Les Chroniques Infernales- Le...

LauraBrbnt által

222K 31.7K 10.2K

Angleterre, Londres 1888. De nombreux meurtres étranges se succèdent dans les ruelles sombres de Whitechapel... Több

Présentation
Trailer !
Le pouvoir d'une petite étoile ⭐️
Prologue (corrigé)
Chapitre 1 (1) (corrigé)
Chapitre 1 (2) (corrigé)
Chapitre 2 (1) (corrigé)
Chapitre 2 (2) (corrigé)
Chapitre 3 (1) (corrigé)
Chapitre 3 (2) (corrigé)
Chapitre 3 (3) (corrigé)
Chapitre 3 (4) (corrigé)
Chapitre 4 (1) (corrigé)
Chapitre 4 (2) (corrigé)
Chapitre 4 (3) (corrigé)
Chapitre 5 (1) (corrigé)
Chapitre 5 (2) (corrigé)
Chapitre 5 (3) (corrigé)
Chapitre 6 (1) (corrigé)
Chapitre 6 (2) (corrigé)
Chapitre 7 (1) (corrigé)
Chapitre 7 (2) (corrigé)
Chapitre 7 (3) (corrigé)
Chapitre 8 (1) (corrigé)
Chapitre 8 (2) (corrigé)
Chapitre 8 (3) (corrigé)
Chapitre 9 (1) (corrigé)
Chapitre 9 (2) (corrigé)
Chapitre 9 (3) (corrigé)
1K Merci !!
Chapitre 10 (1) (corrigé)
Chapitre 10 (2) (corrigé)
Chapitre 10 (3) (corrigé)
Chapitre 11 (1) (corrigé)
Chapitre 11 (2) (corrigé)
Chapitre 11 (3) (corrigé)
Chapitre 12 (1) (corrigé)
Chapitre 12 (2) (corrigé)
Chapitre 12 (3) (corrigé)
Chapitre 13 (1) (corrigé)
Chapitre 13 (2) (corrigé)
Chapitre 13 (3) (corrigé)
Chapitre 14 (1) (corrigé)
Chapitre 14 (2) (corrigé)
Chapitre 15 (1) (corrigé)
Chapitre 15 (2) (corrigé)
Chapitre 16 (1) (corrigé)
Chapitre 16 (2)(corrigé)
Chapitre 17 (1) (corrigé)
Chapitre 17 (2) (corrigé)
Chapitre 17 (3) (corrigé)
Chapitre 18 (1) (corrigé)
Chapitre 18 (2) (corrigé)
Chapitre 18 (3) (corrigé)
Chapitre 18 (4) (corrigé)
FAQ + réponses
Chapitre 19 (1) (corrigé)
Chapitre 19 (2) (corrigé)
Chapitre spécial Noël
Chapitre 19 (3) (corrigé)
Chapitre 20 (1) (corrigé)
Chapitre 20 (2) (corrigé)
Chapitre 20 (3) (corrigé)
Chapitre 21 (1) (corrigé)
Chapitre 21 (2) (corrigé)
Chapitre 21 (3) (corrigé)
Chapitre 22 (1) (corrigé)
Chapitre 22 (2) (corrigé)
Chapitre 23 (2) (corrigé)
Chapitre 24 (1) (corrigé)
Chapitre 24 (2) (corrigé)
Chapitre 24 (3) (corrigé)
Chapitre 25 (1) (corrigé)
Chapitre 25 (2) (corrigé)
Chapitre 25 (3) (corrigé)
Chapitre 26 (1) (corrigé)
Chapitre 26 (2) (corrigé)
Chapitre 26 (3) (corrigé)
Chapitre 27 (1) (corrigé)
Chapitre 27 (2) (corrigé)
Chapitre 27 (3) (corrigé)
Chapitre 28 (1) (corrigé)
Chapitre 28 (2) (corrigé)
Chapitre 29 (1) (corrigé)
Chapitre 29 (2) (corrigé)
Chapitre 29 (3) (corrigé)
Chapitre 29 (4) (corrigé)
Chapitre 30 (1) (corrigé)
Chapitre 30 (2) (corrigé)
Chapitre 30 (3) (corrigé)
Chapitre 30 (4) (corrigé)
Chapitre 30 (5) (corrigé)
NDA : et si on discutait ?
Des nouvelles ?
Les Chroniques se refont une beauté ?
100K ? Et si on fêtait ça ?
Projet édition ?

