Le Dernier Vol des Oiseaux de...

By JHaltRoen

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Roxane vit dans un des plus beaux appartements de l'Upper East Side de New York, entourée d'un père aimant et... More

Avant-Propos
.
Prologue
Chapitre 1 - Partie I
Chapitre 1 - Partie II
Chapitre 2 - Partie I
Chapitre 2 - Partie II
Chapitre 3 - Partie I
Chapitre 3 - Partie II
Chapitre 4 - Partie I
Chapitre 4 - Partie II
Chapitre 4 - Partie III
Chapitre 5 - Partie I
Chapitre 5 - Partie II
Chapitre 5 - Partie III
Chapitre 6 - Partie I
Chapitre 6 - Partie II
Chapitre 6 - Partie III
Chapitre 7 - Partie I
Chapitre 7 - Partie II
Chapitre 7 - Partie III
Chapitre 8 - Partie I
Chapitre 8 - Partie II
Chapitre 9 - Partie I
Chapitre 9 - Partie II
Chapitre 9 - Partie III
Chapitre 10 - Partie I
Chapitre 10 - Partie II
Chapitre 10 - Partie III
Chapitre 11 - Partie I
Chapitre 11 - Partie II
Chapitre 12 - Partie I
Chapitre 12 - Partie II
Chapitre 12 - Partie III
Chapitre 13 - Partie I
Chapitre 13 - Partie II
Chapitre 13 - Partie III
Partie Temporaire
Chapitre 14 - Partie I
Chapitre 14 - Partie II
Chapitre 15 - Partie I
Chapitre 15 - Partie II
Chapitre 16 - Partie I
Chapitre 16 - Partie II
Chapitre 17 - Partie I
Chapitre 17 - Partie II
Chapitre 17 - Partie III
Chapitre 18 - Partie I
Chapitre 18 - Partie II
Chapitre 18 - Partie III
Joyeux Noël
Chapitre 19 - Partie I
Chapitre 19 - Partie II
Chapitre 20 - Partie I
Chapitre 20 - Partie II
Chapitre 21 - Partie I
Chapitre 21 - Partie II
Joyeuse Saint-Valentin
Chapitre 22 - Partie I
Chapitre 23 - Partie I
Chapitre 23 - Partie II
Chapitre 24 - Partie I
Chapitre 24 - Partie II
Épilogue
.
Remerciements
Informations

Chapitre 22 - Partie II

489 58 68
By JHaltRoen


Shane


Je serre les dents. À m'en démettre la mâchoire, à m'en faire exploser la boîte crânienne. Je serre les dents.

Mon cœur cogne de toute la rage, toute la colère et toute la peine que j'ai trop longtemps gardées enfouies au plus profond de mon être. Un poison de violence acide s'écoule de mes yeux et brûle mon visage. Mon ventre bouillonne du chao que je porte au sein de mon âme.

Robin ricane devant moi puis se redresse avant de se diriger vers Roxane, la démarche indolente. Je braque mon regard vers le sol, tentant difficilement de reprendre le contrôle de mon souffle saccadé. Mon esprit est un champ de ruine, en proie aux affres d'une guerre apocalyptique entre mes sentiments et la réalité de la situation.

Le Rouge-Gorge observe encore la dernière des Preston pendant quelques courts instants, puis la défait de l'emprise de Desmond, un large sourire ancré sur les lèvres. Il s'adresse ensuite à son sbire avec froideur :

— Desmond, garde-moi ce sale petit traître à vue, le temps que je termine ce que j'ai à faire. J'en ai pas tout à fait fini avec lui. Quant à toi, ma belle, tu vas venir avec moi. Où est la toile de Klimt ?

Figée au milieu de la pièce, Roxane ouvre lentement les yeux sur Robin. Aucun son ne parvient à s'échapper de ses lèvres écorchées. Son regard fuyant trahit son état second et son silence mortuaire ne fait qu'amplifier l'impatience du chef, qui sort alors de ses gonds. Il s'empare de son bras et la secoue avec violence en fulminant :

— Tu vas répondre, oui ?

