Le garçon dans le noir ( S&T)...

By Rajasvir

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[MxM] S&T tome 1 Dans la vie tout est question de temps. S aime prendre le temps de parler. T préfère prendre... More

Avant propos
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 3 (suite)
Chapitre 4
Chapitre 4 (suite)
Chapitre 5
Chapitre 6 (suite)
Chapitre 7
Chapitre 7 (suite)
Chapitre 8
Chapitre 8 (suite)
Chapitre 9
Chapitre 9 (suite)
Chapitre 10
Chapitre 10 (suite)
Chapitre 11
chapitre 11(suite)
chapitre 11(suite 2)
Chapitre 11 (suite 3)
Chapitre 11 (fin)
Chapitre 12
Chapitre 12 (suite)

Chapitre 6

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By Rajasvir

— Amuse-toi bien chéri, lança Loretta depuis le siège conducteur. Et pas trop d'alcool !

— M'man... Je ne bois pas...

— Oui. J'imagine que c'est ce que tous les adolescents disent à leur mère. J'ai été jeune avant vous.

Loretta lâcha un petit rire en voyant Travis secouer la tête puis lever les yeux au ciel.

— Eh ! Appelle-moi pour rentrer. Même s'il est quatre heures du matin, d'accord ? Et préviens-moi si tu restes dormir aussi.

Il acquiesça, juste avant que Loretta ne lève la main, paume à plat dans sa direction.

— Parole ?

Penché par la fenêtre ouverte du côté passager, Travis retint un rire.

— Maman... Les parents ne font pas ça.

— Tu as seize ans, et j'espère pour toi que tu n'es pas déjà père sinon tu vas entendre parler du pays. Ce qui fait que je suis la seule apte à juger de ce qu'un parent peut faire ou pas, d'accord bonhomme ? Parole ?

Sa main restait tendue si bien qu'il finit par céder.

— Parole !

Il tapa dedans. En réalité, il aimait cette proximité avec elle. Bien qu'ayant parfois l'impression que Loretta ne couperait jamais tout à fait le cordon, d'autres fois il se rappelait que personne au monde ne l'aimerait jamais plus qu'elle.

— Je t'aime, chéri. Bonne soirée.

— Moi aussi. Salut m'man !

Planté sur le trottoir, il observa la voiture s'éloigner trop vite à son goût.

Et maintenant ? 

De manière évidente, il était supposé rentrer. Du moins, c'est ce que la plupart des invités commençaient à faire. La peur envahissait peu à peu sa raison. Il n'avait rien à faire ici. Pour se rassurer, il relut le dernier message de S.

De : S
sam. 18 :35
A toute ♥

Une heure et demie déjà qu'il l'avait reçu. Il n'avait toujours pas répondu. À la vue de ces deux mots, ses sensations se bousculaient, valsant du contentement à la panique, une danse qui lui donnait le tournis. Il regrettait amèrement d'avoir voulu faire plaisir à Célia.

— Pourquoi j'ai fait ça ? J'ai horreur des fêtes... murmura-t-il les yeux rivés sur la maison.

Une haie de lauriers délimitait le terrain. Le bâtiment se targuait d'un toit de tuiles noires, et d'un large balcon de bois qui embrassait l'étage. L'épaisse porte d'entrée s'écartait tantôt pour laisser s'échapper quelques vibrations de musiques ; Travis l'imagina enfermer le monde du dehors dans le silence, empêchant celui qu'elle contenait de s'échapper.

Les deux battants de la grille de métal invitaient à entrer. Depuis le trottoir d'en face, il aperçut une banderole accrochée sous le balcon qui clamait un « JOYEUX ANNIVERSAIRE » auréolé de cotillons multicolores.

— Oh Seigneur, c'est pas vrai. J'ai horreur des fêtes...

Il s'éloigna sans réfléchir et ainsi la bâtisse de briques beiges disparut derrière les lauriers. Deux filles arrivaient en sens inverse. Il reconnut Anne-Sophie, qui l'avait invité à travailler avec lui. Elle leva trois doigts pour le saluer, la main empêtrée dans les poignées d'un sac plastique. Sa copine ne se formalisa pas de tant de politesse. Elle se contenta de ranger dans son sac une bouteille qu'elle venait de porter à ses lèvres.

Travis avança de quelques pas encore, longeant les maisons mitoyennes de briques rouges, évaluant la possibilité de trouver un bus à cette heure, quand il entendit son prénom hélé derrière lui.

