Insensible (terminée)

By une_artistee

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« Son âme était scellée, son coeur frigorifié » « Sans coeur » voici le surnom que les lycéens s'amusent à do... More

Prologue.
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14.
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 19
Chapitre 20.
Chapitre 21.
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36 Partie 1
Chapitre 36 Partie 2
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Epilogue
Message de fin

Chapitre 18

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By une_artistee

Stacy.

Je n'ai jamais aimé aller chez la psychologue. Cela fait deux ans que je me fais suivre, mais je n'en reste pas moins effrayée. Je déteste m'y rendre, c'est si dur de se livrer sur ses plus grandes peurs...Chaque fois que je rentre dans ce bureau, j'en ressors un peu plus anéantie. Comme si avoir dû placer des mots sur ce que j'avais vécu rendait ce cauchemar plus réel et plus tragique. C'est souvent après avoir dit tout ce que j'avais sur le coeur, que je prends conscience de la personne incompétente et sans espoir que je suis. C'est comme si toutes mes erreurs et mes regrets flottaient partout autour de moi dans cette pièce. Comme si elles me narguaient et me montraient l'étendue de ma bêtise. Et le pire c'est qu'elles ont raison de me faire subir ça, car je le mérite. Je mérite d'être punie pour tout ce que j'ai fait.

En Floride je me rendais plusieurs fois par mois chez ma psychologue. Maman avait remarqué que mon comportement était étrange, depuis plusieurs mois je ne lui parlais que très peu et passait la plus grande partie de mon temps, seule et enfermée dans ma chambre. Elle s'est alors rapidement inquiétée et a jugé bon de m'envoyer voir une spécialiste, je suis sûre qu'au fond elle ignorait tout du calvaire que je vivais au lycée. Et pour être honnête je crois que c'est mieux ainsi, après tout ce qu'elle a perdu par ma faute, je refuse d'alourdir encore plus sa conscience suffisamment dévastée. Je me souviens très bien de son nom, elle s'appelait Mme Grey. Elle a été ma première psychologue et m'a suivie deux ans. C'est la première personne à qui j'ai osé tout dire, tout confier... Certaines personnes n'aiment pas changer de psy, ils aiment se dire qu'une seule personne les connaît véritablement. Peut être qu'en vérité, ils ont juste la frousse à l'idée de devoir recommencer à zéro, à l'idée de redevoir se livrer sur des traumatismes qu'ils aimeraient oublier plutôt que raviver. Moi ça ne me dérange pas. Devoir répéter les atrocités que j'ai vécues à ma nouvelle psychologue ne me fait plus mal, pour la simple raison que mes blessures n'ont jamais cicatrisé. Elle sont continuellement en train de saigner.

Ce n'est pas aller chez la psy, qui leur redonne vie soudainement. D'ailleurs quelle tristesse si tel était le rôle d'une psy, redonner vie à des cauchemars enfouis. Non, la seule chose positive lorsque l'on est suivi c'est qu'on a quelqu'un à qui parler. Une oreille attentive qui ne nous jugera pas. C'est la seule chose qui me pousse à me rendre dans ce cabinet, extérioriser, parler, mettre des mots sur tout ce qui se bouscule dans ma tête. Car je sais que maman ne m'écouterait pas, du moins qu'elle ne pourrait s'empêcher de me couper toutes les trente secondes pour me dire que je ne suis pas la fautive dans cette histoire. Et je n'ai pas besoin de ça. Je n'ai pas besoin qu'on me fasse croire que j'y suis pour rien, parce que c'est entièrement faux.

- Alors Stacy comment vas-tu depuis la dernière fois?

Mme Klark est assise derrière son grand et luxueux bureau et s'arme de son carnet et crayon à papier. Ses lunettes sont toujours parfaitement positionnées sur son nez, tout comme sa dentition est parfaitement alignée. Seule sa chevelure brune paraît plus courte que lors de notre première séance.

- Plutôt bien.

Mes jambes sont enroulées autour des pieds de la chaise inconfortable sur laquelle je suis assise, et mes doigts se remettent à se tortiller maladroitement entre eux. Elle se met à écrire des choses sur le papier devant elle, ce qui me rend de plus en plus nerveuse.

- Parle-moi de ton nouveau lycée, elle me tend un sourire qui se veut rassurant, tu t'es fait de nouveaux amis ?

