Le Dernier Vol des Oiseaux de...

By JHaltRoen

56K 6.5K 9.5K

Roxane vit dans un des plus beaux appartements de l'Upper East Side de New York, entourée d'un père aimant et... More

Avant-Propos
.
Prologue
Chapitre 1 - Partie I
Chapitre 1 - Partie II
Chapitre 2 - Partie I
Chapitre 2 - Partie II
Chapitre 3 - Partie I
Chapitre 3 - Partie II
Chapitre 4 - Partie I
Chapitre 4 - Partie II
Chapitre 4 - Partie III
Chapitre 5 - Partie I
Chapitre 5 - Partie II
Chapitre 5 - Partie III
Chapitre 6 - Partie I
Chapitre 6 - Partie II
Chapitre 6 - Partie III
Chapitre 7 - Partie I
Chapitre 7 - Partie II
Chapitre 7 - Partie III
Chapitre 8 - Partie I
Chapitre 8 - Partie II
Chapitre 9 - Partie I
Chapitre 9 - Partie II
Chapitre 9 - Partie III
Chapitre 10 - Partie I
Chapitre 10 - Partie II
Chapitre 10 - Partie III
Chapitre 11 - Partie I
Chapitre 11 - Partie II
Chapitre 12 - Partie I
Chapitre 12 - Partie II
Chapitre 12 - Partie III
Chapitre 13 - Partie I
Chapitre 13 - Partie II
Chapitre 13 - Partie III
Partie Temporaire
Chapitre 14 - Partie I
Chapitre 14 - Partie II
Chapitre 15 - Partie I
Chapitre 15 - Partie II
Chapitre 16 - Partie I
Chapitre 16 - Partie II
Chapitre 17 - Partie I
Chapitre 17 - Partie II
Chapitre 18 - Partie I
Chapitre 18 - Partie II
Chapitre 18 - Partie III
Joyeux Noël
Chapitre 19 - Partie I
Chapitre 19 - Partie II
Chapitre 20 - Partie I
Chapitre 20 - Partie II
Chapitre 21 - Partie I
Chapitre 21 - Partie II
Joyeuse Saint-Valentin
Chapitre 22 - Partie I
Chapitre 22 - Partie II
Chapitre 23 - Partie I
Chapitre 23 - Partie II
Chapitre 24 - Partie I
Chapitre 24 - Partie II
Épilogue
.
Remerciements
Informations

Chapitre 17 - Partie III

528 66 129
By JHaltRoen


Shane


La musique du club s'évanouit lentement jusqu'à résonner en sourdine lorsque je referme la porte derrière moi. La main appuyée contre le battant noir, je reste un instant immobile, le regard ancré sur la poignée. Mon cœur, éreinté par la pression, tambourine dans ma poitrine à en devenir douloureux. Je prends une profonde inspiration, puis me retourne vers le centre de la pièce dans laquelle je viens de m'engouffrer.

Ici non plus, rien n'a changé. La même angoisse sordide règne entre ces murs sobrement éclairés. Rien ne dépasse. La décoration très épurée est en parfaite adéquation avec la conscience glaciale du maître des lieux. Le plafond, plus bas que celui de la salle principale du Nest, est incrusté de petites lumières blanches qui scintillent comme des étoiles dans le ciel nocturne. Un large miroir aux moulures d'argent surplombe le bar privé, en face duquel se dresse l'estrade réservée aux danseuses préférées de Robin. Une cascade de frissons me remonte l'échine. Glorifié par les projecteurs qui convergent sur la barre de pole dance qui trône en son centre, l'autel de la sainte violence sur lequel a été sacrifiée ma candeur me nargue éhontément. Une goutte de sueur perle à mon front, mon souffle tremble ; les souvenirs se tiennent aux portes de ma conscience, prêts à bondir comme des chiens enragés et à dévorer ce qu'il reste de mon âme.