____________________________________

— Alors ? demanda Célia.

— T'es ma sœur...

— Mais justement ! Tu peux juger objectivement laquelle me va le mieux, non ? La noire... Ou la rouge ?

Elle plaquait tour à tour une robe en dentelle noire puis une autre à bustier rouge sur sa poitrine. Steeve lui jeta un regard ennuyé.

— On s'en fout ? Les deux vont très bien ?

— T'es nul !

Après cette sentence, Célia abaissa les bras, si bien que les robes traînèrent au sol.

— Qu'est-ce que vous foutez ? leur cria une voix depuis le haut des escaliers. On vous entend du b... Oh merde ! Je suis désolé ! s'empressa d'ajouter Pete.

Il se tourna aussitôt dos à la pièce où Célia continuait ses essayages.

— Noir ou rouge, Pete ? cria-t-elle derrière la porte que Steeve venait de s'empresser de refermer, dérobant sa sœur en soutien-gorge à la vue de tous.

— Rouge, assurément, commenta ce dernier, tandis que la couleur grimpait aux joues de son meilleur ami.

— Euh... Oui, oui. Rouge, ça ira ! bafouilla Pete, n'ayant cependant aperçu aucune des deux robes. Et sinon tous vos invités sont déjà en bas !

— Alors mets la musique, please ! cria Célia.

— Je mets quoi ?

Il se colla contre le bois de la porte de chambre pour s'assurer d'être entendu.

— Je sais pas ! Fais aller ton imagination !

Pete remonta ses lunettes de son index hésitant.

— Pas trop quand même, chuchota Steeve.

Il lui tapota l'épaule avant de l'abandonner et de rejoindre ses invités au rez-de-chaussée.

— Steeve ! l'interpella sa sœur.

La porte s'ouvrit précipitamment sur Célia qui ne passait que la tête. Droit comme un i, Pete mettait un point d'honneur à lui tourner le dos.

— J'ai oublié le courrier, ajouta Célia. Les bulletins sont sûrement arrivés aujourd'hui.

— Pas le courage. Au pire on a toute la semaine pour récupérer le courrier !

— S'il pleut, ils vont prendre l'eau !

La porte s'ouvrit davantage, révélant l'adolescente, les deux mains dans le dos.

— Quelle fermeture de merde ! Pete, aide-moi !

L'interpellé écarquilla les yeux derrière ses lunettes.

— Laisse, je fais, intervint Steeve.

Il escalada les deux marches qu'il venait à peine de descendre et remonta la fermeture récalcitrante avant d'observer sa sœur tourner sur elle-même.

Célia replaça ses cheveux dans son dos, d'un geste souple. Ses lourdes boucles s'écrasèrent sur ses épaules nues.

— Je suis comment ?

Si Pete se garda bien de répondre, Steeve en revanche ne s'en priva pas.

— T'es une McRoilly, nan ? Alors c'est toi la plus belle !

Elle lui sourit exagérément.

— C'est nous les plus beaux ! cria-t-elle, penchée par-dessus la rambarde pour être certaine qu'un maximum de personnes l'entende. Qu'est-ce que vous attendez ? La musique ne va pas se mettre toute seule ! fit-elle à l'attention des garçons.

Elle commençait à dévaler les marches quand elle s'arrêta au beau milieu de l'escalier. La suivant de près, Pete manqua de la percuter.

— J'ai oublié mes chaussures !

Il baissa les yeux sur ses jambes nues. Son regard remonta la courbe de ses mollets jusqu'à l'ourlet de la robe juste au-dessus des genoux.

— C'est obligatoire ? le questionna-t-elle.

— Hein ? sursauta-t-il.

Les yeux rieurs de Célia l'interrogeaient.

— Les chaussures. C'est obligatoire ?

— Euh... bah...

— C'est pour aujourd'hui ou pour demain ? demanda Steeve coincé derrière eux.

— Bon, au pire j'aurais pas mal aux pieds ! se décida Célia. Je vais chercher le courrier. Si on a les bulletins de note, je lis le tien au micro devant tout le monde !

— C'est ça, ouais. Fais-toi plais' !

En descendant les marches, Steeve ne put s'empêcher de détailler les invités déjà présents. D'une pression du pouce, il sortit son téléphone de sa veille. Aucun nouveau message.

____________________________________

— Travis ?

Il se retourna. Célia, pieds nus sur le trottoir d'en face, lui faisait signe de la rejoindre. Elle tenait deux larges enveloppes en papier kraft contre sa hanche.

