Je me flanque au sol comme une patate en m'adossant à un arbre d'un noir profond. La nuit a vite fait de remplacer le jour. Nous sommes tous exténué, mais l'esprit en alerte.
Nous avons longuement discuté sur la présence d'un x personnage pouvant avoir été responsable du coup. Et cela n'a pas été une partie de plaisir. Entre les démentis d'Eskiell et les suppositions de Bordos, en passant par les craintes du prêtre quant à notre passage de la partie de la forêt ou lianes et étangs y sont maîtres, j'ai eu ma dose de virée pour ce soir.
Était-ce Eskiell, le coupable ? Mais dans ce cas, quel but poursuivait-il ? Discréditer le chef ?
C'était difficile à me le figurer, vu que je n'avais assisté à aucune scène de ce genre. À Éris, les notions de vol, détournement ou quelques exactions de ce genre, n'existe pas. Il est tout à fait normal d'en parler en désignant les autres royaumes ainsi que le reste de l'univers accroché à cette façon d'agir.
Je m'étonne moi-même de prendre parti à cette histoire.
Si cela avait été l'aventurier, le trou ne serait pas si proche de lui et encore moins, ne contiendrait la totalité de leurs attirails. Et le chef qui avoue n'avoir pas signalé son réveil durant la nuit, l'innocentait peu à peu.
Nous avons pris l'hypothèse qu'une créature s'était dissimulée sous la terre pour tenter d'emporter tous les objets - Sauf qu'il y a un hic - les affaires se sont retrouvées au même endroit alors qu'ils étaient dispersées. L'idée d'une bête aidée de la magie était à exclure comme précisé par Nsenga qui l'aurait détecté.
- Un e-motio ! avais-je balancé, après quelques minutes de réflexion.
À ce moment-là, tout le groupe s'arrêta et me fixa longuement.
- Un e-motio est une créature dotée d'émotions mais cela n'est en aucun cas de la magie. C'est leur propre énergie émotionnelle qu'ils utilisent en permanence... Étant des êtres dotés eux aussi d'émotions, nous ne sentons pas leur présence même sous une forte concentration... à moins d'avoir été entraîné à devenir un aventurier...
- Cela signifie que tu es capable de les ressentir ? me demande Bordos.
- C'est exact ! Cependant, il n'y a qu'un seul type d'e-motio que je ne détecte pas toujours. Ce sont les dévoreurs possédés par l'envie, précisément celle provoquant une pulsion forte pour faire du mal à autrui... C'est la raison pour laquelle je n'ai pas senti arriver les bêtes enragées qui ont causé la mort d'Oyphul...
- Donc, ta formation n'est pas achevée...
Je n'avais pas répondu.
- Et donc, tu t'es lancé dans la Toile comme ça ?
- Je serais bientôt en mesure de ressentir leur présence... Je ne suis pas sûre de moi, mais il est fort probable qu'il y ait eu un e-motio sous la terre en creusant tout autour pour faciliter le bon transport des sacs... Il a pris les objets un à un et les a jetés dans le trou...
- Et comment tu expliques que je n'ai rien vu ? demanda Bordos, visiblement en train de se figurer le scénario.
- La créature n'était pas seule... ils ont opéré à plusieurs...
- C'est fort probable... mais... Je ne me souviens pas du moment où j'ai pu perdre le paysage de vue.
- Tout comme tu ne te souviens pas avoir vu se déplacer les objets ou entendu le bruit du trou entamé...
Nous en avons conclu que cela était plausible pour l'instant, n'ayant pas d'autres preuves en main. C'est un e-motio voire plusieurs qui en sont responsables. La question est de savoir pourquoi ?! Pourquoi nous suivent-ils ? Dans quelle proportion devons-nous nous inquiéter ?
Nous nous trouvons à présent entourés de lianes épaisses et longues, avec des arbres gratte ciels, dont les racines sortent par endroit, sur toute la surface.
Cette fois, chacun son camp, contre un arbre et surveillant les autres. On a beau avoir désigné un coupable potentiel, il n'en reste pas moins que personne n'a été témoin des faits.
Bordos prépare déjà le feu de ce soir. Selfor s'est lancé en plein chemin à ramasser tout bois secs que l'on pouvait croiser sur notre route. Il avait raison. Les arbres autour de nous dégagent une forte odeur d'humidité. Et mon dos me chatouille quelque peu à cause de la mousse verte s'étant accumulée depuis le bout des racines à l'air libre jusqu'à deux mètres sur le tronc.
Je me mets à scruter le dessin du plateau au loin dominé par une sévère pente où s'agglutine plusieurs arbres. Nous sommes nous-même sur un plateau, ce qui me pousse à réfléchir sur notre point en ce moment sur la carte de Bordos.
D'après ce dernier, nous nous situons près du centre, soit environ 120 kilomètres du centre et 45 kilomètres de l'entrée de la forêt. Je me demande si la terre finira dans le même état que nous.
Autrefois, des arbres et des centaines de milliers d'espèces s'étendaient à perte de vue sur Lodart. Mais un malheureux incident brisa à jamais l'aspect de ce monde. Mais, c'est aussi cet évènement qui apporta aux hommes, la connaissance de certaines techniques de fabrication.
Le monde est différent désormais, ici. Le seul continent possédant encore de la verdure originelle, n'est autre que ce royaume. Je me demande où peut se trouver l'e-motio de la flamme.
- La flamme d'Atlanta... dis-je, tout bas, sans trop faire attention.
- Ton cœur est assez pur pour prononcer ce mot sans trembler...
