout de même. Le message me fut transmis comme tel, à la va-vite. D'un coup, dans mon esprit. Je n'avais vu personne. Je me trouvais sur une plage dont le sable avait été remplacé par du gravier.
Je m'étais redressé jusqu'au niveau du buste, formant un angle droit avec mes jambes. La nuit était dans son plein droit et me présentait quelques nuages gris, au loin. C'était comme un chuchotement à mes oreilles. Je savais que ledit message m'était destiné, mais je ne tenais pas à le croire. Je fronçais les sourcils pour exprimer une incompréhension qui n'avait pas lieu d'être. Je ne sais pas comment le lien a été rompu, mais, réveillé ce matin, j'ai conservé l'intégralité du message dans ma conscience.
— ... Au vue de la situation, je propose que nous prenions l'allée des lianes, au centre. Ce chemin mène vers le milieu de la Toile... Nous allons contourner l'étang de Luiliuf, ensuite nous prendrons direction plein Nord, avant de bifurquer vers la gauche, ce qui nous permettra de nous introduire dans la forêt interdite...
C'est exactement ce que m'avait informé l'e-motio. Tout se déroulera entre deux plateaux. J'aurai simplement à conduire l'équipe, tout en m'assurant que le groupe soit désynchronisé. Pour ce faire, j'userai d'Eskiell.
Ce matin, lors du repas, j'ai saupoudré furtivement dans la part de l'aventurier, un produit de mes conquêtes passées. De la Pessélicarmus, plus connue sous le nom de Sedum. Ce produit, à base de plante vénéneuse, produit des hallucinations à celui qui en ingurgite, accompagnées de colère soudaine et permanente, avec le temps. En guérir n'est pas chose aisée. Il faut extraire la mixture du corps, par les pores, habituellement.
En chemin, j'userai de mon énergie spirituelle, pour lui insérer des informations erronées.