— Qu'est-ce que tu fiches ? Tu vas où ?

— Salut ! répondit-il avant de se décider à traverser la rue. Tu es superbe !

Il se pencha pour lui faire la bise, évitant ainsi de répondre aux fâcheuses questions. Célia planta à son tour un large baiser sur sa joue.

— Merci ! Enfin un qui sait complimenter une femme. Mince, je t'ai mis du rouge à lèvres. Attends !

Elle attrapa son menton d'une main et frotta sa joue de l'autre.

— Tu n'es pas mal non plus, lui confia-t-elle.

Elle repositionna le col de sa chemise, ravie de réussir à lui décrocher un sourire malgré l'anxiété.

— Célia, tu ne m'as pas dit que c'était une fête pour ton anniversaire...

— C'est parce que c'est pas mon anniversaire ! rit-elle. C'est celui de mon frère. J'en profite juste pour faire ma propre soirée avec mes propres amis.

— T'exagères, je ne connais même pas ton frère

— Oh, plein de gens ne le connaissent pas. Il s'en fout. Viens !

Tirant sur son poignet, elle le traîna derrière elle. Ils traversèrent la longue allée de dalles pourpres, qui divisait le terrain en deux parcelles sur lesquelles des arbres fruitiers vivotaient, leurs branches nues à cette époque de l'année.

Une fille et un garçon bardé d'un sweat rose bonbon discutaient près de la porte. Il salua Célia qui lui répondit, puis reporta aussitôt son attention sur son interlocutrice.

Quand Célia ouvrit la porte, la musique les heurta de plein fouet. Travis faillit reculer. Le salon dégorgeait de monde. Il se mit à maudire d'office la personne qui avait poussé le volume si fort, ainsi que tout ceux qui n'en semblaient pas gênés. Les meubles avaient été poussés pour dégager un espace conséquent qui servait à la piste de danse. Une dizaine de personnes y bougeaient plus ou moins en rythme.

— Attends-moi là, je reviens tout de suite, dit Célia. N'hésite pas à te servir quelque chose à boire !

Elle s'éloigna tout en saluant quelques gens autour d'elle. Travis se fit la réflexion qu'il ne risquait pas d'approcher le buffet des boissons, à moins que quelqu'un ne trébuche sur lui et ne l'y pousse de force. Dans le doute, il préféra demeurer près de la porte.

Célia aborda un garçon brun à lunettes qui se pencha pour entendre ce qu'elle disait. Visiblement, lui aussi trouvait la musique trop forte. Il parla près de son oreille pour lui répondre, puis Célia hocha la tête, le pouce levé.

Elle récupéra un crayon sans capuchon avant de faire demi-tour. Travis la regarda se précipiter vers lui.

Il remarqua une chose. Le genre de chose que seule une personne qui se plaçait délibérément en dehors de la scène pouvait remarquer. Le garçon à qui venait de parler à Célia continuait de la suivre du regard. Quand il rencontra celui de Travis, ils détournèrent la tête en même temps.

— Donne-moi ta main, intima Célia qui tendait la sienne en guise d'invitation.

— Pardon ? Qu'est-ce que tu veux faire ?

Elle saisit le bras de Travis et retourna docilement sa main avant d'y apposer la pointe de son stylo rouge.

— C'est pour un jeu, expliqua-t-elle.

Elle traça un nombre. Travis scruta le « 18 ». L'encre jurait sur sa peau claire.

— Et en quoi ça consiste ?

Célia lui offrit un sourire amusé, consciente que l'idée ne l'enchantait pas.

— Détends-toi. Rien de méchant. Tu sauras bientôt. Oh ! J'adore cette chanson ! clama-t-elle au moment où les premières notes d'une musique se faisaient entendre.

Elle se mit à sautiller, balançant sa tête en rythme pour secouer ses boucles rousses.

— Allez Travis !

Elle voulut le forcer à lever le bras assez haut pour pouvoir tourner dessous.

— Même pas en rêve, la taquina-t-il.

— N'espère pas que tu vas y échapper. Tu me devras une danse ! Ceci dit...

Elle se rapprocha soudain. En appui sur l'épaule de Travis, elle se hissa sur la pointe de ses pieds nus pour susurrer.

— Si c'était ton loveboy qui t'invitait, tu ne dirais pas non...

La musique ne couvrait pas entièrement sa voix. Travis sentit ses pommettes se réchauffer.

