Une nuit d'été : Destins croi...

By jackieLynn972

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Témoin de son amie Geneviève, qui épousait le célèbre magnat William Wenworth, Clara avait été heureuse d'acc... More

Première partie
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Partie 2
Chapitre 10
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18

Chapitre 11

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By jackieLynn972

Le soleil jouait entre les branches des bougainvilliers pendant que la brise en faisait doucement frémir les fleurs. Cette journée de fin de semaine avait encore été chaude et ensoleillée. L'après-midi touchait maintenant à sa fin.

Après avoir profité de la piscine, Geneviève et Helena s'étaient toutes deux installées dans les fauteuils sous l'auvent. Helena avait passé une grande partie de la journée au mas. Elle y venait de plus en plus fréquemment pour échapper à l'ambiance quelque peu tendue de la « Bastide ». Ses rapports avec Alain de Laperousse s'étaient particulièrement dégradés depuis quelques mois. Geneviève avait plusieurs fois invité sa jeune sœur à emménager au mas. Mais Helena avait toujours décliné l'offre. Sans doute ne voulait-elle pas créer une tension supplémentaire entre William et son père, puisqu'ils étaient associés, pensait Geneviève.

— Tu restes dîner avec nous, Ella ? proposa Geneviève.

Helena eut une légère hésitation.

— Humm... Merci, mais j'avais déjà prévu quelque chose ce soir, s'excusa-t-elle, avant de reprendre après une très courte pause et de demander sur le ton de la confidence. Tu es au courant que Baptiste voit régulièrement Sara et Nikos ?

Geneviève ne fut pas surprise de ce brusque changement de sujet, sa cadette avait la manie de sauter du coq à l'âne.

— C'est ce que j'ai cru comprendre..., dit-elle évasivement avant de détourner la conversation. Et Jordan, tu le revois quand ?

Helena avait fait la connaissance de Jordan Crowley près d'un an auparavant lors du mariage de son aînée. Ce soir-là, elle avait dansé avec lui et ils ne s'étaient presque plus quittés de la soirée. Et bien que Jordan vive à Londres — il était l'un des avocats de l'entreprise de William —, ils avaient gardé le contact, et s'étaient vus assez régulièrement par la suite.

— Si tout va bien, la semaine prochaine. J'irai passer le week-end là-bas, expliqua la jeune femme avec un large sourire, avant de reprendre avec un petit soupir. Mais, tu sais Vivi, je commence à me rendre compte que les relations à distance, c'est bien compliqué.

Geneviève fronça les sourcils. Helena envisageait-elle de rompre, finalement ? C'était vrai que sa jeune sœur prenait ses liaisons plutôt à la légère, et ne s'y investissait jamais vraiment. Pourtant, cette fois, elle avait pensé...

— Jordan me manque vraiment, tu sais, murmura Helena, interrompant ses réflexions.

— Eh bien, Ella ! C'est certain, c'est bien toi ? On ne t'aurait pas échangé avec un clone par hasard ?

— Eh oui, c'est bien Helena de Laperousse que tu as devant toi ! J'suis mal barrée, hein, Vivi ?

Devant les yeux verts brillant de malice et la mine faussement déconfite de sa cadette, Geneviève s'esclaffa.

— Tu le serais un peu s'il ne ressent pas la même chose pour toi, répondit-elle d'un ton amusé. Mais ce n'est pas le cas, n'est-ce pas ?

— Est-ce qu'on sait vraiment ce que ressent l'autre ? fit-elle avec un brin de fatalisme, avant de reprendre. En fait, j'espère qu'on est sur la même longueur d'onde tous les deux. Parce que je pense de plus en plus sérieusement à aller étudier là-bas. Au moins une année... Ça serait un plus pour mon CV.

— Et accessoirement, ce qui n'est pas négligeable, c'est une bonne occasion pour te rapprocher de Jordan ! la taquina son aînée.

— Si on peut faire d'une pierre deux coups, pourquoi se priver ? fit Helena malicieusement en souriant.

— Oui ! Pourquoi pas, en effet ?!

Après une légère hésitation, elle reprit.

— Et Alain ? Il le prend comment ?

