Les onze aventures calamiteus...

By enfant-minuit

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Dans le village de montagne où habite Robin, il n'y a pas grand chose à faire. Ses journées sont plutôt monot... More

avant-propos
1ère aventure - La chèvre de M. Latache, partie I
1ère aventure - La chèvre de M. LaTache, partie II
3ème aventure - L'halloween français raté, partie I
3ème aventure - L'halloween français raté, partie II

2ème aventure - Les graffitis sur le mur de l'école

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By enfant-minuit







TROIS SEMAINES ÉTAIENT PASSÉES depuis l'épisode de la chèvre. Robin se rappelle encore de la tête de M. Latache lorsqu'il a ouvert la porte sur une Venise désolée, une bête complètement terrorisée dans les bras. Confuse, elle avait essayé de s'excuser, vraiment. Elle avait adapté un posture qui n'était pas vraiment la sienne, défroissant les plis de sa robe à l'aide de ses doigts gourmands. Elle avait laissé glisser quelques politesses qui sonnaient bien faux dans sa bouche, mais lorsque Latache s'était mis à lui dire qu'elle était 'vilaine' et qu'elle 'ne deviendra rien plus tard', la jeune fille s'était emportée à son tour en crachant à ses pieds comme les vieux fermiers du coin. Elle s'était enfuie en courant, les baskets claquant contre les chemins de campagne.

Depuis tout ça, Robin n'avait pas eu l'occasion de passer du temps avec elle. Il la voyait souvent, tous les jours même, mais les paroles que s'échangeaient les deux adolescents étaient pleines de timidité et aussi furtives que le battement d'aile d'une corneille.

Ces temps-ci, quand Robin marchait dans la cour de son école (pieds nus), il se surprenait à remarquer plus facilement la silhouette de Venise, étalée dans l'herbe ou sur un banc. Parfois, il la regardait un peu plus longtemps et s'était mis à remarquer des choses complètement loufoques, comme par exemple que sa joue droite se creusait d'une fossette lorsqu'elle souriait. Son petit menton était tracé de courbes fines et vagabondes ; ses épaules elles, n'étaient pas très grandes, mais ses hauts à brettelles laissaient apercevoir les constellations de grains de beauté qui parsemaient sa peau laiteuse.

Il se demande si elle aussi, elle le voit. Parce que lui, il ne manque jamais une occasion pour lui adresser un signe de main ou quelques mots. Lorsqu'elle s'intéresse à lui, elle repart souvent en imitant un funambule sur le muret et en écartant ses bras pour faire l'avion.

— Tu te rinces bien l'œil avec cette Venise, hein ? lui dit souvent Clotilde en ricanant.

Robin le nie, mais au fond, il sait bien que son ami a raison : l'image de la jeune fille lui colle aux pensées.


Du coup, quand elle vient le voir, ce jeudi soir, les cheveux lâchés, le teint bizarrement plus mat que d'habitude, et qu'elle lui dit qu'elle a absolument besoin de lui pour son escapade nocturne, il reste pendant deux longues secondes complètement éberlué. Elle a les bras croisés sur sa poitrine, et elle semble plus imposante que la dernière fois qu'il l'a croisé. Les yeux clairs de Robin discernent une étincelle dans son regard sombre, et il balbutie, en se grattant la nuque :

— Attends, Venise, attends, quoi ?

— Bon, déjà, moi c'est Denise. Sérieux, ma sœur elle est beaucoup plus petite, eh. Et elle se fait des coiffures bien chelou, moi j'ai un minimum de respect pour moi-même, je ne m'inflige pas des trucs pareils.

Denise lance un coup de menton en direction d'une fille qui fait de grands gestes dans un coin, et Robin reconnait la chevelure rousse de la seconde jumelle Malmaison. Elle a une brindille coincée dans une de ses couettes, tandis qu'elle triture l'autre avec un autre bout de bois, en clamant au pauvre jeune homme qui la regarde :

— Regarde, je mets des bâtons dans les roux !

