Insensible (terminée)

By une_artistee

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« Son âme était scellée, son coeur frigorifié » « Sans coeur » voici le surnom que les lycéens s'amusent à do... More

Prologue.
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14.
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20.
Chapitre 21.
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36 Partie 1
Chapitre 36 Partie 2
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Message de fin

Epilogue

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By une_artistee

Stacy

3 mois plus tard

- Tout le monde mérite qu'une personne lui vienne en aide, et tout le monde mérite qu'une personne se batte encore plus que les autres pour le sauver, ce sont donc ces paroles que ton ami t'as dites et qui t'ont encouragé à ne pas baisser les bras avec Ethan ? Me demande ma psychologue.

Je hoche la tête affirmativement, mes lèvres s'étirent naturellement à l'entente de son nom.

- Oui, lorsque Josh m'a dit ça dans les couloirs, j'ai eu une sorte de déclic. Vous voyez, c'était un peu comme une évidence...Je voulais...Je devais être cette personne.

- Et comment te sens-tu, maintenant que tu as réussi?

Je penche la tête sur le côté, et plisse les yeux pour réfléchir sérieusement à la question.

- Je ne sais même pas s'il y a des mots pour exprimer ce genre de choses...Pour la première fois de ma vie j'ai l'impression d'avoir tout fait comme il fallait, de ne rien avoir gâché. J'ai écouté cette voix interne qui me ramenait toujours à lui, en faisant abstraction de mes peurs paralysantes. Alors...

Mme Klark note quelque chose sur son cahier de brouillon, puis me regarde fixement derrière ses lunettes d'écailles, durant ce qui pourrait ressembler à une éternité.

- Alors tu es heureuse, c'est ça ? Tu as le droit de le dire tu sais.

Heureuse. Les évènements que j'ai vécus ces dernières années m'ont tellement anéanti, et fait croire que j'aspirais à une destinée continuellement tragique, que ce mot à disparu de mon vocabulaire. Jamais je n'aurais cru remonter la pente, pourtant aujourd'hui je l'ai fait et ça me paraît presque trop beau pour être réel.

- Je le suis comme je ne l'ai jamais été auparavant, souris-je. C'est juste que ce bonheur est arrivé si vite, j'ai peur qu'il reparte d'une seconde à l'autre.

La femme en face de moi, referme son cahier et le pose sur le bureau qui nous sépare. Son regard examinateur ne me quitte pas, il m'inspecte à la recherche d'un indice révélateur de ce que ma bouche ne s'autorise pas à dire. Je me sens nue soudain, si nue que je suis obligée de m'assurer que ma robe printanière ne s'est pas volatilisée, en même temps que mon assurance.

- Je pense que tu réfléchis trop Stacy, conclut-elle. Tu m'as confié tout à l'heure que la relation avec ton beau-père s'était améliorée, que tu te sentais enfin à l'aise dans ton groupe d'amis, et que tu avais trouvé le garçon qui te complétais. Tout est positif dans cette énumération, et il est temps que tu t'en rendes compte.

Elle a raison, et je m'en veux de penser de cette manière mais c'est plus fort que moi. Tout est positif, c'est vrai et pourtant....Une date que j'ai tentée de fuir et d'oublier s'apprête à refaire surface. Une date qui j'en suis certaine ramènera avec elle les vieux démons et douleurs du passé dont j'aimerai me défaire. Evidemment je ne peux pas lui en parler, ça remettrait trop de choses sur le terrain. Des choses que je n'ai confiées qu'à Ethan.

Je reporte mon attention sur les différents diplômes accrochés au mur derrière elle, afin de fuir ses yeux noirs, et tombe sur une citation encadrée que je ne me rappelle pas avoir vue aux séances précédentes.

La vie est un livre, dont les pages abîmées ne devraient pas ternir ta lecture.

Mes lèvres s'étirent inconsciemment, si seulement cette philosophie pouvait s'appliquer à mon quotidien...Mme Klark qui a remarqué mon petit rictus se tourne et lève le visage à la recherche de ce qui me fait sourire.

- Je l'ai accrochée il n'y a pas longtemps, lance-t-elle amusée. C'est une phrase qui m'a aidée, et qui aide beaucoup de mes patients à aller de l'avant. Tu peux la garder en tête si tu veux, mais je ne pense pas que ce soit nécessaire, ça ne l'est plus du moins.