Comme ce même soir il y a neuf ans, l'estrade est auréolée de deux fauteuils et d'un large canapé en velours noir. Je fais un pas vers lui, puis un autre. Le barman est en train de disposer un seau à champagne et deux flûtes en cristal étincelantes sur la petite table en marbre, juxtaposée à la scène. Lorsqu'il se redresse, il dévoile enfin à ma vue un Robin affalé sur le sofa, en compagnie d'une superbe rousse très enthousiaste. Je baisse mon visage sur mes pieds ; subir une énième humiliation devant les chiens de garde de son compagnon, voilà ce qui a donc poussé Zara à quitter les lieux en larmes quelques minutes plus tôt. Mon cœur se serre dans ma poitrine. Je secoue la tête ; hors de question de se laisser déstabiliser maintenant. Il faut en finir, le plus rapidement possible.

Je prends une profonde inspiration puis m'avance jusqu'au premier fauteuil, tout en prenant garde à ne jamais poser les yeux sur l'insolente estrade illuminée sur ma droite. L'employé me jette un bref coup d'œil interrogatif avant de retourner derrière son comptoir, sans dire un mot. La jeune femme s'est maintenant installée sur les genoux de Robin me masquant entièrement à sa vue. Nerveux, je passe une main dans mes cheveux puis rassemble tout mon courage avant de m'éclaircir la voix pour signaler ma présence.

Aussitôt, la rousse sursaute et se retourne, cachant maladroitement sa poitrine dénudée. Robin pose alors les yeux sur moi. Je tressaille ; son regard de glace me scanne de la tête aux pieds. Il reste muré dans une colère silencieuse et l'angoisse s'immisce un peu plus en moi à chaque seconde qui passe.

— Qu'est-ce que tu fais là, toi...

Mon cœur rate un battement. Sa voix est grave et grinçante, accablante de mépris et d'orgueil. J'ai osé interrompre ses frasques dans son propre royaume, dès lors je sais que je ne resterai pas impuni. Il ne me quitte pas des yeux. Ses iris brillent des quantités d'alcool qu'il a déjà ingurgitées. Je tente alors de rassembler mes esprits empêtrés dans la peur et commence, sur un ton calme :

— J'ai la marchandise de ce soir.

Je laisse lourdement tomber le sac de sport à ses pieds. Il s'en désintéresse totalement et ne dévie pas son regard.

— Bien. Maintenant la vraie raison. Tout de suite.

Je pince les lèvres ; Robin est loin d'être dupe. Terrassé par la haine qui foisonne dans ses pupilles, je suis incapable d'articuler un traître mot. Je secoue furtivement la tête ; il faut à tout prix que je me reprenne. Face à mon silence, il se penche légèrement sur le côté pour observer autour de moi avant de commencer, sur un ton las :

— Où est ta princesse ? Ah, je vois... Elle était trop fatiguée ? C'est pour ça que tu es revenu ici après tant d'années ?

Je reste muet. Comme une tique, sa perfidie s'accroche à moi et m'ôte le peu de discernement qui m'habite encore. Robin jette un rapide coup d'œil à la jolie rousse toujours à califourchon sur ses genoux. Il s'empare alors de son bras, la force à descendre avant de la propulser violemment dans ma direction. La jeune fille laisse échapper un petit cri de surprise, titube, puis se heurte à moi. Instinctivement, je la préserve de la chute et la redresse. Sous le coup du choc, son corps tremble de toute part, me rappelant celui de Roxane il y a à peine une heure de cela. Indifférent à la situation, Robin se penche sur la bouteille de champagne face à lui et s'en sert une large coupe en me lançant :

— Cadeau. Fais-en ce que tu veux.

Tête baissée, la rousse n'ose plus faire un seul geste. Je me décale alors d'un pas et reporte mon attention sur Robin :

— Je ne suis pas venu là pour ça.

Il retient un petit rire et marque un temps d'arrêt.

— Bien sûr que tu n'es pas venu là pour ça.

Un frisson me remonte la nuque. Il engloutit le contenu de sa coupe d'une traite avant de reprendre :

— Quoi d'autre que l'amour pour te faire revenir au Nest...

— Pourquoi tu l'as emmenée avec vous ce soir ?

Robin soupire longuement et se recule au fond de son canapé avant de laisser rouler sa tête contre le dossier.

— Oh merde, Shane. Tu ne veux pas te détendre juste pour une fois ? Au lieu de te faire du mouron pour ta petite chialeuse, regarde ! J'ai des femmes tellement plus belles pour toi...

Mon poing se serre dans la poche de mon manteau. Son indolence face à la situation m'enrage.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé, Robin ?