En étouffant un rire, Robin repose son attention sur la fille qui se tient devant lui. Un pantalon léger sur les hanches et un air chaleureux sur le visage, Robin commence à discerner les petits détails qui différencient les deux sœurs jumelles. Les mèches de Denise sont plus sombres à ses pointes, surement dû à une ancienne coloration. Les plis de ses lèvres n'est pas aussi fougueux que celui de Venise, et la courbe de sa mâchoire est plus douce, sous sa chevelure de la même teinte que les écorces au coucher de soleil du coin. Alors que Venise respirait l'été et les fruits rouges, Denise, elle, avait une aura rassurante, comme l'odeur des thés chauds à la fin d'une longue journée.

— Excuse-moi Denise, mais, hum... Je ne suis pas sûr d'avoir compris ce que tu attends de moi ?

La jeune femme soupire, et n'essayant même pas d'aller plus loin, elle répond par des mots qui s'adressent à elle-même :

— C'est vraiment trop dur de parler aux gens que tu ne connais pas. VeniSE ! braille la jeune fille à travers la cours qui s'était presque entièrement vidée, et la jumelle se presse de venir, ses bâtons enroulés dans ses mèches légères.

— Tiens, dis-lui. Moi j'rentre, j'ai la dalle.

— Si tu finis les chocapics, j'te noie avec de la moutarde.

Sa jumelle lui envoie un sourire sournois accompagné d'un haussement de sourcils qui voulait tout dire, avant de s'éclipser derrière la grille de l'école.

Venise se tourne enfin vers Robin, qui est de plus en plus perdu. Il hausse les épaules et ouvre grand les yeux face au silence embarrassant qui s'installe entre les deux enfants, et il bredouille, de la même voix un peu fatiguée et hésitante :

— Denise m'a dit que...

— Ah, t'as fais la connaissance de cette vieille pie, hein ? C'était pas la meilleure de ses premières impression, mais ouais. On divague. J'explique.

Robin hoche une dizaine de fois la tête, et Venise recule de quelques pas.

— Tu vois ce mur, là ? Le tout blanc ?

Elle tend son bras vers une des façades de l'école. Seulement deux fenêtres se creusent à l'intérieur, et une faille grignote le bas du côté droit. Le gravier ronge le bas du mur, et quelques touffes d'herbes rebelles se sont trouvés un coin tranquille à son pied pour élire domicile.

— Ouais, ouais je le vois.

— Ce soir, il va plus être blanc. Et tu vas nous aider à le décorer.

— Quoi ? Mais c'est du vandalisme, et c'est super risqué, et si on se fait prendre ?

Venise souffle en croisant ses bras sur son buste. Elle ferme ses yeux comme si elle était devant un cas désespéré, et Robin se mord doucement la lèvre. Ses chaussures crissent contre les cailloux du trottoir, avant qu'elle annonce, en faisant claquer sa langue :

— Mon cher Robin, Venise Malmaison va t'apprendre à devenir un vrai caïd.

Elle lui décoche un sourire sincère, et Robin n'est pas capable de dire non. Il réplique, en fronçant les sourcils :

— Eh, c'est moi le voyou du coin. Faut pas t'y croire trop, ma chère Ven'.

Elle hausse les sourcils, intéressée, surprise du surnom ridicule que vient de lui choisir le jeune homme. Il reprend, d'une voix calme :

— Mais pourquoi moi, Venise ? J'veux dire, c'est pas que je veux pas, c'est qu'on se connait tout juste et ta sœur ne sait même pas qui je suis...

— Parce que t'es grave mign... Venise toussote, en essayant de se reprendre, parce que je me suis dit que t'avais surement de la peinture noire. Mon père nous a confisqué la nôtre il y a un peu plus d'une semaine, quand on a peint sur la cuvette des toilettes.

Robin lâche un petit ricanement nerveux, et ne trouve rien d'autre à faire que de tirer sur les lanières de son sac. Il hoche la tête, et avant qu'il puisse répondre, Venise se met à sautiller autour de lui.

— Tu es vraiment d'accord ?

— Est-ce que tu me donnes le choix ? répond-t-il en haussant les épaules.

Venise croise ses bras sur sa poitrine en lui faisant remarquer :

— Eh, j'vois qu'on commence à me connaitre, c'est bien, ça. Écoute, ce soir, c'est une mission ultra-secrète. Moi et Denise on vient te chercher, devant ton portail, à minuit trente-deux. Ouais, tu seras là ?

