Tour de table

Par MonNomEstTab

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Six adolescents du lycée Blaise Cendrars entourent la même table. Ils n'ont, en l'occurrence, rien à se dire... Plus

Avant-propos.
S♢ulivan
E♡glantine
C♢arl
R♡oxane
E♢mile
S☆ECRET
Note de fin
Sondage
Projet important
À votre tour
Vérités et Sentiments

T♡abitha

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Par MonNomEstTab

Parler avec des inconnus n'est pas un problème à proprement dit pour moi. Je suis plutôt extravertie et assez sociale pour une adolescente de dix-huit ans. Après, il est vrai que mon style sombre attire peu de monde mais ça n'enlève rien à mon authenticité.
Par contre, il m'est très difficile de parler de ma vie personnelle dans l'établissement Blaise Cendrars. Alors, le jeu de ce professeur de géographie me prenait sincèrement la tête.
Je n'avais aucune envie de raconter quoi que ce soit d'intime à mon propos, surtout ce lourd secret qui m'est directement venu à l'esprit lors des explications des règles de l'activité.
Je n'avais pas envie que Carl soit mis au courant quant à cette partie effroyable de ma vie, bien que j'apprécierais qu'il se sente coupable pour la rumeur qu'il avait lancée à mon sujet quelques années plus tôt.

Quand mon tour est venu, mon coeur a commencé à battre la chamade sous mon chandail noir et mes mains sont devenues affreusement moites.
Je me sentais mal, terriblement mal mais tentais tant bien que mal de garder la tête haute, par fierté.

Durant un long moment, aucun mot n'a traversé la barrière formée par mes lèvres pâles mais en remarquant tous ces regards avides de curiosité, je me suis sentie obligée de parler.

   -Je vais vous révéler mon secret. Je n'en ai aucune envie mais vous avez eu le courage de le faire. Par contre, je vous préviens, surtout toi Carl, qu'à la première remarque méchante ou moqueuse, je prends mes affaires et je me barre, ai-je presqu'agressivement prévenu. Et sachez que je ne fais rien le vendredi après-midi donc la menace de retenue ne m'atteind absolument pas.

Ils ont certainement dû me prendre pour une fille méchante, déplaisante et toutes sortes d'autres adjectifs à connotation péjorative.
Sulivan s'est amusé à reproduire un salut militaire de la main et m'a appelée chef. J'ai rigolé et ça a détendu l'atmosphère. Il a presque réussi à faire disparaître la tension glaciale que j'avais créée et qui s'était placée au-dessus de nos têtes adolescentes.
Les autres ont affirmé à l'unisson qu'ils ne feraient pas une chose pareille. Que j'avais été polie lors de leur présentation et qu'ils comptaient donc me rendre la pareille. Ils n'avaient surtout aucune envie de me rendre folle au point de me faire quitter la salle, pour éviter se voir obligés de rester au lycée deux heures de plus un vendredi.
Carl, lui m'a simplement envoyé un sourire. Un petit sourire sincère.

   -Je ne sais pas si vous connaissez la peintre Charlotte Salomon?, ai-je commencé mon exposé, très stressée.

Je n'ai évidemment reçu aucune réponse positive et ai été alors obligée d'expliquer les éléments importants de la biographie de cette jeune femme.
J'ai insisté sur le fait qu'elle était juive et qu'elle avait malheureusement vécu durant les deux guerres mondiales, comme l'aurait fait un bon professeur de français ou même d'histoire. Malheureusement, le programme scolaire ne s'intéressait pas à cette jeune femme.

Roxane avait l'air attachée à mes lèvres, curieuse de connaître la raison pour laquelle j'avais commencé mon explication en parlant d'une jeune peintre du début du siècle à la vie touchante et excessivement malheureuse, à la fois.

   -Cette femme-là est certainement celle qui a vécu l'existence la plus proche de la mienne. Et ça me déchire le coeur de dire une chose pareille, ai-je pris sur moi pour éviter de déverser une quantité pathétique de larmes.