Je hoche la tête affirmativement et réponds naturellement, un sourire au bord des lèvres.

- Oui, j'ai très vite été intégrée dans un groupe d'amis. On s'entend tous très bien, je me mords l'intérieur de la joue, même si parfois les blagues de certains mecs sont vraiment vraiment lourdes.

Je pense à Gavin et Max et leur manis de toujours tout commenter, même quand parfois on se passerait bien de leurs avis. Le petit rire que je laisse échapper a le mérite de me détendre un peu.

- Je vois. Et, comment est ce que tu te sens en leur présence? Me demande t-elle en prenant des notes.

Je réfléchis sérieusement à la question, et tente d'abord d'y répondre dans ma tête. Rien ne vient. Comment est ce que je me sens avec eux? A quoi ça sert de savoir ce genre de choses sérieux ? Le principal c'est que je me sois fait des amis non?

- J'en sais rien. Dis-je en abaissant le visage vers mes mains qui se déchaînent l'une dans l'autre, en fait je crois que je me sens...mieux. Moi même, enfin comme celle que j'ai toujours voulu être.

Je m'arrête un instant et elle se met à hocher la tête comme si elle était en accord avec mes paroles. C'est pas comme si elle pouvait s'opposer à ce que je disais de toute façon, d'ailleurs au fond est ce que c'est pour cette raison que je lui dis ça ? Est ce que je me sens réellement moi même lorsque je suis avec eux? Ou est-ce juste plus facile de prétendre que oui ?

- Vous savez, j'ai été victime de harcèlement scolaire durant plusieurs années...J'étais seule et personne ne voulait...

Je commence à m'expliquer, mais elle me coupe avant en plantant son regard dans le mien.

- Je sais, j'ai tes antécédents médicaux.

Oh...Elle connait donc mon passé, sans que je n'ai eu besoin de lui dire. Enfin, elle est seulement au courant de ce que je me suis autorisée à livrer à mon ancienne psychologue, c'est à dire une infime partie de ce qui continue de me hanter quotidiennement.

- Tu m'as parlé de ton groupe d'amis, mais j'aimerais savoir si tu t'es fais des ennemis également. C'est le cas ?

J'avale ma salive et lutte pour ne pas tressaillir devant ce mot que je déteste.
Ennemis. Ennemis, ou personnes malfaisantes, néfastes et opposées à votre bonheur. Je revois les visages de Marcus, de Marie et de tous les lycéens qui me détestaient dans mon ancien lycée. Je suis tentée de dire que non, je n'ai pas d'ennemis.

- Non, pas spécialement.

Pourtant son visage réapparait dans mon esprit. Son regard à la fois glacial et vide défile dans ma tête, ainsi que ses mots durs et cruels. Et alors soudain, je ne suis plus sûre de rien.

- Enfin...Il y a ce garçon.

Mme Klark note quelque chose sur son carnet et me fait signe de continuer.

- Parle-moi de ce garçon.

Parler de ce garçon ? J'essaye de trouver des mots qui pourraient le définir et pourquoi pas expliquer la chose étrange que je ressens pour lui, mais rien ne me vient directement. Il me faut de longues secondes pour que j'arrive à définir ce personnage singulier.

- Il est si....étrange . Parfois vous savez, quand je le regarde j'ai l'impression de me voir, enfin de voir la personne que j'étais avant. Toujours seule, et rabaissée publiquement.

Je fixe un des pieds du bureau devant moi et déballe sans y réfléchir tout ce à quoi je pense en me remémorant les épisodes qu'on a vécus ensemble, en faisant abstraction de la haine que j'éprouvais pour lui il y a à peine quelques heures.

- Le premier jour on s'est foncés dedans, enfin pour être honnête c'était de ma faute. J'avais juste pas envie de reconnaître qu'une fois encore ma maladresse l'avait emporté. Je me mets à rire, on a été collé ensemble et j'en ai profité pour lui offrir un de mes recueils de poèmes préférés. En fait je m'en voulais, j'ai fait croire que c'était mes parents qui m'avaient obligée à lui faire ce cadeau, en y voyant un moyen de repartir sur de bonnes bases, un peu comme une trêve. Mais c'est moi qui ai pris l'initiative de le lui faire volontairement. Je voulais m'excuser, et lui montrer mon soutien...Dans ce qu'il traverse je veux dire.

