Ne ferme pas ta porte

By Lanabellia

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Que feriez-vous si vous tombiez désespérément amoureuse du petit ami de votre soeur ? Emily vit en colocation... More

Lapins mouillés
Les demeurés

La coincée !

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By Lanabellia


Edward est à l'heure, comme toujours. Je lui saute au cou lorsqu'il descend de la voiture. J'aime ses baisers. Et lui, il est toujours très doux et attentionné. Il porte un jeans bleu et un polo blanc col V qui lui siéent à merveille. Finalement, je suis contente de sortir, l'air ravi qu'arbore Ed me réchauffe le cœur. Ma sœur est encore dans sa chambre pour se préparer. À croire que le tas de maquillage qu'elle s'est barbouillé sur le visage ne suffit pas ! Nous la retrouverons là-bas.

Ed se gare devant le Drek qui est déjà bondé à cette heure-ci. J'espère au moins qu'on trouvera une place assise. Le Drek est le bar de... Drek, le père de Dévin, où ce dernier bosse comme barman lorsqu'il n'est pas sur scène. Je n'y ai mis les pieds que deux ou trois fois en journée, du temps où ma sœur courait désespérément après lui. C'est plutôt sympa, mais ce n'est pas le genre d'endroit que j'affectionne.

Nous passons la porte du bar et je suis étonnée de découvrir autant de monde pour le concert de Demsey. Non pas que je pense que son groupe soit nul, mais je suis surprise. La majorité des fans sont des filles, forcément, qui trépignent d'impatience dans tous les coins. Mon ami est sur scène : il prépare le matériel et nous gratifie d'un petit salut lorsqu'il nous aperçoit. Il semble enchanté de nous voir là. Nous trouvons finalement de la place lorsqu'un attroupement de fans se précipite devant la scène pour admirer Demsey. Je ne retiens pas mon sourire. Une serveuse trop peu vêtue à mon goût s'avance vers nous avec deux bières.

— Bonsoir. Le patron vous offre vos consommations pour la soirée.

Ed le cherche du regard et se lève.

— J'arrive, ma puce, je vais le saluer et le remercier. Je ne l'ai pas vu depuis un moment.

— Oui, oui. Vas-y.

Je lui offre un joli sourire. Je me sens soudain affreusement mal au milieu de ce tas de gens qui s'agite de toutes parts. Je guette impatiemment la porte en attendant l'arrivée de ma sœur. Je me retourne pour attraper mon verre et sursaute. Dévin est tranquillement installé à la place d'Ed. Et il s'enfile sa bière !

— Ne te gêne surtout pas !

— Tu te maquilles, toi, maintenant ?

— En quoi ça te regarde ?

Il me détaille abusivement et je déteste ça.

— Tu n'es pas censé être sur scène ?

— J'ai encore le temps.

Il ne va pas dégager ? Qu'est-ce qu'il est collant !

— Arrête de me dévisager comme ça !

— J'aime bien t'énerver.

— Ça, j'avais déjà compris.

Ma sœur franchit enfin le seuil, perchée sur des talons de dix centimètres et affublée de sa robe miniature. Un groupe de mecs se retourne immédiatement sur elle. Je jette un coup d'œil à Dévin qui, visiblement, n'en a strictement rien à cirer. Pourquoi insiste-t-elle comme ça ? Je rage intérieurement... Je leur mettrais bien des baffes, à tous les deux ! Je m'insurge :

— Tracy est là, tu pourrais au moins l'accueillir !

— Elle me trouvera toute seule. Je ne m'inquiète pas pour elle.

— T'es vraiment stupide !

Ma sœur le repère effectivement rapidement. Elle s'assied directement sur lui, sans même m'adresser un regard et enfonce la langue dans sa bouche jusqu'aux amygdales. Beurk ! Ils sont écœurants. Sando se pointe et les interrompt, apparemment énervé.

— Dévin ! Lâche ta greluche et bouge-toi un peu !

Ce dernier ne proteste pas, au contraire, et pousse ma sœur sans trop de délicatesse avant de foncer sur scène. Je suis dégoûtée qu'il laisse Sando parler d'elle comme ça.