Je ne suis pas du genre à me plaindre de ma vie, ou du moins pas ouvertement. J'ai énormément de fierté et bien que l'avis des gens ne m'atteigne presque pas, je préfère garder un minimum de mystère et éviter leurs commentaires mesquins à mon sujet. Sur mon physique, je m'en fous royalement mais sur ma famille, j'en pleurerais.

   -J'aime beaucoup les oeuvres de Salomon, a discrètement dit Émile, gêné d'être le seul à la connaître. Elle a un univers particulier et très sombre mais j'apprécie vraiment son travail.

Ce garçon m'impressionnait. Il savait énormément de choses et il semblait en avoir honte, comme si c'était une mauvaise chose d'être plus instruit que les autres. Si cette impression était bonne, le jeune garçon me décevait car je le pensais plus franc, plus réel que ce qu'il montrait.

L'avis des autres n'a jamais rendu qui que ce soit meilleur, bien au contraire. Il fallait que le petit Émile comprenne cette règle primordiale et qu'il se la mette en tête car c'était un garçon intéressant et les personnalités comme la sienne devenaient rares de nos jours.

Alors que je constatais cette chose interpellante, je me suis rendue compte que je n'étais pas là pour compatir au sujet d'inconnus, que je devais plutôt les exécrer car elles risquaient de me détruire et de se moquer de moi à la fin de l'activité. J'ai alors repris d'un ton plus froid, plus tranchant et un regard aussi fermé que lorsque j'ai remarqué Carl assis à la même table que moi.

   -Je vais essayer d'être directe car ce sujet me fait excessivement mal et je n'ai aucune envie de traîner les explications en longueur, ai-je désagréablement lancé. Salomon a perdu presque l'entièreté de sa famille suite à des suicides, principalement et je vis exactement la même chose.

Évidemment, la réaction des adolescents à mes côtés a été comme si je l'avais imaginée, voire amplifiée. Plus personne ne parlait.
Eglantine était choquée et restait bouche-bée. Roxane regardait ses pieds et Émile semblait très touché par cette révélation.
J'avais envie de les regarder et de ne verser aucune larmes.

Puis, j'ai remarqué que Carl m'observait durement et sans même se cacher.
Ça a été le coup fatal et j'ai été obligée de leur tourner le dos durant plus d'une minute, pour qu'ils n'aient aucun accès à mes sentiments, à ma peine immense, accrochée au bord de mon coeur détruit, meurtri, déchiré.
J'ai pris sur moi et me suis répétée plus de dix fois que je n'avais pas le droit de craquer, pas maintenant, pas ici, pas devant eux.

   -Carl, ne me regarde pas, s'il te plaît, ai-je calmement demandé à mon ancien ami.

Ce dernier a compris le message et a baissé les yeux, voulant certainement éviter que trop de larmes voient le jour. Je l'ai remercié, dans mon esprit car je savais que c'était le seul qui était capable de me faire sangloter à ce sujet. Je lui ai longuement caché cette chose lors de notre amitié et peut-être que c'était exactement cela qui nous avait séparés.

   -Ma tante s'est suicidée à l'âge de trente-six ans, alors que je n'avais que huit ans, ai-je franchement lancé. Ma mère n'a cessé de pleurer à ce sujet durant plus de cinq mois. Ma soeur qui avait déjà dix-sept ans le vivait très mal. Elle ne supportait pas de voir notre mère dans cet état donc elle passait ses journées hors de la maison. C'est à ce moment-là que les choses ont commencé à devenir tendues.

Sulivan s'est excusé pour son indiscrétion mais m'a questionnée quant au suicide de ma tante. Il voulait en savoir la raison. Il est vrai que je n'avais émis aucune précision à ce sujet et que ça faisait se poser des questions, et puis, je savais pertinemment bien qu'il ne faisait pas cela avec indiscrétion.

   -Elle avait une vie vraiment merdique et comme c'était une personne un peu trop sensible, elle n'a pas supporté toute la poisse qui la détruisait, ai-je expliqué. Après, il est vrai que ma mère n'a jamais accepté tout me raconter, j'étais petite et c'est un sujet tabou dans ma famille.