- Tu voulais lui faire comprendre que tu étais de son côté, si je comprends bien...

Elle s'arrête un instant, pose son crayon et enlève ses lunettes qu'elle vient placer devant elle.

-Pourquoi ne pas lui avoir dit directement que tu pouvais lui venir en aide?

Ses sourcils sont froncés ce qui lui donne un air des plus sérieux. Je réfléchis de longs instants à ce que je suis censée lui dire, ou plutôt m'avouer à moi même. Elle ne se plaint à aucun moment du silence qui s'installe, et ne quitte pas des yeux mon corps qui laisse apparaître mon embarras.

- J'étais de son côté vous savez, chaque fois que je le voyais seul et chaque fois que j'entendais les insultes et horribles surnoms qu'on lui attribuait... J'avais mal au cœur. Je ne le connaissais pas c'est vrai, pourtant j'avais l'impression de le comprendre mieux que quiconque. Et même si j'aurais aimé aller le voir, et l'aider à se sortir de là comme j'aurais aimé qu'on le fasse avec moi, je ne pouvais me le permettre.

Mme Klark penche la tête sur le côté et croise les bras sur sa poitrine.

- Et pourquoi donc Stacy ?

Je prends une inspiration et essaye de calmer la colère qui me gagne. Mon sang se met à chauffer et bouillir dans mes veines, si bien que je l'imagine jaillir et me brûler la peau. Ma colonne vertébrale me démange et l'ensemble de mon corps me donne l'impression d'être envahi par des milliers de fourmis. Je me dandine maladroitement sur ma chaise, et lutte comme si je voulais repousser les mots qui pourtant finiront par dépasser la barrière de mes lèvres. Non ça ne peut pas être ça, je ne peux pas être devenue ce monstre...

- Parce que je suis égoïste ! Crié-je les larmes aux yeux. Parce que je ne voulais pas revivre l'enfer que je venais de traverser, et tant pis s'il restait à jamais ce garçon solitaire et détesté de tous. Des sanglots se mêlent à mes paroles, mais je continue. J'avais la trouille ! J'avais peur qu'on me mette dans le même panier que lui et je ne voulais pas redevenir cette fille que tout le monde déteste. Vous comprenez ? Je sais que c'est mal, et que je devrais avoir honte de ne pas lui venir en aide surtout après avoir vécu la même chose que lui, mais...C'était ma seule chance. Ma seule chance d'être la fille normale que j'ai toujours voulu être, ma seule chance d'être acceptée...Ma seule chance d'être heureuse! J'essuie les larmes qui ont coulé sous mes yeux, et prends une grande inspiration. Vous savez les amis avec qui je traîne ne l'aiment pas. Une grande partie des lycéens le déteste mais eux, ils le détestent vraiment. Ils ne m'ont jamais dit pourquoi est-ce qu'ils le traitaient de cette manière, et au fond je doute qu'il y ait une véritable raison à tout ça. Je me mets à rire. Vous savez, à chaque fois que je croise son regard bleu glacial, j'ai l'impression d'y percevoir toute la haine qu'il éprouve envers moi. D'ailleurs il m'a très clairement montré à quel point il me haïssait à travers ses mots cruels, quel connard ! Je le déteste, vous savez? Je me tais durant quelques secondes et fixe un point devant moi. Mais peut-être qu'au fond, il ne disait que la pure et stricte vérité...

Mme Klark fronce les sourcils comme si ce que je venais de dire n'avait aucun sens, je réalise quelques instants après que cette longue tirade était en partie parlée à moi même.

        -  Qu'est ce que ce garçon t'a dit ?

        -  Je suis simplement venue m'assoir à sa table de solitaire et j'ai profité de l'absence de mes amis pour venir lui parler. Je ne sais toujours pas pourquoi en fait, c'était plus fort que moi. Comme si mon corps avait décidé délibérément d'aller le rejoindre, sans pour autant que mon cerveau n'eut donné son feu vert. J'ai tenté au début de lancer une conversation, ou plutôt de lui poser les questions que je me posais quotidiennement à son sujet, mais...Il m'a rapidement fait comprendre que ça n'en valait pas la peine. Il m'a traitée de menteuse, de peureuse...Et m'a clairement décrit de la manière la plus représentative qui soit. C'est juste que...Il était si dur et impassible lorsqu'il énonçait tous mes défauts. Vous voyez, c'était à la fois effrayant et perturbant de voir à quel point il pouvait se montrer brutal sans défaillir à aucun moment.