Ed revient enfin et s'assied à mes côtés. Il se saisit de ma main. Je souris en le regardant : j'ai de la chance d'être avec quelqu'un qui me respecte. La musique emplit l'immense salle, mais ayant récolté la dernière place libre, je me retrouve dos au spectacle. L'ambiance est plutôt sympa. Je sirote tranquillement ma bière en observant ma sœur, complètement en extase devant l'abruti qui lui sert de mec. Je soupire d'incompréhension. Au bout de trois ou quatre chansons, Tracy se lève en tentant de m'entraîner vers la piste de danse. Très peu pour moi ! Je résiste. Elle insiste lourdement, mais finit par lâcher prise face à mon entêtement et disparaît rejoindre ses copines.

Je me retourne pour apprécier le spectacle et m'intéresser à Demsey. Mais à la place, je croise le regard de Dévin, ce qui me gêne profondément. Je me retourne aussitôt. Comment peut-on être aussi insupportable ?

— Tu aimerais danser, ma puce ?

— Pas spécialement.

— Allez, Emily. Fais-moi plaisir, éclate-toi un peu.

Le beau sourire d'Edward est plus que convaincant et les trois bières que j'ai bues m'aident finalement à me décider. Nous rejoignons ma sœur qui se jette sur moi pour m'entraîner au milieu de la foule. Je ne suis pas très à l'aise, mais comme je suis fondue dans la masse, ça ne se remarque pas. Demsey m'offre lui aussi un joli sourire entre deux couplets et un attroupement de fans glapit en retour. Il a du succès apparemment, et j'en suis heureuse pour lui. Sur sa gauche se tient Dévin. Je suis assez surprise de constater qu'il joue avec une grande facilité : il n'y a pas à tortiller, il est réellement doué. Le rôle lui va à ravir. Avec son jeans troué et son tee-shirt noir laissant apparaître sa musculature avantageuse, on lui attribuerait haut la main la palme du guitariste le plus sexy de l'année ! De l'autre côté, à la basse, Sando. Il n'est pas mauvais non plus. Il sait faire quelque chose sans me porter sur le système au moins. Tiens, le batteur ! Je ne l'ai jamais rencontré. Il semble plus vieux que le reste du groupe dont les âges varient entre les vingt-cinq et trente ans. Il me paraît en avoir au moins trente-cinq.

— Arrête de rêver et décoince-toi, Emily !

Je cligne des yeux un instant devant le visage souriant de Tracy. Je ne me suis même pas rendu compte que je ne dansais plus.

— Oui, oui.

Je me laisse porter par la musique et commence même à m'amuser. Ed est parti se rasseoir, tout content. Je crois qu'il souhaitait seulement que je profite de cette soirée. Il est vraiment adorable. Quelqu'un nous a filé des bières et je bois en dansant. Je pense que ce soir, c'est moi qui m'écroulerai dans les escaliers ! Je glousse et ma sœur me fait tournoyer. Le groupe marque une pause, remplacé par un autre. Ils sont plutôt bons, eux aussi. Je m'assieds sur les genoux d'Ed, visiblement enchanté par ce geste. Mais je stresse pour ma sœur qui cherche désespérément Dévin. Je n'aime pas l'inquiétude dans ses yeux. Il a recommencé, à tous les coups ! J'ai parlé trop vite, il s'installe à côté de nous, un whisky à la main, suivi de près par Demsey.

— Dévin, ma sœur te cherche.

— Qu'elle cherche ! Elle fera un peu de sport comme ça.

— Dévin !

Il se marre et Edward rigole dans mon dos.

— Ed !

— Désolé, ma puce, mais c'était drôle.

— Non ! Vous m'énervez.

Je me redresse. Ils m'exaspèrent et puis j'ai besoin d'aller aux toilettes. Si Ed s'y met aussi, je risque de péter un câble ! Je fonce vers le fond du bar et me retrouve dans l'obligation de patienter dans la queue. Sando m'y croise et se retourne.

— Hé, la godiche. Ça te tente, un petit tour avec moi ?

— Dans tes rêves, Sando !