   -Je comprends, je n'aurais pas dû poser une question pareille. Je suis désolé, Tabitha, s'est excusé le jeune homme de sa voix grave et gênée.

J'ai posé ma main sur son avant-bras durant plusieurs secondes pour qu'il comprenne que je ne lui en voulais pas, que je comprenais totalement sa curiosité.
Sulivan est quelqu'un de très bien et n'avait aucune mauvaise intention en me questionnant à ce sujet, alors je n'avais aucune raison de lui en vouloir.

   -Tab, raconte-nous la suite, ai-je entendu ces paroles doucement prononcées et venant de ma gauche.

Je me suis contentée de hocher de la tête aux mots de Carl, n'étant absolument pas apte à le regarder dans les yeux.

   -Ensuite, ma soeur s'est tirée une balle dans la tête, ai-je révélé de but en blanc. Mirabelle n'avait que vingt-quatre ans quand elle a commencé à se sentir mourir de l'intérieur. Elle était trop faible, comme ma tante et n'a pas supporté souffrir quotidiennement. Elle a donc pris les choses en main un mercredi du beau mois d'août, alors que mes parents et moi étions au magasin.

Ma voix s'est subitement brisée face à ce souvenir et ces images atroces apparaissant dans mon esprit. Je me souvenais très bien, voire trop bien de la tête détruite de mon aînée, baignée dans une mare de son propre sang. J'en fais constamment des cauchemars. Cette image me rappelle tous les jours que je n'ai plus de soeur, qu'elle est lâchement partie car le malheur la rongeait à petit feu.
Mais pourtant, il fallait que je garde la tête haute et continue. Que je prenne sur moi pour ravaler mes larmes et qu'elles ne reviennent plus, du moins plus pendant la petite demi-heure restante de ce jeu débile.

   -Son enterrement a été le moment le plus triste de mon existence. Je n'avais que quinze ans et deux personnes importantes de ma famille étaient déjà au ciel. Je me posais de nombreuses questions et voulais savoir quel était le problème avec moi, pourquoi tout le monde mourait dans mon entourage, me suis-je énervée en crescendo. Puis, il y a eu ma mère...

J'ai remarqué du coin de l'oeil que Carl me fixait jusqu'au moment où j'ai commencé à parler de ma mère. La sienne était atteinte d'une forme grave de cancer, il allait sans doute la comparer à ma Maman et à son histoire.

   -Ma Maman respirait la joie, c'était une vraie pile électrique et surtout, la seule personne importante qui me restait avec mon père. Puis, durant les vacances d'avril de l'an dernier, on lui a diagnostiqué un cancer. Sauf qu'on l'a découvert beaucoup trop tard et qu'elle est décédée deux semaines plus tard.

Ça a été plus fort que moi et j'ai explosé en sanglots. Parler de cette femme extraordinaire me fait indéniablement cet effet. Je l'aime et elle ne méritait nullement une fin pareille, pas elle.
Durant un instant, personne n'a parlé, personne n'a osé tousser ou même respirer.

   -Je suis censée vous redouter, voire vous détester mais malgré tout, je souhaite de tout mon coeur qu'aucun de vous ne vivra cela. J'espère que vous garderez votre Maman le plus longtemps possible parce que c'est une souffrance pire que n'importe quelle autre, surtout quand c'est l'être le plus important de votre vie.

Tout en sanglotant, je suis parvenue à dire autant de mots, sans même buter sur la plupart. J'avais mal, j'étais détruite mais gardais un semblant de fierté, de courage.
Puis, j'ai entendu un sanglot surprenant et très fort qui reflétait une énorme souffrance.

   -Excusez-moi, a difficilement chuchoté Carl, la brute.

Il est parti dans une crise de pleurs et je n'ai rien pu faire d'autre que de me lever et d'aller le rejoindre. J'ai alors fait quelque chose que je n'avais plus fait depuis près de six ans: je l'ai pris dans mes bras.
Nous sommes restés dans cette position, l'un contre l'autre durant quelques instants. Il avait besoin de pleurer, je sentais sa peine à travers les tremblements de son corps musclé.