Robin n'a même pas le temps de confirmer les mots de la jeune fille ; elle lui jette un ultime sourire, et elle est déjà partie, les chevilles dévorées par les herbes folles qui tracent le chemin de sa maison.





Allongé sur ses draps bien repliés, un pot de peinture noir et un pinceau dans la main, Robin manque de s'endormir en regardant son plafond. Sa chambre n'est pas très grande, et son lit ne se résume qu'à un matelas épais posé à même le sol. Une étagère jonchée de vieux livres est coincée contre le mur, et la lucarne inclinée qui se creuse dans le mur de droite illumine souvent le bas de sa couette de la lumière pâle de la lune. Les nuits d'automne sont les plus rousses, les plus fraîches et les plus silencieuses de l'année. En hiver, les chants emplissent les champs et les rues, et les animaux grattent la neige des pâturages.

Quand minuit et quart passe, Robin décide de partir. Sa mère a un sommeil profond – heureusement – et ne l'entend pas se faufiler par la fenêtre de sa chambre. Pieds nus, les épaules recouvertes d'une épaisse veste, le jeune homme tombe au sol silencieusement. Il a pensé à sortir son vélo discrètement en début de soirée, et il dépose sa monture sur le goudron froid de son village, en attendant les deux filles qui lui avaient promis de montrer le bout de leur nez. Il commence véritablement à se demander si tout ça est une bonne idée, qu'est-ce qu'il lui a pris d'accepter de fuguer avec deux jumelles qui paraissent prêtes à tout pour tromper l'ennui ?

— Eh, psssssssst, Robiiiiiiiiiin !

Il sursaute, et se rend compte que deux silhouettes sont plantées à même pas un mètre de lui. Il ne les a même pas vu venir, et il se dresse sur ses jambes aussi vite qu'une grenouille apeurée.

— Venise ? Denise ?

Dans le noir, les jumelles sont presque indiscernables. Seule la petite taille de Venise l'aide à se repérer lorsqu'elles sont côtes à côtes.

— Euh, bonsoir ? tente-t-il, avant de se faire couper par la voix la plus grave des deux :

— T'as la marchandise ?

Il lève son pot de peinture et son pinceau, et il peut discerner les dents blanches de Venise dans la nuit alors qu'elle sourit. Elles ne lui adressent rien de plus, à part un simple petit 'let's go !' en donnant un coup de pédale.

Robin se presse à leurs côtés, et le trio prend le chemin familier du bahut. Les deux jeunes filles ne roulent pas droit, et s'amusent passer sur les trottoirs, sur l'herbe, en zigzaguant de droite à gauche. Aucun mots ne sont échangés, juste quelques gloussements quand Denise écarte les jambes comme une poule en plein vol et quand Venise pédale sans les mains, le cœur qui bat un peu plus vite, le souffle un peu plus court.

Venise s'écrase littéralement contre le mur de l'école, et descend de sa bicyclette sans aucune grâce. Elle pli les genoux devant ses deux autres coéquipiers, et lance, d'une voix dure :

— Mission peinturage de l'école lancée, intrusion par les airs, on y va les cocos, hop, hop, hop !

Robin et Denise laissent leurs vélos devant la grille qui s'élève bien au-dessus de leur têtes. Elle est solidement fermée à clé, et Robin demande, d'une voix basse :

— Dis, Sherlock, t'es au courant qu'on ne peut pas rentrer, hein ? Mais t'as un plan, j'en suis sûr.

— On improvise ! lui dit Denise en haussant les épaules.

Robin reste sans voix face aux deux jeunes filles : elles sont en train de tout faire sur un coup de tête. C'était comme si, un matin, on se réveillait en disant 'allons braquer une banque !' sans penser aux armes, aux otages, à la fuite, rien, nada. Venise s'amuse à glisser ses baskets dans les failles du portail, tandis que Robin se dirige vers l'arbre le plus proche. Denise le suit, et elle lance à sa sœur :

— Eh, Y'a un arbre qui passe de l'autre côté !