Il fait mine d'essayer de me tripoter. Je lui balance un coup de poing dans l'estomac, ridicule, mais ça fonctionne puisqu'il jette son dévolu sur ma voisine de devant qui le suit sans grande difficulté. Ce type est vraiment exaspérant... J'aurai au moins gagné une place ! J'entre enfin et file dans les seules toilettes disponibles. Elles auraient bien besoin d'un bon coup de peinture...

— Dévin est vraiment trop beau !

Je tends l'oreille. Il y avait trois filles devant les lavabos à mon arrivée. Je suppose que ce sont elles qui parlent.

— Regarde, il m'a filé son numéro pour que je l'appelle après le concert.

Elles gloussent en chœur. Moi, je ne trouve pas ça drôle du tout.

— Tu connais sa réputation. Tu comptes tenter quand même ?

— Plutôt deux fois qu'une ! Il peut me faire absolument tout ce qu'il désire !

Et elles gloussent de plus belle. Oh, merde alors ! Je sors des toilettes en claquant la porte et elles disparaissent aussitôt. Je suis à bout, là ! Je me lave les mains en essayant de me détendre, mais j'ai les nerfs à vif. En sortant, je tombe justement sur Dévin qui émerge des toilettes pour hommes. Je fonce sur lui comme une furie.

— Il faut que je te parle !

Il est surpris.

— Quoi ? Maintenant ?

— Oui. Maintenant !

Il jette un coup d'œil vers la salle et, avec désinvolture, passe une main dans ses cheveux.

— On joue dans dix minutes.

— Ça suffira.

— OK, viens dans la réserve.

Bizarrement, ça n'a pas été difficile. Je m'attendais à batailler pour réussir à avoir une conversation sérieuse avec lui. Il referme la porte derrière nous.

— Qu'est-ce que tu fous avec ma sœur ?

Ma voix est plus aiguë que prévu.

— Hein ?

— Tu m'as très bien comprise. Qu'est-ce que tu fous avec elle et toutes ces filles ?

J'ai entendu une greluche à qui tu as filé rencard après le concert !

— Ben, quoi ? Ta sœur est au courant. Je ne vois pas où est le problème.

— Quoi ?

Elle est au courant ! Oh, non, c'est une blague ? Là, j'ai besoin d'un moment pour percuter... Dévin s'est tranquillement adossé contre le mur.

— Emily, j'ai accepté de sortir avec elle, mais je lui ai bien précisé que je ne changerais pas mes habitudes.

Je crois que tout mon corps s'est vidé de son sang, car d'un coup, mes jambes lâchent. Il me rattrape de justesse.

— Ça va ?

Je recouvre rapidement mes esprits à son contact et le repousse.

— Ne me touche pas avec tes sales pattes d'obsédé !

Exaspérée par ce que je viens d'entendre, je fonce aussi sec vers la porte.

— Attends ! Emily !

Trop tard. Je la franchis le plus vite possible pour retourner à ma table et me rasseoir. Je suis vraiment écœurée. Et ma sœur ! Non, mais quelle idiote ! Pourquoi s'infliger un truc pareil ? C'est vraiment du grand n'importe quoi... Il est indispensable que j'aie une discussion sérieuse avec elle. Je sursaute lorsque Demsey prend la parole au micro. Le groupe est monté sur scène pour le second round.

— Je dédie cette chanson à une amie qui se reconnaîtra et qui m'aide beaucoup pour l'écriture de mes chansons. Merci à toi.

Je me retourne sur le sourire de Demsey et le lui renvoie aussitôt. Je compte profiter de la chanson qu'il me dédie. Je suis même un peu émue. Elle est magnifique et les groupies sont en admiration totale. Dévin tire une sale tête : j'espère qu'il réfléchit à son comportement de gamin. C'est tellement dommage d'être aussi beau et en même temps aussi con...

Je suis aspirée par la voix de Demsey. La chanson parle d'une fille déçue par l'amour et mon ami lui promet de lui faire vivre autre chose, quelque chose d'unique et d'inoubliable.

— Viens, suis-moi !

Edward me tire par la main pour m'entraîner au milieu des autres couples. J'en suis ravie. Je mange des yeux mon adorable petit ami tout le long de la ballade. J'espère tellement que ça fonctionnera entre nous. Je me sens bien et j'oublie tout, m'abandonnant dans ses bras. Aux dernières notes, Ed m'embrasse et je l'enlace pour me rapprocher encore davantage. Notre relation débute seulement, mais j'ai envie d'apprendre à mieux le connaître, d'aller plus loin avec lui... Mes pensées sont interrompues par le rythme rock qui réinvestit la scène.

