[ CW : Underage / Relation prof - élève ]
De l'air.
Il lui fallait de l'air.
Leonhard ne savait plus pourquoi, mais il lui fallait de l'air. Rapidement.
Lorsqu'il ouvrit finalement les yeux, tout n'était que ténèbres, autour de lui. Son corps, frigorifié, semblait s'enfoncer sans fin dans les abysses les plus profondes. Il ne pouvait pas bouger, comme retenu par des centaines d'étreintes invisibles l'entraînant dans sa chute. Son visage entouré de fines mèches dorées se releva, se posant sur cette surface si lointaine, s'éloignant de plus en plus. Parfois, de petites bulles l'effleuraient, en remontant vers cet endroit inatteignable. Bien que l'air lui manquât, il ne trouvait pas cette sensation si désagréable que cela. En vérité, il n'arrivait plus à penser à quoi que ce soit, ne pouvant se concentrer que sur ses environs, sans vraiment se poser de questions.
Il ferma les yeux, puis les rouvrit. Il ne cherchait pas à comprendre pourquoi il semblait en train de se noyer, alors que son corps refusait de se débattre, d'activer ses instincts de survie. Est-ce que cela signifiait qu'il était déjà mort ? Vivait-on infiniment ce qui nous avait tué, lorsque tel était le cas ? Si oui, il trouvait l'au-delà bien effrayant... Enfin, s'il avait été en mesure de raisonner, il l'aurait sans doute qualifié comme tel. Ici, il n'avait qu'à se laisser sombrer, de plus en plus profondément, sans y réfléchir. Est-ce que ses pieds finiraient par toucher le fond, ou quelque chose ?
Il s'apprêta à laisser tomber, et à se laisser sombrer pour de bon, lorsqu'il sentit quelque chose se saisir de son poignet, sans parvenir à distinguer ce que cela pouvait être, alors que cela se trouvait à seulement quelques centimètres de son visage. Puis, son bras se leva, et, par la force de ce qui le tenait, il commença à se faire tirer, remontant soudainement vers cette surface tant désirée, à une vitesse fulgurante. La lumière se rapprochait, peu à peu, le forçant à plisser les paupières afin de ne pas se retrouver ébloui par son intensité. L'eau l'entourant glissait le long de sa peau, ne pouvant le retenir davantage.
Et, finalement, sa tête retrouva l'air libre. Tout n'était que blanc, bordé d'une aveuglante luminosité, mais il s'en moquait. Il pouvait respirer. Il prit une grosse bouffée d'air.
*
« Votre Altesse, ouvrez les yeux ! »
Plusieurs pressions furent exercées sur sa poitrine, d'une force imposante. Puis, il sentit de délicates lèvres effleurer les siennes, avant que de l'air ne soit enfin transmise à ses poumons en plein repos. Ceux-ci semblèrent se tordre, comme si quelque chose n'allait pas. Nouvelles pressions. Un jet remonta le long de sa gorge, arrivant à sa bouche, le faisant tousser afin de l'expulser, retrouvant soudainement une autonomie respiratoire. Ses paupières se soulevèrent lentement, ses pupilles devant se réhabituer à la lumière du Soleil sur le moment.
« Votre Altesse ! »
Il ne parvenait pas encore à voir la personne, mais il reconnaissait cette voix. La présence de cet individu à ses côtés le fit sourire, même s'il ne saisissait pas encore bien la situation dans laquelle il se trouvait.
Lorsque sa vision fut apte à fonctionner correctement de nouveau, il put voir ce visage enfantin, au-dessus de lui, l'observant de cet air stoïque habituel. Son professeur particulier, Heine. Derrière lui, soucieux, se tenaient ses trois frères, Kai, Bruno et Licht, dont les visages s'illuminèrent de soulagement lorsque Leonhard émergea des ténèbres. Ce dernier se redressa afin de s'asseoir, prenant plusieurs grandes inspirations afin de satisfaire ses poumons affamés.
Combien de temps était-il resté inconscient ? Il regarda le petit étang où lui, ses frères et son professeur s'étaient rendus, dans la journée, afin de se balader un peu. Il avait basculé en avant, en voulant attraper une libellule, et, surpris, n'avait pu que paniquer, jusqu'à commencer à se noyer. Il remarqua d'ailleurs qu'il demeurait trempé lorsqu'un froid mordant s'empara de lui, le faisant violemment frémir. Heine n'était pas sec non plus. Heureusement qu'il se trouvait là, et qu'il avait pu voler à son secours avant que quelque chose de grave n'arrive. Bien sûr, il se doutait que, dans le cas contraire, Kai aurait certainement remplacé le petit professeur, afin de sortir Leonhard de ce mauvais pas.
« Grand frère, tu m'as fait peur ! s'écria soudainement Licht, en se jetant sur l'intéressé.
- Ah ! »
Il ne s'était pas attendu à se faire étreindre de la sorte, et, malgré l'eau s'écoulant le long de ses membres, il posa une main sur le crâne du plus jeune, caressant délicatement ses longs cheveux blonds.
« Désolé de vous avoir inquiété.