Je laisse les mots s'immiscer dans mon esprit et venir flotter directement autour de moi, en cessant d'être apeurée par les confessions que je m'autorise à faire. Et je me sens soudain libérée, comme si je venais de prendre conscience de quelque chose que je refusais de m'avouer. A cet instant précis, je suis la véritable Stacy. Je ne joue plus de rôles, j'autorise mes émotions à prendre le contrôle et savoure cette sensation aussi courte soit-elle.

- En effet, ce garçon t'a marqué Stacy. La manière dont tu le décris et dont tu en parles, me laisse penser que cette personne t'intrigue énormément. Elle me tend un sourire sincère, arrête de te mettre des barrières pour rien d'accord ? La vie ne doit pas toujours être contrôlée et réfléchie comme tu te le laisses penser.

Elle me tend un paquet de mouchoirs que j'accepte pour essuyer les larmes qui ont dévalé sur mes joues, et nous continuons de parler durant de longues minutes. Elle me demande si la ville de Seattle me plaît et si j'ai eu l'occasion de visiter ses incontournables monuments, ce à quoi je réponds que non pas encore. Elle continue en me posant des questions plus personnelles comme par exemple si j'ai un petit ami, ce à quoi je réponds encore une fois non. Et puis elle en vient à aborder le sujet de ma famille. Elle en vient à me demander si l'ambiance à la maison est bonne et s'il y a des tensions particulières avec mon beau père. J'ai hésité plusieurs secondes, puis je me suis finalement décidée à lui raconter l'épisode de ce matin. Etonnement, elle n'a pas paru surprise. Elle m'a dit que ce genre de réaction arrivait souvent aux adolescents instables et fragiles émotionnellement. Quand elle m'a demandé en revanche de lui parler de mon vrai père, et de lui livrer ce qui me dérangeait tant à l'idée de le voir se faire remplacer par ce foutu Mr. Parker, je n'ai plus rien dit. Mes lèvres se sont nouées empêchant tout son de se faire entendre, mon corps s'est figé et mon cœur s'est resserré dans ma poitrine. Ce qu'elle ignorait, c'est que jamais je n'avais abordé ce sujet avec quelqu'un. Même mon ancienne psychologue n'a jamais réussi à savoir ce qui se cachait derrière tout ça. C'est un secret que je n'ai jamais confié à voix haute, et que je me suis promise de conserver dans ma tombe.

...

- Alors, ton rendez vous s'est bien passé?

Maman est nerveuse, je l'entends à sa manière de taper frénétiquement sur le volant de notre petite voiture. Je ne détourne à aucun moment mes yeux vers elle, trop occupée à contempler le ciel à travers la vitre, je n'ai aucune idée de l'inquiétude que doit dégager son visage.

- Ouais, enfin comme un rendez vous chez la psy quoi.

Je suis épuisée de cette journée et des confessions que j'ai eu à faire. Maman doit sûrement le voir à ma voix lourde et à ma posture; je suis à moitié recroquevillée sur moi même, le visage reposé sur le haut de mon siège. Je sens bien qu'il y a une tension inhabituelle qui règne entre nous, mais je suis trop fatiguée pour remédier au silence qui comble l'habitacle. Je laisse mes yeux parcourir le magnifique dégradé rosé que nous offre le ciel et repense à tout ce que j'ai dit à Mme Klark.

- Tu sais chérie, Matthew et moi avons longuement discuté de ta réaction de ce matin. Je sens son regard sur moi, et je l'imagine un sourire doux au bord des lèvres. Il a pris ta défense et m'a assuré qu'il n'attendait pas d'excuses de ta part. Personnellement je trouve qu'il est beaucoup trop gentil, mais je...