— Tu n'es pas drôle !

Son timide sourire le trahissait toutefois. En guise de réponse, Célia leva les bras en l'air et se déhancha, les épaules en cadence avec la batterie. Tantôt elle offrait une moue terriblement drôle, tantôt elle fermait les yeux, les plissant si fort qu'elle semblait se nourrir des ondes que la musique lui envoyait.

— Cé' ! s'écria une fille si petite qu'elle arrivait à peine aux épaules de Travis.

Célia cessa aussitôt de danser.

— Adé ? Salut !

Célia la prit dans ses bras avant de se détacher d'elle, ses mains de part et d'autre de ses épaules.

— Tu as pu venir finalement ?

— Je suis venue avec Laura. Tu sais, celle qui a des vues sur Vicky, ajouta-t-elle tout bas en se rapprochant de Célia.

Elle aperçut enfin Travis à qui la discussion n'avait pas échappé.

— Tu le connais pas rassure-moi ? lui demanda-t-elle tout de go.

Travis écarquilla les yeux, surpris que l'inconnue s'adresse à lui. Il secoua lentement la tête.

— Tant mieux ! déclara Adélaïde. Viens, fit-elle en tirant son amie par le bras. Faut que je te dise un truc.

Célia hésita. Sa culpabilité flamba lorsqu'elle croisa le regard de son invité.

— C'est-à-dire que c'est pas forcément le...

— Mais si ! J'en ai pas pour longtemps. Excuse-nous, dit-elle à Travis.

Il ne trouva rien à répondre, forcé de regarder la seule personne de sa connaissance s'éloigner en direction de la cuisine. Un soupir lui échappa. Tout le monde semblait s'amuser.

Puis son téléphone vibra. La panique couvrit la musique.

De : S
sam. 20:13
Dépêche-toi de me trouver qu'on passe un peu de temps ensemble.

"Tu trouves ça drôle ?"


De : S
sam. 20:13
:)

Travis rangea le téléphone dans la poche de son jean, osant à peine relever la tête.

 Et s'il me fixe ? Ou si je me trompe de personne ?

Il finit par balayer la salle du regard. Malgré le stress, une pointe de déception le traversa. Il n'accrochait les yeux de personne. Une fois de plus, il demeurait invisible.

____________________________________

— Elle est là ? demanda Pete, une bière à la main.

Steeve rangeait son téléphone dans la poche arrière de son pantalon. Il haussa les épaules.

— En tous cas, je l'ai pas vue. D'un autre côté, vu le nombre de gens que je connais pas, si ça se trouve j'vais même pas la croiser.

— En parlant de ça !

Pete lui tendit sa boisson pour extirper de sa poche une feuille pliée en quatre.

— Tiens. Avec ça, tu vas pas t'ennuyer.

Steeve lui rendit sa bière et récupéra le papier. Le sourcil suspicieux, il déplia la feuille.

— Si tu veux te plaindre, plains-toi à ta soeur, c'est son idée.

— Vous êtes sérieux ?

L'air hilare de Pete se suffisait. Accoudé au buffet du salon, il scrutait la piste de danse.

— Qui sait ? Tatiana aura sans doute écopé d'un numéro...

— Si les numéros me plaisent pas, je change d'action, annonça Steeve au fur et à mesure qu'il découvrait la liste.

— À ta guise. Tant que tu les fais tous...

Pete se retourna vers lui, un sourire dissimulé derrière le goulot de sa bière.

— Vous êtes timbrés.

— Joyeux anniv' McRoy !

Pete tapota son épaule avant de s'éloigner en direction d'un groupe. Sa liste à la main, Steeve demeura sur place. Il regardait chaque invité sans vraiment les voir, perdu dans la désagréable impression de n'avoir rien à faire là.

C'est mon anniv, ma maison... Et pourtant j'me fiche de tout ça...

La feuille finit dans sa poche, calée contre son téléphone. Il se décida à manger un morceau. Il fendit la foule, conscient de n'avoir pas salué la moitié.

— Hé McRoilly ! Bon anniv' mec ! lança un camarade de classe qui levait sa bière dans sa direction.

— Merci ! C'est cool.

Steeve appuya sa réponse d'un sourire forcé. En vérité, il n'avait aucune envie de passer du temps avec des inconnus. Il s'était laissé convaincre par Pete et Célia que cette fête serait une bonne idée ; d'autant plus que cela tombait la semaine où leur mère rendait visite à leur grand-mère. Mais il n'avait pas la tête à rire. Il savait qu'il ne garderait le contact avec aucun de ces gens.