Chapitre 23 (1) (corrigé)

1.9K 298 86
LauraBrbnt által

Le bal des chimères

« Accourrez, le temps vole,

Saluez s'il vous plaît,

L'orchestre a la parole

Et le bal est complet. »

Marceline Desbordes-Valmore, La danse de la nuit


Plus la calèche s'approchait de sa destination, plus les mains de Jane tremblaient. Elle triturait entre ses vieux gants blancs sa fausse invitation. En silence, elle se répétait sa fausse identité à s'en torturer le cerveau ; « Je suis Theresa Allison Millers. Fille de Charlotte et Richard Millers. Je viens de Chicago où j'ai rejoint le cousin de mon père sir Edward Raphaël Cordwell. » Elle prit une profonde inspiration. « Quels noms à rallonge ! » Dans cette affaire les jeux de rôles n'étaient plus inédits, bien que le pavé boueux de Whitechapel soit inquiétant, elle pouvait toujours trouver du réconfort dans le smog londonien, une certaine complicité pour la dissimuler dans la nuit. Ici, sous les lumières éclatantes des candélabres, elle se sentait trop visible, trop nue aux yeux de tous. Seigneur et si elle faisait un faux pas ?

Se frotter à la fripouille de l'East End était une chose, s'en prendre directement à ceux qui tiraient les ficelles, voilà un jeu bien dangereux. Jane craignait d'y laisser des plumes. Elle jeta un coup d'œil à son partenaire, le menton baissé, les yeux fermés, il semblait s'être assoupi. Jane songea que c'était la première fois qu'elle le voyait ainsi, détendu, se laissant aller aux soubresauts tranquilles de leur calèche. Il avait l'air si paisible dans son sommeil... Cette fureur et cette méfiance semblaient l'avoir déserté alors qu'il se donnait corps et âme à ses rêves... Ou à ses cauchemars. La jeune fille se demanda quelles chimères peuplaient l'inconscient de Will.

Jane écarta un des rideaux de la calèche. Elle jeta un coup d'œil et constata qu'ils étaient sur un chemin très étroit qui les conduisait au château imprenable de lord Stanbury, perché au sommet d'une colline rocailleuse. Dominant impérieusement le ravin au-dessous de lui, Jane eut le souffle coupé par le spectacle fantastique qui s'offrait à ses yeux gourmands. La lumière irradiait des fenêtres du château, soulignant les rochers aiguisés qui soutenaient la bête de pierres et de ronces. Dans l'aura pâle de la lune, les contours aiguisés du château se découpaient dans la nuit d'encre. Elle fut tout de suite subjuguée par le charme romanesque qui émanait de la scène. Elle avait l'impression de se retrouver dans un roman d'Edgar Allan Poe, ou de Wilkie Collins. Mieux encore, il lui semblait qu'elle se rendait au Château d'Otrante, et qu'un certain Frankenstein hantait les caves du château. Que le vampire de John Polidori l'observait depuis un balcon, ou que l'âme en peine d'un revenant déambulait dans une galerie pleine de tableaux extraordinaires.

Malgré la beauté enchanteresse de ce spectacle, elle se surprit à chercher un autre chemin, une éventuelle porte de sortie, juste au cas où... Un autre reflexe devenu une seconde nature chez elle grâce aux conseils de Will. Bien qu'elle ne doutât pas des capacités de défense de son partenaire, un mauvais pressentiment refusait de la lâcher depuis qu'elle était montée dans cette maudite calèche. Le malaise s'accrut quand elle constata qu'il n'y avait que deux issues pour fuir : le chemin par lequel ils arrivaient, ou bien un plongeon dans le vide... Jane avait une préférence pour la première option.

Mais le hasard faisait les choses bien pour une fois, les masques étaient une excellente opportunité, ils leur permettraient d'observer en se fondant dans la masse... Il n'y avait donc aucune raison pour que cela se termine mal, n'est-ce pas ?

