17:36
Naomi ?
T'es là ?
NaoooOMIIIIII
NAOMI CORNIC JE TE VOIS CONNECTÉE
Déso, j'étais avec Vincent !
Keskispasse ma ptite Jenna ?
Meh, pour pas changer hein... Vincent va bien ?
Rien, à part que la rentrée c'est et ça restera la chose la
plus emmerdante du monde. Puis... c'est bizarre de plus
voir Timothée dans les couloirs
Vincent va bien oui ! Il te souhaite bon courage
pour tes cours.
C'est normal qu'il te manque, c'est encore récent
votre histoire.
Thx Vincent, appreciate your support.
Il me manque pas ! (enfin si un peu, pff je m'énerve)
Et on peut pas vraiment appeler ça une histoire étant
donné qu'il nE S'EST RIEN PASSÉ
Tu as de la chance d'avoir Vincent... J'envie beaucoup
votre histoire de love. J'en ai marre de rencontrer que des
cons. Faut que ça change nom d'une pipe en bois (oui
expression des années 60, no comment)
J'ai décidé un truc. Je vais forcer le destin. Et je vais
pas faire les choses à moitié, cette année, je me lâche !
Sayonara bye bye les cassos, j'vais me trouver un mec bien
Mieux qu'un mec ! Je vais taper fort : un h o m m e.
J'parle pas de sugar daddy non plus, les vieux pervers
non merci. Juste un homme assez expérimenté pour être
mature (si ça existe...)
D'ailleurs, j'ai fait mon choix sur l'homme en question : ton
père ! Ah, et j'envisage de me faire greffer une corne sur
le front pour ressembler à une licorne. Je me suis
dit que ce serait bien que je t'en parle
Naomi !
VINCENT JE RETIRE CE QUE J'AI DIT TOUT À
L'HEURE, RENDS-MOI MA MEILLEURE AMIE
J'ai eu mal au dos toute la journée, je suis sûre que
j'ai un cancer de la gorge
Un soupir théâtrale s'échappe de mes lèvres alors que je verrouille mon téléphone portable et le pose à côté de moi sur mon lit.
Je n'ai eu que cinq heures de cours aujourd'hui, dont quatre heures et demi pour présenter le programme de l'année, mais je me sens aussi exténuée que si j'avais participé à un marathon Los Angeles-New York.
Mon état d'esprit se reflète comme un miroir sur mes capacités physiques. C'est d'un pas trainant que je me rends jusque dans ma salle de bain, où une douche froide me permettra de retrouver un peu de vigueur.
Face à la glace, je contemple un visage qui m'observe avec une curiosité prononcée. Depuis toute petite, j'ai toujours eu du mal à me dire que cette silhouette qui me fait front, c'est moi. J'imagine un univers parallèle avec un second moi, qui pense elle aussi se regarder dans un miroir.
« J'espère que ta vie est plus mouvementée que la mienne. »
Ses lèvres remuent à l'instar de mes paroles.
Super. Deux Jenna Bauer, et y'en a pas une qui est foutue d'obtenir un Prix Nobel !
Je détourne rapidement mes prunelles de la glace, et file sous la douche. Je n'ai jamais aimé me dévisager, d'une part parce que c'est trop narcissique pour moi, d'autre part parce que je n'y vois que des défauts.
Une brunette aux cheveux mi-longs, sans coupe particulière. Des yeux bruns, un peu trop grand pour un visage étroit en forme de cœur. Un nez en trompette qui gâche le profil. Une petite taille et une poitrine menue, accordant la société à lui donner le tiers de son âge réel.
Je le sais : si je veux me lâcher, comme je l'ai dit à Naomi, il va falloir que je fasse abstraction de mon physique.
Mieux, je dois me donner un rôle à jouer à la perfection, tous les jours, ce qui m'aidera à faire les quatre cent coups. Plus je jouerai Jenna-Bauer-la-délurée, plus je deviendrai comme elle et mon but sera atteint !
Quel génie je fais parfois.
20:12
T'es complètement folle ma Jenna !
La réponse de Naomi me fait sourire. Elle ne sait pas à quel point elle a raison.
✻ ✻ ✻
Sept minutes d'attente avant que le bus n'arrive.
Je suis seule à l'arrêt de bus, nous sommes mardi matin, et je n'ai aucune envie de me rendre à la fac.
Tiens, n'avais-je pas juré de suivre toutes mes envies, rien que mes envies ? Si je pars dans cette direction, les bancs des amphithéâtres ne risquent pas de voir mon derrière très souvent...
Distraitement, je me mets à reprendre mon "jeu" que j'ai inventé l'année dernière, quand une grève SNCF m'empêchait de monter dans les bus bondés. Ainsi, pour éviter un massacre à grande échelle, j'avais trouvé ce moyen de détente.
Tout bêtement, regarder les personnes au volant de leur voiture. C'est intéressant de classer par catégories les types de conducteurs, c'est même un travail d'anthropologue !
Entre ceux qui tirent la tronche, ceux qui se mettent le doigt dans le pif, ceux qui chantent la fenêtre ouverte, ceux qui font vrombir le moteur de leur voiture pour prouver à la gente féminine à quel point leur engin est gros (à vous de deviner de quel engin je parle), et ceux qui râlent que la voiture de devant n'avance pas assez vite, on se rend compte qu'il faut de tout pour faire un monde.
Et puis, il y avait les voitures que je reconnaissais chaque matin, celles qui possédaient leur routine matinale, comme moi à l'arrêt de bus.
Dont cette Audi A3 Berline grise (non je n'y connais rien en voiture, c'est juste écrit dessus), que je voyais passer tous les matins à 7h40 tapante.
Et bien entendu, ma vue de lynx n'avait pas laissé échapper son conducteur.
Difficile de juger avec le véhicule en mouvement, mais le propriétaire de l'Audi était définitivement un mâle (pour acheter une voiture pareille en même temps...) d'une trentaine d'année, toujours en costard cravate.
Jenna, tu l'as trouvé ton sugar d-... euh ton homme mature !
Mh, et comment je peux faire pour l'arrêter exactement ? A part laver son pare-brise à un feu rouge sans son accord et réclamer des pièces ensuite, je ne vois pas comment je pourrais attirer son attention.
Je pourrais toujours lui demander s'il sait comment se rendre à la gare la plus proche, mais cela ne m'informerait ni de son nom, ni de son âge, ni de sa pointure de chaussure.
Il faut que je sorte le grand jeu. Et Jenna-la-délurée vient d'avoir l'idée du siècle.
L'horloge numérique de mon téléphone portable indique 7h36, et le bus arrive dans quatre minutes, exactement l'heure à laquelle l'Audi s'arrête au feu rouge.
Soudain, c'est comme si je me trouvais dans un film d'action : au loin, je vois approcher le bus, et dans le sens opposé, je vois l'Audi qui s'arrête conformément au code de la route. Je tourne la tête de droite à gauche, examinant alternativement le bus et la voiture grise.
Les portes du bus s'ouvrent au ralenti, et de l'autre côté, gros plan sur le bonhomme du passage piéton qui s'allume en rouge. Dans moins d'une seconde, le feu va passer au vert et le bus va partir.
SOIS FOLLE JENNA !
Mon sang ne fait qu'un tour, je m'élance sur les bandes blanches du macadam, et l'Audi me percute.