— Lâche-la. Si quelqu'un doit payer quelque chose ici, c'est moi. Pas elle. La toile est dans le bureau de son père, derrière toi.

Ma voix est marquée par une vibration infernale, fruit de l'union sordide de la mort et de l'amour. L'écho d'une haine sans borne qui consume un peu plus mon âme à chaque nouvelle seconde qui passe. Robin déporte son regard noir sur moi et crache encore son venin :

— Je ne t'ai rien demandé, espèce d'ordure. Ne crois pas que vous vous en sortirez plus facilement en jouant les héros. Tu ne fais qu'empirer les choses.

Il pointe alors son arme dans le dos de Roxane, toujours amorphe. Je fais un pas précipité dans leur direction, mais Desmond m'arrête net en me braquant du pistolet en sa possession. Je me fige, lui lance un regard lourd de ressentiment, puis tente de me focaliser à nouveau sur Robin et son otage. Le Rouge-Gorge s'éloigne prestement vers le bureau et Rox suit son mouvement, sans opposer de résistance. Il ouvre ensuite les doubles battants et jette un rapide coup d'œil à l'intérieur de la pièce avant d'afficher un large sourire carnassier.

— Te voilà, enfin.

Je serre les poings. Mes yeux scrutent le moindre geste de Robin qui maintient fermement ma Roxane contre sa poitrine. Desmond me tient toujours en joue. Le léger tremblement de sa main ne fait que me rappeler la faible assurance du sbire de Reese, le soir où ma vie a basculé, dans cette ruelle de Manhattan.

Le chef propulse alors la maîtresse des lieux dans le bureau et referme aussitôt les deux battants derrière lui. Mon cœur se fige dans ma poitrine et dès lors, je sais que plus que jamais, le temps nous est compté.

Je me retrouve seul. Seul face à celui que je pensais être mon ami. Seul face à celui qui aura causé notre perte, à tous. Je prends une profonde inspiration et plante mes yeux dans les siens. Son regard fuit le mien dans une vaine tentative de dissimuler tout ce que sa conscience de traître supporte difficilement depuis plusieurs minutes. Desmond a voulu se hisser à la hauteur du Rouge-Gorge, sans pleinement réaliser le lourd tribut de sang qu'il allait devoir payer. Écœuré par la vision de cette ambition meurtrière, je lui lance alors avec dégoût :

— Tu n'es qu'un incroyable salaud, Desmond. Après tout ce que j'ai fait pour toi, c'est comme ça que tu me remercies...

La culpabilité commence à gagner du terrain sur lui. Son regard plonge et balaie le sol devant lui. Je profite de cet instant pour saisir ma chance. Sans lui laisser le temps de réagir, je frappe son poignet qui dévie aussitôt le canon du pistolet avant de lâcher prise ; l'arme s'échoue sans un bruit sur le fauteuil à côté de nous. J'extirpe ensuite mon couteau de sa cachette et me précipite sur Desmond. Je plaque ma main sur sa bouche pour l'empêcher d'alerter Robin, puis appuie dangereusement ma lame sur sa carotide. Emporté par les démons incontrôlables de la colère, mon cœur pulse dans ma poitrine, tandis que mon ancien ami laisse échapper une supplication étouffée contre la paume de ma main. Hors de moi, je le précipite vers le cadavre de Zara et le force à lui faire face, en murmurant avec rage :

Pitié? C'est ça ? Tu me demandes d'avoir de la pitié? Parce que toi, tu en as eu pour elle ? Tu savais ce qu'elle risquait ! Maintenant, regarde ce que tu as fait. Regarde !