Quand ils arrivèrent enfin devant les portes du château, qui les observait d'un œil attentif. Le trac noua l'estomac de la jeune fille, elle se sentait déjà si nerveuse ! Les réceptions mondaines n'avaient rien d'une nouveauté pour elle, mais alors on n'attendait rien d'elle sinon de se montrer polie et gracieuse. Ici on lui demandait d'être quelqu'un d'autre, de chercher ce qui était volontairement caché, de jouer les espionnes. La peur de se faire prendre avait quelque chose de terriblement excitant, tout comme l'idée alléchante de découvrir enfin la vérité sur Jack l'Éventreur. Comme si Will voulait faire peser un peu plus le poids de cette mission sur ses frêles épaules, il la saisit par le bras et lui chuchota :

– Je compte sur vous. Surtout tenez-vous tranquille. Et faites en sorte que nous survivions à cette soirée.

Agacée elle répondit aussitôt :

– N'est-ce pas votre rôle de nous ramener entiers ?

– Je ne voudrais surtout pas déclencher un désastre par votre faute encore.

– Que voulez-vous dire par ma « faute encore » ?! Vous...

La porte massive s'ouvrit sur eux. Un majordome sinistre détailla les invités du sommet du crâne jusqu'à leurs chaussures. Jane trouva qu'il ressemblait à un hibou, scrutant deux petits mulots dans un champ, prêt à enfoncer ses serres. Un frisson s'imprima sur la peau de Jane. Quand Will se racla la gorge, l'homme hibou lui jeta un regard méfiant.

– Invitations, je vous prie.

Will tendit les deux lettres couleur crème. Le Hibou les examina pendant un petit moment. L'air frais ne parvenait pas à décontracter Jane, et cette attente était si insoutenable qu'elle avait envie de pousser le bonhomme et de rentrer dans un grand fracas. Elle triturait le tissu de sa robe pour se distraire alors que Will demeurait aussi impassible qu'une statue de marbre. Elle sentait l'impatience la gagner dangereusement, puis Will attrapa délicatement sa main. Son cœur faillit rater un battement alors qu'il nouait ses doigts gantés dans les siens. Il ne lui jeta pas même un regard, mais il avait parfaitement entendu sa détresse silencieuse. Alors elle se reprit. Ce soir elle allait montrer à William O'Brien qu'elle était une partenaire digne de ce nom.

Le majordome reprit la parole :

– Miss Millers, sir Cordwell, veuillez me suivre.

Sans autre politesse, il tourna les talons et les deux jeunes gens s'engouffrèrent dans le monstre de pierre en suivant cet homme hibou trop méfiant selon Jane.

À l'intérieur, des domestiques débarrassèrent Jane de sa cape. Le froid mordit sa peau nue. La pièce était froide, presque glaciale. Cette impression n'était pas seulement due aux pierres centenaires qui soutenaient ces arches majestueuses, ni au temps qui s'était figé entre ces murs. Jane avait beau savoir que quelque part la fête battait son plein, que les couloirs regorgeaient d'invités masqués. Pourtant lui château lui laissait une terrible sensation de vide et de désolation. Il semblait sans âme. Comme s'il n'était pas réel, un lieu en dehors du temps et de l'espace.

Le regard de la jeune fille s'accrocha sur la décoration murale. D'immenses portraits ornaient l'entrée et dévisageaient les invités, le genre de tableau comme l'on en trouvait dans les châteaux hantés que s'était imaginé Jane en lisant des romans gothiques. Sous ces peintures de figures sévères, se trouvait les noms gravés sur des plaquettes dorées. Des hommes avec des perruques et des collerettes, des femmes aux robes immenses, le cou et les poignets ornés de bijoux. Il y avait même un chevalier en armure, fier sur son destrier. Jane devina qu'il devait s'agir des illustres ancêtres du lord. Cela restait impressionnant de voir des siècles d'histoire étalés sur un large mur de pierres. Et dire que ces personnages avaient un jour foulé le sol de ce château... Hantaient-ils désormais ses couloirs désolés ?

Plus loin, un feu finissait de brûler dans l'immense cheminée en pierre. Le reste de la pièce était décorée par quelques armes parfaitement lustrées. Un véritable château médiéval.

– Si vous voulez bien vous donner la peine : montez ces marches. C'est la première porte devant vous, reprit le majordome.

– Vous ne nous accompagnez pas ? demanda Jane avec une curiosité non dissimulée.

– Du temps. Trop peu de temps. Nous sommes déjà assez en retard comme cela, marmonna-t-il comme pour lui-même.

Puis il tourna les talons, le regard vide. « Comment cela nous sommes en retard ? De quoi parlait-il ? » se questionna Jane. Elle eut la désagréable impression d'avoir imaginé ce moment tant il paraissait farfelu. Will lâcha sa main.