— Oh ! Tu le connais ! Déjà qu'il n'était pas très content que je fréquente un noir... Et je suis gentille en disant « pas très content ». Alors, imagine ce qu'il peut dire maintenant que j'envisage sérieusement d'aller vivre là-bas, fit-elle, caustique. De toute façon, il n'a pas le choix, ajouta-t-elle avec un léger haussement d'épaules. Il finira bien par se faire une raison.

Plongées chacune dans leurs propres réflexions, elles gardèrent le silence un instant. Puis Geneviève posa un regard un peu rêveur sur son alliance.

— Dire que cela fait presque un an que j'ai accepté d'épouser William, chuchota-t-elle comme si elle se parlait à elle-même. J'ai l'impression que c'était hier.

Elle avait du mal à réaliser. Cette année fertile en évènements marquants était passée à une allure folle. Et elle avait sans aucun doute été la plus belle qu'elle avait vécu jusqu'à maintenant. La vie est riche de promesses, se dit-elle. Quelle que soit la situation, il faut toujours garder espoir. La roue finit toujours par tourner.

— Donc, si j'ai bien compris, pour votre premier anniversaire, vous reprenez votre ancienne liste... On prend les mêmes et on recommence, quoi.

— Plus ou moins... J'espère que les amis de William pourront tous se libérer.

— Pourquoi pas ? Vous les avez prévenus suffisamment à l'avance, cette fois-ci, fit Helena malicieusement.

— C'était sympa de les retrouver au baptême de Théo.

— Il était trop mignon ! s'exclama Helena en se rappelant la petite bouille du fils de Sara et Nikos, avant de jeter un coup d'œil malicieux à sa sœur. Tellement qu'il aurait pu donner des idées à certaines...

— Oh non ! Pas à moi ! Pas pour l'instant, en tout cas. Mais à toi peut-être ?

— J'imagine la tête de papa !

Elle eut un petit rire quelque peu désabusé, avant de reprendre, sautant, une fois de plus, du coq à l'âne.

— Mais au fait, je n'ai jamais vraiment compris pourquoi Clara n'était pas allée au baptême.

— Moi non plus, à vrai dire. Peut-être qu'elle n'avait pas envie d'avoir d'autres prises de bec avec Ryan ! fit son aînée en souriant.

— Prises de bec... Je ne sais pas, Vivi, ou alors, c'était pour cacher autre chose ! Tu ne te rappelles pas comme ça crépitait entre eux ?

— Oh oui ! Je m'en souviens très bien.

— Ryan pourrait être un candidat pas mal du tout pour Clara. Je trouve qu'ils formeraient un très beau couple, observa la cadette d'un air pensif. Ces deux-là auraient peut-être besoin d'un petit coup de pouce, qu'en dis-tu ?

— Oui, c'est vrai qu'ils vont bien ensemble... Mais, je ne pense pas que Clara soit prête.

— Eh bien quoi ? Il faudra bien qu'elle oublie Joël ! Ça fait presque un an qu'elle est célibataire.

— Elle sort tout de même de temps en temps, souligna-t-elle.

Cependant, elle devait bien avouer que sa sœur n'avait certainement pas tort sur ce point précis.

— Mais elle n'a personne dans sa vie, insista Helena, avant de reprendre. D'ailleurs, je ne comprends pas... C'est bien elle qui a quitté Joël, non ?

— C'est ce qu'elle m'avait dit. Mais elle ne m'a jamais expliqué ce qui s'était passé entre eux. En fait, elle n'aime pas en parler.

— Tu crois qu'il l'a trompée ?

— On ne sait jamais. Mais franchement, je ne pense pas. Joël semblait sincèrement tenir à elle.

— Je suis certaine que Ryan a quelque chose à voir avec leur séparation.

— Qui sait ? De toute façon, ça ne nous regarde pas vraiment, dit Geneviève avant d'ajouter avec un sourire de conspiratrice. En fin de compte, peut-être n'as-tu pas tort pour Clara...

— J'ai toujours raison ! interrompit vivement Helena d'un ton docte, avant de reprendre, ses pupilles vertes pétillantes de malice. À quel sujet déjà ?

Levant les yeux au ciel, son aînée ne put retenir un petit rire.

— Au sujet du « couple Clara-Ryan » ! Si tu as une excellente idée à me soumettre pour permettre à ces deux-là de se rapprocher, je suis preneuse, finalement.

— J'en ai même plus d'une ! Et elles sont toutes excellentes, assura sa jeune sœur avant de prendre un air pensif et d'ajouter. Et peut-être même que Sara pourrait nous aider...

