Trois semaines après avoir quitté l'hôpital, je reprends enfin le chemin du travail. Mise à part une légère cicatrice à l'arcade, je n'ai plus aucunes marques sur mon visage. Mes côtes me tiraillent encore un peu de temps en temps mais elles se rétablissent. Je ne peux toujours pas faire de grosses manipulations avec mon poignet mais il est aussi en bonne voie de guérison. Il ne me reste plus que quelques très légers bleus à droit et à gauche sur le corps. Physiquement, j'ai bien récupéré comme me l'avait indiqué le médecin mais psychologiquement...
Je fais régulièrement des cauchemars. Je suis à nouveau dans cette ruelle, voyant les coups arriver sans pouvoir les éviter. La peur et la douleur resurgissent comme si j'y étais encore.
A chaque fois, je me réveille au moment où je suis à terre sur le point de m'évanouir. Je vois deux de mes agresseurs qui sont éternellement flous, se parler, je vois leurs lèvres bouger mais je n'arrive pas entendre ce qu'ils disent. A chaque fois, je me réveille pile à ce moment avec l'impression que quelque chose d'important m'échappe.
L'enquête ne donne toujours rien et l'inspecteur en charge ne me cache plus son pessimisme sur son évolution.
Thomas insiste pour que je reste encore chez lui pour le moment. Il se comporte comme une mère louve protégeant son petit, d'autant plus depuis le soir où je lui ai raconté mon enfance. Son attention est amusante quand on pense qu'il y a, quoi, trois mois il était sur le point de me casser la figure dans les toilettes du Bronx.
Nous avons, en quelque sorte, pris nos marques et habitudes à vivre ensemble. On s'entend même plutôt bien. J'aime être avec lui et il semble apprécier ma compagnie également.
J'ai souvent eu l'envie folle de l'embrasser, de le caresser voire de le rejoindre dans son lit mais je tiens beaucoup trop à son amitié pour commettre une telle erreur. Il me témoigne de l'affection, une affection amicale, presque paternel parfois. Je m'en contente savourant chaque instant même si par moment j'en ai envie de pleurer.
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Pour un client, je travaille actuellement sur le projet d'une affiche à réaliser concernant un événement qui aura lieu dans quelques mois. J'ai une vague idée de ce que je veux dessiner et comment la présenter mais je recherche des éléments précis à ajouter. J'ouvre ma banque de données sur mon ordi. Quand je sèche, parcourir des images, dessins ou graphiques m'aident généralement à trouver ce qui me manque.
Je fais donc glisser le curseur de la souris pour faire défiler les différentes images. Je fronce des sourcils, j'ai vu quelque chose qui a attiré mon attention. Je remonte lentement le curseur. Je retrouve l'image : une simple étoile en relief. Elle ne correspond absolument pas à ce dont j'ai besoin alors pourquoi elle capte autant mon intérêt ?
Je hausse les épaules et finis par tomber sur une photo qui me donne l'inspiration qu'il me fallait.
A la fin de la journée, Thomas me rejoint à mon bureau et nous rentrons ensemble chez lui. C'est désespérant, un vrai petit couple...si seulement...
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Il fait nuit, il n'y a pas une parcelle de mon corps qui ne me fasse pas souffrir. Les coups s'estompent puis s'arrêtent. Celui qui m'a amené au guet-apens n'est pas dans mon champ de vision, les deux autres en revanche me surplombent. L'un est châtain clair, une coupe en brosse, il doit être un peu plus grand que moi, un cou de taureau. Il doit faire de la muscu car il a des bras et des cuisses de bodybuildeur. Il n'est pas suffisamment tourné vers moi pour que je puisse voir son visage. Le deuxième se tient juste dans le prolongement de son copain. Je ne distingue donc pas son visage non plus. Je ne vois que son bras. Sa manche est relevée et sur son avant-bras, un tatouage est dessiné : une étoile en relief.
Ils se parlent et malgré les bourdonnements qui résonnent dans mes oreilles, je capte la fin de leur conversation :
- Et il a fait quoi pour qu'on le mette dans cet état ?
- Il a fait quelque chose au mauvais gars, faut croire.
Puis le noir.
Je me redresse brusquement dans mon lit, les yeux écarquillés dans la pénombre. Je viens enfin de me rappeler de quelque chose et de quelque chose de sacrément important.