– Miss Millers ? s'enquit Will (comme Jane ne réagit pas il parla un peu plus fort) Miss Theresa Millers ? (elle sursauta) Allons-y voulez-vous ?

Il lui offrit son bras, tel un gentleman. Et comme le lui avait appris sa tante, elle posa sa main sur le bras du jeune homme et ils gravirent les marches du grand escalier de pierre qui menait à la salle de bal.

– À l'avenir quand on vous appellera par votre nom d'emprunt, répondez. Évitez d'être aussi distraite ou nous nous ferons rapidement repérer, la sermonna Will.

– J'en suis parfaitement consciente, sir Cordwell, répliqua-t-elle. Seulement, je trouve ce majordome... étrange. Pourquoi dit-il que nous sommes en retard ? Se passerait-il quelque chose ? L'invitation ne faisait pas mention d'un compte à rebours il me semble.

– Ou bien vous venez de rencontrer un spécimen qui a la phobie d'être en retard. C'est tout à fait possible. Mais je vous conseillerais de ne pas trop dépenser d'énergie pour ce majordome, nous sommes avant tout là pour le lord.

– Et pour comprendre le rôle de lady Blackwood dans toute cette comédie, renchérit-elle. Je sais. Gardez la bouche fermée lorsque vous la verrez, le piqua-t-elle.

– Serait-ce de la jalousie que je sens dans votre ton Miss Millers ? railla Will.

– Vous aimeriez bien, répondit-elle sur le même ton.

Will leva les yeux au ciel. Ses yeux d'un bleu époustouflant qui semblait si onirique. Le velours sombre de son masque attirait l'attention sur ses perles tropicales. Pour le reste, Jane ne l'avait jamais vu aussi élégant, vêtu d'une redingote bleue nuit, avec ses coutures en fils d'argent. Il avait dégagé son visage en ramenant ses cheveux d'encre en arrière, seules quelques une de ses mèches rebelles tombaient sur son front. Il y avait trois choses dont Jane était certaine : la première, il ne passerait pas inaperçu. La deuxième : elle avait une envie folle de le dévorer du regard sans pudeur. La troisième : elle était nettement moins à la hauteur de la majesté de son partenaire...

Elle portait une jolie robe, quoi qu'un peu démodée, qu'elle avait « emprunté » (pour ne pas dire « volé ») à Julie pour l'occasion. Autrefois d'une émeraude éclatante, la couleur avait perdu de son éclat, et le satin boudait les reflets de candélabres. Le corsage était brodé de minuscules fleurs dorées, une composition florale tout à fait charmante autrefois. Jane avait décidé de jouer le jeu jusqu'au bout, et avait décidé de dissimuler ses ondulations brunes sous une perruque blonde, une couleur qui la rendait moins pâle à son grand étonnement. Enfin, elle avait débusqué un masque de soie d'or chez un antiquaire qui faisait l'affaire. Le seul bijou qu'elle s'était autorisée à porter était le pendentif en argent et émeraude que Julie avait exhibé le soir au théâtre avec les Carroll. Un bijou loin d'être exceptionnel, mais qui avait immédiatement attiré son œil. Quand elle était tombée sur le collier en se servant chez sa cousine, elle n'avait pas eu le cœur à l'abandonner ici. Elle s'était d'abord sentie coupable de l'accrocher à son cou, cela dit le contact du bijou contre sa peau de nacre était rassurant. Avec un peu de chance il pourrait lui apporter la même grâce que sa cousine.

Will ne prêta guère attention à son acolyte et la tira sans ménagement vers les portes.

– Prête ?

– Assurément, répondit-elle.

Fidèle son caractère espiègle, Will poussa les portes superbement sculptées, à l'intérieur la fête battait son plein. « Peut-être était-ce cela que le Hibou voulait dire par être en retard ? » L'orchestre jouait un air de polka et les danseurs exécutaient avec grâce les mouvements. Au moment où ils entrèrent la danse s'achevait.