Bien plus tard, ce samedi-là, lorsqu'elle sortit de la salle de bain, Geneviève trouva William assis sur le bout de lit capitonné. Elle laissa glisser son regard sur lui comme elle s'avançait dans la chambre. Il était sexy en diable avec sa chemise ouverte sur son thorax large et musculeux.

Son mari la contempla, une lueur admirative dans les yeux.

Ses longues boucles auburn flottant librement sur ses épaules jusque dans son dos, Geneviève était particulièrement séduisante dans sa petite nuisette vert pomme.

Lorsqu'elle arriva à sa portée, William l'attrapa par le poignet.

— Tu aurais dû m'attendre, fit-il en l'attirant sur ses genoux.

Sans répondre, elle passa ses bras autour de son cou robuste. Et glissant les doigts dans les cheveux courts et drus de son mari, elle posa ses lèvres sur les siennes. Lorsqu'elle leva enfin la tête, il l'enlaça tendrement et posa la tête contre sa poitrine ronde à peine couverte du tissu diaphane de sa nuisette.

— Tu y retournes avec moi ? suggéra-t-il.

— Certainement pas, fit-elle d'un ton malicieux en s'écartant de lui.

Mais, il la retint entre ses bras, et d'un geste tendre, elle repoussa la mèche qui lui retombait sur le front.

— Et si tu invitais Ryan à passer quelques semaines avec nous au mois de septembre ? demanda-t-elle après un bref instant, et sa petite fossette au menton s'effaça comme elle souriait.

— Pour notre anniversaire de mariage ? Il viendra sûrement à la soirée, mais cela m'étonnerait qu'il reste plus d'un jour ou deux.

— Et pourquoi pas ?

— Parce qu'au bout d'une semaine, il se sentirait comme un poisson hors de l'eau, fit-il souriant de cette image. Et, je n'exagère pas.

Mais déjà, il semblait être passé à toute autre chose, et des lèvres, il effleurait la courbe aiguë de l'épaule de sa femme.

— Tu te rends compte qu'on ne l'a pas revu depuis le baptême du fils de Sara et Nikos, insista Geneviève. Enfin voir... c'est un grand mot ! Entraperçu en coup de vent, plutôt.

— Hum hum..., fit William en laissant maintenant courir sa bouche sur la peau nacrée de sa nuque gracile.

— Alors ?

— Alors quoi, Gena ? interrogea-t-il, quittant à peine la peau soyeuse de sa gorge pour parler.

Se disant, il fit lentement glisser la fine bretelle de sa lingerie arachnéenne, et dénuda un de ses seins voluptueux. Geneviève frissonna de plaisir à la caresse de sa bouche chaude et douce sur sa poitrine. Et, un instant, elle en oublia presque le sujet de la conversation. Elle se reprit néanmoins très vite, et posant le bout de ses doigts sous son menton carré, elle l'obligea doucement à lever la tête. Un sourire malicieux aux lèvres, il se laissa faire, et plongea son regard bleu outremer dans le sien.

— Tu vas le lui demander ? insista-t-elle, une nouvelle fois.

— Très bien. Mais ne te fais pas trop d'illusions.

— Moi, je pense qu'il acceptera.

— Nous verrons, fit-il évasivement, puis son sourire s'élargit et il reprit. Dis-moi plutôt ce que vous complotiez tout à l'heure, Helena et toi ?

— Parce que, moi, j'ai l'habitude de comploter ?

Son sourire mutin ôta tout sérieux au ton outré que Geneviève avait essayé de prendre.

— En tout cas, vous en donniez toutes les apparences. Vous aviez vraiment l'air de deux conspiratrices. Et si ce que je pense est exact, j'ai peur à l'avance pour vos malheureuses victimes !

— Ah oui ? Et d'après toi, qu'est-ce que nous serions en train de « comploter » ? fit-elle d'un ton léger.

Un nouveau sourire retroussa les lèvres de William.

— Vous avez tout simplement décidé de jouer les cupidons pour rapprocher Ryan et Clara.

La lueur qui brilla soudain dans les yeux de son épouse fut pour lui la preuve qu'il ne s'était pas trompé. Du reste, Geneviève ne chercha pas à nier.