Il garde les yeux rivés vers le plafond en expirant bruyamment :

— Je suis allé récupérer des bijoux. Tu sais ? Les bijoux de la mère de ce type... C'était quoi son nom déjà ? Ah oui, Jordan Miller.

— Tu es allé chez Jordan avec Roxane ?!

— Il semblerait.

— Pourquoi ! Pourquoi tu y es allé avec elle ?

Je parviens de moins en moins à contenir le cocktail explosif mêlant rage et douleur qui chahute mon cœur. Robin ne bouge pas d'un pouce et se met alors à ricaner :

— Parce que tu l'as bien cherché, Shane.

Je me fige, assailli par un long frisson d'effroi.

— De quoi est-ce que tu parles ?

Il reste un instant silencieux avant de basculer sa tête dans ma direction et de me toiser d'un regard plus noir que les abysses. Si ses yeux étaient des armes à feu, je serais déjà mort et enterré. Soudain, d'un geste autoritaire, il ordonne à la jeune femme et à son barman de quitter les lieux. Ils s'exécutent aussitôt et s'éclipsent dans la salle principale du Nest, me laissant seul en compagnie de ma terreur face au diable en personne. Ce dernier se lève alors lentement du canapé et repose la flûte à champagne sur la petite table. Je sens la haine monter en lui et recule d'un pas lorsqu'il reprend, crescendo :

— Ne sois pas surpris. Tu savais que je m'intéressais aux Miller. Ces bijoux devaient être à moi. Tu entends ? À moi ! Mais à cause de toi. À cause de ton... incompétence, je dois offrir tout ce joli pactole à mon client. À cause de toi, je dois le payer deux fois plus pour ne pas tomber avec Reese. À cause de toi, je passe pour un amateur. Tout ça parce que tu n'as pas encore été capable de me récupérer cette foutue toile chez ta pétasse !

— Non, je...

Je me heurte au fauteuil, mon cœur tambourine dans ma poitrine. Robin s'approche de moi et pointe son doigt menaçant sur mon torse avant d'articuler :

— C'est toi le responsable de toute cette soirée, Shane. Toi seul. Et pour te faire payer ton manque de discipline, pour que tu n'oublies pas à qui tu dois obéir, j'ai traîné ta petite garce avec nous et j'ai saigné son cher ami sous ses yeux. D'ailleurs, tu aurais vu sa tête ! C'était...

Je vacille. Ma vision se brouille, je perds pied. Robin sourit et ricane en se remémorant son dessein sordide. Je pose une main sur le dossier du fauteuil et reprends, d'une voix à peine audible :

— Non... Tu n'as pas pu faire ça.

—... Pardon ? Tu n'as pas pu faire ça ? C'est bien ce que tu viens de dire ?

Son timbre tremble de rage et de folie. Confus, je ne réponds pas, voulant à tout prix éviter d'attiser le conflit déjà déclaré entre nous deux. En vain.

En une fraction de seconde, Robin empoigne le col de mon manteau et m'assène un coup en plein milieu du ventre. Mes poumons se vident brusquement d'air ; j'ai le souffle coupé. Une violente nausée soulève mon estomac. Je me cambre et m'affaisse, une main posée sur l'estrade et un genou à terre. La douleur se diffuse à l'intégralité de mon corps, je laisse échapper un petit gémissement. Le Rouge-Gorge se place derrière moi puis agrippe mes cheveux avant de me relever et de me tirer en arrière pour mieux se pencher à mon oreille :

— Tu as oublié qui je suis ? Tu as oublié ce que je suis capable de faire ? Hein, Gueule d'Ange, tu veux un petit rappel de ce que tu risques si tu t'avises encore à me tenir tête ?

Sans me laisser le temps de réagir, Robin relâche son emprise pour mieux écraser son poing sur mon visage. Aussitôt, le goût du sang envahit ma bouche. Ma joue s'écorche sous la puissance de l'impact. Je vacille et trébuche sur l'estrade. Des étoiles dansent devant mes yeux. Je m'effondre et me heurte à la barre de métal. Le Rouge-Gorge pousse un profond soupir de lassitude :

— Tout ça pour cette pauvre fille complètement idiote. Je ne te comprendrais jamais, Shane.