   -Profite de ta Maman le plus longtemps possible, c'est le plus beau cadeau que t'ait fait l'humanité, lui ai-je murmuré à l'oreille.

Une minute plus tard, nous étions un peu calmés donc nous nous sommes maladroitement éloignés l'un de l'autre.
Je suis retournée à ma place et ai remarqué les quatre autres adolescents, mal à l'aise et attristés.
Je n'avais pas envie de finir ce discours de cette manière donc, j'ai décidé de conclure à ma manière.

   -Tout cela pour dire que je ne suis pas une gothique à l'esprit meurtrier ou encore une énorme fan de Joan Jett ou de Marilyn Manson. Je suis simplement en deuil.

Après cette conclusion étrange, nous nous sommes tous les six scrutés du regard, nous rendons seulement compte de ce que nous venions de vivre le temps de quelques heures.
Alors que des images se créaient dans mon esprit en lien avec ces personnes, des claquements de mains se sont faits entendre, certainement pour nous prévenir de la fin de l'activité. Chaque table avait l'air d'avoir fonctionné à la même vitesse que nous.

   -Voilà, j'espère que vous avez tous terminé de parler, a commencé à clamer le professeur de géographie. Je suis très heureux de voir que cette activité ait fonctionné et que des liens se soient créées sur le temps d'une après-midi.

Carl m'a souri en s'essuyant les larmes, du revers de la main. Celle-ci tremblait fortement. Je ne l'avais jamais vu si vulnérable qu'à cet instant.

    -J'espère que ça vous a faits réfléchir de parler avec des personnes que vous ne connaissiez normalement pas et que vous n'allez pas jouer aux débiles en lançant des bruits de couloir.

    -De toute façon, a repris madame Kaling, une jeune professeur de mathématiques, celui qui lancera une rumeur sur quelqu'un sera rapidement démasqué et se verra puni de plusieurs semaines de retenues durant lesquelles il fera des choses réellement emmerdantes.

Ces mots n'étaient pas mâchés mais c'était sans doute le but premier pour nous faire peur.

   -En tout cas, merci du fond du coeur et essayez de vous revoir tous dans dix ans pour faire un debrief de comment s'est déroulée la suite de chacun, a définitivement conclu Lefebvre.

Durant quelques secondes, ça a été le calme, jusqu'au moment où un garçon s'est mis à applaudir. Je le connaissais, il était dans mon cours d'espagnol avec Sulivan. C'était Jules, son meilleur ami.
Alors, tout le monde a suivi le mouvement et le quadragénaire s'est fait acclamer par près de deux cent vingt adolescents.

Il nous a remerciés et autorisés à quitter l'école donc nous nous sommes tous levés et quittés comme si rien ne s'était passé.

J'ai eu l'envie de prendre une dernière fois mon ancien ami dans mes bras et de lui dire que ça m'avait déchiré un peu davantage de l'avoir vu pleurer.
De dire à Roxane qu'avoir été enceinte n'était pas une honte et crier à Eglantine de ne plus jamais avoir de contact avec Madame Petraeus qui la menait à sa perte.
J'avais une folle envie de répéter à Sulivan que ce n'était pas sa faute, que sa soeur était en chaise à cause d'un sale coup du destin mais absolument pas à cause du gamin de cinq ans qu'il était et de rassurer Émile en lui assurant qu'être homosexuel ne lui enlevait aucune valeur mais que cacher ce qu'il savait au Monde, oui.

J'avais une folle envie de faire ça mais je me suis contentée de faire demi-tour et d'aller rejoindre mon bus, sans même les regarder une dernière fois.

Sans même avoir le courage de les remercier de la chose intense qu'ils m'avaient fait vivre.

🔷T A B I T H A🔷

_______
Il reste encore un chapitre, puis cette petite nouvelle est finie.
J'ai surkiffé rédiger ce chapitre.
Donnez-moi en des nouvelles!♡
Merci mille fois.

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