Elle continue de parler, mais je ne l'écoute déjà plus. J'ai à peine abaissé le regard en direction de la route, que je l'ai vu qui traversait. Je l'ai reconnu directement à sa veste en jean bleu et à sa chevelure noire indisciplinée. Il marchait les mains dans les poches et le visage baissé à ses pieds. Que fait-il dehors à cette heure du soir, et où va t-il? La voix de ma mère n'est qu'un brouhaha incessant que je n'entends désormais plus, tant mon attention est concentrée sur ce garçon. Il ne me regarde à aucun moment, j'en profite pour ne pas le lâcher des yeux. Pourquoi sa démarche est-elle aussi funèbre, et quelle est la raison de son visage continuellement fermé ? Il continue de marcher et parcourt le trottoir à gauche de notre voiture arrêtée par le feu. Je ne détourne mon attention de lui, que lorsque son corps est trop loin pour être perçu, et ne peux m'empêcher de me demander l'origine de cet air malheureux dont il n'est jamais détaché.

- Tu m'a bien entendue Stacy ?

Sa voix me ramène à la réalité et je lui réponds d'un hochement de tête.

- Oui oui.

Je n'ai aucune idée de ce qu'elle vient de me raconter, même s'il y a de fortes chances que ce soit des plaintes sur mon comportement de ce matin. Je suis étonnée que Mr. Parker ne m'en veuille pas d'ailleurs, mais ça ne fait que confirmer l'idée qu'il soit trop bien pour nous. Je me mets même à penser que ce sont encore des faux semblants dont il use pour conquérir ma mère bien trop naïve.

Dès que nous sommes rentrées à la maison, je n'ai pas perdu de temps pour regagner mon lit et m'endormir. La fatigue m'avait gagnée physiquement et émotionnellement. Ma journée avait été longue et douloureuse, et j'espérais déjà apercevoir les premiers rayons ensoleillés de demain, qui m'annonceraient l'aube d'un nouveau jour. Je priais intérieurement pour que les souvenirs de Marie et Marcus ne s'emparent pas de mon esprit comme ils avaient réussi à le faire hier soir, et tentais d'oublier les paroles mal intentionnées de ce sans cœur.

....

Aujourd'hui, c'était mon anniversaire. J'ai désormais quatorze ans et ce serait un mensonge que de vous dire que je me sens plus grande qu'auparavant. Ma journée au collège s'est bien passée, ma meilleur amie Marie m'a prise dans ses bras dès qu'elle m'a vu arriver et ne m'a lâchée que pour me tendre le cadeau qu'elle tenait absolument à m'offrir. Je l'ai ouvert sous ses yeux et ai sauté de joie en voyant qu'il s'agissait du dernier mascara qui venait de sortir et dont on parlait dans toutes les pubs. J'ai reçu beaucoup de mots gentils de la part de mes camarades de classe et de mes autres amis, mais rien qui ne me touche autant que l'attention que m'avait portée Marie. On m'a même chanté en cours de musique un joyeux anniversaire, ce qui m'a fait rire et pleurer en même temps. Je n'en revenais pas de la gentillesse dont faisait preuve cette classe, et j'espérais secrètement que l'année prochaine le lycée m'accueillerait de la même manière.

J'ai toujours aimé les anniversaires, c'est un évènement qui n'arrive qu'une fois dans l'année et qui promet chaque fois un moment inoubliable. Certains n'aiment pas les anniversaires, ils aiment à penser que chaque année qui passe nous rapproche un peu plus de la mort. Moi, ce n'est pas mon cas, j'y vois au contraire l'opportunité de remercier mes parents pour tout ce qu'ils font pour moi. Et je sais d'avance que ce soir va être une soirée magique. Comme chaque année je leur dirai à quel point je les aime, j'installerai ma petite sœur de cinq ans sur mes genoux et je déballerai mes

cadeaux avec un visage débordant de joie, puis nous nous installerons tous les quatre sur la canapé du salon et nous passerons la soirée à visionner les vidéos et photos tirées de ma jeune enfance. Bien sûr, devant nous se tiendra un gros gâteau au chocolat fait par maman. C'est un peu notre routine à nous, notre moyen de nous retrouver en famille et de ne penser à rien d'autre qu'à l'amour qui nous unit.

Je franchis la porte de la maison et la referme aussitôt derrière moi. Le soleil de Floride est atroce, même en plein mois de janvier ! Je parcours le hall et ne me faits pas prier pour me débarrasser de mon sac qui me brûle et me comprime le dos.

- Stacy!

Daniella est confortablement assise devant la télévision et regarde un dessin animé. Elle se retourne cependant instinctivement au bruit de mes pas, et me saute aussitôt dans les bras.

- Bon anniversaire!

Je souris et réprime un petit rire face à l'excitation de sa voix.

