- Je t'en prie, entre.
Renjun me sourit et pénètre dans ma maison pour la première fois. Maintenant que j'y pense, je n'ai pas fait le ménage. Le salon est en désordre, tout comme ma chambre à l'étage. Ce n'est pas adapté pour une première impression...
- Euh c'est un peu le bordel, je bredouille alors qu'il s'arrête. C'est que... Je ne m'attendais pas à de la visite.
- C'est moi qui m'excuse de débarquer sans prévenir, il sourit.
Après avoir fondu face à son magnifique sourire, je me précipite pour débarrasser les verres d'eau et les serviettes en papier que j'ai laissés traîner sur la table basse. Peut-être que je devrai lui servir quelque chose, comme il l'a fait pour moi la première fois que je suis venu chez lui. Mais je n'ai absolument aucune idée de ce qui pourrait lui faire plaisir. Un jus d'orange ? Du lait ? Du thé ? De l'eau ?
- Euh, tu veux que je te serve quelque chose ? je demande en sortant ma tête de la cuisine.
Renjun prend place sur le canapé et me répond poliment.
- Non merci, je ne voudrai pas te déranger.
Rassuré, je le rejoins enfin. Il me semble qu'il a parlé de Jaemin ? Oui, j'étais tellement stressé par sa venue que ce qui m'a directement préoccupé avant tout, c'était comment lui faire bonne impression.
- Alors je t'écoute, je souris en m'asseyant.
- Eh bien je voulais te parler par rapport à Jaemin... Même si ce que tu m'as dit la dernière fois était difficile à croire... Tu as apporté des bonnes preuves et je ne vois pas non plus pourquoi tu me mentirais...
Je sens sa gêne à travers ses petits gestes, comme la main derrière la nuque, l'autre sur une boucle d'oreille. Honnêtement, il n'avait pas à s'excuser. À sa place, moi aussi, j'aurai eu du mal à croire à toute cette histoire. Néanmoins, ça me dérange un peu de savoir que le seul sujet de conversation qu'on puisse avoir soit uniquement Jaemin. On ne peut pas parler du match d'hier, ni du beau temps.
- Donc tu me crois ? je ne trouve rien d'autre à dire.
- Je suis passé voir un proche qui s'y connait aujourd'hui et il m'a dit qu'il y a de fortes chances que tu me dises la vérité...
Autrement dit, s'il est là, c'est pour son petit copain, et absolument pas pour moi.
- Il est donc vraiment ici ? il me redemande.
- Bien sûr, attend.
Depuis le début de notre petite conversation, j'avais remarqué Jaemin en haut des escaliers qui se faisait discret. Il est sans doute encore choqué de voir que Renjun croit enfin à sa présence.
- Allez viens, je dis au fantôme, avant qu'il ne me regarde avec des yeux incertains. C'est ce que tu attendais depuis longtemps, non ?
Le châtain descend à pas lents, et pendant tout le temps qu'il prend pour nous rejoindre, je suis un peu mal à l'aise avec le silence et Renjun juste à deux mètres. Finalement, Jaemin arrive à mes côtés, alors que son regard n'arrivait pas à se décoller du chinois.
Je sens que je suis de trop...
Jaemin
C'est lui. C'est bien lui. Le garçon que j'ai aimé durant ma pauvre petite vie. Et par petite, je n'exagère rien. Même si je savais depuis longtemps que Renjun était mon petit ami, ce n'est qu'en le dévisageant que j'en prends réellement conscience. Ses petits yeux adorables, ses cheveux soyeux, tout me revient plus pleinement. J'ai l'impression de me remémoriser chaque moment qu'on a passé ensemble, chaque petit détail de notre relation parfaite...
Renjun et moi étions très différents. Il est ce petit garçon calme et mature, qui analyse tout ce qui se passe autour de lui en silence alors que moi... J'étais celui qui se foutait de tout, qui ne réfléchissait pas avant d'agir et qui passait la majeure partie de son temps à faire la fête. Nous étions la parfaite illustration de la fameuse affirmation : "Les opposés s'attirent".
- Jaemin ? il appelle soudainement, faisant tambouriner mon cœur. Tu es vraiment là...?
• Oui, j'ai l'impression que ma voix se casse. Je suis là Renjun...
- Il te répond "oui", Jeno traduit. Et il peut te le prouver.
Jeno me lance un sourire complice. Je vois ce qu'il essaie de me dire, mais je ne pense pas être encore au point sur mon numéro. Après tout, je n'ai touché la pierre que pendant deux secondes. J'hésite à le faire...
- Tu peux y arriver, il m'encourage en sortant une pièce de monnaie de sa poche pour la poser sur la table.