J'arque un sourcil, pourquoi est ce qu'elle dit ça ?

- Stacy, j'aimerais que tu regardes tes mains et tes jambes s'il te plaît.

Sa voix interrompt mes pensées. Je lui obéis et n'essaie même pas de cacher l'incompréhension qui m'anime. Ca n'a aucun sens ? Mes bras sont reposés sur chacun des accoudoirs en bois de ma chaise, laissant mes mains pendouiller dans le vide, tandis que mes jambes nues sont simplement croisées devant moi.

- Je suis censée comprendre quelque chose ? Je demande, perplexe.

Ma psychologue récupère le cahier posé sur son bureau et lis a voix haute les notes qu'elle a écrites lors de mes premières séances :

- La patiente joue nerveusement avec ses doigts, il s'agit sans doute d'un tic relevant d'un manque de confiance en elle. Presque aucun contact visuel, ses yeux ne quittent pas ses baskets, la patiente est mal à l'aise et aimerait s'en aller. Ses jambes sont fermement enroulées autour des pieds de sa chaise, elle a besoin d'être rassurée, envie inconsciente d'un soutien. Paternel? Cette attitude fait allusion au combat intérieur de la patiente.

Une petite larme vient perler au coin de mon œil droit, synonyme de joie, avais-je lu un jour dans un magazine. Et j'y crois, puisqu'à présent je comprends que ces mimiques qui me collaient à la peau, se sont détachées de moi sans que je m'en aperçoive. Serait-ce synonyme d'un rétablissement ? Se pourrait-il que les liens qui m'unissait à l'ancienne Stacy harcelée et mal dans sa peau, se rompent peu à peu?

- Qu'est ce que ça veut dire....

Ma voix tremblote légèrement, la sienne au contraire est pleine d'entrain lorsqu'elle m'annonce fière:

- Qu'en suivant le guide qu'est notre cœur, on arrive à la destination qu'est notre soi.

...

Le mois de décembre est loin derrière nous, puisque trois mois se sont écoulés depuis le bal de fin d'année. La saison hivernale a laissé place à la douceur et renouveau du printemps, qui s'installe petit à petit en revêtant les arbres de floraisons. Aujourd'hui, pour l'une des rares fois il ne pleut pas à Seattle. C'est d'ailleurs grâce à ce beau temps que j'ai pu délaisser ma doudoune pour une veste légère, et que je m'autorise à baisser ma vitre pour recevoir un peu de fraîcheur dans l'habitacle.

Maman est venue me chercher dans sa petite voiture bleue, et me parle des derniers préparatifs de son mariage avec Mr. Parker, prévu pour dans quelque jours. Un sujet de conversation qui m'avait fait fuir autrefois, mais que j'ai fini par accepter au point de demander à Ethan s'il voulait bien m'y accompagner. Il avait souri, puis m'avait passé une main dans le dos en hochant frénétiquement la tête positivement. Le bras reposé sur la portière, et le regard rivé sur le paysage défilant et reprenant de sa couleur, je me remémore la première fois que j'ai emprunté ce chemin en sortant de ma séance chez ma nouvelle psy. J'étais si énervée d'atterrir dans cette ville fastidieuse, en parfaite opposition à ce que j'avais toujours connu en Floride, que je n'avais qu'une envie; enfiler ma capuche et hiberner sans être dérangée.

Puis, il était sorti de nulle part et avait traversé cette route les mains dans les poches de sa veste en jean. Maman avait dû freiner à toute vitesse et avait mis une bonne minute pour reprendre ses esprits, consciente que le manque de luminosité avait failli provoquer un accident. Quant à moi, je lui faisais de grands signes, révoltée qu'il n'ait pas daigné regarder à sa droite avant d'avancer. On ne se connaissait même pas, que ce Gibson me faisait déjà sortir de mes gonds...

Je n'aime pas la sensation de nostalgie que me font ressentir ces retours en arrières, mais ils m'apaisent la conscience et c'est le principal. Ces souvenirs me rendent heureuse et me font me sentir plus légère, au point que j'en oublie presque la menace planant au dessus de ma tête. Malheureusement ce n'est que de courte durée, après avoir dîné et fait comme si tout allait bien, une fois étalée sur mon lit avec Jane Austen entre les mains, dès que les douze coups de minuit sonnent...Alors plus rien ne va.