— Non, non, non, ma technique elle est plus mieux, répond Venise avec une voix d'enfant, alors qu'elle galère à se hisser vers le haut de la grille flageolante.

Robin grimpe en premier, comme s'il connaissait le territoire sur lequel il s'aventure. Le pinceau entre les dents, il balance le pot de peinture de l'autre côté pour aider Denise à escalader elle aussi. Ils passent le mur à deux mètres du sol, et se laissent glisser le long des branches tordues qui viennent lécher les galets de la cours. Robin offre sa main à Denise qui la lui prend, la paume abîmée par l'écorce sombre de leur perchoir. Elle lâche un petit 'merci' auquel répond Robin avec un sourire. Il s'attend à voir Venise surgir derrière elle, mais tout ce qu'il trouve, c'est les brises fraîches de la nuit qui balayent les feuilles frémissantes de leur échelle vivante.

— Et ta sœur ? questionne Robin en se tournant vers Denise, et elle tend le bras vers la forme qui gigote au sommet du portail.

Venise tente de passer sans se plaindre et sans avoir l'air trop ridicule, mais la vérité, c'est qu'elle a la capuche de son pull coincé dans un des pics de la grille. Elle tente de l'atteindre de sa petite main, mais tout ce qu'elle arrive à faire, c'est juste de l'effleurer. Elle ne remarque pas tout de suite Robin qui se plante devant elle et qui la regarde galérer, un sourire au visage. Il la laisse faire sa petite danse en silence pendant de longues secondes, avant de chuchoter :

— T'as besoin d'ai-

— Non, j'suis une femme indépendante, moi.

Robin lève les deux bras au ciel, comme pour prouver son innocence, et s'amuse à regarder son amie se dandiner au sommet de la grille.

— Si tu penses que je vais finir dans tes bras mon mignon, tu rêves haut et fort.

— Ah, mais t'aimerais bien finir dans mes bras toi, pas vrai ?

Robin n'a pas vraiment contrôlé ses mots. Il pose deux doigts sur ses lèvres et alors qu'il commence à se maudire silencieusement. Venise, elle, rigole en arrêtant de gesticuler. Le jeune homme rougis et il se montre bien reconnaissant qu'il fasse nuit noire, au moins, la l'adolescente ne remarque pas à quel point il est embarrassé par ses propres mots.

— C'est beau, toute cette innocence, répond Venise qui a encore les épaules secouées par un petit rire.

Robin rentre sa tête dans ses épaules en grimaçant, et ajoute :

— Ça n'a pas de sens, ce que tu dis.

— C'est toi qui n'a pas de sens.

Denise sort de l'ombre, le pot de peinture à la main. Elle s'approche en leur jetant, en chuchotant :

— Oh les enfants, on se calme. Faudrait pas qu'on se fasse choper par le Russe.

Venise hoche silencieusement la tête et se remets à désescalader son portail. Robin, lui, fronce les sourcils et croise les bras sur son torse. Des graviers entre les orteils, il s'adresse à Denise qui pouffe en regardant sa sœur hésiter pour atteindre le sol.

— Attends, c'est quoi, le Russe ?

Denise reporte son attention sur le jeune homme. Dans l'obscurité, ses cheveux semblent aussi ternes que la terre qui occupe les dessous des balançoires. Elle se mord la joue, avant de lui confier :

— Le Russe c'est le garde de l'école. Celui qui veuille à ce qu'il n'y ait pas d'embrouilles. Me demande pas pourquoi on lui a donné ce surnom, c'était encore une idée foireuse de Venise.

— Y'a un GARDE ?

Denise n'a pas le temps de répondre, un bruit de chute retentit derrière Robin. La cacophonie de membres qui s'écrasent lamentablement sur un sol dur, sans aucune grâce. Il se retourne et aperçoit les traits allongés de Venise, sur le cul.

— Je crois que j'ai cassé mes fesses, lâche-t-elle presque en train de sangloter.

Elle se relève avec beaucoup de mal, et laisse ses deux paumes plaquées sur son derrière. Robin et Denise ne peuvent pas s'empêcher de pouffer comme de gros enfants, et alors que sa jumelle est déjà en route vers le mur, Robin lui demande tout de même :

— Tu vas bien ?