- Tu me l'a déjà dit ce matin Dani.

Elle se détache de moi et se met à rouler des yeux, de la même manière que je le fais parfois lorsque papa se moque gentiment de moi.

- Je sais, mais c'est toute la journée ton anniversaire. Donc je peux le dire touuuute la journée encore !

Je rigole et secoue la tête. Elle me fait un gros bisou baveux sur la joue et s'en va regagner le salon où elle continue de regarder ce qui semble la distraire. Je continue de parcourir notre petite mais chaleureuse maison et me laisse guider dans la cuisine par les senteurs agréables qui m'y attirent.

- Bonjour Chérie, alors ta journée ?

Maman est aux fourneaux derrière son comptoir de pâtissière et commence à préparer ce qui pourrait ressembler à mon futur gâteau d'anniversaire.

- C'était trop bien! Mes amis m'ont tous sauté dans les bras, et j'ai même reçu un cadeau de la part de Marie, tu sais le mascara qu'ont voit partout à la télé. Elle hoche la tête comme si elle savait de quoi je voulais parler, ce qui est de toute évidence faux puisqu'à chaque pub elle est la première à se lever pour faire un peu de rangement....Tu prépares le gâteau ?

Je ne peux cacher l'excitation dans ma voix et je ne peux m'empêcher de la rejoindre pour regarder avec attention chacun des ingrédients qui l'entourent.

- En fait chérie, je viens de commencer la préparation et je me suis rendue compte qu'il nous manquait de la levure et du beurre.

Je hausse un sourcil puis passe une main dans ma longue chevelure ondulée.

- Comment on va faire alors, un gâteau sans levure et sans beurre ça ne ressemble pas trop à un gâteau, dis-je en rigolant.

Elle hausse les épaules et essuie ses mains sur son tablier, avant de réajuster ses longs cheveux roux dans un chignon.

- Ton père est sûrement sorti du travail, on peut toujours essayer de lui demander de faire un détour chez Trader Joe's.

Le sourire tendre qui la caractérise si bien se dessine sur ses lèvres, et je ne perds pas une minute de plus pour me jeter sur mon portable et appeler mon paternel. Face à la vivacité de mes gestes, je surprends maman à rouler des yeux comme nous le faisons moi et ma sœur. Elle sait que je suis excitée à l'idée d'appeler papa, car je ne l'ai pas vu ce matin. Il part toujours très tôt pour aller travailler et nous le retrouvons généralement tard excepté aujourd'hui car il s'est débrouillé pour partir en avance afin de profiter pleinement de mon anniversaire. Il a cependant pris la peine de m'envoyer un message rempli d'amour avant de quitter la maison. Maman a toujours vu la complicité que mon père et moi avions, il me comprenait mieux que quiconque et était le seul homme que je n'aie jamais aimé. Maman et moi étions proches également, moins qu'avec papa mais proches tout de même. Nous riions tout le temps à deux, et pouvions passer des heures à regarder des séries ensemble. Comme j'aurais aimé que cette période dure éternellement. Comme j'aurais aimé que notre destin ne soit pas si tragique...

- Allo papa.

J'e regagne ma chambre et m'amuse à la parcourir de long en large en lui parlant. Les étagères qui m'entourent sont couvertes de livres qui m'ont pour la plupart été offerts par lui.

        -  Allo ma puce, je l'entends qui rigole joyeusement, comment tu vas ?

        -  C'est mon anniv je te rappelle, je peux pas aller mieux ! Je me mets à rire et il enchaîne de sa voix calme et apaisante.

- Je te préviens Stacy, si tu m'appelles pour savoir en avance quel cadeau je t'ai offert, tu peux toujours courir. Je ne dirais rien, en plus ta mère me tuerait si elle l'apprenait ! Je souris et l'imagine qui sourit aussi. Nous ne parlons pas durant de longues secondes avant que je ne lui dise de manière spontanée et sincère.

        -  Je t'aime papa.

        -  Je t'aime aussi ma puce, et tu ne perds rien pour attendre ! Dès que je rentrerai à la maison je te couvrirai de bisous, tu sais les baveux comme tu les aimes.

Nous éclatons de rire en même temps, et je grimace en imaginant ses bisous escargots, comme j'aime les appeler.

-Beurk, tu dégoûtes !