— Tu ne trouves pas qu'ils sont faits l'un pour l'autre ? demanda-t-elle avec une pointe de surexcitation dans la voix. Il existe un fort courant... quelque chose... d'électrique entre eux.

— Je ne sais pas ce qui « court » entre eux, mais en tout cas l'année dernière, ils avaient plutôt l'air de se détester. Et c'est le moins qu'on puisse dire !

Comme atterrée par ce qu'elle entendait, la jeune femme leva les yeux au ciel.

— Mais non, ils ne se détestent pas !

— Si tu le dis... C'était pourtant bien imité !

— Tu sais que Clara me demande régulièrement des nouvelles de Ryan ? L'air de rien, bien sûr, mais quand même...

— Et qu'est-ce que ça prouve ? Après tout, c'est ton beau-frère, non ?

— Mouais... Et Ryan ? Ne me dis pas qu'il ne te demande jamais des nouvelles de Clara.

— Par simple politesse.

— Tu es vraiment aveugle !

— Quoi qu'il en soit, Gena, ce sont leurs affaires. Et connaissant mon frère, je ne pense pas qu'il serait très heureux que vous vous mêliez de sa vie... « sentimentale ». Toi et Helena vous feriez mieux de rester de simples observatrices.

— Mais c'est bien ce que j'ai l'intention de faire ! Les observer, repartit-elle avec un large sourire.

— Geneviève...

— Alors là, si tu me donnes du « Geneviève », rien ne va plus !

Elle pointa un baiser sur ses lèvres. Et comme pour l'effacer, du bout du doigt, effleura le pli léger qui barrait son front.

William glissa une main caressante sous sa nuisette, et la remonta doucement le long de sa cuisse fuselée.

— Je t'aurais prévenue, « Sweety ». Ryan ne va pas apprécier que tu te mêles de ses affaires.

— Je suis certaine qu'il me...

Elle ne put finir, car il l'embrassa avec un doux mélange de tendresse et de passion.

En sortant de son immeuble ce jour-là, Clara jeta un coup d'œil dépité sur le ciel. C'était une de ces rares journées un peu maussades de juillet. Bien qu'il fasse chaud, derrière les nuages, le soleil avait peine à s'imposer.

En marchant jusqu'à sa voiture, elle retrouva cependant sa bonne humeur. Le quartier où elle louait son petit appartement depuis quelques mois était certes un peu éloigné du centre-ville, mais il était calme, pittoresque et très verdoyant. Quand, accompagnée de l'agent immobilier, elle l'avait découvert pour la première fois, elle était tout de suite tombée sous son charme. Et après avoir visité le deux-pièces de très belles dimensions, situé au cinquième étage, que la jeune femme avait sélectionné à son intention, elle n'avait plus hésité une seule seconde.

Clara monta dans son cabriolet et prit la direction du centre-ville. Depuis son retour en Provence, elle avait pris l'habitude d'aller déjeuner chez ses parents environ un dimanche ou deux par mois. Ceux-ci devaient partir en vacances la semaine suivante, aussi serait-ce le dernier déjeuner qu'ils partageraient avant leur départ. Ses parents s'étaient mis à voyager de par le monde lorsqu'elle était partie étudier à Paris. Et après avoir passé quelques jours formidables en Guyane, ils avaient décidé de poursuivre leurs pérégrinations à travers l'Amérique de sud. Ainsi, avaient-ils passé des vacances au Brésil. Et l'année précédente, ils avaient découvert Cancún.

Claire, la mère de Clara, était issue d'une famille de la haute société avignonnaise. À la mort accidentelle de ses parents, elle avait hérité, très jeune, de la grande demeure familiale. Celle-ci, datant du début du siècle dernier, était située dans un des quartiers les plus prisés du centre historique.

Clara avait passé une enfance heureuse et très protégée dans cette maison. Elle y avait été choyée par ses parents et gâtée par la gouvernante. La jeune femme se rendait compte aujourd'hui à quel point sa vie avait été conformiste, tranquille — enfin, jusqu'à sa rencontre avec Ryan Wenworth, en tout cas — et surtout très privilégiée. D'ailleurs, sa vie, somme toute lisse et sans histoire, avait certainement dû contribuer à mettre Geneviève en confiance lorsqu'elles étaient adolescentes, leur permettant ainsi de devenir des amies quasi inséparables. Une certaine stabilité, de la sécurité, c'était ce que Vivi avait sans doute recherché inconsciemment. En effet, à cette époque, l'existence de son amie n'avait pas toujours été des plus faciles. Et c'était même un euphémisme que de le dire !