Avec la même démarche d'un chimpanzé dressé sur ses deux pattes, la fille le dépasse, sans vraiment faire attention au garçon qui lui propose une main bienveillante. Elle lui répond vite fait, sans grande conviction, et les deux jeunes s'approchent de la façade, tous les sens en alerte. L'excitation se met à couler un peu plus fort dans les veines de Robin, et les brises froides de la nuit viennent faire battre son cœur.

Les deux sœurs échangent des murmures et Robin les aperçoit trembler parfois, sautiller sous toute l'adrénaline que leur procure l'acte clandestin. Venise fait passer ses doigts fins sur la façade. Elle la caresse, ses ongles crissent contre le ciment qui s'effrite, un sourire sur le visage. Ses yeux pétillent, brillent dans la nuit épaisse, prête à peindre ce mur, le pinceau en main.

— L'honneur est à vous, madame, annonce-t-elle en donnant la brosse à sa jumelle qui lui répond avec un sourire. Denise ouvre le pot de peinture noire, et quelques gouttes aussi obscures que le pétrole lui tachent les doigts.

Robin, lui, ne peut pas s'empêcher de s'inquiéter. Cette histoire de garde l'a assez effrayé, et la dernière chose qu'il souhaite, c'est de retrouver sa mère au commissariat de leur petit bled. Denise plonge le pinceau, les flots noirs épousent les poils. La peinture, visqueuse, contamine l'outil, et bientôt, le mur. Avec des grands gestes, la jeune fille trace des lettres sur le mur, sous les regards des deux autres adolescents. « JE ME CROIS », lit les mots qui sont écrit maladroitement, avec des traits plus foncés que les autres, des lettres moins grandes que certaines. Denise se tourne vers sa sœur et lui tend son arme. Venise la lui prend avec un petit haussement de sourcil, et dans le silence le plus complet, la fille continue.

Le moment est magique, comme si on écrivait l'histoire de l'homme sur une grande et nouvelle page blanche. Le seul son est le grattement des coups de pinceau contre le mur, incessant. Robin les regarde faire, avec un peu de merveille dans les yeux. Venise recule, et tend le pinceau à Robin. Elle a un sourire sur le visage, elle veut que ce soit lui qui termine. Le jeune homme accepte le travail, et admire ce qu'elle vient de faire. « JE ME CROIS EN ENFER, DONC » est à présent écrit en grosses lettres noires sur le mur de l'école. J'y suis, pense Robin en enfonçant son pinceau dans l'épaisse substance. Il a l'impression de laisser une trace, sa trace. Il aime ça.

Une lumière vrille de l'autre côté du mur, et tous les poils de Robin s'hérissent. Venise laisse échapper un petit 'oh merde' et Denise se crispe en remontant son écharpe devant le bas de sa figure. Une demi-seconde plus tard, les trois adolescents sont pris sur le fait, baignés dans la pâle lueur d'une torche. Les yeux grands ouverts, ils n'arrivent même pas à discerner les traits du garde qui se braque la lampe sur eux. C'est le Russe.

— Eh ! s'exclame-t-il, et comme si c'était un signal, la voix de Venise retentit derrière le corps terrifié de Robin, clamant d'une voix pleine de panique :

— On se tire !

Robin se dresse et fait tomber son pinceau sur le sol de gravier. Il attrape le pot de peinture encore plein, et par instinct peut-être, il balance tout son contenu sur la lumière qui l'éblouie. Un cri retentit derrière, signe que le garde vient se prendre des gouttes de substance noire en pleine figure, et Robin arrive enfin à retracer ses traits. Un gros monsieur, habillé d'un ceinture énorme, grimace en s'essuyant la peinture qu'il s'est pris sur la moitié du visage. Une petite barbe mal taillée décore ses épaisses joues, et une chevelure brune glissée sur le côté lui donne des airs du puceau stéréotypé de première classe. Mais surtout, il n'a rien d'un Russe, seul Dieu sait où Venise est allée cherché ça.

