Le Dernier Vol des Oiseaux de...

By JHaltRoen

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Roxane vit dans un des plus beaux appartements de l'Upper East Side de New York, entourée d'un père aimant et... More

Avant-Propos
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Prologue
Chapitre 1 - Partie I
Chapitre 1 - Partie II
Chapitre 2 - Partie I
Chapitre 2 - Partie II
Chapitre 3 - Partie I
Chapitre 3 - Partie II
Chapitre 4 - Partie I
Chapitre 4 - Partie II
Chapitre 4 - Partie III
Chapitre 5 - Partie I
Chapitre 5 - Partie II
Chapitre 5 - Partie III
Chapitre 6 - Partie I
Chapitre 6 - Partie II
Chapitre 6 - Partie III
Chapitre 7 - Partie I
Chapitre 7 - Partie II
Chapitre 7 - Partie III
Chapitre 8 - Partie I
Chapitre 8 - Partie II
Chapitre 9 - Partie II
Chapitre 9 - Partie III
Chapitre 10 - Partie I
Chapitre 10 - Partie II
Chapitre 10 - Partie III
Chapitre 11 - Partie I
Chapitre 11 - Partie II
Chapitre 12 - Partie I
Chapitre 12 - Partie II
Chapitre 12 - Partie III
Chapitre 13 - Partie I
Chapitre 13 - Partie II
Chapitre 13 - Partie III
Partie Temporaire
Chapitre 14 - Partie I
Chapitre 14 - Partie II
Chapitre 15 - Partie I
Chapitre 15 - Partie II
Chapitre 16 - Partie I
Chapitre 16 - Partie II
Chapitre 17 - Partie I
Chapitre 17 - Partie II
Chapitre 17 - Partie III
Chapitre 18 - Partie I
Chapitre 18 - Partie II
Chapitre 18 - Partie III
Joyeux Noël
Chapitre 19 - Partie I
Chapitre 19 - Partie II
Chapitre 20 - Partie I
Chapitre 20 - Partie II
Chapitre 21 - Partie I
Chapitre 21 - Partie II
Joyeuse Saint-Valentin
Chapitre 22 - Partie I
Chapitre 22 - Partie II
Chapitre 23 - Partie I
Chapitre 23 - Partie II
Chapitre 24 - Partie I
Chapitre 24 - Partie II
Épilogue
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Remerciements
Informations

Chapitre 9 - Partie I

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By JHaltRoen


Roxane


Le tic-tac infernal de l'horloge murale résonne inlassablement dans ma tête. Assise dans l'une des nombreuses petites salles de cours du Dodge Hall, je laisse mon regard se perdre dans le vide en direction de l'œuvre projetée sur le mur blanc, en face de moi. Jordan, installé à la table presque attenante à la mienne, fait nerveusement tourner son stylo entre ses doigts, la tête appuyée dans sa main gauche et les yeux rivés sur la feuille de note posée sur son bureau. Le reste de la classe est silencieux, chacun préparant avidement l'analyse la plus décousue possible de ce chef-d'œuvre incompris.

Moi, je suis incapable d'écrire quoi que ce soit. Aucun mot ne peut décrire ce que cette peinture m'inspire. Chaque courbe tracée par l'artiste, chaque ligne, chaque mélange subtil de couleur m'obsède, me fascine, me dérange, pour des raisons que je ne connais que trop bien.

— Bien. Vous avez eu assez de temps pour rédiger vos notes. Qui veut commencer ?

Notre professeur se lève de son fauteuil et s'avance vers nous avec lenteur. Je jette un rapide coup d'œil autour de moi ; le nombre de volontaires présents dans cette salle est totalement illusoire. Chacun tourne la tête vers l'autre, s'encourageant mutuellement à se désigner, mais rien n'y fait. Jordan tapote fébrilement son stylo contre ses doigts et je reste muette, prostrée sur ma chaise, la tête basse. Je n'ai jamais aimé parler en public. Encore moins quand il s'agit de présenter cette œuvre-là.

— Mademoiselle Preston. Je ne vous ai pas entendu depuis si longtemps que j'en ai presque oublié le son de votre voix. Je vous en prie.

Évidemment. Je roule discrètement des yeux tout en laissant lourdement tomber mon bras sur la table. Je sens les regards pesants d'Eddy et Joanna dans mon dos. Il faut dire que depuis quelques semaines, se moquer de moi et m'humilier en public est devenu un de leur passe-temps favori. Mon professeur m'encourage d'un signe de la main. Je m'éclaircis la voix, en même temps que des petits gloussements sournois retentissent dans mon dos. Bien réels cette fois. Jordan me lance un timide regard de biais et agite la tête en signe d'encouragement. Je baisse les yeux sur ma feuille vierge, puis les relève vers la projection sur le mur, en balbutiant :

— Bon. Très bien.