Le déjeuner familial avait été chaleureux et convivial comme à l'accoutumée. Les parents de Clara avaient parlé avec enthousiasme de leurs prochaines vacances en Équateur, avant de demander à leur fille des nouvelles de « GaïaDéco ».

Voilà quelques mois, s'ils avaient été pour le moins surpris du changement de vie radicale de Clara, ses parents avaient été très heureux de son retour en Provence. D'autant plus qu'elle-même semblait épanouie, et que l'agence de décoration se développait plutôt bien pour une entreprise qui avait été créée voilà tout juste quelques mois.

Le père de Clara, Antoine, déposa sa tasse et déplia sa haute taille pour quitter le fauteuil dans lequel il avait pris place un moment auparavant. Clara eut un petit sourire. Étant adolescente, elle s'était bien souvent demandé pourquoi la nature était allée rechercher dans une si lointaine hérédité — apparemment une arrière-grand-mère — les gènes qui l'avaient faite si petite alors que son père dépassait allègrement le mètre quatre-vingt. D'autant que sa mère, avec son mètre soixante-dix, était loin elle-même d'être une lilliputienne !

Un instant plus tôt, Antoine s'était excusé de devoir les quitter, mais il avait promis de passer à l'aéro-club dire au revoir à quelques amis. Chef de projet dans une grande société de l'industrie aéronautique, son père était un vrai passionné d'aviation. D'ailleurs, depuis quelques mois, il parlait de fabriquer lui-même, dans le garage, un avion biplace avec une structure en bois. D'après lui, la construction d'un tel appareil durerait au minimum trois ans, mais il comptait bien voler avec un jour ! Et si pour l'instant, il en était à la phase de recherche et de documentation, Clara ne doutait pas qu'il passerait à l'étape suivante. C'est-à-dire à la fabrication, dès leur retour de vacances, et cela, avec tout le sérieux et la ténacité qui le caractérisait.

— Et n'ennuie pas Clara avec ton « dada » du moment, fit-il avec humour avant de déposer un tendre baiser sur les lèvres de sa femme.

Reposant sa tasse de café sur la table basse, un petit sourire illuminant ses traits, Claire regarda son mari quitter la pièce.

La mère et la fille se trouvaient maintenant seules dans le salon. Ses parents avaient fait appel à « GaïaDéco » pour en refaire la décoration. Les murs avaient été repeints. Les meubles, qui étaient dans la famille depuis plusieurs générations, avaient été retapissés de toile de Jouy d'une couleur gris ardoise, qui leur donnait un cachet plus moderne. L'effet était chic, chaleureux et confortable.

Claire Derieux, qui venait de fêter ses cinquante ans, occupait un poste d'analyste de gestion. Adorant son métier, elle avait mené une brillante carrière. Elle défendait également avec ferveur les droits de la femme — et pas seulement en paroles —, car elle faisait partie d'une association qui aidait les femmes en difficultés et les guidait vers la réinsertion. Ainsi, quelques heures par mois, elle tenait permanence afin de leur apporter une assistance et un soutien dans leurs démarches administratives.

Une lueur d'affection et de tendresse mêlée de l'admiration passa dans le regard de Clara alors que sa mère entamait une de ses discussions favorites. Quelques jours auparavant, disait Claire, elle avait pris connaissance du dernier rapport officiel concernant la parité des salaires homme/femme. Car concernant ce sujet, si en effet les choses s'étaient quelque peu améliorées, déplorait-elle, le salaire n'en restait pas moins inégal.

— ... tu te rends compte qu'au XXIe siècle, en France, les hommes gagnent en moyenne quinze pour cent de plus que les femmes...

Régulièrement, et au plus loin que Clara puisse s'en souvenir sa mère se scandalisait pour tel ou tel évènement lié au droit des femmes. Pour elle, nombre de choses restaient encore à faire au niveau de l'égalité des sexes. Combien de fois s'était-elle récriée et avait-elle reproché aux médias, entre autres, de ne s'attacher à revendiquer que des choses sans réelle importance, pour en oublier les plus essentielles, et même, les plus vitales. Les violences faites aux femmes et la parité dans le domaine politique ou dans les médias, n'en étaient pas deux des moindres.