Les danseurs firent une révérence et se dispersèrent en s'applaudissant. L'heure était désormais à la conversation. « Savez-vous que le vicomte Anderton vient tout juste d'acheter un superbe manoir ? », « J'ai entendu dire que Nathaniel Darlington rendait souvent visite aux Seymour... Il semblerait qu'il porte un intérêt tout particulier à la jeune Adelia. Pensez-vous que nous entendrons parler de leurs fiançailles d'ici la fin de la Saison ? », « Regardez, il ne vous a pas échappé la façon dont lady Edith Clifford regardait sir Melville lorsqu'ils dansaient n'est-ce pas ? Son pauvre mari le baron devrait se faire du souci. Avec toutes ces rumeurs qui courent au sujet de la baronne... », « C'est complètement absurde ! Je dois dîner avec mon bon ami Joseph Chamberlain, il est tout à fait d'accord avec moi sur la question irlandaise. »

Argent, mariage, scandale, politique... Des sujets tout à fait classiques à l'occasion d'une soirée mondaine comme celle-ci, si ce n'était que les noms que Jane entendaient appartenaient à des personnalités influentes de Londres. C'était tout à fait autre chose qu'écouter sa tante Alice colporter les ragots.

Alors que les invités tous masqués s'adonnaient aux réjouissances de conversations érudites, d'autres goûtaient aux délicats mets du buffet. Si l'accueil avait été particulièrement glacé, et pas seulement à cause de la température, ici une chaleur étouffante engloutissait la salle. On avait ouvert une fenêtre mais l'air demeurait atrocement suffoquant, si bien que Jane ne s'étonna même pas lorsqu'une femme fit un malaise. Elle saisit cette occasion où l'attention était reportée sur la pauvre femme pour glisser à Will :

– C'est le moment de nous séparer. Je vais faire une ronde à gauche et vous à droite pour essayer de glaner des informations sur lors Stanbury et lady Blackwood. Ces gens ont beau appartenir à un autre univers, ils n'en restent pas néanmoins de friands adeptes de rumeurs. Peut-être sauront-ils quelque chose au sujet de Jack l'Éventreur ?

– Très bien, acquiesça-t-il. Surtout essayez de ne pas faire de bêtises pour une fois, se moqua Will. Je ne pourrai pas voler à votre secours si je m'occupe de lady Blackwood.

Jane allait se faire un malin plaisir à lui envoyer une réplique acerbe lorsqu'il enroula son bras autour de sa taille pour la rapprocher de lui, en profitant pour lui murmurer au creux de l'oreille :

- On se retrouve plus tard. Soyez prudente.

Alors que le cœur de Jane bondit dans sa poitrine en se rendant compte à quel point il était près d'elle, Will lui adressa un sourire en coin. Il ne s'attarda guère davantage et l'abandonna au milieu de la foule de robes et de queues de pie qui ne semblaient pas les avoir remarqués. Jane sentait encore la main invisible de Will s'attarder sur sa taille.

« Très bien, allons-y ! » S'encouragea-t-elle en tentant de mettre de l'ordre dans ses pensées.

Elle se faufilait entre les invités, les détaillait avec attention. Elle chercha une femme grande, mince, à la chevelure de feu et à la peau d'albâtre. Une femme possédant la prestance digne de lady Blackwood. Mais au lieu de cela, elle ne trouva que des dames toutes plus ou moins âgées qui portaient des tenues et des parures flamboyantes à en faire mal aux yeux. Sans doute que si le château de lord Stanbury eut été un navire, il aurait coulé depuis fort longtemps avec toutes ces dames qui devaient porter au moins deux kilos de jupons et cinq de bijoux. À côté d'elles, Jane aurait pu passer pour une roturière dans la robe de Julie. « Je lui dirai que sa robe est complètement démodée. » Elle décida d'élargir son champ de recherche.

Mais tout ce qu'elle vit fut la triste réalité de son avenir : la place de la femme dans la société. Une place bien peu glorieuse en soit.

Les hommes étaient là, en train de bavarder tranquillement. Ils discutaient politique ou théories économiques. Loin d'eux, leurs épouses se contentaient de palabrer sur les derniers potins à Londres, qui était bon à marier ou pas, qui venait d'entacher sa réputation, qui allait hériter... Si l'une d'elle osait s'aventurer sur le terrain du commerce, se permettait de donner son avis sur les colonies, ou contestait un décret, la voilà dévisagée comme une sorcière. Était-ce là l'avenir des femmes ? Être seulement éduquée à entretenir un foyer, ou à satisfaire monsieur quand l'envie lui prenait ? Se contenter de parler français, de savoir peindre les iris du jardin, ou chanter pour impressionner la galerie ? Être privée de science et de politique, des langues mortes car Seigneur Dieu, voulez-vous qu'on se marie à une femme qui sache parler ? Quelle honte ! Quel drame ! Inepties, hérésie et compagnie !

