Stacy.
Connard, connard, connard.
Voilà les seuls mots qui se répètent dans ma tête et ce malgré le fait que M. Robinson soit en train de nous présenter un nouveau théorème au tableau. Je sais que je devrais écouter le cours, surtout au vu de mes horribles notes dans les matières scientifiques, mais je ne le fais pas. Alors que chaque élève a le regard rivé sur les expliquations du professeur, le mien est tourné en direction de son dos recroquevillé sur lui-même. Je le regarde avec insistance et arrive à sentir le sang bouillir dans mes veines. Je suis en colère, pire, je vais exploser. Son stylo bille à la main, il ne semble pas le moins du monde préoccupé par la sanction que nous avons eue dans la matinée. Comment fait-il pour être si calme, tandis que je lutte pour ne pas crier ?
Je déteste ressentir ça. Je déteste avoir l'impression de tout avoir détruit avant même que ça n'ait pu commencer. Pourtant c'est la vérité, j'ai encore une fois tout gâché. Je pensais réellement qu'une nouvelle vie s'offrait à moi, que mon premier jour de cours serait synonyme d'un nouveau départ. Pfff... Résultats ? Je ne regarde pas où je marche, renverse mon café sur un inconnu, arrive en retard en cours et suis collée. Moi qui voulais devenir cette fille invisible que je n'ai jamais réussi à être, il faut croire que c'est mort. Je demeurerai cette fille maladroite, qui agit sur un coup de tête et qui se retrouve toujours dans la merde quoi qu'elle fasse.
J'ai chaud, mon dos me démange et je tortille mes doigts entre-eux. Je stresse, je suis anxieuse, je suis mal à l'aise. Mon cœur bat de plus en plus vite, si vite que j'ai l'impression de frôler la crise cardiaque, néanmoins mon regard ne se détourne à aucun moment de son corps à quelques mètres de moi. Je le déteste. Je me déteste. J'en veux au monde entier. J'en veux à cette journée d'être aussi merdique, à ce garçon d'être sorti des toilettes pile au moment où je traversais ce foutu couloir, j'en veux à cette directrice de nous avoir croisés à ce moment précis, à cette foutue psychologue qui m'a fait croire que je pourrais débuter une nouvelle vie. Mais la principale concernée c'est moi, et je m'en veux à moi-même plus qu'à quiconque.
J'ai été stupide de croire que ma vie allait changer sous prétexte que j'arrivais dans une nouvelle ville, j'ai été conne de penser que je pourrais me transformer en une fille meilleure et appréciée des autres. Peu importe où je vais, je finis toujours par être celle qu'on déteste, celle qu'on veut faire chier. Aujourd'hui ce n'est que le commencement, je le sais car ça se passe toujours de cette manière. Bientôt ce garçon taché par ma faute viendra se venger, il préviendra ses potes et c'est tout le lycée qui viendra se foutre de ma gueule. Parce qu'une fois encore, je suis Stacy la maladroite, Stacy qui ne regarde pas où elle va, qui crie sur un gars qu'elle vient à peine de rencontrer et qui se fait déjà remarqué par la directrice. C'est toujours la même chose, je devrais y être habituée à force.
La sonnerie retentit et me sort de mes pensées. Les élèves se lèvent d'un bond et quittent la pièce, je m'apprête à faire de même lorsqu'une main vient se poser sur mon épaule. Un beau garçon aux cheveux blonds bouclés se tient devant à moi, il me sourit mais je ne lui réponds pas. On ne sait jamais, peut-être qu'il s'apprête à se foutre de moi comme le fera prochainement le reste de ce lycée.
- Hey, t'es la nouvelle c'est ça ? Stacy... Il hausse un sourcil comme s'il réfléchissait à quelque chose. Jones ! Oui c'est ça Stacy Jones !
J'acquiesce par un hochement de tête et essaie de me détendre. Il ne me veut peut-être rien de mal tout compte fait.
- Tiens, ce sont les papiers que notre professeur principal nous a distribués en début d'année. Nous avons prévu de visiter pas mal de choses, alors si tu veux venir, remplis-les rapidement. Il me tend le paquet de feuilles. Oh ! Et moi c'est Joshua, mais tu peux m'appeler Josh.
Son sourire est si lumineux, que je me sens obligé de le lui rendre.
- Merci... Josh.
Il me quitte, tandis que je rejoins mon prochain cours. Mon emploi du temps dans les mains, j'essaie de trouver mon chemin. Les couloirs se bondent rapidement de monde, et je prends conscience qu'il faut que je me dépêche si je ne veux pas être en retard. Encore une fois. Avec mon gros sac sur les épaules, et ma touffe rousse, j'ai l'impression qu'on ne voit que moi. Toutefois, aucun rire n'a résonné dans mon dos jusqu'à présent. Respire Stacy... Respire.
