Chapitre 5 - Will
- Tu ne devineras jamais ce que j'ai vu hier ! me souffle Nancy, ses yeux pétillants, en me croisant au lycée .
- Oh, des ragots ? trépigné-je en verrouillant mon casier. Dis-moi tout.
- Ian et Linda, ensemble. Je rentrais à la maison avec Isaac après la plage et je les ai vus, cachés derrière le kiosque du vendeur de glaces. Ils étaient en pleine séance de léchouillage de visages, c'était répugnant.
- C'est bizarre, ai-je acquiescé en attachant mes cheveux mouillés par l'orage. Linda est ... tu sais ...
Je peine à trouver mes mots, sachant comment l'évocation du Jeu de la Virginité est un sujet sensible. À cette pensée, j'ai l'impression que le bijou noir à mon poignet se fait plus lourd.
- Rick lui a donné un bracelet, je m'en rends bien compte. Mais si Linda veut fricoter avec Ian, c'est pas moi qui vais m'en plaindre !
Je hoche la tête, tout à fait d'accord avec elle.
- Bon, je pense qu'on a assez parlé d'elle pour la décennie à venir. Par contre, j'ai bien remarqué le rapprochement entre toi et Logan, minaude Nancy en battant des cils.
- De quoi est-ce que tu parles ? ai-je nié en détournant le regard.
- Ne fais pas l'innocente, Willow ! De quoi vous avez parlé ?
Je lui adresse un sourire que j'espère convaincant en haussant les épaules. Je ne peux pas lui parler de tout ce que Logan m'a confié sur sa mère et leur vie de famille, c'est trop ... intime. Et comment pourrais-je lui avouer ce que je commence à ressentir pour lui ? Ces sentiments et tout ce qu'ils impliquent me terrifient et je suis loin d'être prête à en parler à qui que ce soit.
- Bon, il faut que je file en classe si je veux arriver à l'heure. Tu me raconteras, n'est-ce pas ? On va chez Lacey's, le café à côté du lycée, ce soir avec Isaac. Rejoins-nous !
Je maugrée une réponse inintelligible en la regardant s'éloigner, ses longs cheveux oscillant dans son dos. Elle a vraiment gagné en assurance ces dernières semaines, ce qui lui procure un charme inédit. Enrique n'a pas intérêt à la laisser partir.
- Devine qui c'est ? murmure une voix dont je connais toutes les nuances alors que des mains se posent sur mes yeux.
- Ian ? C'est toi, beau gosse ?
- Pardon ?!
- Je plaisante, idiot ! raillé-je en éclatant de rire.
Je me retourne pour regarder Logan, qui me renvoie mon sourire. Ses cheveux plaqués par la pluie ne retirent rien à sa beauté, ce qui me fait une fois de plus me demander ce qu'il me trouve. Appuyé nonchalamment contre mon casier, il pourrait poser pour un magazine.
Subtilement, ses doigts rencontrent les miens et je jette un coup d'œil affolé aux personnes alentour, qui ne semblent pas avoir remarqué. Je dévisage à son tour Logan, qui m'adresse un sourire innocent qui lui donne un air juvénile.
- J'ai une bonne nouvelle, m'annonce-t-il comme si le contact frais de ses doigts n'était pas en train de me faire fondre. Aglaé ne sera pas là de toute la semaine, j'aurai la maison pour moi tout seul ...
- N'essaie pas de me pervertir, jeune dévergondé !
- Tu ne penses pas que c'est pas un peu déjà fait ?
A ces mots, nos doigts qui jusque-là ne se frôlaient s'entrelacent par sa volonté. Je le fusille du regard, craignant que quelqu'un ne remarque notre petit jeu, alors qu'il me lance un clin d'œil insolent. Pourtant, je n'aurais retiré mes doigts pour rien au monde.
- Bon, quoi qu'il en soit, il faut que j'aille en cours, m'annonce-t-il en retirant sa main. Si jamais tu veux passer à la maison, la porte t'est ouverte.
Par habitude, je me penche pour l'embrasser en guise d'au revoir avant de me rappeler où nous sommes. Me ressaisissant, je lui donne une tape maladroite sur le bras avant de me détourner pour ouvrir mon casier, simplement pour cacher mon visage en feu.