Quelle fatalité, oui. C'était donc cela l'avenir ? Une vie entière de contraintes que l'on dissimulait derrière le terme grandiloquent de la sagesse. En somme soyez belles mesdames, mais gardez cette jolie bouche cousue. Polie et bienveillante. Contentez-vous de sourire et d'être obéissante si vous ne voulez pas que votre mari vous jette à la rue. Elle ne sera qu'un meuble luxueux que l'on sort pour l'exposer à la gloire de son propriétaire. Comme l'on comparait qui avait le plus de biens. Était-ce cela ce à quoi elle était promise ? Pourquoi donc Julie ne rêvait-elle que de cela ? Savait-elle que derrière les poèmes et les mille promesses au goût sucrées il n'y avait qu'une muselière ? Qu'avait-il d'attrayant dans ces chaînes matrimoniales et tous ces faux-semblants ?

L'amour, le foyer, une famille... Jane n'avait jamais été attirée par tout cela. Un jour, cela arriverait sans doute, serait-elle capable d'y accéder sans devoir ployer devant ce que la société exigeait d'elle ?

Une voix s'éleva un peu dans le brouhaha, une voix nasillarde. Jane se faufila entre les robes volumineuses pour découvrir Will, faisant la conversation à une dame dans une robe bleu impérial. Elle n'était que de dos mais à la manière dont elle faisait onduler sa boisson dans la coupe de cristal, elle ne devina sans aucun mal ce qu'elle essayait de faire.

- Quel idiot... soupira Jane.

- C'est lady Ivy Fleming. Une dame superbe n'est-ce pas ? surgit une voix à côté de Jane.

Surprise qu'on lui adresse la parole, la jeune fille examina la petite femme ventripotente moulée dans son corsage jaune canari qui venait de s'immiscer entre elle et ses pensées.

- Oh mais quelles mauvaises manières, je ne me suis même pas présentée ! s'écria-t-elle en vérifiant que son masque était toujours bien en place. Je suis la comtesse Barmety. Nous ne nous sommes jamais vues auparavant lors des soirées de lord Stanbury, je me trompe ? Votre visage m'est inconnu, à mes amies également. Oui ma chère, nous vous observons depuis un moment ! Enfin, surtout le jeune homme qui est entré avec vous, pour tout vous dire. Il a attiré le regard de quelques-unes de notre assemblée ! Est-ce là votre époux ?

En quelques secondes, Jane fut noyée sous un flot de parole et elle dut faire preuve de concentration pour ne pas se tromper dans le choix de ses mots, tout en maîtrisant son violent rougissement à la suggestion que Will puisse être son mari.

- Bonsoir, comtesse. Je suis Theresa Millers, je suis enchantée de faire votre connaissance, déclara Jane dans une révérence. Votre mémoire ne vous fait pas défaut, c'est bien la première fois que nous venons à un bal donné par ce cher lord Stanbury. Le jeune homme qui m'accompagne n'est autre que le cousin de mon père, sir Edward Cordwell. Edward est un habitué de... des bals, et il a jugé bon de me présenter. N'est-ce pas là un excellent choix ?

- Oh mais oui ! Parfaitement ! Mes amies seront ravies d'apprendre que votre cousin est un homme dénué d'engagements. Miss Agnew vient aussi pour la première fois à un bal donné par le Cercle. Et dès que votre cousin est entré dans cette salle, elle n'a eu d'yeux plus que pour lui ! Mais face à lady Fleming, je doute qu'elle n'ait la moindre chance, soupira-t-elle l'air navré. La pauvre enfant ! Ces deux-là ont l'air de plutôt bien s'entendre, remarqua la comtesse. Qu'en dites-vous très chère ?

- Oui, cela saute aux yeux, acquiesça Jane qui jeta un rapide coup d'œil vers le couple. Pardonnez-moi, mais vous avez bien dit « Cercle » ?

- Bien entendu. Vous l'ignoriez ? Votre cousin ne vous a jamais parlé du Cercle ? Cela dit, c'est tout à fait compréhensible, il s'agit d'un club secret et très privé voyez-vous ? Lord Stanbury donne souvent des réceptions pour ses membres.

« Pas si secret et privé que cela apparemment. »

- Mon mari, le comte Barmety, en est un membre éminent ! renchérit-elle avec fierté.