- Eh la rousse ! m'interpelle une voix masculine, t'es perdue ?
Je me retourne aussitôt et sens mon rythme cardiaque s'accélérer. Un grand brun aux mèches rebelles, accompagné de deux autres adolescents aux carrures athlétiques apparaissent. Je ne réponds rien, bien trop apeurée par ce qu'ils me veulent et continue ma route.
- On ne va pas te manger hein ! continue-t-il avec une pointe d'amusement dans la voix.
Ils continuent de me suivre et c'est à cet instant que je décide de m'arrêter. Allez ! Un effort Stacy ! Ils n'ont pas l'air si méchant que ça. Pas comme le type de ce matin.. Ils pourront peut être te conduire à l'heure à ton prochain cours.
- Fais voir ton emploi du temps, je pourrais peut-être t'aider.
M'aider ? Je sens mes joues s'empourprer lorsque le grand brun s'approche de moi,. Suffisamment pour que les senteurs viriles de son parfum imprègnent mes narines. Il s'approprie mon carnet de liaison, et me fait un clin d'œil qui a le pouvoir de me faire douter durant quelques secondes de mon identité, et de l'endroit qui m'entoure. Mon manque d'expérience fait que je me suis jamais vraiment sentie à l'aise face à la gente masculine. Je ne suis sortie qu'avec très peu de garçons et aucune de mes relations n'a duré plus d'un mois. C'est sûrement pour ça que lorsqu'il me dévoile son magnifique sourire, mon pouls tambourine à une vitesse folle. Je suis faible, beaucoup trop faible. Heureusement, les rires à voix basses des mecs derrière lui me permettent de reprendre le dessus sur mes pulsions d'adolescente.
- Tu n'as vraiment pas de chance putain, Mme Edward est la pire prof de littérature ! Il passe une main dans ses cheveux, suis-moi je vais te montrer où c'est.
Je le suis en compagnie de ses deux copains et en profite pour les reluquer en entier. Tous les trois portent la même veste. Une veste rouge brillante et sur laquelle je peux lire « Roosevelt League » en blanc. Ce sont sûrement des sportifs, vu leurs carrures et leurs démarches assurées ça ne m'étonnerait pas. Le trio continue de me guider en ricanant et en se donnant des coups de poings à l'épaule de temps à autre. J'accélère le pas pour ne pas prendre de retard sur eux, et laisse mon regard se balader sur les noms écrits sur leurs bombers.
La personne de gauche dont les cheveux châtains sont ramenés en une mini queue-de- cheval, se nomme Max. Celle de droite qui est en possession d'une chevelure blonde tout juste assez courte pour laisser entrevoir les piercings qui décorent ses oreilles, c'est Gavin. Et puis le garçon au milieu qui les dépasse de quelques centimètres, dont la démarche charismatique me laisse penser qu'il avait dû être mannequin dans une vie antérieure, celui dont la main ne cesse de repasser encore et encore au travers de ses cheveux rebelles et qui ne m'a toujours pas rendu mon emploi du temps, porte le nom de Jack.
- Voilà, on est arrivés. Amuse-toi bien !
Je hausse un sourcil, en les voyant faire demi-tour.
- Vous n'êtes pas au même cours que moi ?
Ils n'ont quand même pas risqué d'être en retard à leur cour pour me conduire à ma salle de classe ? Si ? La culpabilité menace de pointer le bout de son nez quand je réalise que je serai la fautive s'ils se font engueuler par leur professeur.
- Vous n'allez quand même pas être en retard par ma faute ?
Jack ricane puis finit par rire à gorge déployée face à mon air inquiet, je m'anesthésie sur place au moment où il s'autorise à enrouler une de mes mèches bouclées autour de son doigt.
- T'inquiète pas pour nous Rouquette, on a d'autres trucs à faire.
Sur ces mots, il se mord la lèvre, me rend mon emploi du temps et s'en va. Je le regarde s'éloigner, encore hypnotisée par sa prestance, avant d'être ramenée à la réalité par la voix mélodieuse de Mme Edward. Elle m'accueille chaleureusement et me fait signe de m'assoir où je le souhaite. Je balaie la pièce du regard et même si la place à côté du garçon de ce matin est libre, je décide de m'installer à côté d'une jolie blonde. Hors de question d'avoir de nouveau affaire à lui, nous sommes déjà collés ensemble mercredi alors je pense que ça suffira. Et puis je ne le connais même pas.
- T'es la nouvelle c'est ça ? Lance ma voisine.
Elle me tend un sourire que je lui rends par politesse. Ses grands yeux marrons maquillés scrutent chaque parcelle de mon visage, et je lutte pour ne pas me cacher derrière mes longues mèches bouclées. Je déteste lorsqu'on me regarde avec insistance, surtout lorsqu'on s'attarde sur mes taches de rousseurs.
