Salut à toutes et à tous !
Réseau Royal s'apprêtant à être publié en librairies, j'ai retiré l'essentiel de la série de Wattpad (avec un pincement au cœur, je l'avoue, après tous les commentaires que vous m'y avez laissés et pour lesquels je resterai toujours reconnaissante). Pour patienter jusqu'à la sortie le 17 mai, en voici les 2 premiers chapitres (soit 15 parties Wattpad) dans leur nouvelle version. Bonne découverte : j'espère que cela vous donnera envie de retrouver ce tome 1 au format papier très bientôt !
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La pièce est plongée dans l'obscurité. Seul un rectangle de lumière défie la nuit : l'écran du smartphone que Julie tient dans la main. Il diffuse autour de lui un faible halo, colorant d'une teinte verdâtre le visage de la jeune femme recroquevillée sur son lit. Ses longues mèches rousses touchent ses genoux, qu'elle a ramenés contre elle.
À travers l'écran, c'est un autre monde qu'elle entrevoit. Versailles. La cour. La fête magnifique donnée par le roi François IV. Il y a vingt ans encore, ce qui se déroulait entre les murs des palais royaux était un mystère pour la majorité de la population. Plus maintenant. Grâce à Réseau Royal, chaque sujet y est invité. Grâce à Réseau Royal, une jeune femme cachée dans une chambre obscure, comme Julie, peut avoir le sentiment de côtoyer les puissants.
Elle devrait dormir. Elle enfreint les règles édictées par son oncle en regardant le streaming en live d'une des caméras installées dans la galerie des Glaces. Il n'aime pas qu'elle se connecte trop souvent à Réseau Royal. « Julie Morleux doit garder la trace numérique la plus insignifiante possible », lui répète-t-il souvent.
Mais elle s'ennuie. Son oncle est toujours dans l'action, il ne sait pas ce que c'est que d'être désœuvrée, cachée dans une maison depuis plusieurs années, tenue à l'écart du monde.
Et puis, elle ne peut s'empêcher de se poser une question.
Est-ce pour ce soir ?
Elle se connecte à une autre caméra, découvrant la fête royale sous un nouvel angle. La comtesse d'Armagnac fait des selfies avec la nouvelle coqueluche de la cour, la webenante Claire Tarlier, et la jeune femme lit distraitement les commentaires que les autres utilisateurs de Réseau Royal laissent à ce propos : beaucoup se réjouissent du récent anoblissement de Claire, qui s'est rendue célèbre sur l'internet français grâce à ses vidéos. Certains suggèrent que la comtesse d'Armagnac est hypocrite et ne cherche qu'à faire le buzz en se prenant en photo avec la webenante, rappelant qu'elle a critiqué de manière assez virulente ce qu'elle appelle « l'arrivisme de la nouvelle noblesse d'écran ».
Julie vérifie le statut des utilisateurs qui s'autorisent à laisser de tels commentaires. Tous ont un compte Réseau Royal Platine ou Or : ils appartiennent donc aux strates les plus hautes de la société, et peuvent se permettre de dire ce qu'ils veulent en ligne sans risque d'être inquiétés. Si Julie faisait de même avec son simple compte Cuivre, la police royale viendrait l'arrêter dès le lendemain matin. Et elle ne serait pas la seule à payer le prix de cette imprudence : à son oncle aussi, elle risquerait de coûter très cher.
Elle change de nouveau de caméra, peu intéressée par ces démonstrations factices d'affection. Elle navigue de point de vue en point de vue pendant quelques minutes, découvrant tour à tour l'héritier du trône, le dauphin Louis, en train de danser au cœur d'un groupe de jeunes nobles ; Pierre de Chantilly et le cardinal d'Avignon, deux conseillers royaux, en grande discussion dans un coin de la galerie des Glaces ; le webenant Yann d'Autre-Regard filmant et commentant la fête sur son smartphone pour son propre site de streaming... Rien d'inhabituel pour une fête à Versailles.
Une notification apparaît soudain sur le téléphone de Julie, comme sur tous les téléphones du pays. Le roi François IV vient de poster un nouveau statut. La jeune femme décide de le lire tout de suite : ce qu'elle voit de la fête ne la captive pas, de toute façon, et il n'y a pas d'autre moyen de faire disparaître la notification que de consulter le profil du roi.
[Vous êtes plus de sept millions à vous être connectés ce soir à Réseau Royal pour fêter le centenaire de la victoire d'Halluin. Merci de la ferveur que vous démontrez une fois de plus autour de la Couronne. Je prendrai la parole dans quelques minutes pour commémorer cet événement si important dans l'histoire de notre nation.
