CHAPITRE 07
***
Après le départ de Manson, un agent de la Ligue arrive à son tour dans le bureau. Elle me sourit timidement, presque gênée mais je vois qu’elle est surtout impressionnée d'être à moi.
- L’agent R-017 m’a chargé de t’accompagné dans ton quartier.
Je fronce le front. L’agent R-017 ?
- C’est qui lui ?
- Manson, me répond t-elle.
Je lui souris. C’est vrai que le jour de notre rencontre, il m’avait donné son matricule.
Je me lève du fauteuil, le dossier a la main et suit l’agent. Ses cheveux sont aussi blonds que les épis de blés, dorés par le soleil. Ses grands yeux chocolats et ses petites fossettes lui donnent pas plus de seize ans mais je me doutes qu’elle soit plus âgée.
Je sors du bureau en sa compagnie et patiente dans les couloirs froids de la Ligue le temps qu’elle referme la porte. Quand elle se retourne, elle sursaute légèrement. Manson est vraiment trop con pour avoir chargé cette gamine de m’accompagner. Je pourrais la neutraliser en un instant.
Elle me fait signe de la suivre et je m’exécute en silence. Je vois bien qu’elle est toujours aussi gênée et je souris en pensant que je devrais la déstabiliser encore plus.
- Tu es quel agent ? je demande.
La jeune fille tourne sa tête vers moi et rougit légèrement.
- L’agent T-109 !
- Oh ! Mais… Tu dois bien avoir un prénom ?
Elle rougit encore plus.
- Tracy.
- Enchantée Tracy. Je suis Roxane.
- Oui, l’agent R-078
- Non, l’agent Black Poison.
Elle bafouille des excuses et je souris. Oui, cette petite Tracy est loin d’être convaincante dans son rôle d’agent.
- Et comment es tu au classement ?
- Pas très bonne, malheureusement.
Elle grimace légèrement et je comprends que je ne me suis pas trompé.
- Veux tu que je t’aide à t’améliorer ?
- Non !
- Non ? je répète en souriant.
- Non. Manson m’a dit que tu chercherais soit à me déstabiliser, soit tu tenterais de me neutraliser.
Mon sourire s’efface. Manson est malin.
- Tant pis, tu loupes quelque chose.
La petite Tracy s’arrête devant une porte et m’invite à entrer. L’endroit est beaucoup plus confortable que la chambre qu’on m’avait attribuée, quelques semaines plus tôt.
- Est-ce que tu veux que je te ramène quelque chose à manger ? me demande Tracy.
- Non merci.
Je m’assois sur un fauteuil et ouvre le dossier. Je relève les yeux en voyant que l’agent n’a toujours pas quitté la pièce.
- Autre chose ? je demande.
- Manson m’a demandé de rester pour te surveiller.
J’abaisse le dossier et sourit, mi amusée, mi hautaine.
- Sérieusement ? Toi ? Me surveiller ? S’il te plait…
Tracy ouvre la bouche et la referme avant de se décider à s’asseoir sur une chaise, devant un petit bureau en bois. Je la regarde un instant puis reporte mon attention sur le dossier.
***
Cela fait presque quatre heures que nous sommes de retour à la Ligue et je n’ai toujours pas vu ni mes amis, ni Aiden. Je me demande dans quelles conditions il peut être. Sûrement pas dans mes conditions. J’avoues que ma « prison » est bien plus agréable que les quartiers des agents.
Je tourne ma tête vers Tracy qui s’exerce à faire des prises d’autodéfense. Elle parait très concentrée et surtout débile en faisant ses grands gestes dans le vide.
- Tu as quel âge Tracy ?
Elle s’interrompt et se tourne cers moi. Ses joues s’empourprent et je comprends que parler de son âge la gêne.
- Oui, je sais. Je fais jeune mais j’ai vingt et un an.
Je lui souris.
- Et toi ?
- Vingt cinq ans.
- Et ça fait longtemps que tu es agent ?
- Depuis vingt ans. J’ai commencé comme Green et je suis une Black depuis cinq ans.
Elle s’approche de moi et me sourit.
- Je n’ai jamais compris vos échelons.
- C'est pourtant simple. Tu commences comme Green. À vingt ans, tu passes ton test final et selon ton classement, tu deviens un White ou un Black.
- Oh ! Alors, tu devais avoir un bon niveau ?
J'ai toujours été fière de mon classement et j'afficheun grand sourire.
- Oui. J’ai fini première de ma promo.
- Waouh ! C'est génial ! Ici, on a des évaluations toutes les semaines.
- Ouais, je sais. C'est ridicule.
- Tu penses que j’aurais été une Black si j’aurais appartenue à l’Œil.
J’hausse les épaules.
- Qui sait…
- Je me demande quel aurait été mon nom d’agent ?
