J'ai dormi deux heures, ce n'est pas grand chose mais si on additionne avec les heures de repos du car, ça donnait un bon gros six à faire chambouler le marchand de sable.
Je me suis réveillée avec les mains aussi glacées que d'habitude. La nuit, j'avais oublié de mettre mes mitaines, elles me grattaient la veille.
Je n'aime pas avoir les mains glacées, les joues ça passe, les pieds ou les mains, par contre, ça casse.
J'ai posé mes deux mains à plat sur mes joues en espérant trouver une sorte de chaleur. Faire rencontrer deux parties de mon corps glacé semblait marcher. J'ai touché mes cheveux, ils ne sentaient pas la rose mais étaient moins gras qu'avant la douche du 15. Mon hygiène corporelle laisse à désirer mais une douche tous les deux jours fait vachement l'affaire si j'use de mes parfums et déodorants.
Je suis située entre la fille sans domicile fixe et la touriste en voyage. Je suis tout simplement la fille qui fugue, la peine en cavale.
Il est assez tôt quand j'appelle Olivia. Je ne comptais vraiment pas la rappeler aussi rapidement mais l'argent me faussait compagnie plus rapidement que prévu. J'aimerais qu'elle me prête sa douche. C'est un peu offusquant de tenter d'emprunter une douche pendant une bonne dizaine de minutes mais sans douche aujourd'hui, je serai plus occupée à me sentir que découvrir le paysage.
Le « Allô, coucou Reina, comment ça se passe à l'océan ? » passé et le fameux « Je peux emprunter ta douche ma chère et généreuse Olivia, tu sais les besoins hygiéniques priment sur tout ces temps-ci » sorti, ma gentille amie m'a proposé de la rejoindre à l'adresse du bistrot.
D'après ses propos, elle loge juste au-dessus du bistrot, ce qui fait qu'il n'y a aucun souci à passer discrètement par l'arrière-boutique si je ne veux pas me faire remarquer. Ça m'a semblé être un bon compromis étant donné que ce qui me fait vraiment flipper, c'est la famille en deuil qui me regarde mal parce que je passe sous leur douche.
Je me perds deux trois fois et demande le chemin au moins une bonne dizaine de fois. Les gens doivent vraiment me prendre pour une défoncée à force de loucher sous les différents noms de rues citées. Désolée la populace, mais non je ne connais pas les rues de la ville à l'océan.
Rue Edgar Poe trouvée, je repère la ruelle située derrière. C'est là que je tombe nez à nez avec une Olivia en pyjama et peignoir, la brosse à dent en action.
- J'ai attendu trente minutes, t'en as pris du temps dis donc ! J'ai cru qu'un méchant loup t'avait dévoré toute crue en cours de route. Rouspète-t-elle en me serrant dans les bras.
Mon rire désabusé la suit dans les escaliers qui mènent à la terrasse puis l'étage.
- Bienvenue dans la chambre de mes treize ans avant que je ne parte vivre en internat près de la ville où on s'est vue pour la première fois. C'était y a trois ans, sois indulgente. Me raconte-t-elle en touchant quelques magazines de people dépassés qui traînent sur son bureau.
Je me prosterne face au magnifique poster des Beatles qui orne sa chambre et la regarde décoller les autocollants étoiles brillantes de son mur rose saumon.
- La meilleure chambre c'est celle de Neville, elle est impersonnelle et souvent je lui propose de switcher de chambres quand on vient ici en vacances l'été ou même en ce moment. Poursuit-elle en sortant dans le couloir.
Celui-ci est étroit, rempli de tapisseries baroques et débouche sur une salle de bain mal éclairée, aux vitres qui ne dissimulent absolument rien.
- C'est normal pour les fenêtres ? Demandé-je gênée et inquiète de voir des regards inappropriés de voisins de sa famille.
Olivia se met à se moquer de moi.
- C'est pour ça que les humains se servent de rideau ma chère. Puis promis, la voisine d'en face mate que quand c'est Neville qui prend sa douche. Hop hop hop, t'as dix minutes avant que mon frère revienne et me gronde de t'avoir laissée utiliser son shampooing trop viril et soyeux. Termine-t-elle en fermant la porte.
Je suis seule avec la moitié de mes affaires.
Je prends une bonne trentaine de secondes à contrôler l'eau. Elle est chaude une fois sur deux et pour avoir dormi à la belle étoile, ça craint vraiment les douches froides. Le shampooing viril et soyeux n'est pas trop mal et je me permets d'en étaler une bonne quantité sur mes cheveux.