Il glousse puis emprunte sa voix grave, celle qu'il aime employer pour se moquer de moi.

- Tu sais ce qui me dégoûte moi? C'est d'imaginer qu'un jour un garçon te fera les mêmes bisous que moi, mais sur la bouche ! Ne commence pas à sourire, je sens que tu souris Stacy, n'oublie pas que ça n'arrivera pas avant tes dix huit ans.

- Dix huit ans, rien que ça?!

Il se met à rire et moi aussi. J'aime écouter nos rires résonner, je trouve que ça sonne bien. Ça me détend et me remplit à chaque fois d'une joie immense. J'aime le voir heureux, et j'aime penser que ça durera éternellement.

- Bon, je suppose que tu m'as appelé pour une raison précise n'est ce pas? Sa voix est redevenue calme et douce, comme je l'aime tant.

- Oui en fait, maman n'a plus de beurre ni de levure pour préparer mon gâteau d'anniversaire.

Je lui dis ces mots, un sourire au bord des lèvres et imagine déjà la soirée qui s'annonce. J'ai tellement hâte qu'il revienne à la maison, et que je puisse enfin le serrer dans mes bras!

- Oh, et bien je vais faire un détour par la supérette...

Il n'a pas fini sa phrase, que j'entends son timbre habituellement paisible s'emplir d'une panique incontrôlée.

- Merde, merde putain non!

Un bruit de Klaxon retentit avant que l'appel ne se termine. Durant de longues secondes, je lutte pour ne pas m'écrouler au sol. Ma tête tourbillonne et ma respiration se fait de plus en plus douloureuse et difficile. Le bruit du Klaxon résonne dans mes tympans tout comme les derniers mots de mon père et je sens les larmes monter et menacer de couler. Respire Stacy, ce n'est sans doute rien de grave. Sa voiture a peut être simplement ralenti sur la route, ce qui pourrait expliquer ce bruit de Klaxon derrière lui, quant à ses paroles ce n'est peut être qu'un signe d'agacement. Tout le monde s'énerve au volant non? Je vous en supplie seigneur, faites que ce ne soit que ça.

Après que notre communication a été coupée, il ne m'a pas rappelée. Et moi non plus. J'angoissais d'avance à l'idée de tomber sur sa messagerie. Je me persuadais que notre communication avait simplement été interrompue et je repoussais autant que possible l'idée qu'il ait pu lui arriver quelque chose. Lorsque j'ai séché mes quelques larmes et que j'ai regagné la cuisine, maman était concentrée dans sa préparation et n'a pas remarqué mes yeux humides.

        -  Alors?

        -  Il va faire un détour dans une des épiceries du coin, et il va rentrer.

Elle semblait convaincue de mes paroles, et je crois que je l'étais aussi. Les minutes passèrent puis les heures et ce fut alors une attente beaucoup trop dure à supporter. J'attendais avec impatience le bruit qu'émettraient ses clefs dans la serrure, tout comme j'attendais avec impatience le moment où il me serrerait dans ses bras pour me réconforter et me rassurer. Malheureusement ce moment ne vint jamais. Maman regardait de temps à autre la grande horloge au dessus de sa tête mais ne montrait aucun signe d'inquiétude. Elle était convaincue que tout allait bien, que tout irait bien...

C'est comme ça que ma fête d'anniversaire a commencé. Entourée seulement de ma mère qui essayait tant bien que mal de paraître forte , et de ma petite sœur qui ne comprenait rien à ce qui se passait et qui était excitée à l'idée de m'aider à déballer mes cadeaux. Je crois que ce soir là je jouais le même rôle que ma mère. Je me forçais à sourire et tentais de paraître heureuse en découvrant les cadeaux que mes parents m'avaient faits. Malheureusement, tout n'était que de la simple comédie. A la différence de maman, je savais qu'il lui était peut-être arrivé quelque chose. Je le savais à la seconde où notre appel avait été coupé. J'essayais juste de ne rien laisser paraître pour ne pas effrayer maman et ne pas être celle qui l'anéantirait. Chaque seconde qui passait me rendait de plus en plus nerveuse et angoissée, mon corps tout entier tremblait et j'aurais pu jurer que mon cœur se fissurait dans ma poitrine à l'idée que ma vie ne bascule à jamais.