Je suis replongée quatre ans en arrière, ce fameux 15 mars. Le jour de mon anniversaire, de sa mort aussi... Engloutie dans ce tourbillon noir qui s'étend de plus en plus, je ne peux plus m'échapper. Je suis prisonnière dans cette cage, les mains ligotées des chaînes du passé, survolant ce drame encore et encore, spectatrice de ces scènes que je suis dans l'incapacité de changer, à jamais bloquée dans un temps dont j'aimerais enfin m'évader. Maman, cuisine, gâteau, téléphone, papa, camion, accident, mort. mort. mort.

La sonnerie de mon téléphone, me ramène confusément à la réalité. Je déverrouille mon écran et tombe sur un amas de messages accompagnés d'emojis, de la part de mes amis. Je tente vainement un sourire, et passe une main sur mon visage humide de larmes, avant de constater une messagerie de la part d'Ethan. La partie obscure de ma vie m'a tirée si loin, que je ne l'ai même pas entendu m'appeler...

- ...Je sais ce que tu es en train de traverser, tu as redouté ce jour mais il est tout de même arrivé, et tu vas t'en sortir. N'hésite pas à m'appeler si tu ne vas pas bien, ou si tu as simplement envie de discuter. Je suis là, je te soutiens et je t'aime. Bon anniversaire Stacy.

Je me recroqueville sur moi-même, mon portable tout près de ma poitrine et me laisse bercer par sa voix délicate et rassurante, jusqu'à une mini hibernation écourtée par les coups retentissant derrière ma porte. Je ne prends pas la peine de me redresser et me contente d'un « Entrez », d'une voix chagrinée. A peine ai-je relevé le visage que je reconnais son peignoir caramel et la chevelure rousse dont j'ai hérité.

- Chérie qu'est ce qui ne va pas...

La voix tendre de ma mère a le mérite d'apaiser un petit peu ma douleur grandissante en plein cœur. Rien ne va maman...

- Tu le sais très bien, articulé-je en luttant pour que mes mots ne se laissent pas submerger par ma peine.

Elle ne répond rien, et soupire simplement. Son corps vient se blottir à côté du mien tandis que ses mains rassurantes viennent caresser mon épaule. Il ne m'en fallait pas plus pour que je craque, et m'effondre dans ses bras.

-C'est moi maman, pleuré-je. C'est moi qui lui ai fait baisser sa...sa garde ce soir là...Je n'aurais jamais dû lui parler si longtemps alors qu'il conduisait...C'est moi maman, tout est de ma faute...

Je me livre enfin sur ce qui me hante depuis toujours, et sur ce qui m'empêche d'avancer. Je lui fais enfin part de ce que je me reproche tant et qu'aucune psychologue n'a réussi à me faire révéler. Car j'en ai besoin, car c'est trop dur de tout garder pour soi, et tant pis si ma mère m'en veut et me déteste. Elle saura enfin toute la vérité.

- Chhh, calme-toi mon cœur...

- Non tu ne comprends pas maman, crié-je la gorge nouée en me redressant. Je n'arrive pas à avancer à cause de cet accident, parce que je suis convaincue que j'y suis pour quelque chose...Pourquoi la vie enlève les gens qu'on aime comme ça maman...Pourquoi...

Elle passe une main dans mes cheveux en m'attirant contre sa poitrine réconfortante, et me berce comme lorsque j'étais enfant.

- Mon trésor pour moi aussi c'est dur de me lever chaque jour en me remémorant le sourire et la joie de vivre de ton père, mais il faut continuer de respirer et de se battre pour profiter de cette chance qu'on a et que certains n'ont plus. La vie est le plus beau des cadeaux Stacy, et ton père ne voudrait pas que tu le refuses. Tu n'as pas pu lui dire au revoir, me dit-elle la voix vacillante, moi non plus, et ses parents non plus...Mais tu peux dire au revoir pour de bon à cette culpabilité qui t'habite. Parce que tu n'es pas la fautive, rien de ce que tu n'as fait ou dit ne l'a tué. C'est ce chauffeur ivre dans ce camion qui l'a tué, rien que lui.