Le rire de Logan résonne à-travers les parois métalliques du casier. Je parie qu'il se moque de moi parce qu'il a très bien compris ce que j'ai essayé de faire.
- À plus, Will, dit-il en s'en allant, un sourire dans la voix.
Je prends le temps de me composer un visage neutre avant de fermer de nouveau la porte. Je sursaute en remarquant Ethan, adossé au casier voisin du mien. Bras croisés, traits tendus, il me dévisage froidement, ses yeux verts ayant perdu toute la gentillesse qu'ils me portaient avant. Aussitôt, la culpabilité qui m'assaille à chaque fois que je le croise dans les couloirs m'assaille de nouveau.
- J'arrive pas à croire que tu soies tombée aussi facilement dans ses filets, me réprimande-t-il d'une voix plate, comme si nous étions des étrangers.
- Excuse-moi ? me suis-je offensée, immédiatement sur la défensive.
Il se penche vers moi, son visage à quelques centimètres du mien, sauf que la situation n'a rien de romantique. Je le foudroie du regard, et il me renvoie la même expression.
- Tu crois que je n'ai pas remarqué votre petit manège, tout à l'heure ? Tu crois qu'il pense à toi comme tu penses à lui ? Qu'il t'aime ?
- Je ne t'ai jamais demandé ton avis.
- Je connais Logan et les types de son genre, Willow. Ils n'aiment qu'eux-mêmes et si jamais ils s'intéressent aux filles innocentes comme toi, c'est pour une seule chose et tu sais très bien de quoi je parle.
Atteinte par ses paroles bien que je ne veuille pas le montrer, je serre les dents et croise les épaules.
- Et si tu te mêlais de ce qui te regarde ?
Son rire cynique me serre le cœur, parce que j'ai participé à le rendre aussi dur. Je lui ai fait croire qu'il pouvait se passer quelque chose entre nous alors que je pensais déjà à Logan, même si je ne m'en rendais pas encore compte.
- Ça a commencé à me regarder au moment où tu m'as embrassé, à cette fête sur la plage. Tu t'en souviens, de ce jour-là, où tu l'as oublié en même temps que le reste de mon existence ?
- Il y a un problème ? nous interrompt Enrique en se plaçant à mon côté.
Ian fait à son tour irruption en se plaçant directement face à Ethan, la posture aussi menaçante qu'un joueur de rugby avant une mêlée.
- Oui, il y a un problème, Ethan ? répète Ian en crachant presque les mots.
J'empoigne le biceps de mon ami pour le pousser à reculer mais il tient bon pendant que lui et Ethan se mesurent du regard. L'atmosphère est électrique entre les deux, et je prie pour avoir la force
- Non, y a pas de problème, lâche mon ancien ami d'une voix nullement impressionnée.
Il fait volte face et s'éloigne dans le couloir, les mains dans les poches. Les larmes me montent aux yeux de manière inattendue en voyant ce que j'ai fait de lui.
- Ca va, Will ? s'enquit Rick en remarquant mon émotion.
- Oui, ai-je menti en détournant les yeux. Merci les gars, mais vous n'avez pas besoin de jouer les gros bras pour moi. Je peux très bien m'en sortir.
- On sait, approuve-t-il en posant la main sur mon épaule. Mais on est amis, alors on s'entraide.
La seconde sonnerie me vrille les oreilles et Ian me propose son bras.
- Puis-je vous amener en cours, milady ? dit-il avec un accent britannique.
- On a tous les deux cours de physique, donc techniquement on y va ensemble, mais volontiers.
Je salue Rick d'un signe de la main avant de m'éloigner au bras de Ian. Celui-ci me fait la discussion durant le court trajet, m'offrant une distraction bienvenue à ma culpabilité.
Je suis encore un peu ahurie en arrivant en cours d'espagnol une heure plus tard, et ma journée ne va pas en s'arrangeant quand je croise le regard glacé d'Ethan quand je passe devant sa table.
- Tout va bien ? me demande Nancy en se penchant vers moi alors que je rejoins ma place près d'elle.
- Oui, parfaitement, ai-je menti de nouveau en lui souriant avant de sortir mon cahier de mon sac.
- T'es sûre ? Parce que tu as oublié de piocher tes trois noms dans le chapeau.