Ce n'est que deux heures plus tard, que nous avons appris que papa était mort. Maman avait reçu un appel et j'avais compris à la façon dont ses yeux s'étaient vidés de toute émotion que c'était bien arrivé. Je ne réalisais pas encore, je ne voulais pas réaliser. J'avais préservé ma petite sœur aussi loin que possible de cette tragédie et l'avait forcée à s'endormir en lui disant que tout irait bien. Que son héros, notre héros...serait là à son réveil. Et puis je suis partie, je n'ai pas voulu affronter la tristesse de maman. Je me suis enfermée dans ma chambre obscure, seulement éclairée par la luminosité

que m'offrait la lune, et je me suis autorisée à pleurer. J'aurais voulu crier, et décharger toute la rage que contenait mes tripes, mais je n'ai pas pu. Je n'avais plus de force, je me sentais vidée. J'avais pris conscience que je venais de tuer mon père. Qu'à cause de moi, ma petite sœur serait privée de sa figure paternelle et qu'à cause de moi ma mère venait de perdre le seul amour de sa vie. Parce que j'avais voulu l'appeler. Parce que j'avais continué de lui parler alors que je savais qu'il était au volant, et qu'on n'est jamais trop prudent. C'était ma faute. C'était ma faute. C'est ma faute, et maman ne le sait toujours pas. Elle pense encore qu'il ne s'agit que d'un simple accident.

....

Je me réveille en sursaut. Je suis brûlante et gelée à la fois. Mes yeux me brûlent, je réalise qu'ils sont inondés de larmes. Ma respiration est rapide et irrégulière, j'ai mal partout. Je me redresse et observe l'espace sombre qui m'entoure, je tente tant bien que mal de retrouver mon calme et de chasser les images que j'ai trop de fois voulu effacer de ma mémoire sans jamais y parvenir. Papa...Non, non, non! Je revois son sourire et je réentends sa voix. Désormais son timbre ne me calme plus, il me tue. Je me lève, consciente que je n'arriverai plus à me rendormir et constate qu'il n'est que quatre heures du matin sur mon portable.

"Tu es une peureuse Stacy, voilà qui tu es. Tu es une menteuse Stacy, et jouer le rôle de cette fille sans caractère et qui n'ose rien dire, ne t'aidera en rien. Au contraire, à force de faire semblant tu finiras comme elle. Et tu sais ce qui est pire que la solitude? C'est de ne plus savoir qui on est vraiment. Et là, tu es en train de te perdre de jour en jour. "

Je ne suis plus en train de me perdre. Je me suis perdue, le jour où je l'ai perdu lui.

Ses paroles me reviennent naturellement et je ne lutte même plus pour les chasser. Je revois ses deux billes bleues aussi statiques que de la glace qui me fixent et c'est bientôt sa voix grave et rauque qui envahit l'entièreté mon esprit. Je me recroqueville sur moi-même et contemple le croissant de lune qui brille dans l'étendue obscure du ciel.

Tu as raison Ethan. Je suis une peureuse, une menteuse et une mauvaise personne. Je n'aurais pas dû te crier dessus à la cafétéria, tout ce que tu me disais était vrai. J'avais juste peur que tu ne me perces à jour, pire, que cette putain de réalité me rattrape. Parce que le truc, tu vois, c'est que je n'accepte toujours pas ce que j'ai fait. Je n'accepte toujours pas les atrocités que j'ai fait subir à mes proches. C'est seulement lors de ces silences que je déteste tant et lorsque je me retrouve face à cette solitude constante, que je repense à ces choses là. Et je ne veux pas y repenser putain ! Ethan parle-moi je t'en prie, crie moi dessus, comble ce silence et dis moi toutes ces atrocités qui me définissent si bien, pourvu que je n'y sois pas confrontée. Pourvu que je ne sois pas confrontée à ce cauchemar qu'est ma vie. Tu n'es pas un sans cœur Ethan, la seule sans cœur ici c'est moi. Ces lycéens n'ont rien compris, et je crains qu'ils ne le comprenne un jour. Mais moi je l'ai compris Ethan, et je suis convaincue qu'au fond tu n'es pas une mauvaise personne. Laisse-moi te comprendre je t'en prie, laisse-moi savoir qui tu es, et je te promets que je te montrerai à quel point je suis pire que toi.

Laisse moi te montrer à quel point ton cœur est rempli comparé au mien.

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