— Tu as envie de rentrer, ma puce ?

— Non, on attend Demsey. J'aimerais le féliciter et il serait content que l'on reste jusqu'au bout. — Oui, tu as raison.

Et me revoilà à table avec une nouvelle bière. Je suis consciente que j'exagère, puisque je commence à rigoler pour un rien. Malgré la débilité de ma sœur et mon inquiétude, je profite. Où est-elle, celle-là, d'ailleurs ? Je me retourne. Elle est toujours plantée devant le podium avec ses copines, occupée à se trémousser. Le concert arrive à son terme et avec tout ce que j'ai ingurgité, je suis un peu secouée. Pourtant, je me sens bien. Demsey, Dévin et ma sœur nous rejoignent. Demsey attrape une chaise et la retourne face à moi pour l'enfourcher, les bras croisés sur le dossier.

— Alors, ça t'a plu ?

— Oh, oui, vraiment. Je pense que tu m'as donné envie de revenir. Je passe une très bonne soirée.

Son visage s'illumine.

— Tu me fais plaisir. Tu sais que ton avis compte beaucoup pour moi.

— Ne t'arrête pas à ce que je pense. Vu le nombre de personnes qui viennent pour vous écouter, tout a l'air de bien se dérouler pour vous.

Il penche la tête sur le côté avec un petit sourire.

— On ne se plaint pas.

Ed me signale qu'il sort pour prendre un appel. Dévin est drôlement calme. Il cherche sûrement un moyen d'évincer ma sœur pour rejoindre son coup d'un soir. Oh, pourquoi ai-je repensé à ça, moi ? Je risque de pourrir ma fin de soirée ! Le second groupe a pris le relais et entonne une chanson.

— Tu danses ?

Demsey me tend la main. Je ne suis pas certaine que ce soit très bien vis-à-vis d'Edward, mais après tout, ce n'est qu'une danse. Je l'attrape et le suis. Eux aussi ont adopté le slow des rockeurs et pour une raison inconnue, j'en ris.

— T'as un peu trop bu, toi.

— Ça se voit tant que ça ?

— Non, c'est juste que je commence à te connaître.

— Ça ne m'arrive jamais. Alors pour une fois, j'en profite un peu.

Ed nous rejoint sur la piste. Il n'est pas en colère contre moi. J'apprécie qu'il ne soit pas jaloux. Je suppose qu'en quelque sorte, cela prouve qu'il a confiance en moi. Je souris.

— Ma puce, il faut que je parte. Tu rentres avec ta sœur ?

— Qu'est-ce qu'il se passe ? — Rien. Juste un petit souci à l'usine, amuse-toi. Demsey, garde un œil sur elle.

— Pas de problème. Je la ramène si tu le souhaites ?

— Ouais, je préfère. À demain, ma puce.

Edward travaille avec son père à la tête d'une usine de pièces détachées pour voitures et il enchaîne de sacrées semaines. Il est bosseur et c'est un trait de caractère qui me plaît. Je l'embrasse et retourne danser avec mon ami.

Dans un coin de la pièce, j'aperçois Sando. Il a déjà changé de proie trois fois depuis le début de la soirée. Je grimace. Quelle horreur, ce mec ! Il m'a coupé l'envie de danser. Nous retournons nous asseoir et Demsey me présente Jamie, le batteur. Un gars plutôt calme et réservé. Ses cheveux châtains ondulent jusqu'à ses épaules, ses bras sont couverts de tatouages et, avec sa barbe mal rasée, il est assez intimidant. Dévin s'est levé et se tient à quelques mètres de ma sœur, pas loin de quatre filles qui ne savent plus quoi inventer pour attirer son attention. Monsieur joue le charmeur, avec ses sourires et ses petits clins d'œil. C'est trop pour moi ! J'explose :

— Tracy, on sort !