Je hoche la tête et arrive à me persuader durant un court instant, que c'est la vérité. Et alors soudain cette culpabilité se transforme en haine intense, contre cet homme que je ne connais pas mais qui m'a enlevé mon père. Et puis de cette haine naît encore une profonde tristesse, qui me rappelle que je suis impuissante et que haïr quelqu'un ne m'aidera en rien. C'est fini il faut que je l'accepte, une bonne fois pour toute.

La fatigue mêlée à la tristesse me plonge dans un profond sommeil et je prie intérieurement pour qu'il me maintienne jusqu'au lendemain de mon anniversaire.

...

Evidemment tout n'est pas aussi simple, et mes espoirs d'enjamber cette journée inévitable, retombent rapidement, devant la lumière du jour qui filtre par mes volets et qui vient directement taper sur mes épaules nues comme pour me rappeler que si je refuse de me lever, le soleil lui continue sa routine matinale.

C'est mon dix-huitième anniversaire, ce qui en soit devrait m'emplir d'une joie immense puisque je suis officiellement majeure. N'importe qui sauterait sur son lit, en se déhanchant sur du Beyoncé ou du One direction durant le reste de son samedi après midi, avec quelques amies qui lui auraient préparé une fête surprise. Je suis sûre que cette personne, profiterait de cette sensation d'invincibilité pour crier haut et fort que plus personne ne peut lui donner d'ordre. Ce n'est pas le cas pour moi. Et j'ai bien peur que le jour de mon anniversaire qui est censé être l'un des plus beaux de l'année, ne soit à jamais qu'une date que je m'efforcerai d'effacer de tous mes futurs calendriers.

Elle agit sur moi telle une alarme annuelle, qui s'enclenche dans le but de me rappeler que c'est aujourd'hui que son cœur s'est arrêté de battre.

La vie est un livre, dont les pages abîmées ne devraient pas ternir ta lecture.

La citation de Mme Klark me revient en tête. J'ouvre les volets pour observer le ciel pâle illuminé de son étoile, l'Etat de Washington. Ma psychologue a beau penser que je suis rétablie, j'ai du mal à y croire, si je l'étais vraiment j'arriverais à profiter pleinement de cette journée n'est ce pas? Ou alors peut-être qu'il faut que j'accepte que ces pages abîmées font partie de ma vie, et que tenter d'en faire abstraction ne fera que m'y faire penser encore plus. Peut-être que c'est seulement comme ça que j'arriverai à lire mon livre avec apaisement.

- Stacy ? Fait une petite voix derrière la porte de ma chambre.

Ma petite sœur s'avance doucement craignant de m'effrayer, et escalade mon lit dans sa robe couleur olive. Je la regarde en haussant un sourcil, ce qui la fait rire.

- Papa et maman ont préparé un déjeuner trop bon, et y a une surprise pour toi.

Je me laisse tomber sur le lit à côté de son petit gabarit, et regarde ses yeux vairons qu'elle a pour la deuxième fois décidé de maquiller de paillettes.

- Tu n'avais pas dit que tu arrêterais avec le maquillage?

Elle fait la moue et bat des cils, elle est si mignonne que je ne peux m'empêcher de la gâter de guilis. Son rire résonne si fort, qu'il fait dévier un peu de mes tourments.

- C'est Noah qui me préférait sans, mais lui et moi c'est fini alors...Je fais ce que je veux maintenant !

- Quoi! M'exclamai-je théâtralement, tu veux dire que vous vous êtes séparés!

Elle hoche la tête fière devant mon visage ahuri, ils allaient bien tous les deux...Je me rappelle de ce Noah comme d'un parfait gentleman, je me demande bien ce qui a pu se passer pour qu'ils ne soient plus ensemble. N'oublions pas qu'ils n'ont que huit ans tout de même.

- Oui, il n'arrête pas de se battre avec d'autres garçons...Et je n'aime pas quand il est méchant.

Je souris et joue avec sa longue tresse brune. A ce que je vois Dani s'est faite belle pour mon anniversaire, et il serait sans doute temps que je fasse de même. Puisque ces vingt quatre heures sont inéluctables, autant aller prendre une douche pour les affronter commodément.

