La semaine était passée avec une lenteur déconcertante pour Cheyenne. Malgré la mise en garde de l'ancienne présidente, elle n'aurait jamais cru que les choses auraient pu si mal tourner avec la présence de sa sœur. Elle avait beau essayer de se convaincre que cette dernière n'avait rien à voir avec ça, elle ne pouvait pas ignorer davantage la réalité.
La jeune femme voyait parfaitement la différence avec les autres prêtresses. Très peu étaient approchées. On les regardait avec respect et on les vouvoyait. Pour elle ? C'était la misère la plus totale. Il était rare qu'elle ne croise pas une autre fille sans être bousculée. On lui parlait avec désinvolture et elle avait dû entendre, à de nombreuses reprises, des garçons comparer devant elle sa beauté fade, face à la beauté enivrante de sa sœur. On lui avait même parlé de sa peau « trop foncée » par rapport à la peau de lait de Mélodie.
Même si elle avait toujours vécu dans l'ombre de la blonde, dans l'ombre de ses qualités incroyables, elle n'avait jamais ressenti autant d'animosité de la part des gens. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait... Moins bien qu'elle. Comme si sa valeur avait commencé à fondre.
Malheureusement, sa timidité naturelle l'empêchait de répondre. La demoiselle essayait même de faire en sorte que tout ceci se passe loin de sa colocataire. Elle ne voulait pas l'impliquer dans ses problèmes. Julie était très impulsive, mais elle était globalement appréciée. Cheyenne ne voulait absolument pas que sa camarade s'attire des ennuis juste pour elle...
Plongée dans ses pensées, la pauvre brune se retrouva nez à nez avec un groupe de filles qui entouraient Mélodie. Deux garçons étaient là également, bombant le torse, comme pour jouer les pseudos garde du corps. Cheyenne ne put s'empêcher de se dire que les deux minets ne feraient sûrement pas le poids contre un des garçons de son village. Malheureusement, elle n'était pas un garçon de son village : Elle n'avait aucune assurance, sûrement pas face à un groupe aussi hostile.
La demoiselle déglutit difficilement et demanda finalement à sa sœur comment elle allait. Ses yeux avaient du mal à soutenir son regard. Si elle ne connaissait pas sa sœur, Cheyenne aurait pu parier qu'elle avait un air moqueur. Mais elle ne pouvait décemment pas croire la demoiselle aussi méchante. Non. Ses angoisses lui jouaient des tours.
Mélodie commença à ouvrir les lèvres, étrangement hésitante. Une de ses amies prit finalement la parole, pointant du doigt la traitresse :
– « Tu oses ?! Tu as pourri la vie de ta sœur, tu lui as tout volé, et tu oses demander comment elle va ? Je savais que les cochons n'avaient aucune éducation, mais c'est pire que ce que je croyais ! » vociféra une rousse qui semblait enragée.
– « Je suis d'accord avec Tanya ! J'arrive pas à croire que l'académie ait osé accepter une grippeminaude comme toi ! Tu oses nous regarder dans les yeux alors que tu ne vaux rien ! Quelle honte ! » ajouta une blonde qui croisa les bras fermement.
Cheyenne cherchait ses mots, mais elle fut immédiatement interrompue par les deux hommes : ils se demandaient très sérieusement si « gargouilleuse » ne lui irait pas mieux, comme surnom, au vue de sa très grande laideur. On voyait directement sur son visage qu'elle n'était bonne qu'à ramasser des oignons. Elle avait d'ailleurs les ongles très courts et abimés, ce qui confirmait qu'elle avait passé une grande partie de sa vie à ramasser des légumes.
Comment pouvait-elle être la sœur d'un tel ange ?
Un éclat de rire s'échappa du groupe. Ils commencèrent tous à chercher différents surnoms, plus horribles et rabaissants les uns que les autres, attirant les regards d'autres élèves dans le couloir. Si tous les élèves sans pouvoir savaient plus ou moins pour l'histoire des deux sœurs, jamais ils n'avaient participé à une humiliation générale. Il faut dire que les attaques avaient toujours été très discrètes jusque-là. Pourtant, l'amusement sembla gagner tout le monde puisque chacun tenta de trouver un nouveau surnom pour la fausse prêtresse.