- Oui... Et toi ?
Je parle d'une voix basse afin de ne pas me faire remarquer par le professeur, qui galère à retrouver ses fiches, mais ça n'empêche pas ma voisine de hausser le ton.
- T'es sérieuse ? Tu es dans ce lycée depuis deux heures, et tu ne connais toujours pas mon nom ?!
Elle rigole, sans craindre de se faire reprendre par Mme Edward, chose qui me met plus mal à l'aise qu'autre chose. J'avale ma salive plusieurs fois et me demande si j'ai loupé un épisode. C'est à cet instant que la fille derrière nous intervient d'un ton amusé :
- Arrête tu vas lui faire peur Ash ! Elle c'est Ashley et moi c'est Skyler, désolée si cette conne a réussi à t'effrayer. Elle adore intimider les nouveaux élèves.
Elles échangent un regard complice et se mettent à rire. Je me force à sourire devant leurs commérages et reporte mon attention sur le tableau. Je dois reconnaitre que leur confiance et beauté naturelle les rendent assez intimidantes. Tout parait nous opposer, pourtant, je me surprends à me demander si elles ne pourraient pas devenir mes amies dans un futur proche. Des amies sur lesquelles je pourrai compter, et qui pourraient me conseiller quant à mes fréquentations par exemple.
- D'ailleurs ! Il faudrait qu'on te présente notre bande, tu vas voir ils sont cool.
La tête de Skyler est positionnée entre Ashley et moi, je tire profit du regard qu'elle lance à la jeune blonde, pour contempler sa longue chevelure brune. Elle a de la chance d'avoir des cheveux si raides et si brillants. Je me demande quels soins elle utilise pour les entretenir...C'est à cet instant que je réalises ses paroles ; une bande ? Je n'ai jamais aimé être entourée par beaucoup de monde, j'ai sans cesse cette impression d'être jugée, reluquée de manière malveillante, comme si j'étais le centre d'attention de tous ces individus. Peut-être que leur groupe d'amis m'accueillera gentiment et saura me mettre à l'aise, je l'espère en tout cas...
- Bon et bien je ne retrouve pas mon classeur, je l'ai sans doute oublié chez moi. Ce n'est pas grave, je trouverai de quoi vous faire cours, affirme Mme Edward de manière à faire cesser le brouhaha ambiant. Mlle Jones, que dites-vous de vous présenter devant la classe ?
Le professeur m'offre ses traits les plus doux, mais ça n'empêche pas la panique de me gagner. Je savais que cette épreuve allait arriver tôt ou tard, mais j'espérais secrètement que ça n'arriverait pas aujourd'hui alors que je ne connais encore personne. Les regards des autres élèves se tournent unanimement dans ma direction ce qui me laisse penser qu'ils viennent seulement de se rendre compte qu'une nouvelle élève avait fait irruption dans leur classe. Mon cœur se resserre dans ma poitrine, mais ce n'est rien comparé à la boule qui est en train de se former au creux de mon ventre.
Les yeux des trente élèves présents sont braqués sur moi tels des révolvers prêts à charger et me fusiller sur place. Ils m'observent, intimidée, me lever maladroitement de ma chaise et marcher, jusqu'à la petite estrade qui les devancent. Allez Stacy, tu peux le faire. Oublie ce qui s'est passé ce matin et recommence à zéro. Utilise les bons mots, la bonne intonation, et surtout n'oublie pas de sourire.
- Bonjour, je m'appelle Stacy Jones et... je vais avoir dix-huit ans en mars. J'ai grandi en Floride à Miami plus précisément, et ça fait seulement quelques jours que j'ai emménagé à Seattle.
Mes doigts se tortillent entre eux, s'emboîtent les uns entre les autres de manière incontrôlée, reflétant mon mal-être intérieur. Le stress désormais, coule à flot dans chacune de mes veines.
- C'est super ! Et est-ce que tu t'es déjà fait quelques amis pour l'instant ? Me demande Mme Edward avec enthousiasme.
Je relève mon regard qui s'était naturellement abaissé à mes Converses, et croise involontairement celui du garçon au fond de la classe. Ses yeux restent plantés dans les miens et un frisson me parcourt le corps. Jamais personne ne m'a regardé avec autant d'aversion et d'antipathie, enfin pas à mon premier jour de cours en tout cas. J'avale la boule de tension qui est restée coincée dans ma gorge et détourne aussitôt le regard en direction d'Ashley et de Skyler. Deux visages qui me détendent aussitôt et me redonnent un peu confiance en moi.
- Heu oui... enfin pas vraiment, mais ça va venir. dis-je.
Enfin j'espère...