Pourquoi fêter en sachant ça ?

Un buffet s'étalait contre le mur, couvert de pâtisseries que sa sœur avait préparées pour lui. Ce geste le touchait bien plus que la présence des invités. Il s'empara d'un bout de marbré et mordit dedans. Les gens riaient, échangeaient, se prenaient en photo, ce qui lui rappela qu'il n'avait pas encore répondu aux messages placardés sur son mur Facebook. Il se promit de poster un statut pour remercier tout le monde en même temps.

La porte d'entrée claqua. Deux filles pénétrèrent les lieux, riant à gorge déployée. L'épaule de l'une d'elle percuta un garçon blond qui se tenait non loin. Elle s'excusa avant de disparaître dans la cuisine. Vu l'air qui se peignit sur le visage du garçon, Steeve devina ses pensées et cela le fit rire.

— Tu t'amuses ?

Il se tourna vers la fille qui l'apostrophait et se retrouva face à une lycéenne qu'il n'avait que vaguement croisée dans les couloirs du lycée.

— On fait ce qu'on peut, répondit-il, mordant de nouveau dans sa part de gâteau.

— Sybil, enchantée. Je t'avoue que j'ai triché, j'ai demandé à ta sœur qui tu étais.

Steeve acquiesça en une moue à peine intéressée. Il ne comprit pas pourquoi elle se mit à rire, jusqu'à ce qu'elle lui offrît son profil, tapotant sa joue tendue. Alors il remarqua le chiffre « un » dessiné grassement dessus.

— C'est quoi le jeu ? demanda-t-elle.

Elle caressait la pointe de sa queue de cheval, le fixant droit dans les yeux. Steeve avala les restes de son gâteau puis frotta ses mains l'une contre l'autre avant d'extirper sa liste. Il la plia de sorte que Sybil ne puisse y lire que l'action numéro une.

— Un dessin sur la peau, déchiffra-t-elle. Pas mal ! Ne bouge pas !

Le visage paré d'un sourire, elle appuya son sac à main sur sa cuisse et entreprit de farfouiller dedans.

— Là. Je n'ai pas de stylo mais de l'eye-liner c'est tout comme ! Approche, je te dessine un gros cœur sur la joue !

Steeve la regarda décapuchonner son crayon à maquillage.

— Pitié, énonça-t-il sans esquisser le moindre geste.

Sybil éclata de rire.

— D'acc ! Ferme tes beaux yeux.

À contrecœur, il s'exécuta. Sybil maintenait son menton. La pointe du stylo lui chatouilla la peau, une première fois en une ligne horizontale sur sa joue gauche, une deuxième fois en une ligne parallèle.

— Je te fais l'autre. Il faut que ce soit symétrique, fit-elle, joignant le geste à la parole. Voilà !

Elle recula pour mieux observer le résultat.

— Les marques du guerrier ! T'es un homme maintenant ! lui assura-t-elle, ravie de constater qu'elle parvenait à lui décrocher une réaction.

— C'était tout ce qu'il me manquait, en effet.

Sybil lui décocha un clin d'œil, imperméable à l'ironie. Elle rouvrit son sac pour y fourrer le maquillage, et la lanière retrouva naturellement sa place sur son épaule.

— Joyeux anniversaire, ponctua-t-elle de sa voix la plus malicieuse.

Elle se pencha sur le buffet pour s'emparer d'une brochette de bonbons. Du bout des lèvres, elle en arracha. Après cela, enfin, elle s'éloigna tranquillement.

Steeve secoua la tête. Bien que hermétique à ce genre d'attitude, cela avait au moins le mérite de le faire rire. Il lutta contre l'envie d'essuyer les marques fraiches. L'encre séchait encore sur ses jours. En piochant un dragibus noir dans le saladier, il croisa le regard du garçon qui n'avait toujours pas bougé de la porte d'entrée. Ce dernier détourna bien vite la tête. Steeve se promit de demander à Célia combien de personnes elle avait invité au juste. Surtout concernant les garçons.

Ce n'était pas tant le fait qu'il refusait de faire de nouvelles rencontres, il préférait simplement croiser Tatiana. Il aurait volontiers passé sa soirée à discuter avec elle. Cependant, en plus de ne plus recevoir de réponse, il ne pouvait se départir de la désagréable impression qu'elle ne le cherchait pas vraiment. Ceci étant, il ne l'avait pas encore aperçue lui non plus. Anxieux à l'idée qu'elle se jouât de lui, il continua de grignoter.