Elle me suit sans trop chercher à comprendre. Nous sortons du bar et traversons la rue pour nous installer sur le banc d'en face. De là, on aperçoit le monde s'agiter à l'intérieur : c'est assez drôle comme spectacle. Mais je n'ai plus le cœur à m'amuser.

— Tracy, c'est quoi, votre délire avec Dévin ?

— Quel délire ?

Et elle feint l'innocence ! Elle me prend vraiment pour la dernière des idiotes.

— On a eu une petite conversation et il m'a tout avoué.

Elle paraît soudainement inquiète.

— Il t'a raconté quoi exactement ?

— Qu'il n'a accepté de sortir avec toi que si tu le laissais se taper qui il voulait.

Elle baisse les yeux et regarde ses mains avec un air triste.

— C'est vrai... Je pensais qu'au bout d'un moment il changerait, qu'il tomberait amoureux... Enfin, tu vois.

Mais elle débloque !

— Non, franchement, je ne vois pas ! C'est malsain, arrête ça tout de suite !

Mon ton est monté de deux octaves.

— Impossible...

Comment ça « impossible » ?

— Pourquoi ça ?

— Parce que je l'aime et que j'ai peur de le perdre.

Elle est au bord des larmes. Comment aimer un homme pareil ? Il est horrible avec elle...

— Tracy, tu as vu comment il se comporte avec toi ? Tu ne peux pas continuer ainsi.

Elle se lève d'un coup.

— Ne te mêle pas de cette histoire !

Elle fonce à l'intérieur et me plante sur mon banc. Sympa ! Je ne la comprends pas. Tracy a vingt-six ans et moi, je n'en ai que vingt-trois. Pourtant j'ai l'impression d'être l'aînée. Elle se conduit vraiment comme une gamine stupide. Après tout, qu'ils se débrouillent ! Ça finira bien par leur passer ! Du moins, je l'espère...

Je tente de me faire toute petite à la vue de Dévin émergeant du bar avec une nana en extase pendue à son bras. Trop tard, il m'a repérée ! Il expédie aussi sec la fille pour traverser la rue. Celle-ci me toise de travers en pestant, dégoûtée par le soudain désintérêt du tombeur de ces dames.

— Qu'est-ce que tu fous là, toi ?

— Est-ce que je t'ai demandé l'heure qu'il est, Dévin ? Retourne tripoter la gonzesse qui t'attend.

— Oh, Emily. Arrête.

La bonne blague ! Est-ce qu'il arrête, lui, quand je lui demande ?

— Tu m'énerves, Daney ! C'est dégueulasse ce que tu infliges à ma sœur.

En plus, il a le culot de s'asseoir à côté de moi... Il pose ses coudes sur ses cuisses, puis joint ses mains avant de se tourner vers moi.

— Je ne voulais pas sortir avec elle.

Pourquoi me raconte-t-il ça ? Il n'est pas bourré pourtant. Aucune émotion ne transparaît sur son visage, c'en est même troublant.

— Dans ce cas, pourquoi as-tu accepté ?

— J'ai cédé. Elle me soûlait avec ça depuis des années. Et puis, l'arrangement me convenait.

Son ton détaché me sidère.

— C'est n'importe quoi, Dévin !

— Ouais, je sais...

— Est-ce que tu as des sentiments pour elle au moins ?

— Quand tu sors avec quelqu'un pendant six mois, tu t'attaches forcément, mais pas comme elle le souhaiterait.

— Tu ne l'aimes pas alors ?

— Non. Je l'apprécie, tout au plus. Enfin, parfois. Parce que la plupart du temps, elle me tape sur les nerfs.

Qu'est-ce qui me vaut autant de franchise ?

— Vous êtes vraiment tordus !

Il rit doucement.

— Je t'apporte un verre ?

— Oui, il va falloir que j'oublie l'épisode de ce soir.

Il se lève et repart à l'intérieur du Drek. Finalement, c'est Demsey qui revient avec ma bière.

— Tiens, Emily. Dévin m'a prévenu que tu attendais dehors.

— Merci.

Je bois quelques gorgées et lui souris. Je suis chamboulée par les aveux de ma sœur et son abruti de petit copain. Je n'ai jamais entendu autant d'idioties de toute ma vie. Ça ferait certainement une bonne chanson pour Demsey, mais je n'oserai pas lui raconter cette histoire complètement improbable.