- Tu peux t’en trouver un.
- Ouais, ça pourrait être marrant.
Elle me sourit et continue son entrainement. Je la regarde faire et m’attarde sur sa position.
- Tu devrais pivoter ton bassin.
Elle s’interrompt une nouvelle fois.
- Mon bassin ?
- Oui. Ça donnerait plus de force à tes coups et ton geste en sera plus précis.
- Tu crois ?
Je me lève du lit sur lequel je suis étendue depuis et me positionne devant elle.
- Je te montre.
Je commence par lui montrer ma position, insistant bien sur le faites de s’appuyer sur la pointe des pieds pour être plus libre de ses mouvements. Je lui mime son geste, sans bouger le bassin puis lui montre ma technique. Elle parait bluffé et m’imite parfaitement.
- C’est vrai que c’est plus simple, souffle t-elle. Merci
- De rien. Tu veux que je te montre d’autres positions ?
Elle hoche de la tête. Je commence par lui montrer des prises d’attaques pendant un long moment. Face à moi, Tracy est concentrée et bonne élève. Elle reproduit mes gestes encore et encore et je deviens vite transpirante de sueur.
Je continue encore, passant aux prises de défenses. Tracy ne semble pas se fatiguer et je me dis qu’avoir loupé plusieurs entrainements quotidiens m’a rendue molle. Je devrais me remettre plus assidûment aux exercices.
Quand Tracy s’épuise enfin, elle demande une pause et s’assoit sur le fauteuil, essoufflée. Je l’imite aussitôt, encore plus essoufflée.
- Merci, me dit elle. Pour tes conseils. Tu devrais enseigner l’auto défense.
Roxane Lewis, professeur. Ouais, l’idée est bonne. Je souris à sa suggestion.
- Alors, Poison. Est-ce que tu vas accepter la proposition de Manson ?
Je tourne mon visage vers elle. Elle me sourit timidement, mal à l’aise d’avoir poser la question.
- Je ne sais pas.
- Qu’est ce qui t’en empêche ?
- C’est compliqué. D’un côté, j’ai la possibilité de retrouver ma mère en acceptant cette mission. Ça évitera à Aiden de passer devant le conseil de discipline et je n’appartiendrais plus à aucune organisation.
J’aurais ma liberté. Personne pour me dicter quoi faire, personne pour me trahir.
- Alors ? Pourquoi refuser ?
- Le problème, c’est qu’Aiden m’a dit quelque chose l’autre jour et j’ai pris conscience qu’être agent ne fait pas parti de lui.
- Qu’est ce qu’il t'a dit ?
- Il m’a dit qu’il faisait tout ça pour moi afin qu’on puisse passer à autre chose. Il espère qu’une fois ma mère retrouvé, nous reprenions une vie normale. Mais je ne sais pas ce qu’est une vie normale. Depuis que j’ai cinq ans, je suis une agent. Je ne sais pas faire autre chose que tuer.
- Et tu as peur ?
J’hausse les épaules. À elle de prendre ma réponse comme elle le veut.
En réalité, je suis apeurée. Peur que si j’accepte cette vie « normale », je m’emmerde dans une vie banale et routinière. Et puis, qu’est ce que je ferais de ma vie ? Je suppose qu’Aiden est le type d’homme à se marier, à entretenir sa femme à la maison à s'occuper des enfants. Et moi, je ne me vois pas faire des cookies toute la journée ou emmener mes mioches à leur entrainement de foot dans un monospace familiale. Je ne veux même pas d’enfants. Je n’y ai jamais songé d’ailleurs. Pour ça, il aurait fallu que j’envisage un jour de tomber amoureuse d’un homme.
Et il faut être honnête, je ne suis pas faite pour ça. Je ne supporte pas les pleurs des gamins à l’Œil. Je ne suis pas du genre à m’attendrir devant un bébé. Je suis une agent, bordel ! Une putain de tueuse !
Je doutes que mon ambition de vie et celle d’Aiden soit compatible.
- Tu l’aimes ?
La question de Tracy me tire de mes pensées. Si j’aime Aiden ? Je pourrais mourir pour cet homme. J’ai d’ailleurs transgresser toutes les règles pour lui.
- Oui
- Alors, si je peux me permettre ce conseil, tu devrais accepter cette mission. L’agent A-115 a changé de vie par amour. Tu peux faire pareil pour lui.
- Et si je n’y arrive pas. Si je me rends compte que cette vie normale ne me convient pas.
Tracy me fixe de ses grands yeux couleur chocolat. Elle m’offre un large sourire et se permet même de prendre ma main dans les siennes.
- Si c’est l’homme que tu aimes, elle te conviendra…
***
Parler avec Tracy m’a fais un bien fou. Cette fille est une surprise à elle toute seule. Une belle surprise. Je n’aurais jamais penser que ce petit bout de femme pouvait refléter autant de bons conseils et parler avec elle était si simple et si naturel.