Le jeune homme ne passe pas une seconde de plus devant le garde de l'école, et prend ses jambes à son cou dans la direction opposée. Venise elle, est en train d'aider sa sœur à se hisser en haut du portail le plus vite possible. Denise jette des "putain, putain, putain" dans tous les sens, les bras tremblants et la respiration affolée. La première jumelle se retrouve bien vite de l'autre côté, et Robin escalade le portail en même temps que Venise. La grosse silhouette en colère du garde se rapproche d'eux, et Venise doit s'y prendre à plusieurs fois avant d'atteindre le sommet du portail. Robin passe de l'autre côté, et au moment où il croise les yeux noirs et victorieux de son amie, elle est tirée vers le bas, par une force qui lui est invisible.

— Aaargh !

— Venise !

— Opf !

— P...ute !

— Raton-laveur !

Les événements se sont déroulés tellement vite qu'il n'en reste plus que des onomatopées mal choisies. En l'espace de deux secondes, Venise s'est fait chopée par le garde. Agrippée au barreaux du portail, la cheville emprisonnée dans les doigts boudinés du Russe qui a les pieds au sol, la jeune fille a cru qu'elle allait y passer. Robin, mort de peur, a eu le temps de rattraper les mains de l'adolescente avant qu'elle ne lui soit volée par le monstre au-dessous. D'un coup de pied rebelle, Venise parvient à se dégager et à arracher au garde un cri de douleur. Elle perd sa botte en cuir aux mains graisseuses de son agresseur, et ne trouve rien d'autre de mieux que de l'insulter alors qu'elle passe de l'autre côté, aidée par Robin. Entre-temps, Denise s'exclame, surprise par le raton-laveur qui vient de surgir de la poubelle de l'école et qui marche paisiblement sur le trottoir, comme s'il était au bout de sa vie.

Les jeunes n'ont même pas relevé leur bicyclette qu'ils entendent le cliquetis familier d'une clé dans un cadenas, et Robin pousse sur la pédale au moment où le garde fait grincer les charnières de la grille. Venise et Denise sont à ses côtés, le souffle court, leurs cheveux de feu battant dans les brises nocturnes. Ils entendent le Russe crier derrière eux, une menace qui ressemble à :

— Il y a pas beaucoup de roux à l'école, je vous choperais !

Est-ce qu'ils devraient avoir peur ? Robin ne sait pas trop, pour l'instant, il roule à fond sur les routes de son village, la sueur dans le dos, la crainte aux os. Et au bout d'un moment, Venise explose de rire. Denise l'imite, et leurs éclats de voix répercutent contre les murs des vieilles maisons endormies. Elles s'exclament, roulent sans les mains dans la nuit sombre, et Robin, le sang chargé en adrénaline, se met à rire lui aussi. Ses paumes serrent fort le guidon de sa monture, et les tambours de sa poitrine ne cessent pas. Le sourire sur les lèvres, les grands enfants rentrent chez eux. Pourtant, il n'est que deux heures du matin.





— Tu as oublié le « s ». TU AS OUBLIÉ LE « S » !

Venise s'emporte ce matin, devant le mur de l'école. Une écharpe cache la moitié de son visage, et ses cheveux sont serrés en un demi-chignon, comme à son habitude. Elle se prend la tête entre les mains, alors qu'elle admire à la lueur du jour leur œuvre du soir précédent. Une foule s'est attroupée devant la phrase qui est écrite sur la façade. Quelques admirations fusent face à cette nouveauté, et les plus curieux s'amusent à aller toucher la peinture déjà sèche. Robin vient d'arriver, le visage décomposé.

— Eh, ma vie était en jeu, j'ai pas eu le temps de finir le mot.

— Robin, écrire une phrase avec une faute d'orthographe aussi flagrante sur le mur d'une école, j'ai jamais rien vu d'aussi ingénieux.

Il ricane, devant la réaction de Venise. Elle met ses mains sur ses hanches, fière de leur exploit. Denise est postée pas loin, et lorsqu'elle croise leur regard, elle pose ses doigts contre ses lèvres. Personne ne doit savoir que c'était eux, Robin l'a bien compris.

Devant lui, il ne parvient qu'à lire « JE ME CROIS EN ENFER, DONC J'Y SUI ».

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