Mon professeur m'incite à me lever, mais j'ignore sa requête. S'il me faut en plus faire face aux regards de l'assistance, je ne tiendrais pas plus de cinq minutes.

— Edvard Munch est un peintre expressionniste norvégien. Il a créé ce tableau en 1893 et il en existe cinq versions différentes. Elles s'intègrent toutes dans sa « Frise de la Vie » qu'il a terminée en 1910.

Mes mains commencent à trembler, je les entrelace nerveusement.

— Celle-ci, c'est la première. Elle a été réalisée grâce à la technique de la tempera sur carton. « Le Cri » est une œuvre majeure de Munch et une des toiles les plus connues au monde...

Je n'ai aucune envie de rentrer dans les détails, mais le regard insistant de mon professeur et le poids de ceux de l'assistance m'obligent à développer mon argumentaire. Je prends alors une grande inspiration et dissimule discrètement mes mains sous le bureau.

— Munch était un homme profondément torturé. Il a perdu sa mère et sa sœur quand il était enfant. C'est de là que lui est venu son goût prononcé pour les représentations morbides, pour la solitude et la psychologie humaine dans ses plus sombres recoins...

Je griffe nerveusement le dos de ma main droite.

— La plupart de ses œuvres ont été inspirées par les pensées sur le pessimisme de Nietzsche ou Schopenhauer. Je crois que Munch tentait d'extérioriser ses traumatismes du passé à travers la peinture. Il crachait sur ses toiles toutes ses angoisses, toutes ses peurs, tout son désespoir, tout son mal-être...

Un nouvel éclat de rire dans mon dos me fait enfoncer un peu plus mes ongles dans la chair de ma main. Le professeur fronce les sourcils, puis m'incite à poursuivre.

— L'expressionnisme... C'était un courant artistique dans lequel les peintres montraient les angoisses, les tortures de l'âme humaine et les tréfonds des troubles psychologiques. Il y avait une fascination de la mort, une exposition des émotions les plus sombres... Ici, les formes qui sont dessinées sont déformées, inquiétantes. C'est tout ce qui définit un tableau de ce mouvement.

— Le prof avait raison, il n'y a vraiment que toi pour parler de ce tableau. Pauvre timbrée.

— Edward Harrison ! Encore une remarque de ce genre et vous prenez la porte. Et je vous prie d'arrêter de rire et d'être attentif à l'analyse de mademoiselle Preston, cela ne peut que vous faire le plus grand bien !

Je ferme lentement les yeux, concentrée sur les lourds battements de mon cœur dans ma poitrine. Eddy a raison. Qui de mieux qu'une âme torturée pour comprendre une autre âme torturée ? Je ressens mieux que quiconque la détresse qui émane de cette peinture. J'ai la même au fond de moi. Le dos de ma main est maintenant plus rouge que les pétales d'une rose.

— Au premier abord et selon la description initiale du tableau, Munch a dépeint ici un cri de la nature qui terroriserait le personnage au premier plan. Mais pour moi... Ce tableau a un sens beaucoup plus profond que celui-là.

— C'est-à-dire mademoiselle Preston ?

— C'est-à-dire qu'elle est barge et puis c'est tout. Elle voit des trucs qui n'existent pas, ça ne change pas de d'habitude !

— Joanna Garvey ! Mais qu'est-ce qui vous prend enfin ? Vous et monsieur Harrison viendrez me voir à la fin du cours.

Je dévie mon regard sur le dos de ma main. Une fine goutte de sang se forme à la surface de ma peau presque arrachée. Je la contemple tandis qu'elle prend de l'ampleur, puis roule lentement vers ma paume. Je déglutis, retenant le long sanglot qui m'obstrue maintenant la gorge. Jordan se retourne vers Eddy et Joanna qui continuent de pouffer de rire derrière nous, bien au-dessus des menaces proférées par notre professeur quelques secondes plus tôt. Mon ami les fusille de ses iris marron, les sommant vainement de se taire.

— Reprenez mademoiselle Preston, s'il vous plaît.

Je sens des larmes amères poindre à mes yeux tandis que les regards insistants de toute la classe pèsent un peu plus sur mes épaules. Je ferme les paupières. À cet instant précis, je voudrais disparaître sous terre. Je voudrais être invisible à leur pupilles cruelles. Je voudrais être sourde à leurs rires acides et facétieux. Je voudrais ne plus ressentir le poids de la honte qui m'oppresse et m'accable.