— Pourrais-tu me raccompagner, s'il te plaît, Demsey ? Si tu as terminé bien entendu.

— Oui, pas de souci. Je récupère mes affaires. Attends-moi.

— Je t'attends.

Je termine mon verre, les yeux dans le vague.


***


Demsey me dépose dans l'allée et c'est en descendant de la voiture que je me rends compte que j'ai vraiment trop bu : je trébuche et manque de m'étaler devant la porte. Mon chauffeur a baissé sa vitre.

— Emily, tu es sûre que ça ira ?

— Oui, ne t'inquiète pas. Bonne nuit !

Où sont mes clefs ? Je farfouille dans mon sac et les déniche enfin. Je mets un temps interminable à ouvrir et suis soulagée une fois à l'intérieur. Je grimpe l'escalier avec beaucoup de difficultés en y abandonnant mon sac et ma veste. J'ai besoin d'une douche !

Je contemple ma tête un instant : Ce n'est pas glorieux... Je me déshabille et m'écroule lamentablement par terre en essayant d'enlever mon pantalon. J'enjambe la baignoire en me tenant du mieux possible aux rebords.

Ouf ! Enfin dedans, c'était sportif !

Je laisse couler l'eau sur moi et rigole toute seule. Je crois que la sortie ne sera pas plus glorieuse : je tente de m'y préparer psychologiquement.

Des hurlements me parviennent au loin. Allez, c'est reparti ! Je sors et me sèche maladroitement. Merde, j'ai oublié mon pyjama... La dispute a lieu en bas. Je passe la tête : personne. Je fonce avec ma serviette jusque dans ma chambre. J'enfile un pyjama au moment où j'entends frapper à ma porte.

J'ouvre et me retrouve face à ma sœur, qui me brandit mon sac et ma veste sous les yeux.

— J'ai trouvé ça dans l'escalier. Je voulais m'assurer que tout allait bien.

— Oui, je suis juste un peu plus soûle que je ne le pensais. Mais je me sens bien.

— Super. Je file me coucher, je suis épuisée.

— Bonne nuit.

— À toi aussi.

J'ai faim et il me faut de l'eau. Je ne travaille pas demain, mais je n'ai pas envie d'être malade pour autant. Je redescends doucement, marche après marche, pour arriver jusqu'à la cuisine. Je sursaute quand j'aperçois une silhouette plongée dans la pénombre et me jette sur l'interrupteur.

— Dévin !

— Salut, la godiche !

Monsieur est tranquillement installé sur la table.

— Arrête de m'appeler comme ça, c'est fatigant.

Je fonce au réfrigérateur pour attraper une bouteille d'eau.

— Tu n'aimerais pas plutôt trinquer avec moi ?

Je jette un coup d'œil à la vodka qu'il s'enfile au goulot.

— Non merci. Tu devrais peut-être ralentir d'ailleurs. Tu te mets dans de sales états ces derniers temps.

— Mouais. Ou alors tu te décoinces et tu picoles avec moi. Pour une fois qu'on réussit à avoir un semblant de conversation, ça vaudrait le coup de fêter ça !

Je me sers un verre d'eau que j'avale d'un trait.

— Et pourquoi n'irais-tu pas plutôt rejoindre Tracy ?

Il grogne en s'enfilant une autre gorgée.

— D'une, parce qu'elle vient encore de me taper une crise et de deux, parce qu'elle croit que je suis reparti.

— Pourquoi es-tu encore là, alors ?

— Je ne sais pas. Allez, bois avec moi.

— Je t'ai dit « non », Dévin. Et toi, arrête avant d'être complètement soûl, parce que cette fois, je ne m'occuperai pas de toi !

— T'es pas drôle. T'es même pas capable de t'éclater. T'es vraiment qu'une coincée !

Énervée, j'attrape aussitôt la vodka et avale une grande gorgée cul sec qui me brûle instantanément de la langue à l'estomac. Je grimace. J'en ai marre qu'on m'appelle la coincée ! Je claque la bouteille sur le plan de travail.

— T'es content ? Maintenant, casse-toi !