- Vraiment ? Edward ne m'a rien dit à ce sujet. Quel est l'objectif de ce club précisément ? demanda Jane qui trouva subitement un intérêt à la conversation.

- Le Cercle Abyssus est une société ancienne ! Elle date des années 1700 si ma mémoire est bonne. À l'origine elle n'accueillait que des hommes : des politiques, des médecins, des érudits... Des hommes d'influence ! Et le nom de Barmety est inscrit sur les registres depuis des décennies !

- Voilà qui est intéressant, commenta Jane (si les Barmety appartenaient au Cercle depuis sa création, elle pourrait sans doute glaner des informations intéressantes). Votre mari sait-il pourquoi ces hommes ont décidé de fonder ce club ?

- Oh ! Eh bien, je crois que c'étaient des passionnés d'alchimie. Cela dit c'était très à la mode à l'époque. De nos jours je crois que les activités du Cercle se limitent à des divertissements en tout genre ; bals, réceptions, séances avec les meilleurs médiums d'Angleterre...

Jane offrit un sourire de connivence à la comtesse. Elle ne lui apprenait rien qui ne vaille réellement le coup de prendre tous ces risques. La jeune fille tenta une nouvelle fois de lui soutirer quelques informations.

- Veuillez pardonner ma curiosité, mais votre mari semble être un membre éminent de ce Cercle, il doit être très proche de la personne qui est à la tête de cette société. J'imagine qu'il s'agit d'un des descendants des fondateurs originels.

La comtesse tritura le bout de ses gants ivoires, elle semblait bien embarrassée par la question de Jane.

- Ah... C'est que je ne suis pas en mesure de répondre à cette question Miss Millers.

- N'est-ce pas lord Stanbury ? Après tout il est l'organisateur de cette splendide soirée.

- Pour être parfaitement honnête avec vous ma chère, je ne saurais vous répondre. J'ignore totalement qui se trouve au sommet de cette hiérarchie. Tout ce que je sais c'est que le lord est un des maîtres. Mais le véritable chef d'orchestre tire les ficelles dans l'ombre. Personne ne connaît son identité ici-bas. Sauf, bien sûr, quelques privilégiés mais hélas, mon époux le comte Barmety n'en fait guère partie, soupira la comtesse, visiblement déçue de ne pas pouvoir étaler plus éminemment sa science aux yeux de cette jeune recrue.

- Dans l'ombre ? répéta Jane avec un étonnement bien réel. C'est absurde. Si ces réunions ne sont que de simples divertissements il n'y a guère d'intérêts à se cacher.

« Sauf si les membres du Cercle Abyssus ont autre chose à cacher. Comme les crimes d'un certain Jack l'Éventreur par exemple. » Pensa-t-elle.

Bien le bonsoir douces personnes ! Je suis navrée, une fois encore je publie un peu tard mais c'est parce que je suis (encore) malade. Mais au moins on est dans l'ambiance d'une soirée !

En parlant de soirée, je sais que certaines aiment bien les bals, alors j'espère les contenter avec ce chapitre et les chapitres suivants. Une fois encore chapitre un peu long, mais lorsque j'avais une première fois coupé bien avant le dialogue avec la comtesse, je trouvais cela mou, enfin il ne se passait rien qui vaille toute cette attente de la semaine ;) C'est pour cela que j'espère vous avoir contenté avec cette longueur ! :D

Maintenant je guette patiemment, tapie dans l'ombre de ma grotte, vos avis. Que pensez-vous de ce cercle ? Y a-t-il, selon vous, un réel rapport avec Jack ou n'est-ce seulement qu'une fausse piste ?

A vous ! :D


Ceci est la version corrigée.

Olvasás folytatása

You'll Also Like

27.3K 1.1K 57
Ragnar Lothbrok et son épouse Aslaug ont eu un dernier enfant après Ivar, qui fut enlevé à un jeune âge! douze ans après cette enfant disparue fût re...
2.2M 111K 61
J'étais juste une lycéenne normale, jusqu'au jour où j'ai posté mon premier Vine. Violette Vicky Sanders & Magcon. ----------- best - #1 in Fanfictio...
4.1K 220 21
Elsa Snow est une des nouvelles élèves de la grande école: Poudlard . Elle va faire de nouvelles rencontres , se faire des amis, peut-être l'amour m...
2.1K 151 7
La suite de 《 Le Jours Où Je T'es Vu 》