Claire croyait farouchement à l'égalité et à la différence. Pour elle, ces deux mots n'étaient en rien contradictoires. « Chacun de nous est le résultat unique d'un subtil mélange d'expériences personnelles, de nature et de culture, d'inné et d'acquis. Mais l'acquis en nous, et c'est ça qui fait la force de l'être humain, n'est pas figé, et il évolue même tout au long de la vie. À nous d'apprendre la tolérance et de tendre vers une voie plus égalitaire envers autrui », disait-elle.

Pour elle, dans cette société, l'égalité homme/femme était loin, très loin d'être acquise, et encore moins, établie. Il fallait donc continuer à la revendiquer — « Et tant qu'à faire, pas seulement dans le même droit à la connerie », précisait-elle, caustique. Mais par-dessus tout, Claire abhorrait l'instrumentalisation et la soumission de la femme sous quelque forme que ce soit. Pour elle, les femmes devaient apprendre à s'affranchir, à se défaire des diktats de la société, quels qu'ils soient, et être libérées dans leur tête avant tout.

Cette optimiste se sentait pourtant parfois désemparée devant certains retours en arrière. Certains qui au premier abord ne disaient pas leur nom, mais qui à bien y regarder, étaient peut-être des reculades plus dangereuses encore. De plus en plus souvent, Claire disait qu'elle avait parfois l'impression qu'on — la société — était tombé de Charybde en Scylla, et qu'on essayait de détruire un diktat pour en imposer un autre. Nouveau diktat, pensait-elle, qui lorsqu'on y réfléchissait sérieusement une demi-seconde, n'avait rien de très réjouissant non plus.

« Était-ce cela être libre ? » questionnait-elle fréquemment. « Horace n'a-t-il pas écrit qu'en voulant éviter un défaut, les sots se jettent dans le défaut contraire ? » aimait-elle encore à citer.

Cependant, sa mère pouvait aussi, parfois, faire preuve d'un entêtement forcené. Et bien que ne partageant pas toujours tous ses points de vue — ce qui les avait bien souvent menées à de petites prises de bec —, Clara estimait que pour la plupart, ils ne manquaient pas de bon sens.

— ... et s'il y a bien une seule chose sur laquelle les hommes de tous pays, d'occident en orient, du nord au sud, d'est en ouest, tomberont toujours d'accord, c'est sur celle de soumettre... ou plutôt, d'asseoir leur domination sur les femmes. Et le pire pour moi, c'est peut-être qu'ils trouveront toujours des femmes pour les y aider..., ajouta Claire, d'un air tout à la fois révolté et désabusé.

— Lorsque tu parles comme ça, fit remarquer Clara. On pourrait presque croire que tu détestes les hommes.

— Oh, non ! Loin de là. Je ne les hais pas. Et je ne cherche pas plus à les « émasculer », comme certains le prétendent. Je suis loin d'être une « Ultra ». Je ne l'ai jamais été. De toute façon, le jusqu'au-boutisme, quel qu'il soit, n'est jamais bon.

— Ça, c'est certain ! approuva vivement Clara.

— Non. Ce que je déteste c'est cette vision... D'ailleurs, j'ai bien l'impression qu'elle commence à reprendre de plus en plus d'importance..., dit-elle doucement comme si elle se parlait à elle-même. C'est à se demander si dans ce XXIe siècle, les hommes ne sont pas plus misogynes encore qu'à la fin du siècle dernier...

Sur ce point précis, Clara se souvint qu'elle-même s'était fait cette réflexion près d'un an auparavant concernant quelques clients, et même, certains collègues.

— Enfin ! reprit sa mère. Ce que je déteste, c'est cette vision qui pousse bon nombre d'hommes à croire que s'ils n'exercent pas leur domination sur les femmes, c'est qu'ils ne seraient pas de « vrais hommes ». Mais n'est-ce pas une faiblesse en soi que de croire que l'on ne peut exister que par la domination qu'on exerce sur autrui ? Quel que soit cet autrui, d'ailleurs ! Pour moi, c'est révéler un profond manque d'assurance et de confiance en soi.

— Tu es un peu dure, là ?

— Peut-être, peut-être pas... Mais heureusement, ajouta-t-elle avec un sourire, tous les hommes ne sont pas comme ça. La preuve, j'ai épousé ton père !

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