— Waouh ! Tu m'épates, là !

Je replonge dans le réfrigérateur pour en sortir du poulet et de la mayonnaise que je pose sur la table. J'ai un peu de mal à me concentrer. Je cherche le pain de mie et m'affaire à mon sandwich.

— Tu m'en prépares un ?

— Non, démerde-toi !

— Pourquoi es-tu méchante comme ça avec moi ?

Je me fige et le détaille un instant. Il a l'air sincère en plus... Méfie-toi, Emily !

— Parce que tu l'es avec moi et que tu es un véritable connard !

Il s'enfile une grande gorgée et j'attrape la bouteille à mon tour pour l'imiter. Finalement, mon bon cœur l'emporte et je lui prépare un sandwich... Surtout pour essayer d'éponger l'alcool qu'il est en train de s'envoyer. J'ai beaucoup de mal à atteindre le canapé avec mon assiette et Dévin n'est pas mieux. Nous nous laissons tomber. Je récupère la télécommande pour mettre une chaîne quelconque et me changer les idées. J'accepte l'alcool tendu vers moi et bois machinalement.

— J'aime bien le livre.

— Quoi ?

— Dracula. J'aime bien. J'en suis à la moitié.

Mes yeux s'arrondissent alors que je le dévisage.

— Tu sais lire, toi ?

— Ouais, ça m'arrive. Tu me prends pour un abruti, c'est ça ?

Complètement !

— Un peu, si tu souhaites connaître la vérité.

Je croque dans mon sandwich en silence et Dévin m'imite dans son coin. Au bout d'une heure la vodka est terminée et je suis totalement retournée. Dévin rigole tout seul.

— Pourquoi tu te marres ?

— Tu verrais ta tête !

— T'es chiant, Dévin ! Je monte me coucher.

C'est là que survient un petit souci que je n'avais préalablement pas prévu : je ne tiens plus correctement sur mes jambes. J'ai l'impression qu'elles sont en coton et du coup, je ris en écho.

— Attends. Je t'aide.

Il tente de se lever, mais c'est pareil pour lui. Nous nous esclaffons de plus belle. Dévin qui rit de bon cœur, c'est étrange, mais nettement plus agréable que tout ce que j'ai pu découvrir de lui jusqu'à présent.

Finalement, nous essayons à deux et nous y arrivons. Nous commençons à attaquer la montée des escaliers : deux marches en avant, une en arrière. J'ai mal au ventre à force de me marrer.

— Chut, on va réveiller ta sœur ! Je rigole de plus belle. Arrivés au milieu, nous nous étalons pitoyablement. Du coup, nous marquons une pause, essoufflés par cet effort incommensurable.

— Aide-moi à me relever, Dévin !

— Attends, j'y arrive pas moi-même.

Et c'est reparti pour un fou rire ! J'ai tellement mal au ventre que ça en devient douloureux.

— Allez, on s'accroche ! Tu tiens le mur et moi, je me cramponne à la rambarde. On va s'en sortir !

Bras dessus, bras dessous, nous atteignons enfin l'étage. Ma chambre est à quelques mètres, mais j'ai l'impression que le couloir s'allonge au fur et à mesure que j'avance.

— C'est drôlement loin !

— J'étais en train de penser la même chose.

Nous accédons enfin à la porte qui, heureusement pour nous, est restée entrouverte. Je m'appuie sur la commode pendant que Dévin est avachi contre l'armoire. Cette situation est ridicule et encore une fois, je me tords de rire. Il tend le bras vers moi. Je l'attrape et nous nous écroulons sur le lit comme deux poids morts.


— Emily, aide-moi. J'arrive pas à enlever mes boots.

Je me redresse et Dévin me fout sa chaussure dans le nez. Je tire de toutes mes forces, pars à la renverse avec ladite chaussure et m'écrase lamentablement en bas du lit. La tête de Dévin apparaît juste au-dessus de moi. — Ça va ? Je glousse. Je n'en peux plus. J'ai mal aux abdos et à la mâchoire. Il me hisse tant bien que mal et nous revoilà partis pour la seconde botte qui, cette fois, est plus facile à ôter que la précédente. Nous retirons sa veste à deux et nous nous écroulons, épuisés.


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