Mon épaule le bouscule un peu plus et mon couteau entaille suffisamment son cou pour laisser perler un précieux rubis sur sa lame acérée. La palpitation de son artère se répercute dans le manche que je tiens avec fermeté. Son souffle tremble contre ma main et il garde les paupières closes quand l'effroi souille son pantalon jusqu'au sol de marbre blanc. Lorsqu'il ouvre enfin les yeux, il porte son regard embué sur Zara, qu'il observe pendant de courtes secondes avant de fondre en larmes, accablé. Cet excès de repentir ne fait qu'attiser la mort et la rage qui brûlent en moi et guident mes gestes. Mon arme appuie un peu plus contre son cou, prêt à trancher sa carotide, quand soudain, Desmond s'affaisse et tombe au sol. Je l'accompagne dans sa chute, la main toujours plaquée contre sa bouche. Lorsque ses genoux heurtent le marbre, son regard croise le mien et mon sang se glace dans mes veines. À travers le torrent d'épouvante et de culpabilité qui noie ses iris sombres, une faible lueur brille encore et éclaire sa terrible affliction. C'est cette même étincelle de vie et d'espoir fragile qui vacillait dans les yeux du garçon que j'ai affronté, il y a dix ans, avant que je ne l'éteigne à jamais. Une violente nausée s'empare subitement de moi et des frissons d'effroi me remontent l'échine. Je ferme un instant les paupières, le souffle court. Ma colère et ma haine me somment de mettre fin à ses jours, combattant sans relâche l'armée de ma conscience, aux oripeaux brodés d'une rémission inespérée. Je refuse d'assouvir ma vengeance dans le sang. Non, je ne suis pas comme lui. Je refuse de le devenir.

J'abaisse alors lentement ma lame sous les gémissements de supplication de Desmond. Atterré par le poids de tous ses torts, il s'écroule en avant, en larmes devant le corps de Zara. Je reste muet face à l'odieuse souffrance que son esprit lui inflige et qui satisfait pleinement la toute puissante rage en moi. En fin de compte, la mort est tellement plus douce que les éternelles tortures de l'âme...

J'attrape le col de son Tshirt et le force à se remettre debout avant de l'entraîner avec moi vers le hall d'entrée de l'appartement. Après m'être assuré que la police ne soit pas déjà arrivée — ce qui ne saurait plus tarder maintenant —, je jette Desmond dans le couloir désert, sans plus de cérémonie. Ce dernier se retourne vers moi, son visage figé dans un masque d'incompréhension de se voir toujours en vie.

— Dégage. Dégage de cette ville, de cet état, de ce pays. Je ne veux plus jamais entendre parler de toi, tu entends ? Plus jamais.

Desmond capitule et acquiesce d'un signe de tête tout en frottant maladroitement son pantalon humide. Il me lance ensuite un dernier regard, où se reflète une vague désolation qui me répugne, avant de prendre discrètement la fuite par l'escalier de secours.

Lorsque le bruit de ses pas finit par s'évanouir dans le néant, je referme la porte et tourne les verrous, le cœur lourd. J'appuie mon dos contre le battant blindé. Un long frisson me remonte l'échine, jusqu'à la base de mon crâne. Je déglutis.

C'est là. Je le sais. Je le sens.

Les dés de mon destin sont jetés.

Je plonge une main tremblante dans la poche de mon manteau pour en extirper mon précieux pendentif porte-photo que je fais alors inlassablement tourner entre mes doigts.

Elle est là, dans mon ombre. Cette idée, cette sensation glaçante, cette issue inévitable. Elle est là, presque comme une amie bienveillante, voilant mes yeux embués de regrets et insufflant le courage dans chacune de mes inspirations fébriles. Pendant un court laps de temps, le tumulte de la haine abandonne mon esprit, soudain réduit au silence par la main du néant et son impitoyable jugement.

Je fais un pas, puis un autre. Les battements de mon cœur résonnent longuement dans ma poitrine. Je m'agenouille auprès de Zara et caresse sa joue glacée du revers de mes doigts crispés.

— Je suis désolé, Z. Désolé de ne pas avoir su t'aimer comme tu m'as aimé. Désolé de ne pas avoir pu tenir ma promesse. Tu ne méritais pas ça. Non, tu ne méritais pas ça...

Ma voix s'étrangle. Une larme roule sur ma joue. Je l'efface rapidement, puis ferme pour la dernière fois les paupières de Zara sur ce monde. Je ravale mon sanglot et me relève lentement avant de faire quelques pas de plus en direction du bureau. Mon poing se serre sur mon pendentif au moment où mon regard dévie sur le piano. La douce chaleur du souvenir de Roxane m'apprenant quelques notes apporte une brève lueur de nostalgie à mon cœur. Ma mâchoire tremble, la peur me transcende le ventre. À quelques centimètres des portes du bureau, je pose les yeux sur le médaillon toujours fermement ancré dans la paume de ma main. De mes doigts fébriles, je l'ouvre et caresse délicatement la photo qu'il renferme.