La voix qui me parvient me pousse à lever la tête comme sortant d'une rêverie. Je me rends compte subitement que je suis face à une étendue d'eau dont les rayons d'un astre au loin, d'un vert lime scintillant - C'est le crépuscule - Le propriétaire ne m'apparaît toujours pas. Ai-je rêvé ?
« Si tu me cherches, c'est peine perdue. Je n'ai point le privilège de me forger un passage autre que ma voix à travers ton cerveau. »
- De la télépathie ? m'écrié-je en me retournant. Je pense que la voix provient de derrière mon épaule.
J'ai les pieds sous l'eau. Elle ne dépasse pas la moitié de mes bottes. J'essaie de me déplacer mais n'y parviens pas. J'arrive pourtant à le retourner sans difficulté, mais mes jambes ne bougent pas d'un centimètre.
Je ne sais comment l'exprimer. Je perçois que c'est un rêve, mais je me convaincs foncièrement que c'est la réalité, que je suis bien à cet endroit, entrain d'admirer ce ciel sombre où seule l'étoile sinistre me sert de lumière.
Une seconde - Je n'entends plus rien. Il n'y a plus un bruit. Même les vagues ne participent pas à l'existence. Je suis seule. J'arrive à percevoir ma voix, lâchant des bouffées d'air.
Soudain, je prends peur. Ce ciel, ce soleil. Sa teinte me donne des sueurs froides. Je me surprends à ressentir une forte émotion. Pendant quelques secondes, je n'arrive pas à contenir un rire accompagnant ma voix cassée par de violents sanglots.
Je ne me reconnais plus. Ces sentiments que j'ai tant cherchés, déferlent en moi telle une source ne tenant point à tarir. Inutile de tenter de réfreiner ce cocktail de joie, d'angoisse et de tristesse. Ces questions qui viennent embrouiller mon esprit ont vite fait de me briser littéralement.
J'ai les mains dans l'eau. Les insignifiantes gouttes de larmes se plongeant sans attendre dans cet océan, me déstabilisent quelque peu. Je me prends à trembler. Mais comment suis-je arrivée ici ?
- C'est impressionnant, n'est-ce pas ? dit à nouveau la voix.
- Et merde ! Que m'as-tu fait ?
- J'ai juste essayé de répondre à ton souhait... Tu désires les récupérer, n'est-ce pas ?
Je ne lui réponds pas. Je lève la tête tout en faisant le tour du paysage.
- Où est-ce qu'on est ?
- Je te l'ai dit, nous sommes dans ton cerveau... C'est toi qui as forgé cette cage... C'est la dernière image de ton passé, mais altérée sur plusieurs plans...
- Qu'entends-tu par-là ? lui demandé-je, en me levant.
- Il manque des détails... notamment un sol... et les nuages.
D'un coup, je m'aperçois qu'il a raison. À part l'eau, il n'y a rien. Ce que je crois être de la terre, n'est en fait qu'un grand vide. En acceptant cette vérité, je ne sens brusquement plus mes pieds tenir sur un solide. Je sens la peur m'envahir. Je vais tomber, c'est certain.
- Cesse d'y penser... Tu es dans ta tête, ne l'oublie pas... ici, ce que tu penses ou perçois voire ressens se matérialise plus vite que tu ne le crois.
- C'est bon... dis-lui d'arrêter...
- C'n'est pas moi, le chef ici... C'est toi...
Sans que j'aie le temps de comprendre, je retrouve mon calme pendant quelques minutes. Je baisse les bras que j'avais levés, simulant un saut dans l'inconnu.
Je n'arrive pas non plus à distinguer ce qui se présente à mes yeux, me glaçant l'espace d'une seconde. L'eau réfléchissant la lumière du soleil, est remplacée par une quantité imprenable de poussière d'étoiles envahissant tout le paysage. Je regarde en direction du soleil qui n'a pas bougé d'un iota.
C'est l'univers s'étalant à mes yeux. Telle une peinture inspirante, je distingue des formes composées de gaz et de poussières ouvrant la voie à des images de constellations dont je ne saurais nommer.
Soudain, j'aperçois une étoile bleue azur briller au loin, elle attire mon attention. Elle est solitaire, mais n'en reste pas moins étincelante. Elle commence étonnement à scintiller, puis à briller de plus en plus intensément avant de projeter un flot de lumière s'étalant sur toute sa longueur.
La ligne droite lumineuse qui en résulte amène une vague de réaction au sein des amas d'étoiles près de lui. Des éclats similaires se produisent à la chaîne - Cela ne s'arrête pas - D'autres, plus loin, ne tardent pas à briller en synergie avec le reste du paysage. Le panorama qui m'est donné, n'est qu'éclat.
Et sans m'en apercevoir, l'ensemble forme à mes yeux, une majestueuse œuvre d'art m'arrachant la voix au passage.
- Magnifique... lâché-je.
À la minute même, j'ouvre doucement les yeux. Tout est encore flou dans ma tête, mais je comprends vite que je me suis endormie, adossée à mon arbre. Je lève mes prunelles vers le groupe qui est en train d'échanger autour de notre prochain repas.
- Ne t'en fais pas, ils ne viendront pas nous déranger, prononce de suite la fameuse voix.
Je pivote ma tête vers ma gauche, de là où la voix me semble provenir distinctement. Je vois devant moi, flottant dans l'air, une minuscule créature, brillant sans feu. Elle me sourit d'une telle façon que cela me rappelle les archanges d'Éris.
- Heureux de te rencontrer, Alpha ! me lance-t-elle.