- On parle de quoi, exactement ? m'enquis-je, un peu perdue.
Nancy me lance un regard désapprobateur, l'air de se demander ce que je ferais sans elle.
- T'as déjà oublié le grand projet de Noël de la prof ? Elle nous harcèle avec depuis au moins un mois.
J'ai besoin d'un instant pour me remettre les idées en place et me rappeler de cette histoire. Mme Dominguez a une tradition chaque année avec les terminales, celle de nous faire échanger des cadeaux de Noël en lien avec le monde hispanique. Nous devons tous choisir au hasard trois de nos camarades et ils ne doivent pas savoir qu'on les a pioché.
Je me dépêche d'aller pêcher trois bouts de papier dans le chapeau posé sur le bureau de la prof et de retourner à ma place.
- Alors, t'as eu qui ? s'enquiert Nancy en s'assurant que la prof ne regarde pas dans notre direction. Je dois trouver un cadeau pour Cynthia, Ethan et Mona.
- Lena, Farah et Joël. Le bonheur.
Repensant à ce qu'elle vient de me dire, une idée germe dans mon esprit. Et si j'échangeais un nom avec Nancy pour avoir celui d'Ethan ? Je lui ferais un beau cadeau et ça me ferait un prétexte pour aplanir les choses. Ça ne peut que fonctionner, n'est ce pas ?
*
- Qu'est-ce que tu fais pour Noël ?
Logan me dévisage, l'air surpris.
- C'est vraiment maintenant que tu veux évoquer le petit Jésus ? demande-t-il en reboutonnant lentement les boutons de ma chemise, les yeux remontant vers mon visage.
C'est vrai que le moment est mal choisi, ai-je constaté en détaillant nos corps à demi-nu enlacés. Mais l'idée a surgi dans mon esprit quand les guirlandes de Noël que ma tante a installé dans le salon se sont mises à clignoter.
- Je ne sais pas trop, je vais peut-être m'incruster au dîner de Noël chez Enrique.
- Tu veux le passer avec ma tante et moi ? me suis-je lancée, me sentant déjà rougir. On ne va rien faire de grandiose, sûrement commander chez un traiteur et regarder des rediffusions des Simpson mais ... je pense que ce serait sympa que tu sois là, voilà.
Mes joues brûlent intensément. Logan a une part tellement importante dans ma vie à présent que ça me parait naturel de l'inviter.
Il se redresse pour me prendre la main et embrasser mes phalanges, ses yeux chauds rivés sur les miens.
- J'adorerais ça.
Je lui souris, soulagée et excitée pour le mois à venir avec une visite prévue à ma mère et Noël en compagnie des gens qui me sont le plus chers. Tout semble marcher comme sur des roulettes pour moi ces jours-ci, et j'essaie de ne pas redouter le moment où la roue va tourner ...
... Ce qui pourrait être maintenant, ai-je réalisé quelques jours plus tard, une boîte emballée soigneusement dans une main et rongeant nerveusement mes ongles de l'autre. Appuyée contre mon casier, j'observe Ethan discuter avec quelqu'un, à l'autre bout du couloir. Mes oreilles sont assaillies par les discussions des autres lycéens qui ne portent que sur le même sujet : la traditionnelle partie de paint-ball entre terminales organisée par l'administration à la rentrée en janvier. C'est l'événement à ne pas rater chaque année, car c'est le moment pour se venger - avec modération - de qui on veut sans subir de représailles.
C'est le dernier jour de cours avant les vacances de Noël, c'est donc ma dernière chance pour aller voir Ethan. Je me suis dégonflée toute la semaine mais il est temps de l'affronter, quitte à ce qu'il me rejette. Je respire un grand coup et traverse le couloir pour aller lui tapoter l'épaule.
Quand il se retourne, il semble sincèrement surpris de me trouver devant lui mais reprend rapidement l'attitude froide qu'il a avec moi. Surmontant du mieux que je peux cette barrière silencieuse, je me jette à l'eau.
- Je réalise maintenant à quel point je t'ai blessé. J'ai joué avec tes sentiments en pensant que je pouvais arrêter de penser à Logan en me rapprochant de toi, mais c'est pas ce qui s'est passé. Je m'en veux pour t'avoir fait souffrir et je m'en excuse. Je me rends bien compte que ça ne pourra sûrement plus jamais être pareil entre nous, mais je vais faire tout ce que je peux pour réparer ce que j'ai cassé.
