Il était partout, le soleil de janvier. Sur les murs ternes et sur les rideaux rongés, sur la saleté persistant entre les lattes du plancher. Il illuminait la misère, le soleil de janvier, et le teint blafard de Marigold qui faisait mine de se réveiller d'une nuit sans lune et dont elle avait vu passer chaque minute.
ㅡ Il aura une sépulture, tu crois ?
C'est l'horloge qui répond, et Marigold commence à penser que Benjy avait raison.
ㅡ Honnêtement, je ne pense pas.
ㅡ Qu'est-ce qu'ils vont faire du corps, alors ? Marigold demande en servant du thé dans des verres abîmés.
ㅡ Je sais pas.
ㅡ Ils vont pas le garder, si ? Ils doivent rendre le corps à la famille, après leur enquête.
ㅡ Le Ministère... le Ministère a ses habitudes, et je ne pense pas qu'elles soient toujours correctes. Mais je ne pense pas non plus qu'ils souhaiteront changer ses habitudes, pas pour ton frère.
La théière tremble et Remus fait semblant de ne pas le remarquer. Il faut dire qu'il a l'habitude de faire semblant, depuis quelques années.
ㅡ Tu pourrais envoyer un hibou à Thaddeus ?
Oui, Thaddeus travaille au Ministère. Elle tend son verre à Remus et hoche la tête.
ㅡ J'y ai pensé. Je ne sais pas si mon courrier sera lu ou si le sien sera contrôlé. Mon frère était un Mangemort, je doute que cela plaise au Ministre de la Magie. Ma correspondance avec Thaddeus, je veux dire.
Remus ne répond pas, Marigold a raison. Il n'y a rien à dire de plus, et le thé fume et la vitre semble trembler elle aussi quand un coup de klaxon prolongé retentit quelques étages plus bas. Il est bon de voir que pas tous les Londoniens ont cédé à la peur ( ou que certains sont assez inconscient pour clâmer leur colère à voix haute depuis le siège conducteur de leur petite voiture abîmée ).
ㅡ Est-ce que tu sais si je suis renvoyée de l'Ordre ?
ㅡ Alastor est passé, hier. Juste après qu'ils aient trouvé les corps. Il a dit que tu étais relevée de tes fonctions jusqu'à nouvel ordre, au moins pendant la durée de l'enquête. Ensuite...
ㅡ Ça dépendra de s'ils concluent que je suis au service
de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom ou pas.
ㅡ C'est l'idée, vaguement.
ㅡ Relevée de mes fonctions... C'est pas comme si ces bouseux me payaient pour foutre les doigts dans les cadavres qu'ils me ramènent, ou pour recoudre ou pour soigner les vivants... Alors quoi, je suis assignée à domicile ?
ㅡ J'sais pas trop. J'suis pas censé être là, si tu veux savoir.
ㅡ J'me disais bien que c'était bizarre.
Marigold ricane et Remus l'imite. Faut croire qu'il aime toujours ce jeu du miroir, reproduire bêtement ce que fait Marigold... Alastor l'a pourtant prévenu du danger.
Pourquoi se méfier ? Remus connaît son amie. La femme aux jambes repliées sous elle et qui se tient dans le fauteuil face à lui, c'est la gamine aux cheveux colorés qui perdait ses paris contre James et Peter, celle avec qui il se battait pour le titre de meilleur de la classe ; et la Préfète qui avait fini par comprendre et qui lui offrait le meilleur chocolat vendu par Honeydukes les lendemains de pleine lune.
Même si Marigold était une Mangemort, qu'est-ce que ça changerait ?
ㅡ Je veux pas t'attirer des problèmes, tu sais ? Tu peux partir si jamais...
ㅡ Tu me fous à la porte ? Remus fait semblant de s'amuser. Il a peur, en réalité ( et si de nouveaux nuages d'orage venaient recouvrir son quotidien si routinier ? )
ㅡ Je te donne une chance de ne pas passer une seconde nuit dans ce fauteuil atroce. Je sens chaque ressort dans mes jambes, comment t'as pu passer toute la nuit ici ?
