Un an déjà que ma sœur, dépressive, a mis fin à ses jours en sautant du haut de cette falaise, ai-je songé amère. Gagnée par un désespoir saisissant, j'ai avalé les derniers calmants de la boîte de médicaments que j'ai balancée sur le siège passager, à côté de mon sac à main et d'un pack de bières entamé. Durant une nuit agitée, frappant contre le klaxon, hurlant après la vie, je me débattais avec mes démons. Je pestais contre ce mal insidieux, cette putain de maladie qui avait emporté ma sœur chérie, me laissant seule et démunie pour affronter un quotidien anxiogène et effrayant. Avec elle à mes côtés, je pouvais soulever des montagnes. Sans elle, sans cette personne que j'aimais plus que tout, je coulais, je me noyais.
Déterminée à en finir, je suis sortie de la voiture pour affronter le vent froid et irritant qui me bousculait. La pluie, un véritable déluge, me frappait le visage. Chaque grêlon sur ma peau était une douleur contre laquelle je résistais. Dans cette tempête, j'ai eu l'impression d'entrevoir le bout du tunnel. Celui qui me délivrerait de cette existence futile, de mon inutilité sur cette terre, d'un manque d'amour profond et oppressant que je subissais chaque jour.
J'ai avalé le fond de ma bière et m'approchant du vide d'une falaise aux contours sinueux, j'ai pris une grande inspiration. Je me suis penchée pour regarder plus bas, sans rien apercevoir. Poussée par le vent, j'ai reculé en m'effondrant sur le sol. Lâchant, la bouteille de bière vide, je me suis recroquevillée sur moi-même avant de trouver le courage de ramper au bord de la falaise pour difficilement me relever. J'ai tourné la tête et regardé derrière moi. Plus rien ne me retenait. Il était temps.
Temps de sauter.
- Saute ! Saute ! Saute ! Saute ! ai-je braillé en titubant pour me donner du courage.
J'ai hésité en pleurant lamentablement sur mon sort. Puis, sans crier gare, j'ai pris de l'élan pour m'élancer dans le vide. Un vide froid, glacial, hostile. Happée dans un abîme, mon corps a comme glissé dans l'eau qui m'a enveloppée de ses douces ailes. Des ailes d'un blanc nuancé de bleu. Le genre de bleu timide, doux, un bleu magnétique aussi fou que magnifique. Ces ailes qui m'entouraient ont tourbillonné et moi avec, il me semble. J'ai tourné comme une gosse dans un manège. D'ailleurs, des souvenirs heureux me sont revenus durant cet instant de grâce qui m'attirait, seconde après seconde, au fond de l'océan.
Dans l'eau étrangement tiède, je me suis débattue. J'ai agité les bras et les pieds. Ballottée, j'ai senti l'eau me transporter pour me cogner contre les rochers. Elle me signifiait que mon geste était mal, que jamais je n'aurais dû succomber à l'appel des sirènes. Je n'ai plus trouvé la force de me battre contre l'océan, j'étais sienne. Je lui appartenais.
Malgré les ballotements, je succombais toujours à la douceur d'une matière délicate qui me protégeait comme pour m'empêcher de me heurter trop brutalement aux rochers qu'il me semblait, je ne faisais qu'effleurer. Sur le moment, j'ai pensé être morte, dans ma bulle.
Loin de la réalité, je me suis réveillée au bord de la plage, dans le sable mouillé. La pluie ne tombait plus. Les vents violents se sont transformés en de douces brises. Un homme, penché sur moi, terminait de réaliser un massage cardiaque qu'il alternait avec du bouche-à-bouche. J'ai toussé et recraché l'eau contenue dans mes poumons en roulant sur mon flanc. J'ai cru vivre une sorte de résurrection, un moment horriblement douloureux. Rapidement en levant la tête, j'ai compris que je n'étais plus en haut de la falaise, mais bien en bas. Je n'ai pas réussi à aligner deux mots.
Des ailes. J'ai cherché des ailes ! J'étais certaines d'avoir vu ces ailes dans l'eau. Une illusion ? La folie, l'effet de l'alcool.
Déboussolée, je bredouillais des semblants de phrases sans queue ni tête au jeune homme qui sous les rayons de la lune me portait secours. Il m'a aidée à me relever et constatant que je vacillais sur mes deux jambes m'a retiré ma veste, mes chaussures et m'a portée. Je ne saurais pas dire combien de temps cela lui a pris pour atteindre une maison dont les spots aveuglants ont éclairé son perron à notre arrivée.
Qui était ce type et surtout où m'emmenait-il ? Ce n'était pas dans une baraque douillette que je voulais terminer. Plutôt au fond de l'océan comme ma sœur, dont le corps avait été avalé par la nature et donc, jamais retrouvée.
- Eh, restez avec moi. Ne vous endormez pas pour le moment.