Maman.

De nouvelles larmes amères roulent sur mes joues. Si elle savait comme j'aurais voulu la rendre fière. Comme j'aurais voulu avoir la vie qu'elle avait espérée pour moi. J'aurais aimé connaître d'autres moments de joie et de douceur, découvrir le monde et toutes ses merveilles. J'aurais aimé voir Roxane rire encore sous une pluie battante en plein cœur d'Harlem.

J'aurais aimé vivre, simplement...

D'un revers de ma manche, j'essuie patiemment mon visage humide. Mon souffle tremble et mon cœur est sur le point d'exploser. Je suis terrorisé et je prie pour trouver le courage de faire face à mon propre destin.

Un petit cri étouffé en provenance du bureau me ramène subitement à la réalité ; Roxane est là, derrière ces portes, à la merci d'un psychopathe sanguinaire, tandis que moi...

Je prends une profonde inspiration. Ma main replonge le médaillon dans la poche de mon manteau, que je retire et dépose sur l'accoudoir du fauteuil ; je vais avoir besoin d'être parfaitement libre dans mes mouvements. Je récupère ensuite le revolver du père de Roxane, échoué sur l'assise et vérifie son chargement ; une seule balle. Je ne pourrais donc compter que sur mon couteau si je veux tenter de m'en sortir.

Le temps presse. Je glisse alors le canon dans l'arrière de mon jean et fais tourner ma lame entre mes doigts, le souffle court.

C'est l'heure.

Mes pas se rapprochent du bureau du père de Roxane et je pose une oreille contre la porte. Terrifié par le silence pesant que je perçois, je m'empare de la poignée que j'actionne avec délicatesse, puis entrouvre un des battants pour m'octroyer une vision plus large de la scène.

À l'instant où mes yeux scannent l'intérieur du bureau, mon sang se glace dans mes veines. Roxane est au sol, près de la toile. Allongée sur le côté, elle fixe le néant en direction du centre de la pièce. Robin est dos à moi, me rendant invisible à sa vue. Ses mains avides de vengeance s'attellent férocement à débarrasser Roxane de ses vêtements, avec une hargne non dissimulée. Mes doigts se resserrent sur le manche de mon couteau. Mes jambes et mon corps entier ne répondent plus qu'aux ordres furibonds de mon cœur, qui refuse de voir Roxane davantage souillée par la bête enragée qui lui fait face.

J'ouvre le battant et m'introduis aussitôt dans la pièce. Roxane s'agite, tente vainement de repousser Robin, distrayant d'autant plus son attention de mon éventuelle présence. Je me courbe et m'avance à pas feutrés dans le dos du Rouge-Gorge. La discrétion que j'ai acquise au cours de toutes ces années me permet de me faufiler jusqu'à eux, sans éveiller le moindre soupçon.

Les battements douloureux dans ma poitrine se rapprochent. Je ne sens presque plus ma main, tétanisée sur le manche de mon couteau. Roxane glisse sur le sol, livrée à elle même, les poignets maintenant dégagés par son tortionnaire.

Je fais encore un pas. La mort murmure à mon oreille. Ma haine est prête à bondir. Mon esprit entier sait qu'il n'a plus rien à perdre. Robin est sur le point d'assouvir sa vengeance à mon égard. J'inspire. Ma terreur se transforme en une puissante vague d'adrénaline. Je tourne une dernière fois mon couteau entre mes doigts agiles. Je suis prêt. Il dépose alors son Beretta pour mieux s'adonner à sa tâche macabre. Je retiens mon souffle.

Je m'élance.

La bête en moi brise ses chaînes.

Mon cœur se fige dans ma poitrine.


