Je suis né entouré de mes deux parents.
Mon père était tout joyeux d'avoir un fils.
Il disait : « je sais que cet enfant va me rendre fier. C'est bien un grand homme qui est né ».
Ma mère avait ce rictus de femmes réprobatrices douées pour sermonner leur mari.
« C'est pas n'importe qui, ton fils. Ce sera un grand soldat protégeant la kerha et les valeurs de la flamme d'Atlanta ».
Ces intentions prononcées à mon encontre me furent contées par ma famille, tout le long de mon enfance et durant mon apprentissage de la kerha. Nsenga fut un nom unique qui devait me donner toutes les qualités requises, pour atteindre le haut de la hiérarchie de Benedictus.
Alors que j'étudiais encore, une phrase me suivit jusqu'à la fin de ma formation : « quoiqu'il advienne, tu te dois de suivre la voie de la kerha ». C'est ce que je suivis jusqu'à ce fameux jour où je me trouvai face à l'Assemblée.
Un autre finaliste fut choisi pour devenir prêtre de premier ordre du temple Nord de la kerha. Je fus relégué à la fonction de prêtre de troisième ordre au temple Sud. Triste fût le visage de mes parents et désemparé fut le mien.
J'avais travaillé avec mes tripes, supportant la pression et l'angoisse fortement ancrée en moi de décevoir tous les espoirs placés sur mes épaules blasées. Je quittai le temple tout en laissant mon corps accomplir machinalement la tâche qui lui était dédiée.
Voilà des mois que je m'étonnais de ma situation et des conséquences que cela entraînait. Une douleur muette, mais rongeuse. J'ai mal, très mal. Ma mère me ballottait de mots réconfortants. Mon père me détruisait gravement par son silence et surtout de ses iris noirs posés sur moi, disant plus longs qu'ils ne faillent.
Toutes ces pensées venaient triturer mes journées alors que j'enseignais à mes étudiants, la maîtrise des bases de la kerha. Lors d'une pause, je fus approché par un destin que je n'aurais jamais soupçonné si proche.
- Non, je suis désolé... jugeais-je, en hochant la tête tout en serrant les dents. Non, non, je suis désolé...
- Allons, mon père, reprit Oyphul, le front suppliant.
« Notez... vous serrez bien payé à la fin du voyage. D'ailleurs, voilà... faisons comme ça... On vous donne une petite mise en bouche avant l'entrée... qu'est-ce que vous... »
- Je n'accepterai pas un seul centime, déclarais-je, les iris visant son interlocuteur.
- Écoutez ! Il y a plein d'e-motios dévoreurs dans cette forêt, il est vrai, mais il y en a aussi de très inoffensifs. Nous ne serons qu'à quelques kilomètres d'un point de ralliement. Et la terre est ouverte de nouvelles évolutions. Si vous voulez trouver quelque chose en particulier... C'est votre chance.
- Je regrette, messieurs, rétorquais-je, en lançant un regard successif à mes quémandeurs.
Je ne me donnais plus la peine de faire face à cette sombre équipe. Marchant déjà en direction de mes étudiants, j'entendis la dernière phrase de l'individu au chapeau :
« Et s'il s'agissait d'un appel de la kerha ? »
Je m'arrêtais la tête inclinée, sans me retourner.
- Au fond de vous, vous le savez, n'est-ce pas ? Un chemin unique qui vous amènera toutes les réponses qui vous déchirent...
Un court laps de temps sépare sa prochaine intonation.
- Mon père... vous savez que j'ai raison... Il y a quelque chose qui vous dit que votre destin...
- Que savez-vous du destin ? Vous, pauvre pêcheur du monde... comment pouvez-vous vous imaginer que je puisse prendre ce chemin ?
Je me rendais compte que je m'étais retourné. Je vis la tête du fameux explorateur se lever quelque peu, considérant le ciel.
- Si j'en sais quelque chose ? Regardez-vous dans une glace...
Puis, il baissait machinalement la tête vers moi.
- Et dîtes-vous droit dans les yeux... que vous êtes satisfait de rester sans réponse.
Je ne répondais rien à cette riposte. Je laissais mon esprit voguer dans mon passé et mes propres désirs, sentant le vent chaud du midi qui me rappelle que tout comme l'altitude de la montagne, les hauteurs du ciel sont accessibles à ce qui ne doutent plus.