François IV, roi de France]
Le message est accompagné d'un lien direct vers la caméra qui filme le roi en direct. Julie appuie dessus, et soupire en se rendant compte que le flux vidéo qui lui est transmis est en basse définition. Quand les bandes passantes sont trop sollicitées, le débit des comptes au statut le moins élevé est réduit... Avec son profil Cuivre, elle est souvent victime de ces limitations.
Alors elle change de canal pour se connecter à celui, officieux, de Yann d'Autre-Regard. Cette fois, le direct est en haute définition, mais le cadrage de l'image laisse à désirer : le rang du webenant ne lui permet pas de se placer en première ligne de la foule des courtisans, et l'image du roi qu'il filme est captée entre les épaules de deux autres nobles. Si bien que la vidéo offre une parfaite vue sur le torse et les bras de François IV ainsi que sur son verre de vin, mais ne montre pas son visage...
Tant pis. Julie retourne sur le flux officiel. Le roi est pixélisé mais, au moins, le son est correct. Et elle n'a pas à subir les commentaires indésirables de Yann d'Autre-Regard...
François IV glisse quelques mots à son intendante, située à sa gauche. Cette dernière va lui chercher un micro, puis réclame l'attention des courtisans avant de le passer au roi. Sa Majesté s'en saisit et déclare :
— Mes chers amis, mes chers sujets...
Les courtisans à Versailles sont suspendus aux lèvres du roi, tout comme les millions d'internautes qui suivent la scène via Réseau Royal. L'audience atteint des sommets, Julie le sait. Et dans un moment pareil, elle se sent connectée au reste de la nation. Partie d'un tout plus large qu'elle.
C'est cela, la force de Réseau Royal. Il crée du lien entre tous les étages de la pyramide sociale.
La jeune femme n'a pas le temps de prolonger ses réflexions, car le roi poursuit son discours :
— La victoire d'Halluin en 1917 a joué un rôle déterminant dans le cours de la Grande Guerre. Malgré le refus des États-Unis d'Amérique d'apporter leur soutien à nos forces contre l'Allemagne, la France a su démontrer avec l'aide de ses alliés que...
Le roi s'interrompt brutalement, et un murmure parcourt l'assistance. Julie blêmit.
Se pourrait-il que...
Oui, ce qu'elle espérait et redoutait à la fois est en train de se produire. François IV porte la main à sa poitrine. Son visage tordu par la douleur bleuit. Puis ses jambes, incapables de le soutenir plus longtemps, s'effondrent sous lui.
— Appelez un médecin ! hurle un noble.
— Le roi fait une crise cardiaque ! crie un autre.
La caméra de la galerie des Glaces cesse soudain d'émettre. L'écran du smartphone de Julie devient noir.
Pour tout autre qu'elle, le suspense serait insoutenable. Mais la jeune femme le sait : la France vient de perdre son roi. Elle le sait, car son trépas était planifié de longue date. Elle ignore comment les conspirateurs sont arrivés à leurs fins, comment ils ont réussi à déjouer toutes les mesures de sécurité autour du roi, les fouilles à l'entrée de Versailles, le goûteur, les gardes surentraînés postés partout dans le château. Mais ils y sont parvenus.
Julie reste un moment dans l'ombre, son smartphone éteint à la main. Ce sont ses derniers instants de paix avant longtemps : elle ne veut pas les gaspiller. Et quelque part, elle est en état de choc. Jusqu'alors, elle ne pensait pas que tous les plans dont elle avait entendu parler seraient un jour mis à exécution. Maintenant, ils ont pris une réalité bien trop palpable.
À travers la fenêtre, la nuit s'éclaircit progressivement, laissant place au matin. Alors que le soleil éclaire de ses premiers rayons le visage cerné de la jeune femme, la porte de la chambre s'ouvre. Julie tourne la tête, mais elle a déjà reconnu le pas du nouvel arrivant : c'est son oncle. D'une voix grave, solennelle, il lui annonce :
— Le jour est arrivé, Julie. François IV est mort.
— Vous auriez pu me prévenir. Je le regardais sur Réseau Royal, et tout à coup, il s'est effondré...
— L'information ne se livre pas à la légère. Je ne serais pas là où je suis aujourd'hui si je n'en étais pas avare.
La jeune femme baisse la tête. Son oncle ajoute :
— Ne le prends paspersonnellement. Tu sais à quel point tu es importante à mes yeux. À nos yeux àtous... Allez, prépare-toi maintenant. Tu dois être à Versailles à 11 heures.