____________________________________

Lorsque la porte s'ouvrit, Travis eut beau se déporter sur la droite, l'une des deux filles le percuta tout de même. Prise de rire, la violence du contact ne la dérida pas.

— Désolée, marmonna-t-elle, la main levée pour s'excuser.

Elle repartit de plus belle dans son fou rire, peu gênée par cet interlude. Travis ne prit pas même la peine de répondre. Les bras croisés, il la suivit du regard. Il ne put s'empêcher de secouer la tête de gauche à droite.

Imbécile.

Il n'avait plus qu'une envie, repasser la porte en sens inverse et fuir. En courant.

Célia l'avait abandonné depuis maintenant un bon quart d'heure et il n'était pas certain de la recroiser. Pour autant, il ne lui en voulait pas. Célia faisait partie de ces gens pleins de vie. Elle avait su le contaminer à sa manière. Peu étonnant donc que d'autres personnes aient envie de partager son temps. En revanche, il s'en voulait lui-même d'avoir accepté l'invitation pour lui faire plaisir. Il soupira devant l'évidence : sa présence ou non importait peu.

Ai-je ma place où que ce soit, déjà ?

Impassible au milieu de la cohue, il regardait les autres sans trop insister, soucieux de ne pas se faire remarquer, se laissant entraîner dans les échanges qu'il captait çà et là. Le regard absorbé par un petit caillou coincé dans le paillasson, il releva la tête quand un rire transperça le brouhaha. Ses soupçons se portèrent sur une petite blonde à queue de cheval dont il ne voyait pas le visage. Son attitude en disait cependant assez long. Elle se dandinait tout en remontant de temps à autre la lanière en maillons de son sac. Il jugea qu'elle se trouvait en pleine phase de séduction, et à en croire l'air du garçon qui lui faisait face, la tentative se solderait par un échec.

Travis trouva amusant la façon dont leur style vestimentaire jurait. Parée d'une jupe aux motifs zébrés ainsi que d'un bustier noir moulant, la fille ne semblait pas pouvoir s'empêcher de bouger. Le garçon arborait un style beaucoup plus classique. Il portait un pantalon noir et un gilet sans manche de la même couleur qui surplombait une chemise d'un rouge foncé.

Travis s'étonna de cette tenue. En dehors du fait qu'ils étaient bien les seuls à avoir opté pour une chemise, le gilet apportait une touche stricte à l'ensemble, ce qui ne concordait pas avec l'air malicieux du garçon. Encore moins depuis que deux traits noirs horizontaux se déployaient sur ses joues.

La jeune fille dût dire quelque chose de drôle car le coin droit de la bouche du garçon châtain fendit un instant sa joue, y creusant une fossette. Cette infime parcelle de douceur trahissait l'air sérieux de ses iris sombres. Son sourire s'évanoui à l'instant même où son interlocutrice lui tourna le dos. Il se mit alors à piocher des sucreries du bout des doigts dans un saladier multicolore.

Travis se rendit compte qu'il le fixait depuis au moins cinq bonnes minutes quand le jeune homme se tourna par hasard dans sa direction. Ses yeux bruns s'accrochèrent aux siens. Un nuage embrouilla ses sens.

Le garçon ne cilla pas. Il mâchait le bonbon qu'il venait nonchalamment de jeter dans sa bouche, et cette fois, ni les traits sur ses joues ni une quelconque fossette ne vinrent troubler la profondeur de son regard. Travis détourna les yeux, inspirant avec peine.

Il est sûrement en train de me juger, de se moquer de moi. Oui. Il doit se dire que je n'ai rien à faire ici. Après tout, je suis le seul à ne pas bouger, à ne parler à personne...

Quand Travis releva les yeux, le garçon se tenait toujours devant le buffet. Mais il ne le regardait plus. Il souriait à une fille penchée par-dessus la rampe de l'escalier.

Travis s'en détourna alors. Inutile d'espérer obtenir le moindre sourire d'un garçon comme celui-là. Les mots de son mystérieux S lui manquèrent soudain. La douceur de ses taquineries sauvages.

_________

Coucouuuuu.

Premier eye contact... 👀

Oui je suis en retard. Je ne vous ai pas oubliés. Mais je ne suis pas chez moi ce week end. Le prochain chapitre sera lundi car dimanche je serai sur la route 🙈

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