Je voudrais ne plus exister. Mais lorsque je rouvre les paupières, la projection du tableau en face de moi me renvoie inlassablement le même désespoir qui habitait son artiste. Résignée, je reprends alors la suite de mon analyse d'une voix mal assurée :

— Ce personnage au premier plan, Munch l'a dépeint difforme, avec les yeux vides de toute émotion. Même son corps semble désarticulé. Pour moi, ce n'est pas un être humain. C'est une représentation du tourment, de l'effroi... de la folie.

Je lève les yeux vers mon professeur qui me scrute avec beaucoup d'intérêt. Je poursuis :

— Lorsque Munch a expliqué sa source d'inspiration pour cette œuvre, il a décrit avoir vu un ciel de sang et entendu un hurlement de la nature qui l'aurait comme traversé lors d'une balade avec des amis. Alors oui, beaucoup ont essayé d'apporter une réponse rationnelle à cette vision. Mais moi je... je suis sûre que Munch a peint cette œuvre après avoir vécu ce qui semble être une hallucination auditive et visuelle. Il a peint sa propre torture. Et ces personnes qui s'éloignent vers le point de fuite à gauche... Ils l'abandonnent à son triste sort parce qu'ils n'arrivent pas à le comprendre, personne ne peut comprendre. Ce tableau, c'est la solitude. Celle-là même qu'il a toujours voulu exprimer...

Une larme roule sur ma joue, ma mâchoire tremble. Un silence de mort règne à présent dans la salle. La goutte de sang qui glisse maintenant jusqu'au creux de ma main laisse apparaître une délicate traînée rouge derrière elle, semblable à la ligne tracée par Munch dans le ciel pourpre de son œuvre. Mes larmes s'écraser sur mon jean, sans un bruit. Soudain, les éclats de rire de Joanna et Eddy rompent le calme religieux qui régnait dans la classe, me sortant brusquement de ma profonde mélancolie :

— Voilà ! On avait raison, la Baronne Preston est complètement timbrée !

D'autres gloussements se propagent alors dans la salle. Les battements de mon cœur s'accélèrent quand mes yeux croisent le regard désolé de Jordan et je me décompose en réalisant que la plupart des autres élèves rient maintenant aux éclats. Le professeur tente de calmer la situation, sans succès. Le temps se fige. Il n'y a bientôt plus que moi, cernée par ces odieuses moqueries rythmées par la cadence presque militaire de l'horloge murale. Le bourdonnement incessant dans mes oreilles et les vertiges rejoignent la scène du spectacle sordide qui se joue dans mon esprit. Jordan se tourne vers moi, l'air visiblement très inquiet. J'essuie mon front couvert de sueur, de violentes nausées secouent mon estomac qui tente tant bien que mal de se contenir. Les éclats de rire s'amplifient sans que je sache plus s'ils sont toujours réels ou accentués par mes démons. Jordan tend la main vers moi en articulant mon nom, mais je ne l'entends plus. Je n'entends plus rien. Plus rien du tout.

Voilà donc ma vie. Une vie déjà toute tracée, sans l'ombre d'un écart. Dictée par des règles sociétales toutes plus absurdes les unes que les autres, et martelée par les moqueries incessantes de pauvres ignorants terrorisés par la différence. Une vie à moitié ancrée dans le monde réel et dans des limbes infinis dépourvus de tout espoir de guérison. Une vie de souffrance perpétuelle et de solitude, sans jamais personne pour comprendre ce que je ressens. Une vie sans bonheur, plongée dans l'obscurité constante. Une vie qui ne vaut pas la peine d'être vécue.

Mon regard croise le personnage fantomatique de Munch et je ferme les yeux de toutes mes forces pour contenir le hurlement de désespoir qui monte en moi sans que je puisse vraiment l'en empêcher. Brusquement et sans que je ne m'en aperçoive, mes jambes s'actionnent mécaniquement et me propulsent jusqu'à la porte de la salle de classe. Jordan — qui s'est levé précipitamment — n'a pas le temps de m'intercepter. Assez. C'en est assez. Je ne parviens plus à contenir mes émotions. J'explose en sanglots en enfonçant la porte de toutes mes forces, sourde aux appels affligés de Jordan dans mon dos.

Assez. C'en est bien assez.


NDA : Le Cri — Edvard Munch (1893) Analyse en partie fictive.

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