*


Roxane


Robin me propulse à l'intérieur du bureau de mon père, puis referme le double battant avec force. Je titube et vacille jusqu'au centre de la pièce, sans vraiment réaliser ce qu'il se passe. Sans m'adresser le moindre regard, il s'avance alors vers la toile de Klimt et s'arrête un instant pour la contempler. Ses yeux scintillent d'avidité et il pousse un profond soupir de satisfaction face au chef d'oeuvre pictural.

— C'est une pure merveille.

Je reste droite, campée derrière lui, figée dans mon désarroi le plus total. Les voix de mon esprit ne se lassent pas de scander ma responsabilité dans le massacre qui vient d'avoir lieu dans la pièce d'à côté. Mon père, Zara... et moi. Pourquoi suis-je encore debout ? Serait-ce ma punition divine, pour avoir touché du doigt une parcelle de bonheur interdit ?

Mon regard se porte sur l'arme à feu toujours entre les mains de Robin. Elle oscille dans le vide, bien loin de me prêter attention. J'entrouvre les lèvres et prends une inspiration tremblante. L'obscurité dans laquelle mon esprit est plongé me terrorise. Je ne perçois presque plus aucun sentiment, aucune émotion. Comme exemptée de toute vie.

Au bout de quelques secondes, Robin se retourne enfin et braque ses prunelles grises sur moi. Je dévie mon regard vers le sol. Mon cœur pulse à nouveau avec fureur dans ma poitrine. Les détails de la dernière heure écoulée reviennent en flash, inlassablement repoussés vers le gouffre de mon inconscient par le choc que j'endure.

— Shane a parlé d'une autre sécurité directement reliée à cette toile. Désactive-la.

Les mots que prononce Robin me parviennent dans un brouhaha inaudible. La confusion de mon esprit brouille ma perception de la réalité. Plus rien n'a vraiment de sens. Je tente de remettre de l'ordre dans mes idées, en vain. Face à mon manque apparent de réaction, le visage du chef se referme. Il s'approche de moi d'un pas pressé et empoigne de nouveau mon bras.

— Tu as entendu ce que je viens de te dire ? Allez !

Sous sa violente impulsion, je virevolte à travers la pièce jusqu'à me heurter au mur sur lequel est disposée la toile de maître. Les batailles qui font rage en moi gagnent du terrain. Je suis exténuée. Ma main se pose délicatement sur la paroi et je laisse mon regard vagabonder sans but sur les dorures des étoffes du couple enlacé. Ces deux êtres, blottis dans le sentiment le plus pur et préservés de la haine par leur aura d'or et de lumière, se moquent bien des affres que la cupidité nous inflige. Dans quelques heures, le soleil se lèvera. Il renverra aux enfers les démons de la colère et de l'avarice. Il illuminera leur union éternel d'une délicate lueur de bonheur et elle brillera, bien loin de nous, pauvres pêcheurs, qui n'avons pas su voir la beauté autrement que dans ses faux éclats dorés.

— Je t'avais bien dit que tu serais incapable de sauver qui que ce soit, Roxane. Tu n'es qu'une meurtrière. Tout est de ta faute. Absolument tout.

Une larme s'échappe de ma paupière et mon doigt effleure la toile avant de s'abaisser lentement. En face de moi, la silhouette cadavérique de Jordan me toise durement. Je secoue la tête et rétorque un « je sais » d'une voix inaudible.

— Et tu es fière de toi ? Regarde-toi. Tu ne réussiras même pas à te sauver toi-même...

— Laisse-moi.

Tout à coup, Robin s'avance vers moi et dégaine de nouveau son arme. Hors de lui, il pointe le canon sur ma tempe et m'exhorte, d'une voix tremblante de rage :

— Tu te fous de moi ? Arrête de parler toute seule et vire-moi cette sécurité. Tout de suite !

Le métal froid appuie un peu plus sur mon crâne et je jette un dernier regard à Jordan qui ricane de plus belle. Mon souffle s'accélère. Je secoue la tête et tente de remettre de l'ordre dans mon esprit pour mieux de répondre aux attentes de Robin. Confuses, mes lèvres balbutient :

— Je... Il n'y a pas d'autre sécurité. Il n'y en a jamais eu.