Je reste indécis, mais j'ai l'impression que voir Renjun attentif me pousse à essayer. Et puis, du haut des escaliers, Johnny me lance aussi des encouragements à l'aide de ses mains. Bien, je vais le faire. Tout concentrer dans la main, voilà le secret. J'y mets tout mon cœur -s'il est toujours là- et augmente la concentration. Tu le fais pour Renjun, tu le fais pour Renjun. Si tu n'y arrives pas, il se pourrait qu'il ne te croie pas.
Au bout d'une vingtaine de secondes, je ne sens toujours rien arriver. J'ai envie d'abandonner, mais je ne le fais pas. Parce que si je n'y arrive pas, il se pourrait que Renjun ne croie pas en moi, c'est ce que je n'arrête pas de me répéter. Je sens des progrès. Je commence à sentir peu à petit peu le contact de la pièce contre mes doigts. Et puis finalement...
- Non ! s'écrie Renjun en se couvrant la bouche.
J'ai réussi à la soulever pendant trois secondes, avant que la pièce ne retombe bruyamment sur la table. Je vois des larmes commencer à s'accumuler au coin des yeux de mon chinois. Non... Je n'ai jamais supporté le voir pleurer. Le pire, c'est que je ne peux même pas l'en empêcher et le réconforter... Mais j'y pense... Peut-être que je le peux.
• Jeno, je peux emprunter ton corps quelques minutes ?
- Hein ?
• S'il te plaît, c'est le seul moyen pour qu'on puisse communiquer librement.
Johnny m'avait parlé de la possession. Il m'avait dit que c'était facile à faire, mais que cela ne durait cependant pas longtemps. Ça dépend de je ne sais quoi. Mais au point où j'en suis, je suis prêt à tout tenter. Jeno finit par accepter après s'être sûrement posé beaucoup de questions sur s'il mettait sa vie en danger ou non. Alors je souffle.
- Jaemin va prendre possession de mon corps apparemment, Jeno explique à celui qui ne comprenait rien.
- Comment ?
Trop tard, j'y suis déjà. J'ai tout d'abord une énorme migraine, et j'ai mal partout. J'ai comme l'impression de commencer à ne faire qu'un avec le corps de Jeno, puis je me sens enfin totalement à l'aise. C'est comme si je revivais, cette sensation m'avait manquée.
• Renjun, c'est moi... je murmure par l'intermédiaire du corps du noiraud.
- J'ai toujours du mal à y croire, souffle-t-il, les joues humides.
• Et pourtant c'est bien moi, Junie. Minmignon, tu te souviens ? Le petit surnom que tu me donnais de temps en temps...
- Alors c'est vraiment toi ?
Il explose en larmes et je me précipite pour m'asseoir à ses côtés pour le réconforter.
- T-Tu me manques t-tellement Jaemin, il suffoque. Ma vie n'a plus aucun sens depuis que tu n'es pas là ! Qu'est-ce que je vais faire sans toi ?
• Junie, calme-toi. Tu sais bien que j'aime pas te voir pleurer...
- Mais je ne tiens plus ! Chaque jour je me réveille en me rendant compte que tu n'es pas là, tu ne sais pas à quel point c'est dur...
Je le laisse évacuer ce qu'il a sur le cœur après m'être rendu compte que mes mots ne servaient à rien. Je ne décide de parler que lorsqu'il se calme un peu.
• Maintenant tu sais que même si je ne suis pas là physiquement, je suis quand même bel et bien à tes côtés.
- Dis-moi que tu vas revenir à toi.
Aïe. Dois-je le lui dire alors qu'il est dans un état des plus déplorables ? Je ne peux pas lui mentir. Même si je ne serais plus là, je perdrai sa confiance quand il découvrira toute la vérité...
• Je... Je ne sais pas... Tu sais qu'il y a peu de chance que je... que je...
- Mais Jaemin, je ne suis rien sans toi...
Ne trouvant rien à dire, je le prends juste dans mes bras. J'ai beau essayer de le rassurer, comment le faire si moi-même je ne le suis pas ?
Finalement, je ressens à nouveau l'horrible douleur me parcourant tout le corps. Ça y est... C'est déjà fini...
Jeno
Je me réveille... Dans les bras de Renjun ? Oh la la... je sens mon visage chauffer et des papillons dans mon ventre. Il ne s'arrête pas, pensant sans doute que je suis encore Jaemin. Leur conversation a dû être émotive pour qu'ils en soient arrivés là. Moi aussi, je ne veux pas m'arrêter.
Seulement...
Je dois partir travailler, malheureusement...