On frappe à la porte de ma « prison » alors que je n’ai pas vraiment fermé l’œil de la nuit. Pendant des heures, je n’ai cesser de me répéter inlassablement les paroles de Tracy. Elle a raison. J’aime Aiden et je dois essayer de vivre à sa façon. Il l’a fait pour moi, à moi de lui rendre la pareille.
Je lâche un « entrez » décidé et n’est pas surprise quand je vois Manson entrer dans ma chambre. Il se tient droit alors que je me relève de mon lit.
- Tu as passé une bonne nuit ?
- Oui, je mens. Vous devriez équiper tous les quartiers de la Ligue de cette literie.
Manson laisse échapper un petit rire.
- Je te promets d’y réfléchir.
Il s’approche d’un fauteuil alors que je me lève. Il me regarde un instant avant de m’inviter à m’asseoir sur l’autre fauteuil.
- Tu as réfléchi à ma proposition ?
- Oui.
- Et ?
Je continue à le fixer. Je sais déjà qu’elle sera sa réponse mais je dois tout de même poser ma condition.
- Et je dois en parler à mes amis.
Manson laisse échapper un rire. Il se lève lentement, s’approche de la porte de la chambre.
- Je savais que tu me demanderai ça.
Il ouvre la porte sans sortir de la pièce pour autant.
- S’il vous plait, dit-il en passant sa tête dans le couloir.
Quelques secondes plus tard, Jacob, Holly et Randall entrent dans la pièce. Ce dernier a le nez légèrement boursouflé par le coup donné par Aiden mais je vois qu’il a été soigné.
- Je vais vous laisser discuter, dit Manson avant de refermer la porte derrière lui.
Je lui souris avant de me tourner vers mes amis. Comme d’habitude, Holly me sourit, optimiste. Randall affiche son habituelle mine renfrognée et Jacob semble mal à l’aise.
- Comment ça va, vous ? je demande.
- Ça va. On a été séparés aussi, fait Jacob.
- Je me demande bien pourquoi d’ailleurs, dit Randall.
- Car ils ont compris que quand on est ensemble, ça nous rend plus fort, je réponds.
Holly laisse échapper un petit rire hautain tout en toisant Randall. Apparemment, elle n’a toujours pas digéré la réponse silencieuse de son petit ami quand je lui ai demandé si lui aussi, il pourrait mourir pour Holly.
- Je… Je me rends compte que j’ai déconné avec Wolf, dit Randall.
Je me tourne vers lui et lui sourit timidement.
- Je ne sais pas pourquoi je me comporte en connard avec lui. Sûrement car je ne sais pas si il est Black Wolf ou l’agent A-115. Je… Je vois que nous n’avons pas eu le même entrainement, que ses décisions ressemblent plus aux décisions de la Ligue. Je n’ai pas l’habitude de faire face à d’autres méthodes que celle qu’on m’a enseignées.
- Je comprends Randall, je dis.
- Je ne sais même pas si j’appartiens encore à l’Œil. Je ne sais même pas si j’en ai encore envie, souffle t-il.
Je lui souris, compatissante. Je pense exactement pareil. Mon meilleur ami est aussi perdue que moi. À mes côtés, Jacob et Holly opinent. Eux aussi sont perdus et il est temps que je leur parle de la proposition de Manson.
- Il faut que je vous parle, je dis
Mes amis hochent la tête puis s’installent sur les fauteuils. Randall cède son fauteuil à Holly qui le toise furieusement en s’installant a même le sol.
- Manson m’a proposé un marché.
Mes amis me fixent, attendant que je leur explique tout.
- Il m’a proposé d’intégrer la Ligue. Pour une mission
- Tu ne vas pas accepter ? fait Randall. Tu n’es pas chez toi ici.
- Tu appartiens à l’Œil, intervient Fox
- Non, je n’appartiens à personne, Jacob. Et je l’ai dis à Manson. Il me propose de cette mission en échange de notre liberté.
- De notre liberté ? fait Holly. L’agent chargé de me surveiller n’a pas cessé de me dire que je n’étais pas prisonnière.
Je porte mon attention sur elle. Elle aussi a eu le droit à une surveillance rapprochée ? Aux visages de Jacob et Randall, je comprends qu'ils ont eu la même attention.
- Il m’a laissé un dossier. Si je l’acceptes, il m’a donné sa parole de nous laisser partir de la Ligue, Aiden y compris. Il me fournira armes, argent et la liberté de prendre toutes les décisions.
- Il te laisserait travailler seule ?
J’opine de la tête.
- Il acceptera de tous vous libérer si je réussis la mission, je dis
- Tu ne peux pas travailler seule, Roxane, fait Jacob. Il te faut un White.