Ils rient encore et aucune réponse n'a besoin d'être murmurée. Marigold aurait fait pareil pour lui ; ils auraient été plusieurs à se partager un coin de fauteuil rapiécé. Remus, lui, était tout seul ici. À un mètre à peine de Goldie, un sommeil profond de quelques minutes donnant le relais à d'autres instants de réflexion. Elle avait vu son cerveau fumer, sa respiration s'apaiser ; et chaque période se répétait alors, donnant mal à la tête à Marigold qui avait préféré faire semblant de dormir ( elle avait pourtant hésité à demander si tout allait bien, plusieurs fois ).
ㅡ Pour être honnête... Si tu veux rester, j'apprécierais. J'ai pas franchement envie d'être seule pour l'instant, je veux juste... mettre de l'ordre dans ma tête ? Trouver une place et un sens à chaque information nouvelle, et, ouais. En tout cas, sache que le canapé est relativement plus confortable et que mon frère avait un lit. Si ça te gêne pas de dormir dans les draps d'un meurtrier.
ㅡ Ça fait des mois que je dors dans les draps d'un meurtrier.
C'était là un sujet sensible que Marigold avait pourtant essayé d'aborder. Là aussi, elle n'avait pas été la seule. Remus avait tué un Mangemort, sur une plage au sud d'Eype. Le type était en train de transplaner, il n'y avait pas eu de corps, pas d'enquête.
Il y avait pourtant un spectre, et celui-ci hantait Remus depuis.
Marigold serait là pour lui, quand il voudrait en parler.
ㅡ Ces draps-là vont me manquer. Ceux de Emmeline aussi.
Tout le monde entre les murs du Manoir abritant les membres de l'Ordre avait déjà aperçu la sorcière aux premières lueurs du matin se glisser dans la chambre d'un de ses meilleurs amis. Ses cauchemars venaient encore de la réveiller, et sa silhouette diaphane traversait alors les couloirs, sa chemise de nuit couvrant à peine ses pieds nus et les empreintes qu'elle laissait derrière elle.
ㅡ On est pas obligé de mettre un terme à cette habitude-là, tu sais ?
ㅡ Oh, à part si tu comptes rester vivre avec moi... Et je suis pas sûre que ce soit une bonne idée.
ㅡ Mh. Sinon, tu pourrais venir avec moi.
ㅡ Tu plaisantes ?
ㅡ Tu comptes moisir ici ? Alastor m'a assigné ma prochaine mission, je dois partir pour Minehead dans deux jours.
ㅡ Minehead ?
ㅡ Minehead, ouais.
ㅡ J'sais même pas où c'est, putain. ( Ils rient, vraiment cette fois ). Y a du soleil, à Minehead ?
ㅡ Pas sûr de ça. Ça te tente ?
ㅡ Pourquoi pas.
Marigold n'avait pas défait ses valises, après tout. Et sûrement que quitter Londres pendant quelques temps serait bénéfique pour la sorcière, car ici, chaque coin de rue portait le souvenir de Silas. Chaque plaque nominative la ramenait à cette impasse juste avant l'entrée du Chaudron Baveur, et la pluie donnait à l'asphalte un reflet argenté qu'elle haïssait désormais.
Il y a la mer, là-bas, avait souri Remus en se souvenant de chaque fois où Marigold s'était baignée en sous-vêtements dans le Lac Noir ( cette pétasse doit être à moitié sirène, c'était ce que Peter disait. Elle l'avait entendu, en cinquième année, et lui avait jeté un sort quelques heures plus tard. Les autres garçons avaient tellement ri qu'ils avaient oublié de se venger ).
Les vagues pourraient bien chasser son chagrin, pas vrai ? Goldie n'avait pas besoin de connaître les raisons de cette expedition, elle voulait bien suivre Remus partout où il irait ( car il était bien le seul à avoir confiance en elle ; et lui n'avouerait jamais qu'il en était ainsi car il savait ce que c'était, que d'être un monstre et d'être rejeté ).