Le chef me fusille du regard. Son souffle tremble d'une colère noire d'avoir été une nouvelle fois bafoué par son homme de main. Il empoigne alors mon bras et me ramène contre lui avec violence, le canon toujours pointé sur mon crâne.

— Ce qui veut dire que je me suis encombré de ta présence et de celle de ton sale chien pour rien. Et ça, vous allez me le payer très cher. Lui, comme toi.

Emmurée dans le silence, je plonge dans ses iris de glace. Jordan a disparu de mon champ de vision, mais pas le bourdonnement sourd qui résonne dans mes oreilles. Le chef reprend, au bord de la crise de nerfs :

— Tu sais, c'est quand même vraiment dommage que je doive me séparer de cette toile aussi vite. J'aurais bien voulu en profiter un peu plus...

Son sous-entendu réveille une peur nouvelle en moi. Celle de la souffrance. Il resserre son emprise sur mon bras et une large douleur se répand jusqu'à mon épaule. Je tente de me dégage fébrilement, en vain. Soudain, Robin me projette à terre sans ménagement. Ma tête heurte de nouveau le sol et je ne parviens pas à réprimer un petit couinement d'affliction. La pièce entière tourne encore devant moi et, éreintée par ma peine, ma peur et par les visions de mon esprit, je finis par perdre connaissance.

Lorsque j'ouvre les yeux, les deux mains de Robin explorent avidement les moindres parcelles de mon corps. Je fixe le néant, sans comprendre. Mon tortionnaire s'emploie à me débarrasser de mon jean, je me tords nerveusement, sous l'impulsion d'un timide instinct de survie, lui-même exténué de se battre sans relâche. Je m'agite, tente de le repousser maladroitement, encore étourdie par mon deuxième choc à la tête. En vain. Robin dégage mes mains, m'attrape par les hanches et me fait glisser sur le sol. Il dépose ensuite son arme à côté de moi, afin de gagner en liberté dans ses mouvements. Je ferme les paupières, abandonnant tout espoir de voir mon supplice écourté.

Soudain, un cri de douleur m'extirpe de mes pensées funestes. Comme brusquement ramenée à la réalité, j'ouvre les yeux sur Robin, figé devant moi. Il grimace et gémit en tirant sur le col de sa chemise noire. Mon cœur rate un battement, comme propulsé par une énergie nouvelle. Les lignes de son tatouage apparaissent sur son torse, blessé par l'impact d'une lame de couteau. Son sang s'écoule de la plaie béante, et imprègne alors les ailes déployées de l'oiseau qui tremble au même rythme que sa respiration saccadée. Il relève la tête et je me fige devant le flot de rage folle qui inonde ses iris brillants de larmes. Sans me laisser le temps de réagir, il se précipite sur son Beretta, mais s'effondre sur moi en se tordant une nouvelle fois de douleur. Son poids sur ma poitrine m'étouffe. Le liquide chaud qui s'écoule de sa plaie vient souiller ma gorge et mon cou.

Soudain, l'adrénaline reprend le contrôle de mon corps. Je me débats, tente de me dégager et mes yeux croisent alors le regard brûlant de Shane. Il se tient face à moi, toujours accroché à la lame de son couteau planté dans le dos de Robin. La lueur dans ses iris ravive en moi une volonté de vivre que me consume alors le ventre. Je souris. Oh oui, je veux vivre. Pour lui.

Mais emportée par mon soubresaut d'espoir et de vie, je n'ai pas vu les juges du destin abattre leur couperet.

Je n'ai pas vu Robin faire volte-face, son Beretta à la main.

Non, je n'ai pas vu...

Shane plonge son regard dans le mien. Je me fige.

Un éclair blanchâtre éclaire ses traits.

Le temps s'arrête. Mon cœur ne bat plus.

Il s'effondre lourdement sur le sol, aux pieds de la toile dorée.

Je ne respire plus.

Étendu sur le dos, il se tord de douleur, une main posée contre sa poitrine. Ses râles me déchirent les entrailles à en mourir. Son couteau s'est échoué à mes côtés, hors de la vue de Robin. Ce dernier se redresse, le buste entier couvert de sang. Son visage est défiguré, possédé par la haine. Il grogne de douleur en tenant sa poitrine.