Le visage en feu après mon petit discours et n'osant pas le regarder dans les yeux pour voir sa réaction, je lui tends la boîte en silence. Sans un mot, j'observe ses mains déchirer l'emballage et en sortir une voiture miniature, d'un modèle similaire à celle qu'il possède réellement.
- Ouvre la portière, lui ai-je conseillé.
Il s'exécute et une petite musique, le thème de la Macarena, s'échappe du jouet. J'étais plutôt fière de moi pour le cadeau : j'ai réussi à allier l'amour d'Ethan pour les voitures et la consigne de la prof, qui est d'avoir un lien avec le monde hispanique.
Il l'examine sous toutes les coutures, le visage neutre, puis il lâche un petit rire, dissipant la tension entre nous.
- Comment tu as fait pour trouver ça ? me demande-t-il, un léger sourire sur les lèvres.
- Tu ne veux pas savoir, j'ai parcouru les coins sombres d'Internet.
Je peux voir son attitude se réchauffer en temps réel, et je ne peux m'empêcher de sourire aussi. Son regard croise le mien, me donnant l'impression qu'on a retrouvé un peu de notre complicité d'antan.
- Je suppose que je vais devoir arrêter de t'éviter au boulot, maintenant, dit-il en s'amusant à déformer la chanson en ouvrant et refermant la portière.
- J'espère bien, ça commençait à devenir gênant ! fais-je en pensant à toutes les fois où j'ai fait des pieds et des mains pour ne pas le croiser en servant les clients. Ton amitié m'a manqué.
- La tienne aussi. Un petit peu. Vraiment un tout petit peu.
- Mais bien sûr ! ai-je ironisé en lui frappant le bras.
En riant, on se prend dans les bras, mon espoir de réparer notre relation plus fort que jamais.
*
L'air glacé nous frappe, Judith, Logan et moi, en sortant de l'hôpital psychiatrique de Boston. Les dernières semaines sont passées comme dans un rêve. Depuis ma réconciliation avec Ethan, tout semble me sourire. Le réveillon de Noël a été beaucoup moins ennuyeux que prévu avec Logan toujours prêt à donner de sa personne pour créer une bonne atmosphère, et on a passé un magnifique Nouvel An avec tous nos amis. Les progrès de ma mère qu'on vient tout juste de voir m'autorisent à espérer qu'elle soit libérée d'ici quelques mois.
Judith serre les bras autour d'elle, ses cheveux déjà plein de flocons de neige.
- J'ai une amie en ville à voir, nous annonce-t-elle en resserrant son écharpe, alors je vais vous laisser seuls quelques heures. Je vous appelle dès que j'ai fini. Amusez-vous bien !
Son sourire espiègle me donne envie de rougir. Elle m'adresse un clin d'œil avant de disparaître dans la tempête. Dès qu'elle est hors de vue, je prends la main de Logan pour l'entraîner dans le parc près de l'hôpital. Très vite, la neige immaculée nous entoure de toutes parts. Logan me prend par la taille et me sourit tendrement, gravant une image dans mon esprit : son magnifique visage souriant, les cheveux balayés par le vent et des flocons volant autour de lui.
À ce moment, les mots ne sont pas nécessaires pour exprimer mes émotions. Posant mes mains sur ses joues, je me penche pour l'embrasser passionnément, me souciant peu de ses lèvres refroidies par le temps. Il me répond avec la même ardeur, la même envie, son corps pressé contre le mien.
Quand on rompt l'étreinte, je suis à bout de souffle mais je n'ai jamais été aussi heureuse. Ses yeux bruns plongés dans les miens, ses mains remontent vers mon visage, qu'il caresse comme si c'était la première fois qu'il le découvrait. Se penchant vers moi, il me souffle à l'oreille.
- Je suis en train de tomber follement amoureux de toi, Will.
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J'espère que je vous ai manqué ! Je m'excuse pour cette longue absence, alors je me rattrape en vous offrant un autre chapitre, que vous pouvez aller lire tout de suite.
Bonnes vacances,
Olenna