- Je sais. Mais je n’ai pas de White à disposition.
- À moins que l’un de nous accepte de redevenir un White, propose Holly avec une pointe de malice dans son regard.
- J’y ai pensé.
Holly sourit, fière. Elle est vraiment la White la plus intelligente que j’ai vu. Randall a déjà un très bon niveau alors que Jacob est le plus ingénieux.
- Qui choisis tu ? demande Randall.
- Je ne peux pas choisir. Tous les trois êtes indispensables pour moi. J’ai besoin de l’intelligence d’Holly, de l’ingéniosité de Jacob et de la complémentarité de Randall avec moi.
Mes amis me sourient, comme pour me remercier avant de se regarder.
- Peu importe qui tu choisiras, nous respecterons ta décision, dit Randall. Et puis, pour les deux qui resteront, ce n’est pas comme ci ils étaient dans de mauvaises conditions. On patientera dans une grotte mais dans une grotte confortable.
Il pouffe de rire et je me joins à lui. Je leur souris avant de prendre la décision qu’il est temps que je donne ma réponse à Manson.
Je me dirige vers la porte et l’ouvre. Manson, qui patientait dans le couloir, assis sur une chaise, lève la tête d’un dossier et me sourit.
- Manson ? J’ai pris ma décision.
Il opine de la tête, claque des doigts et un agent arrive aussitôt vers nous. Les deux hommes ont une conversation silencieuse et Manson m’invite à me diriger dans le couloir alors que l’agent rejoint mes amis.
Nous marchons le long du couloir en silence. Je ne peux m’empêcher de jeter un coup d’œil vers Manson. Jusque là, je n’avais jamais pris le temps de l’observer. C'est un bel homme. La quarantaine passée. Je suis presque sûre qu’étant plus jeune, il devait être pas mal demandé par la gente féminine.
Quand nous arrivons dans le bureau de Manson, il m’invite à m’asseoir. Le plateau d’un petit déjeuner est posé sur le bureau et je prends seulement conscience de l’heure qu’il est quand je cherche des yeux une horloge. Pour accentuer le tout, mon ventre se met à gargouiller, même si la veille au soir, un agent s'était chargé de me ramener à diner.
- Je me suis dis que tu devais avoir faim, dit Manson. Je t'en prie.
Il montre d’un signe de tête le plateau et je ne me fais pas prier. J’attrape un bagel que je tartine aussitôt de fromage alors que Manson me sert un verre de jus d’orange avant de s’asseoir derrière son bureau.
- Alors, Roxane ? As-tu pris le temps de considérer ma proposition ?
- Oui. Et je dois vous avouer que j’ai longuement hésiter.
Manson me sourit.
- J’ose espérer que l’agent T-109 a bien fait son travail en te convaincant d’accepter cette mission…
Je fronce le front. Alors comme ça, Tracy était la pour me convaincre d’accepter ? Elle a bien caché son jeu et je souris en pensant que sa petite bouille d’ange et ses conseils ne sont pas ses seuls atouts.
- Que se passera t-il si je refuses cette mission ? Je resterai captive dans les locaux de la Ligue ?
Manson élargit son rictus.
- Je connais déjà ta réponse, Roxane. Tu ne peux te permettre de refuser. Maintenant, j’attends juste des conditions car je sais qu’il y en a…
Je fronce le front légèrement. Cet homme semble lire en moi comme un livre ouvert.
- En effet, il y en a.
- Je t’écoute.
Je prends une grande inspiration. Mon instinct me pousse à lui imposer ma première condition mais Manson semble être un homme avec qui il faut y aller progressivement.
- Premièrement, je veux un accès illimité à des armes. Je suis le genre d’agent à ne pas tuer plusieurs personnes de la même façon.
- J’ai cru le comprendre en apprenant tes états de services. Très bien. Tu auras toutes les armes et tout l’argent qu’il te faut.
J’hoche la tête pour le remercier.
- Deuxièmement, je veux une planque. Et pas n’importe laquelle. Je veux un endroit protégé avec plusieurs issues que seul toi et moi connaitra la position.
- Cela va de soit, j’avais déjà pensé à cette condition. Tu auras accès aux anciens locaux de la Ligue et crois moi, ils sont bien plus confortables que cette « grotte humide qui pue le moisi ».
Je souris à sa remarque. J’apprécie qu’il prend compte de mon avis. Et qu'il en rit.
- Et si tu me parlais de la condition la plus importante.
Je souris une nouvelle fois. Cet homme me connait vraiment par cœur.
- Je ne peux travailler seule.
- Je savais que tu me dirais ça. Et je savais qu’il te faudrait un White. Lequel as-tu choisi ?
- Je ne peux pas faire un choix. Il me faut les trois… je dis en imposant ma troisième condition.
***