Tout à coup, la douleur et la peur réveillent l'instinct que neuf années au sein d'un gang ont façonné. Je m'accroche de toutes mes forces à la barre de pole dance et me redresse péniblement.

Ne jamais rester à terre face à lui.

Les leçons du passé se bousculent à ma mémoire. Robin m'observe patiemment, un petit sourire en coin, avant d'attraper la bouteille de champagne. Il me rejoint ensuite sur l'estrade tout en buvant de longues gorgées à même le goulot, sans jamais cesser de tourner autour de moi, comme un prédateur guettant sa proie. Toujours agrippé à la barre, je sens mes jambes qui vacillent. Je reste recroquevillé, l'échine courbée devant mon maître. La douleur de mon ventre m'empêche de me redresser, de lui faire face. Je cligne des yeux pour reprendre mes esprits lorsqu'il s'arrête, tourne mon visage vers le sien et plonge ses iris empoisonnés par la folie dans les miens.

— Mais dis-moi. Est-ce qu'elle sait, ta précieuse Roxane ? Est-ce qu'au moins elle sait ce qu'il s'est passé ici, il y a neuf ans ? Ce que tu es en réalité ?

Je dévie le regard et ne réponds pas, mordant mes lèvres pour tenter de ravaler l'ouragan que transporte ce souvenir à ma conscience.

— Non... C'était un accident. Un accident.

Devant mon désarroi, Robin affiche un large sourire carnassier et se met à scander haut et fort :

— Alors, Shane ! Elle ne sait pas pourquoi je t'ai pris sous mon aile ? Pourquoi tu es devenu comme mon frère, toi et pas un autre ?

Mes mains dérapent, mes jambes me lâchent. J'appuie lourdement ma tête contre la barre de métal, vaincu par le poids de ma culpabilité qui pèse sur mes épaules. C'est à ce moment-là que Robin en profite pour me porter le coup fatal :

— Non... Elle ne sait que son bel ange gardien n'est rien d'autre qu'un assassin.

Une larme s'échappe de sous ma paupière. Une larme de regrets, de douleur, de honte et de chagrin. Celle qui emporte le souvenir du garçon de 16 ans que j'étais, le soir où mon innocence s'est envolée.

Cette nuit-là, je n'étais pas prêt. Je n'ai pas eu le choix. Comme à chaque mâle qui souhaitait intégrer le gang, Robin m'avait imposé un duel à main nue contre un autre garçon. Les règles étaient simples : frapper jusqu'à ce que l'un de nous deux tombe inconscient. Le gagnant rejoignait directement la bande, tandis que le perdant devait essuyer une seconde salve de coups et résister en silence. Résister, ou mourir. Tel a toujours été la devise ancrée à jamais dans l'esprit de chacun des membres de ce gang.

Mon adversaire n'était qu'un enfant de treize ans. Un enfant à l'innocence souillée par le désespoir et par la peur. Rejeté par sa famille, en plein échec scolaire, il cherchait un sens à donner à sa vie. C'était une âme blessée et fragile, en quête de liberté et de réponses, hypnotisée par les belles promesses de Robin...

De mon côté, je voulais vivre et ne jamais retourner dans la rue, peu importe le prix à payer. Alors face à lui et face à mon adversaire, je n'ai rien su faire d'autre que ce que les pavés et la mort m'avaient seulement appris ; me battre pour survivre. J'ai frappé, encore et encore, jusqu'à ce que son visage d'ange soit méconnaissable. Jusqu'à ce que son T-shirt immaculé soit totalement imbibé de sang. Jusqu'à ce qu'il tombe dans l'inconscience de laquelle il n'est jamais revenu.

Lorsque Robin s'est aperçu de ce que j'avais fait sous ses yeux, il a brisé ses propres codes. Dans mes pupilles transcendées par la rage du combat, le Rouge-Gorge a vu le reflet de sa folie naissante, de son vice, de son frère de sang. Il a ensuite fait de moi son bras droit, me hissant avec lui dans les plus hautes sphères de la pègre et faisant de moi ce que je suis aujourd'hui : un homme qui ne mérite pas plus de vivre que cet enfant méritait de mourir. Un homme incapable de s'endormir sans penser à ce visage ensanglanté, craquelant sous ses poings. Un homme hanté toutes les nuits par le souvenir de ce petit corps raide et froid étendu sur cette même estrade qui supporte ce soir tout le poids de ma vérité.