Nous décidâmes de nous rencontrer le lendemain matin, au versant de la montagne, dans un bar fréquenté dans les alentours de Pallarya. De là, nous nous déplaçâmes vers la lisière de ladite forêt, renfermant tous les secrets de l'ancien monde.
Le terrain était propice à une nouvelle pousse. De hautes herbes vertes nous donnaient des chemins rébarbatifs. On distinguait de loin, les quelques lumières traversant les ténèbres de la forêt. On marquait d'un signe de l'index la source du vent.
Je rencontrai Selfor et Eskiell, deux autres voyageurs en quête d'une information utile. Je souhaite quand même m'avancer pour découvrir le pour quoi de ma décision.
Je me suis souvent demandé si la vie était logique. Je ne suis point un idiot pour ne pas savoir quoi décider de ma vie, mais je me suis posé plusieurs questions quant au cheminement de mon but.
Je ne cherche que ma propre évolution à travers ma vie. Je ne suis pas un homme aussi fort que je l'aurais voulu. Je veux trouver ce petit soupçon de mot qui me donnera, je l'espère, la petite étincelle me permettant de ne pas prendre la première lame venue.
À dire vrai, je me hais. Je ne suis pas aussi bon que je me l'étais imaginé. J'ai souvent été encouragé à changer de monde. Je ne suis pas un mauvais être en quête de réponse basique. J'ai... j'ai creusé sûrement un terme employé souvent dans mes cours pour mes élèves : la liberté.
Oui - Je manque cette liberté qui me détache de tout ce qui m'étouffe.
Je tranche de ma dague le bras d'une bête qui nous dévisage une dernière fois avant de voir la lame du masqué le décapiter.
- Un e-motio dévoreur, en déduisé-je, en baissant mon regard sur la créature déchiquetée.
La pluie bat son plein, rendant le sol sévèrement boueux, de ce fait, impraticable. L'humidité venant jouer sur mes narines, me force à un toussotement terrible.
- Bien, messieurs ! Je crois que nous nous devons de reconsidérer la situation... Les e-motios sont plus agressifs que ce que j'avais imaginé.
- C'est le troisième, en deux nuits... nota Eskiell, en s'essuyant le visage mouillé par l'averse.
- Il n'y a pas lieu de s'inquiéter, reprend l'explorateur, en tirant de sa poche une montre à gousset argentée, grosse comme un poing, rattachée à une chaîne similaire.
« Continuons notre route... notre destination n'est pas encore à porter de main. Nous avons affaire à un problème dérisoire. »
Je ne crois pas avoir eu à trop y réfléchir à la minute même. Cependant, je dois avouer que le commentaire de Bordos m'inquiète. Les e-motios sont majoritaires dans cette forêt. Je l'ai souvent déclaré devant mes étudiants : « s'il m'avait été donné de creuser le fin fond de la Toile, je n'y aurai trouvé qu'hurlement et trépas ».
Je crains que nous allions droit au-devant d'un monde qu'aucun d'entre nous n'a jamais osé prétendre en connaître les rouages. Mais à présent, je suis déterminé à trouver ce pourquoi je suis entré. Un e-motio est bien plus dangereux que ce que l'on peut imaginer et le terrain où il prolifère le devient tout autant. Si malheur devait nous tomber dessus, nul n'en saurait la moindre syllabe.
Le cœur d'un e-motio est complexe au moment où son être entre en résonance avec les émotions extérieures. Il se complexifie encore plus lorsqu'il se trouve face à une proie, l'obligeant à user de son instinct de survie pour l'appâter. Il se précise lorsque son âme devient la source d'un seul et même sentiment. Un démon ne pourrait pas être plus effroyable qu'un e-motio dévoré par la destruction.
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* *
- Les gars, voici une nouvelle... Elle s'appelle Alpha, la petite étincelle de rébellion, mais déterminée, s'empresse de dire Bordos, avec un large sourire.
- Je te salue, Alpha ! dis-je rapidement, sans prêter attention à sa silhouette. Je ne vois que ses armes et ses yeux d'un bleu saisissant.
Cette jeune fille est bien intrigante. Qu'est-ce qu'elle foutait toute seule dans la forêt ? Et en plus, dans cet état ? S'est-elle battue ? Un e-motio ? Son armement n'est pas conventionnel.
J'aurai tout le temps de mefixer sur ses réelles intentions.