- Ce n'est rien, Votre Altesse. Je suis soulagé de vous savoir en vie. Cependant, je vous demanderai de vous montrer plus prudent, la prochaine fois.
- Oui, désolé. »
Bruno et Kai opinèrent, et Licht se releva en entraînant son frère avec lui. Par la suite, Heine suggéra de rentrer au palais, afin que Leonhard puisse se remettre de ses émotions, prendre une douche, et se changer, s'il voulait éviter de tomber malade suite à cette mésaventure.
*
Le reste de la journée se déroula plutôt tranquillement. Les princes vaquèrent à leurs occupations habituelles. Après avoir enfilé des vêtements secs, le jeune maladroit avait demandé à ce qu'on lui apporte une sachertorte, son gâteau préféré, préparé à l'aide de chocolat et de confiture d'abricot. Il l'avait patiemment dégusté, repensant à la chance qu'il avait eu de pouvoir rester en vie, malgré l'incident. Cette réflexion lui donna le vertige, lui faisant réaliser à quel point la vie était une chose précieuse.
Une autre chose lui trottait en tête cependant. Cette sensation qu'il avait éprouvée lors du bouche à bouche avec son professeur. Pourquoi est-ce que cette simple pensée suffisait à le mettre dans tous ses états, faisant s'empourprer son visage ? Les lèvres d'Heine... Ses fins doigts se posèrent sur les siennes, les effleurant pensivement. Qu'est-ce qui clochait, chez lui ?
Le soir venu, alors qu'il s'était glissé dans sa légère robe de chambre en dentelles blanches, et s'était apprêté à se mettre au lit, quelqu'un avait frappé à sa porte. Assis sur le rebord de son matelas, il indiqua à la personne d'entrer. Quelqu'un qui venait prendre de ses nouvelles ? La poignée de porte sphérique tourna, laissant entrer son professeur, Heine, portant toujours sa tenue de cours, malgré l'heure tardive. Le blond l'accueillit avec un petit sourire, tandis que le rouquin avança jusqu'à lui, s'inclinant légèrement en arrivant à sa hauteur.
« Prince Leonhard, je venais voir si vous vous étiez remis de cette journée.
- Oui, je vais bien !
- Voilà qui me rassure. »
Un petit silence s'installa entre les deux, qui se regardaient mutuellement, sans bouger. La sensation lors du CPR revint à Leonhard, qui s'en retrouva instantanément gêné, d'autant plus devant la personne concernée. Celle-ci poussa un petit soupir, avant de se retourner.
« Bien, dans ce cas, je vais me retir—
- Heine, attendez, le retint Leonhard. J'ai... Quelque chose à vous demander.
- Mh ? »
L'intéressé reposa ses prunelles ambrées sur son étudiant, attendant que celui-ci formule sa requête. Le jeune prince se mordilla la lèvre inférieure. Pourquoi le retenait-il, au juste ? Ce fut à son tour de soupirer, et, il posa la question naturellement, en prenant soin de détourner le regard.
« Est-ce que vous... Pourriez refaire comme avant, sur la rive ? Mais... Je veux dire... Sans que ce ne soit un geste de secours.
- ... Pardon ? »
Il ne semblait pas comprendre.
« Vos... Vos lèvres...
- ... Oh. »
L'homme au visage enfantin ne bougea pas, son expression imperturbable déformée par une sorte d'incompréhension. Il n'avait pas dû s'y attendre... Et cela pouvait se comprendre. Mais à en juger par le visage de Leonhard, celui-ci demeurait on ne peut plus sérieux.
Heine décida alors de s'approcher du garçon, dont le cœur battait la chamade. Il posa une main sur son épaule, puis l'autre, avant d'approcher son visage du sien. Il allait...vraiment le faire ? Ce fut au tour du prince de se montrer surpris. Il avait plutôt pensé devoir essuyer un rejet sévère, suivi d'un sermon.
« Ce n'est pas très approprié, Altesse.
- Je m'en fiche.
- Vous êtes mon élève, et moi votre professeur.
- Peu m'importe.
- De plus, vous—
- Je vous dit que je m'en fiche !
- ... Fort bien. »
Sans rien ajouter, l'enseignant finit par déposer de nouveau ses lèvres contre celles de l'étudiant, échangeant cette fois-ci un chaleureux baiser. Celui-ci s'éternisa quelques instants. Leonhard ne sut dire si cela venait de sa volonté de ne pas y mettre fin, agréablement surpris de la douceur que lui procurait cette sensation inconnue, ou bien de celle de Heine. L'embrassait-il de son plein gré, ou se sentait-il forcé par les paroles du prince ? Il n'aurait su le déterminer non plus. Et il savait qu'il aurait beau lui demander, jamais il ne lui donnerait une réponse satisfaisante : il demeurait bien trop énigmatique pour cela.
Lorsque leurs lèvres se séparèrent, elles se rencontrèrent de nouveau, dans un échange plus passionné, plus fiévreux encore.
Et c'est dans cette intimité croissante que deux êtres ne firent que débuter leur nuit, dans le secret de ces murs, seuls témoins de cette scène amorale.