Robin descend en soupirant, me sortant aussitôt des méandres de mes sombres pensées enfouies.

— Eh oui... Tu te plais à dire que tu n'es pas un tueur. Tu te caches derrière ton air innocent et tes manières de gentleman. Mais dans le fond, tu sais très bien que tu me ressembles bien plus que tu le crois.

La larme quitte ma joue et vient s'écraser sur ma main tremblante autour de la barre en métal. Tête basse, assailli par la honte, je reste muré dans le silence et la solitude. Comme une véritable bête de foire, les projecteurs éclairent toute ma déchéance, à l'endroit même où j'ai moi-même vendu mon âme au diable. Je suis le prisonnier de ma propre conscience, soumis au jugement de la vérité et condamné à la torture jusqu'à l'acceptation.

Robin reprend place sur son canapé avant de poursuivre sur un ton ferme :

— Maintenant, que les choses soient claires, Shane. Depuis le soir où tu as tué ce gamin jusqu'à ce que tu crèves à ton tour, je suis et je resterai ton boss.

Je serre les dents. Robin sort une cigarette de sa poche et la porte à ses lèvres avant de l'allumer et d'expirer lentement la fumée. Son regard de glace se pose une dernière fois sur moi en même temps qu'il articule, sans la moindre once d'émotion dans la voix :

— Et si jamais tu me déçois encore une seule fois, c'est ta Roxane que je balancerai à la bande et que j'égorgerai ensuite comme une truie. Mais ne t'en fais pas, je m'assurerai que tu sois bien là pour profiter de tout le spectacle. N'oublie pas ce que je te dis. Un seul pas de travers, Shane et c'est elle qui payera pour toi dorénavant. Maintenant dégage, je ne veux plus jamais te voir ici.

Je reste immobile pendant quelques secondes, le temps de ravaler mes larmes et ma détresse, puis quitte péniblement l'estrade sans dire un mot. Le vulgaire chien bien dressé que je suis obéit sans discuter et se traîne avec difficultés jusqu'à la sortie. J'essuie ma joue d'un revers de la manche de mon manteau et regagne la porte noire, une main posée sur le ventre, en évitant à tout prix un nouveau face à face avec mon geôlier. L'âme en peine et le cœur blessé, je quitte alors la pièce, puis le Nest sans me retourner. Sans jamais risquer de croiser le regard du fantôme de mon passé.


*


Je crache dans le caniveau. L'écho de mon corps endolori me fait encore souffrir tandis que je parcours péniblement les derniers mètres qui me séparent de l'usine désaffectée. Je pousse la lourde porte du bas à l'aide de mon épaule et m'engouffre maladroitement dans la cage d'escalier. Arrivé devant mon appartement, je reste un instant immobile en proie à une crainte soudaine de ne pas y retrouver Roxane. Et si elle s'était de nouveau enfuie ? Si je l'avais encore perdue ? Après une longue inspiration, je finis par me glisser à l'intérieur, le souffle tremblant.

La pièce est éclairée par les premiers éclats orangés de l'aube. Je referme lentement la porte derrière moi et m'avance sans un bruit. Un léger frisson de soulagement me parcourt. Cette fois-ci, je ne rêve pas ; elle est bien là, étendue entre mes draps. Ses cheveux tracent de belles arabesques sur l'oreiller et révèlent son cou gracile et la courbe de son épaule, que les rayons du soleil levant terminent de sublimer de leur éclat doré. Je reste immobile, incapable de détourner le regard. Endormie, elle semble si paisible, bien loin de l'image de cette petite flamme vacillante sous le souffle glaçant de regrets et de démons indomptables.

Je retire mon manteau et le dépose sur le fauteuil qui orne le coin de la pièce avant de me laisser lourdement tomber sur l'assise. Mon ventre est toujours douloureux et le goût de métal ne quitte pas ma bouche. Je pousse un profond soupir et plonge mon visage dans une de mes mains pour masser mon crâne, sur le point d'exploser.