- Ce n'est pas parce qu'il se bat que c'est forcément un méchant garçon, peut être que ce n'est qu'une manière pour lui de se défendre...Ou peut être qu'il cherche à t'impressionner, qu'est ce que tu en sais hein ?

Daniella roule des yeux, tandis que je rejoins la salle de bain pour me préparer et me donner un aspect plus...Jovial ? Certainement, si j'en crois la quantité de blush rose que je m'applique sur les joues, et l'anti cernes présumé cacher la nuit remplie de cauchemars effroyables que je viens de passer. Je relève mes cheveux roux bouclés en une haute queue de cheval, et fais l'effort d'enfiler la robe en jean violette que je n'ai mise qu'une fois l'an dernier à la soirée du nouvel an chez mes grands parents.

Je rejoins l'étage du dessous dans mes grosses pantoufles, et ne suis pas étonnée d'apercevoir maman et son compagnon dans la cuisine, un café à la main comme chaque matin. S'il y a bien une chose qui diffère du quotidien, c'est ce festin sur la table qui mélange le salé d'œufs au bacon et le sucré de cheescakes que j'aurais pu trouver appétissants dans d'autres circonstances.

Je comprends bien vite que ce déjeuner a été préparé en mon honneur, le tablier sali que porte Mr. Parker et qui étonnement n'enlève rien à sa classe, me laisse même penser qu'il a mis la main aux fourneaux pour me faire plaisir. A peine les ai-je rejoints, que je sens déjà le regard ahuri de maman me reluquer comme une créature étrange, qui pour la première fois depuis quatre ans sort de sa chambre le jour de son anniversaire. Immédiatement je repense à ce que j'ai livré à maman hier soir, et aussitôt je réalise qu'un poids s'est délesté de mes épaules. Je crois que j'avais besoin qu'elle me confirme que je n'y suis pour rien dans cette histoire, j'avais besoin d'elle et de personne d'autre.

Elle sourit derrière sa tasse, avant de donner un coup de coude qui se veut discret mais qui ne l'est pas du tout à mon beau père, pour qu'il remarque le phénomène étrange et exclusif qui se produit derrière son dos. Ce sont désormais quatre orbites qui sont rivées sur moi, quatre orbites animées de joie et de surprise, de fierté et d'espoir.

        -  Tu...heu..., bégaie la femme en face de moi.

        -  Nous t'avons préparé un déjeuner spécial...anniversaire...Enchaîne mon beau père en tressaillant devant ce mot, craignant d'appuyer sur quelque chose de douloureux.

Je hoche la tête et leur souris sincèrement. C'est en regardant ces deux adultes côte à côte que je réalise la chance que j'ai de les avoir dans ma vie. Toutes les familles effondrées dans le passé, n'ont pas la chance de pouvoir profiter d'une nouvelle structure stable, leur permettant sécurité et équilibre. Lorsque papa est mort, tous nos fondements se sont effondrés. Aveuglée par la cendrée, étouffée par les débris, je n'ai même pas réalisé qu'un nouveau pilier était bâti devant moi. Il n'aurait peut être pas le même aspect que le précédent, ni les même composants, mais une chose est certaine; il allait nous maintenir en vie.

Et ça j'étais incapable de le comprendre avant.

- Merci, soupiré-je.

Mr. Parker passe une main autour des épaules de maman, et me fait signe de me joindre au câlin familial. Je roule des yeux comme j'en ai l'habitude et m'enferme dans ce cocon confortable, que je ne quitte que lorsque ma petite sœur me ramène à l'ordre, en criant du salon.

- Stacy, tu dois ouvrir ton cadeau !

Un cadeau, la surprise dont elle me parlait tout à l'heure ? J'espère vraiment que maman et Matthew sont restés raisonnables, pour mes dix huit ans.

Je suis Daniella qui me conduit, toute excitée verte la large boîte en carton à l'entrée. Je l'attrape et le secoue pour tenter de discerner de quoi il s'agit, et me tourne en direction de mes parents, qui évidemment donnent l'impression de ne rien savoir.

- Il est arrivé hier soir, je t'assure qu'il n'est pas de nous. Explique maman, les nôtres sont encore dans le garage.

Si ce n'est pas d'eux...Alors de qui ? Peu de gens connaissent la date de mon anniversaire, et je ne vois pas qui m'offrirait un truc aussi...gros!