Furieux de voir Shane toujours en vie, il braque une nouvelle fois son arme sur lui. Je m'accroche à son bras, il appuie sur la détente, mais cette fois-ci, aucun bruit ne se fait entendre ; son chargeur est vide. Insultant le ciel et la terre, il m'inflige un violent coup de coude et jette alors son pistolet sur le côté. Je vacille et m'affale, la main sur le couteau de Shane. Emporté par sa fureur dévastatrice, Robin inspecte les moindres recoins de sa veste, à la recherche d'un nouveau moyen de mettre fin aux jours de mon amour.

Soudain, les sirènes des voitures de police retentissent au-dehors. Dans quelques minutes, les agents seront là et Robin aura probablement la vie sauve. Pour Zara, pour Jordan, pour mon père et pour Shane, je ne peux concevoir cette idée sans état d'âme. Non, je n'ai vraiment plus le choix.

Mon cœur pulse de toutes ses forces, pour que chaque muscle, chaque parcelle de moi-même soit irrigué d'une puissante vague d'adrénaline. Je me redresse dans le dos de Robin. Mon souffle tressaille. Je ne réfléchis pas. Je ne réfléchis plus. Ma famille n'existe plus. Tout ce que j'ai un jour cru être juste n'existe plus. Tous mes rêves n'existent plus.

Et moi non plus, je n'existe plus.

Mon cri se mêle au crissement salvateur de la lame acérée. De fines gouttelettes rouges giclent et viennent souiller le bas de la toile maudite en sacrifice ultime. Le chef s'immobilise et porte deux mains tremblantes à sa gorge ensanglantée. En transe, mon souffle bruyant résonne dans toute la pièce. Je lâche le couteau au moment où Robin bascule sur le côté en suffoquant. Mon cœur est à deux doigts d'exploser dans ma poitrine. Les sons de son agonie, mêlés à ceux de Shane, forment un concert macabre que mon esprit ne pourra jamais oublier. Je m'avance lentement et plonge mon regard dans le sien. Ses iris noirs de haine me fusillent sans relâche. Il s'étrangle. Je murmure alors, d'une voix blanche :

— Va au diable, petit Rouge-Gorge... Tu n'as jamais aussi bien porté ton nom.

Peu à peu, son corps s'immobilise, ses yeux se vident de leur poison mortel et l'étincelle de vie s'éteint dans ses iris clairs. Seule la respiration sifflante de mon amour perce à présent le silence morbide qui m'entoure. Je rassemble mes esprits et ravale la terrible nausée que l'odeur du sang me provoque. J'enjambe ensuite maladroitement le corps de Robin et me précipite sur Shane qui convulse nerveusement, tentant vainement de trouver de l'air. Ses yeux grands ouverts balaient le plafond à la recherche du moindre fragment d'espoir auquel s'accrocher. Il suffoque, un poumon perforé par la balle vengeresse de Robin.

— Shane...

Son regard terrorisé se fixe sur moi. Il tremble et pleure à chaudes larmes. Je caresse délicatement sa joue, dans une vaine tentative de le réconforter.

— Je suis là. Ça va aller. Je vais prendre soin de toi. Je vais appeler les secours, ne t'en fais pas, je...

La douleur qui noie ses prunelles me terrasse. Je me tourne en direction du téléphone disposé sur le bureau, mais sa main agrippe alors la mienne et me retient de l'abandonner. Ses poumons sifflent, cherchant désespérément de l'air. Shane me fixe de ses grands yeux verts injectés de sang. Je passe mes doigts sur son front en sueur et dans ses longs cheveux emmêlés.

— Qu'est-ce que je dois faire ? Dis-moi, ce qu'il faut faire... Je ne sais plus. Je t'en prie...

À ces mots, il se contracte et glisse une main dans son dos. Il en extirpe l'arme de mon père, puis la place entre les miennes. Mon cœur se fige et un frisson d'effroi me remonte l'échine. La volonté qui s'inscrit dans ses yeux me fait l'effet d'un coup de couteau dans le ventre. Le barrage de mes émotions cède sous le poids de l'horreur. J'explose.