Les yeux entrouverts, j'ai vu le type torse nu disparaître et aussitôt réapparaître avec une pile de serviettes et une trousse de secours. Trempée, je grelottais sur le fauteuil dans lequel il m'avait installée. À peine le temps d'ouvrir complètement les yeux qu'il me déshabillait, me retirant pull et pantalon pour m'emmitoufler dans une grande serviette. Il m'a énergiquement frotté les épaules, les bras et le dos. Transie de froid, alcoolisée, je n'ai pas pensé à le repousser. Quand il m'a portée jusqu'à la banquette devant une imposante cheminée en marbre, je me suis agitée dans ses bras. Comprenant qu'il ne me voulait aucun mal, j'ai cessé de gigoter une fois allongée sur le divan.
- Il faut vous réchauffer.
Je voyais flou, très flou. Mes paupières se sont faites lourdes. Très lourdes. Ne tenant plus, je m'apprêtais à succomber aux appels d'un sommeil réconfortant. J'ai vomi les médicaments ingurgités et la boisson absorbée plus tôt dans la soirée. Ensuite, je me suis endormie bercée par une vague de chaleur réchauffant un à un mes membres gelés.
Quand je suis sortie d'un repos mérité, mon regard s'est baladé dans la pièce aux tons chauds. Des beiges, des marrons clairs, des peintures de style Renaissance, des fresques au plafond, un salon décoré avec goût par un amateur d'art et de littérature. En tout, cas, c'est ce que j'en ai déduit lorsque mes prunelles se sont perdues sur une magnifique bibliothèque (décorant tout un mur d'une pièce séparée du salon par une splendide verrière d'intérieure).
Ne sachant pas où je me trouvais, je me suis redressée. Ma tête tournait, mes tempes s'apprêtaient à exploser malmenées par de désagréables pulsations. Immédiatement, je me suis recouchée. La bouche pâteuse, j'ai manqué de vomir en ressentant l'amertume dégueulasse au fond de ma gorge. Quelle haleine de chacal !
La voix, encore l'une de ces voix dans mon crâne... qui cette fois me murmurait d'en finir.
- Restez couchée, cela vaudra mieux.
Le type, un grand brun aux yeux mordorés, a calé ses doigts sur ma gorge pour prendre mon pouls.
- Reprenez des forces. Vous êtes en sécurité ici.
Clairement en position de faiblesse, je n'ai eu d'autres choix que de rester docilement allongée en croisant les doigts pour ne pas être tombé sur un cinglé. Captivée par ses grands et beaux yeux mordorés, j'ai obéi sans pour autant le lâcher du regard.
- J'ai froid, ai-je murmuré.
L'homme, séché, habillé d'un cardigan et d'un jean, m'a apporté une couverture tirée du canapé. Il l'a dépliée pour la déposer délicatement sur mon corps courbaturé.
- Comment vous sentez-vous ?
Mal, honteuse, ai-je songé en retenant un sanglot.
Silence.
Je n'ai pas répondu à sa question, mais les larmes ont fini par devancer les mots.
- Calmez-vous. Soufflez.
Sa main chaude s'est posée sur la mienne, m'irradiant instantanément de sa bienveillance. Son aura m'a soufflée. Ce type dont je ne connaissais pas l'identité m'a transmis des ondes apaisantes. Je ne saurais l'expliquer autrement. À travers ses prunelles d'une beauté envoûtante, j'ai perçu toute son humanité. Pas de l'incompréhension ni de la pitié : de l'humanité. Une humanité qui m'a fait un bien fou à tel point que j'ai de nouveau fondu en larmes me délestant d'une partie de la peine qui m'animait. Une heure plus tôt ou peut-être deux, cette même peine m'avait poussée à commettre un acte irréparable qui à jamais resterait gravé en moi.
- Vous m'avez sortie de l'eau.
L'homme a opiné.
- Vous n'auriez pas dû risquer votre vie pour la mienne.
- Vraiment ?
- Ma vie ne vaut pas grand-chose, lui ai-je appris en détournant le regard pour observer les flammes vaciller.
- Chaque vie compte.
- Pas la mienne.
- Votre vie compte autant que celle des autres.
- Pas la mienne, je vous dis.
Dans le plus grand des calmes, l'homme s'est avancé sur son siège. Il a posé ses avant-bras sur ses cuisses et lié ses mains à hauteur de ses genoux tel un sage sur le point de discourir.
- Ce n'était pas votre heure.
- Vous n'en savez rien, ai-je balbutié les yeux humides.
- Personne ne mérite de s'infliger un tel supplice. Vous souffrez, je l'entends. Malgré la douleur, reconsidérez votre décision d'en finir. La vie mérite d'être vécue. Vous êtes précieuse pour quelqu'un... Surtout, n'en doutez jamais.
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N'hésitez pas à voter ;)
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➡️ SORTIE A VENIR
Dispo le 8 novembre en librairie et sur les plateformes de vente (amazon, fnac, kobo, etc.)
Résumé : Le piège se referme lentement sur elle... et elle pourrait y perdre plus que la vie !
Depuis un an, Alexandra est la proie du Collectionneur, tueur en série recherché par l'ensemble des polices européennes. Étant le dernier témoin en vie capable de l'identifier, Alexandra accède au programme de protection des témoins. Enzo Lombardi, agent d'élite, est chargé de l'opération. Une opération qui à tout jamais bouleversera sa vie ainsi que celle de sa protégée.