Je ne perds pas de temps et déchire l'emballage doré qui l'enveloppe, avant de sortir de son étui la grande représentation. Je porte immédiatement une main à ma bouche en découvrant une toile luisante et passionnée. C'est moi, ici sur ce tableau, c'est mon visage que j'ai longtemps voulu cacher et qui est mis en avant par le biais d'un magnifique portrait. Ma peau est immaculée, rosée à certains endroits, et en parfaite opposition avec l'obscurité du ciel derrière moi. Ma chevelure rousse indisciplinée git sur ma tête telle la crinière d'une lionne indomptable que le souffle du vent ferait danser. Les tâches de rousseurs que j'ai longtemps haïes sont mises en valeurs par une multitude de pointillés qui les relient entre elles, comme de belles constellations. Mes yeux sont tirés vers les extrémités telles deux amandes dont l'intérieur serait comblé par deux billes d'un vert si intense, que j'arrive en me concentrant à repérer tous les pigments qui ont été nécessaires pour reproduire cette couleur. Il y a même un éclat doré à l'intérieur, une lueur comme le reflet de l'embrassement d'une flamme.

Je n'ai pas besoin de tourner l'œuvre pour savoir de qui il s'agit, il n'y a qu'un artiste capable de dépeindre avec ses mains, ce que l'on pense avec son cœur. Sa signature figure en bas de la peinture, un simple Gibson écrit en italique et terminé d'une longue boucle rappelant le signe d'infini. Une petite date est écrite à l'envers, afin que je sois peut être la seule à la voir et la comprendre. Et je la comprends, puisque c'est cette nuit là que nous n'avions plus aucun secret l'un pour l'autre. Que nos deux mondes n'en formaient qu'un.

- Alors ? Demande, intéressé mon beau père de la cuisine.

Je me relève, la toile blottie contre ma poitrine, et réponds en contrôlant ma voix, pour ne pas paraître trop émotive.

        -  Un simple collègue de travail...

        -  Ce même collègue de travail, qui te raccompagnait chaque soir en rentrant de la
boutique de Mr. Elthon ? Rigole ma mère.

Les deux futur mariés se lancent un regard amusé, et je comprends que Mr. Parker a désobéi à notre petit secret en disant la vérité à maman, à moins que se soit elle même qui nous ait surpris rentrant ensemble. C'est vrai que nous ne sommes pas très discrets, surtout ces derniers mois. Nos ballades s'étendent de plus en plus, et nos lèvres sont plus longues à se détacher, depuis que j'ai été officiellement engagée dans la boutique de Mr. Elthon.

- Allez fais nous voir ce beau cadeau, continue-t-elle en posant son café.

Je leur offre le tableau et rougit automatiquement lorsque je prends conscience que c'est moi qui suis au centre de ce tableau. Quelqu'un sur cette terre a jugé bon de retranscrire chaque parcelle de mon visage, quelqu'un a pris le temps de faire fusionner les couleurs pour me rendre réelle, quelqu'un a réellement eu envie de peindre un tableau à mon effigie ! Mon dieu c'est beaucoup trop beau.

- Et bien...Commence Matthew en détaillant la peinture. Ethan est un garçon très talentueux !

A cet instant j'avais envie de lui dire que ce garçon était bien plus que talentueux. Ethan Gibson était un façonnier du rêve et de la réalité, un rêveur qui s'était interdit d'espérer, un magicien qui de son regard atlantique pouvait vous transpercer l'âme, et d'une parole poétique vous l'a raviver. Il était fascinant et inoubliable.

- Je suis chargé d'organiser l'exposition du musée d'Art de Seattle, et j'aimerais vraiment que sa toile y soit mise en valeur, lance l'homme sérieusement. J'ai rarement vu, un coup de pinceau aussi... vivant.

- Quoi ! Tu veux dire que des gens du monde entier pourront voir ce qu'il...

Je suis si enjouée et heureuse que je n'arrive même pas à terminer ma phrase. Heureusement Mr. Parker enchaîne avec un petit sourire espiègle.

- Je veux dire que ce n'est que le début pour ce jeune homme.

Le début d'une carrière d'artiste somptueuse, dans laquelle il se dévouerait tout entier, afin de divulguer l'espoir et l'amour qu'il croyait morts à jamais.

Fin

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