Le soleil perce un peu plus travers les buildings et vient réchauffer mon cou. Je ferme les yeux. Un nouveau jour se lève sur ce monde souillé par la violence, le vice et les mensonges, apportant, à travers sa timide lueur, le fragile espoir d'un avenir encore inconnu. Roxane s'agite, mais garde les paupières closes, se préservant encore quelques minutes de la réalité au sein de son château de rêve.

Et moi, perdu dans la plus profonde solitude, je réalise soudain que ma vie n'est rien d'autre qu'une succession d'échecs inéluctables. C'est ma faute. Tout est ma faute... Chaque choix que j'ai pu faire au cours de ces dernières années, chaque décision, chaque parole et chaque geste n'ont fait que me précipiter un peu plus dans cet enfer dont je ne m'évaderai jamais. Depuis ce jour maudit où Zara s'est interposée pour me sauver du canon de Robin, je suis condamné à mort par chantage et soumission, et la moindre infraction à ces règles aurait pour conséquence d'emporter Roxane dans ces mêmes méandres sordides. Je mords mes lèvres, le crâne toujours appuyé contre ma main.

Soudain, le barrage cède sous la puissance de mes regrets. Un long sanglot trop longtemps contenu secoue alors tout mon corps et de grosses larmes se mettent à rouler sur mes joues. Mes doigts se crispent sur mon front, mon souffle tremble. Je pleure, pour la première fois depuis des années. Je pleure tout l'échec de ma vie, toute la douleur que mon corps éprouve, toute la culpabilité d'avoir piégé Roxane, tout le désespoir d'en être tombé amoureux. L'écho de mon sanglot résonne faiblement entre les murs de la pièce, me renvoyant à mon éternelle solitude. Je relève brièvement mes yeux noyés de larmes vers mon lit ; Elle n'a pas bougé d'un pouce. Alors, comme pour soulager ma propre conscience, j'articule à mi-voix :

— Je suis désolé. J'aurais dû te dire la vérité dès le début. J'aurais dû tout te dire avant qu'il ne soit trop tard. Avant qu'un autre innocent paye mes erreurs. Tout est ma faute, Roxane. Tu ne savais pas à qui tu avais affaire, et moi je ne savais pas que tu allais prendre une telle place dans ma vie. Je voulais juste te voir libre et heureuse, comme tu voulais l'être. Je ne voulais pas te détruire... Mais j'ai tout raté. Tout raté...

Roxane s'agite légèrement, mais n'ouvre pas les paupières, toujours bercée par les bras de morphée. Je reste un instant figé, le regard perdu dans le vide, le visage inondé de larmes amères. Comme si le temps s'était suspendu pour mieux laisser couler ma peine, pour mieux laisser guérir mes blessures.

Mais quelques minutes plus tard, je me relève ; l'angoisse ravivée par mon sanglot comprime mes poumons. J'ai besoin d'air. J'éponge alors mes joues d'un revers de la manche, empoigne de nouveau mon manteau, puis me dirige lentement vers la porte d'entrée.

La main posée sur la poignée, je me fige un court instant et jette un dernier regard par dessus mon épaule, sur le petit ange auréolé par l'éclat de l'aurore. Mon petit ange tombé du paradis, jusqu'en enfer. Les battements pulsent frénétiquement dans ma poitrine. Je pousse alors un long soupir et le cœur serré, je balbutie d'une voix à peine audible :

— Et comme toi, j'ai peur que tu finisses par me rejeter. J'ai peur d'avoir toujours mal, précisément comme j'ai mal maintenant. Parce que moi aussi, je t'aime.

Continue Reading

You'll Also Like

39.1K 2.4K 61
Après le violent décès de ses parents additionné à un passé plus que douloureux, Laura décide de quitter la maison familiale et de reprendre sa vie e...
10.6K 627 31
Nathan n'est pas comme les autres, il le sait. Les autres aussi l'ont remarqué. C'est peut-être pour cela qu'il est la cible, peut-être également pou...
5.7M 179K 69
Los Angeles a de quoi faire rêver ... sauf pour Cassy Johnson. Après cette terrible nuit, tout a changé, sa vie est devenue un véritable cauchemar. E...
340K 15K 39
On pourrait croire qu'il est mauvais, que les ténèbres l'habitent, qu'il a réussi par la brutalité pourtant dans sa noirceur se cache une grande huma...