*
Mon excitation est telle que je pénètre en trombe dans la chambre de Thomas en criant :
- Je me souviens, Thomas, je me souviens !
Réveillé en sursaut, il me regarde comme si j'étais un extraterrestre.
- Quoi ? qu'est-ce qu'il y a ? t'as entendu je me souviens de quelque chose. Je m'exclame avec agitation
- Heuuuu ....
Il pointe son ventre. Je suis la direction qu'il m'indique et je réalise alors la position dans laquelle je suis.
Sous le coup de l'euphorie, je me suis en fait jeté sur son lit et je suis à califourchon sur lui, les deux mains posées à plat sur sa poitrine. Je relève la tête le feu aux joues :
- Oh pardon, je... vraiment pardon.
Je saute de son lit couvert de honte. Il se met alors à rire et me dit :
- Fais-moi penser à mettre un verrou sur ma porte, je ne te pensais pas aussi dangereux.
- Pfff, c'est très drôle. On se demande bien qui est dangereux ici.
- quoi, t'as dit quoi ?
- rien, j'ai rien dit.
A présent calmé, je lui raconte mon cauchemar et les souvenirs qui en sont ressortis. Sa mine s'assombrit et je comprends tout d'un coup pourquoi :
- Oh merde, Alexandre, c'est Alexandre qui m'a envoyé ces gars-là. Dis-je dans un souffle.
- J'aurais dû lui aplatir le crâne quand j'en avais l'occasion. Réplique Thomas plus pour lui-même.
- Non, c'est de ma faute, je n'aurais pas dû me défiler et puis j'aurais dû me douter qu'un homme de son genre n'en resterait pas là. Dis-je dépité.
- Tu n'es pas responsable de ses actes, ce n'est pas de ta faute. Mais on doit absolument aller voir la police dès demain matin. On va faire en sorte qu'il soit mis au frais pour un bon moment cet enfoiré. Répond Thomas énervé.
*
Nous sommes incapables de retrouver le sommeil ensuite. A la première heure, nous nous rendons au poste de police afin que les dernières informations soient communiquées à l'inspecteur en charge du dossier. Je croise les doigts pour qu'il nous recontacte vite avec de bonnes nouvelles.
J'offre le petit déjeuner à Thomas dans une brasserie proche du boulot pour le remercier de m'accompagner ainsi. Enfin, officieusement je le fais à cause de mon « enthousiasme débordant» de cette nuit.
Notre collation terminée, nous rejoignons l'immeuble du travail. Il doit y avoir une réunion dans un des étages car plusieurs personnes attendent l'ascenseur. Nous laissons une première vague passée pour prendre le suivant. Il y a un peu moins de monde mais l'ascenseur se remplit tout de même assez vite.
Nous nous retrouvons au fond. Un dernier passager pousse tout le monde. Je suis projeté contre Thomas qui me retient. Donc je résume la situation, je suis contre son torse, il a un bras qui me serre juste sous les épaules, je suis pris en étau avec une personne derrière moi donc je ne peux pas bouger. Merci, merci, merci, au dieu du manga boy's love ou peu importe à qui mais merci !
Je lève la tête vers Thomas et lui fais une grimace pour indiquer que je suis désolé (tu parles). Etre plus collés que cela serait indécent (oh mon dieu). Je crois l'entendre grommeler « ouais, t'a pas l'air si désolé que ça » mais je n'en suis pas sûr du tout.
Il a tourné la tête dans une autre direction. Je rêve ou ses joues se sont légèrement teintées de rouge ?
***
J'espère que les derniers éléments seront suffisant pour remonter jusqu'à Alexandre et le coincer.
Il y a vraiment trop monde dans cet ascenseur et maintenant Gaby se retrouve collé à moi, son expression m'indique qu'il est navré de la situation mais ses grands yeux noisette tiennent un tout autre discours.
J'ai brusquement l'image de cette nuit qui me traverse l'esprit : Il est à califourchon sur moi, ses mains sur mon torse, ses cheveux lui encadrant le visage, ses lèvres se rapprochant...
Attend, c'est quoi ça ? Ça n'a duré qu'une fraction de seconde mais pourquoi diable dans cette vision fugace, son visage se rapproche du mien ?