— Non. Non, non, non... Tu n'as pas le droit de me demander ça ! Tout sauf ça, tu entends ? Tu vas t'en sortir, fais-moi confiance, tu vas... Tu vas vivre ! Je t'interdis de me demander ça !

Sa main s'affaisse. Il détourne la tête pour masquer ses larmes abondantes et je réalise alors que je viens de le condamner à souffrir jusqu'à l'étouffement. Face à cette vérité inéluctable, je plonge mon visage vers le sol, effondrée.

— Non...

Mes yeux ne pleurent plus. Ma tristesse est si grande qu'elle noie ma raison et mes pensées dans son océan de glace. Shane plante une nouvelle fois son regard implorant dans le mien. Alors ma conscience et mon cœur s'unissent dans la douleur et m'imposent de délivrer son âme meurtrie. Lui qui m'a appris à vivre, qui m'a appris à aimer. Jusqu'au bout, il m'a sauvée de toutes les façons dont j'aurai pu être sauvée. Il m'a libérée...

Ma conscience est en deuil. Mon cœur pleure en silence. Je me penche sur le visage de Shane et embrasse ses lèvres pour la dernière fois. Je plaque ensuite ma joue contre la sienne et murmure à son oreille :

— Merci pour tout ce que tu m'as donné. Pour tout ce que tu m'as appris. Pars en paix, mon amour. Je te pardonne.

Je me redresse lentement et m'imprègne de la reconnaissance qui luit dans ses prunelles humides.

J'arme le pistolet de mon père. J'ai du mal à respirer.

Shane glisse une main tremblante sur ma joue. Il sourit faiblement à travers ses larmes.

J'abaisse le canon sur sa tempe. Ma voix s'étrangle :

— Je t'aime, de tout mon cœur. Depuis le premier jour et jusqu'à la fin de ma vie. Il faut que tu le saches, je n'ai jamais cessé de t'aimer.

Shane cligne des yeux et caresse ma joue avant de plonger une dernière fois son regard dans le mien. L'amour qu'il me renvoie me terrasse et m'insuffle le courage de renoncer à jamais à mon égoïsme. Une ultime larme s'écoule de son œil.

Il ferme les paupières.

Et moi aussi.

L'arme recule dans ma paume quand la balle s'élance dans le canon. La faux de la mort s'abat sur mon amour en même temps que sur mon cœur. La main de Shane délaisse ma joue et s'échoue lourdement sur le sol. Sa souffrance s'évapore dans le néant de l'atmosphère et le silence règne à présent en maître dans la pièce.

Le doigt toujours crispé sur la détente, je n'ose pas ouvrir les yeux. Je ne sens plus aucun battement dans ma poitrine. Mes mains effleurent son visage apaisé. Ma mâchoire tremble, mon souffle aussi. Je me courbe, une oreille posée contre son torse et le bruit du néant me paralyse.

Son cœur ne bat plus.

Il ne bat plus, et moi...

Moi, je ne saurais plus jamais dans quelle réalité je vis.

Soudain, mon ventre se contracte, ma gorge se déploie. Vaincu par mes démons, mon cerveau abandonne définitivement toute raison et mon hurlement transperce le silence. J'expulse toute la tristesse, toute la haine et toute la douleur qui m'habite dans un long râle de désespoir et de solitude.

Tout à coup, un bruit de fracas vient se mêler à mes gémissements gutturaux. Des pas précipités résonnent ensuite dans le salon. Je caresse une dernière fois la joue glacée de Shane, quand les deux battants dans mon dos s'ouvrent à la volée.

— Police ! Les mains sur la tête. Mettez les mains sur la tête ! Tout de suite !

Je n'entends pas ce qu'ils disent. Je n'entends plus rien. Je ne suis plus qu'un corps, perdu au milieu de tant d'autres.

Je ne vois plus rien.

Je ne sens plus rien.


Mon amour est mort.

C'est la seule chose que je ressens encore.

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