Fadasse était le mot qui revenait le plus, même si quelques rares, plus vulgaires, osaient la qualifier de puterelle. Les mots semblaient s'engouffrer dans le crâne de la prêtresse et la marteler avec violence. Les larmes lui montaient rapidement aux yeux tandis qu'elle ne cessait de tourner son regard de droite à gauche, submergée par la violence verbale. Elle ne put s'empêcher de guetter qu'aucune prêtresse ne soit dans le coin, et surtout pas Julie. Elle avait terriblement peur des incidences que pouvaient avoir de telles insultes.
Comment en était-on arrivé là ?
– « Il suffit ! Vous insultez ma sœur ! Elle m'a fait du tort, certes... mais en l'insultant, vous insultez également mon nom. » déclara finalement Mélodie, les larmes aux yeux.
Cette dernière commença à sangloter, jouant la paniquée. Elle jeta un regard blessé vers la brune, gémissant finalement que tout était de sa faute. Si seulement elle avait su se tenir !
Tandis qu'elle continuait de pleurer, les amies de Mélodie tentèrent de la consoler, laissant les deux garçons du groupe éloigner les autres élèves. La blonde profita de la confusion commune pour jeter un regard étrange vers sa sœur. Malgré ses larmes, un sourire s'esquissa sur ses lèvres une demi-seconde à peine, jetant le doute chez le membre de sa famille.
Tanya déclara finalement qu'ils n'avaient pas de temps à perdre avec la gargouilleuse, ajoutant néanmoins qu'elle ferait mieux de se faire toute petite, pour la prochaine fois.
Totalement perdue, Cheyenne glissa ses mains sur ses joues, tout en regardant Mélodie s'éloigner avec son troupeau. Elle constata avec stupeur que des larmes s'étaient mises à se répandre sur ses joues, sans même qu'elle ne le remarque. Elle tenta de les essuyer avec empressement, honteuse, sursautant en entendant une voix bien connue l'appeler :
– « Prêtresse aux fleurs. J'ai à te parler. »
En se retournant, la brune put se rendre compte qu'il s'agissait d'une des prêtresses déjà présentes à son arrivée, celle de l'eau dont Agathe avait sous-entendu qu'il fallait se méfier : Espérance Duharney. Elle termina d'essuyer ses joues désormais rouges, se forçant à sourire et s'approchant de la prêtresse.
Cette dernière fit néanmoins un geste de la main, comme pour préserver une distance de sécurité, l'air écœuré. Elle déclara qu'elle avait tout vu et qu'elle regrettait amèrement que la jeune fille ne soit pas capable de rendre honneur au rôle de prêtresse. Espérance claqua de la langue, agacée et méprisante, chose qu'elle faisait chaque fois qu'on la contrariait. Et, malheureusement, il en fallait peu pour ça...
– « Te rends-tu compte du rôle à tenir ? Tu es prêtresse, pour l'Amour de Dieu ! Que tu sois issue du bas-peuple, passe encore... Mais te laisser insulter en public ! Si au moins, tu avais la décence d'être dans un lieu discret pour cela... J'ose espérer que cela ne se reproduira plus. Nous avons une image à tenir. Tu fais malheureusement partie de notre image... »
Espérance plissa les yeux, comme pour vérifier que la jeune fille face à elle l'écoutait bien. Elle savait que les filles du peuple apportaient bons nombres de problèmes. Mais l'Académie tenait à accepter toutes les prêtresses. Même les plus inutiles, comme Cheyenne. La jeune femme la dévisagea de haut en bas, songeant qu'elle pourrait tout de même faire un effort de présentation. Ses cheveux étaient simplement lâchés, elle ne portait pas de bijoux, ni aucun maquillage...
La prêtresse de l'eau secoua la tête et soupira :
– « Ta sœur aurait vraiment dû être prêtresse à ta place. Elle est présentable, elle. Et jolie. Ne te plains pas qu'on s'en prenne à toi, si tu ne fais jamais aucun effort.
Espérance haussa simplement les épaules et claqua de nouveau de la langue avant de faire demi-tour, laissant la brune perdue et encore plus angoissée. Même si elle s'était sentie coupable, elle avait eu l'espoir qu'on la soutienne et qu'on prenne sa défense.
Finalement, peut-être qu'elle méritait ce qui lui arrivait ?