La douche terminée, les arômes citronnés sur le bout de la peau, je fouille mon sac à la recherche d'une tenue qui ferait l'affaire. Je garde mon jean mais ajoute un collant en dessous et mets un chemisier sous mon sweat. C'est potable. Je profite du temps restant pour me sécher les cheveux et laver quelques vêtements avec mon savon favori de Marseille.
Je sors de la salle, fraîchement nettoyée, et me dirige vers la chambre d'Oli'. Le truc, c'est qu'il y a deux portes et j'ai une chance sur deux de me planter totalement. Mon courage en mains, je toque à celle sur la droite. La porte s'ouvre sur une vieille chanson, le rose saumon sur le mur mais pas d'Olivia rayonnante de beauté. Juste Neville, en tenue de sport, en sueur. Rien de bien sensuel ou gracieux.
- Olivia est à côté, on vient de switcher. Annonce-t-il en levant les yeux vers moi.
Il ne fait aucun commentaire sur la présence et referme sa porte ni vu ni connu. Le truc, c'est que je n'ai pas oublié son message. Je l'ai bien rangé dans un coin pour ne pas être déconcertée en sa présence mais c'est bien plus dur qu'on ne le croît. Ce gars a un effet imperceptible sur moi.
Ce qui reste assez pompeux, c'est de ne pas savoir comment aborder la chose. Comment lui dire « oh hier tu m'as envoyé un message très inspirant mais j'perçois toujours pas le pourquoi du comment » de façon à ce que Neville ne me lance pas un regard louche et qu'il ne m'envoie plus jamais le genre de messages.
Les messages inspirants sont sympas après tout.
J'ai retoqué, embarrassée et d'un air nonchalant je suis entrée dans la pièce. De toute façon j'ai des affaires qui y sont encore. Neville ne grogne pas, il se rassoit sur le bureau de sa sœur, bois une gorgée d'eau et recommence à me fixer. Gênant.
Puis, je le vois, tenant mon carnet. Mon sang ne fait qu'un tour, j'écarquille mes yeux de surprise. Merde, crotte de bique, mes rapports. Tout tourne autour de moi. Ce qu'il sert entre ses doigts, c'est tout ce qui me reste de plus précieux.
- Qu'est-ce que tu fiches avec mon carnet ? Demandé-je en regrettant le ton de ma voix.
J'ai pris une voix fluette, aiguë qui fait surface que lorsque je n'ai pas les couilles de reprocher quelque chose à quelqu'un. Je me tape le front pour me punir de ma bêtise et le brun me regarde amusé.
- Je ne savais pas que t'étais une Lyange. Lance-t-il incognito en faisant renverser le sujet de conversation.
Olivia m'avait prévenu, il faut toujours éviter de lancer des discussions avec lui, il fait toujours en sorte que ce soit plus déstabilisant pour son locuteur que lui-même.
- Ce carnet est important pour moi, vraiment. Continué-je mal à l'aise...
- Cinq fugues, ce n'est pas n'importe quoi ton histoire de fuite. Décompte-t-il en plaquant quelques mèches trempées sur sa tempe.
Je suis bouche bée. Il l'a lu.
- Rends-le-moi. Ordonné-je en l'arrachant presque.
Il réplique :
- Lyange, c'est très célèbre dans ta région. Puis Reina Lyange, combiné, ça me rappelle une histoire pas fameuse sur une famille fondée sur l'adultère.
Je ne lui ai pas souri comme lui me souriait. Je lui ai lancé un regard nauséeux. J'ai envie de vomir, entendre l'affaire de la bouche d'un inconnu me paraît insupportable.
Il s'est rendu compte que ça n'allait pas sur le coup. Il a voulu poser sa main sur mon épaule – peut-être pour me calmer – mais je me suis cassée.
Je suis sortie par la porte de derrière, mes affaires sur le dos, les jambes à mon cou. Je n'ai pas dit au revoir à Olivia. C'est mort, je ne dois plus jamais reparler à ce gars. Il connaît le point sensible qui gâchera ma fugue. Je ne fuis pas mes problèmes, je les ai toujours sur mes épaules. C'est vainement trop facile d'échapper à ses peines. Non, moi, c'est encore plus brouillé que de l'encre éparpillée, je fuis mon identité.
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