3 Août 2015
Je termine de me préparer rapidement et je sors de chez moi, plus impatiente que jamais. C'est aujourd'hui que je le vois en vrai. C'est aujourd'hui qu'on va enfin pouvoir discuter. Face à face.
Depuis maintenant trois semaines, je parle avec lui sur les réseaux sociaux et par téléphone. Il vient d'emménager dans ma ville et on avait attendu qu'il arrive pour pouvoir se voir. C'est le cas depuis deux jours, mais il devait s'occuper du rangement et du déballage de ses affaires. Maintenant que c'est terminé, il m'a proposé un rendez-vous.
Je marche quelques minutes jusqu'au point de rendez-vous, sur la place de la Statue qui n'est qu'à quelques minutes de chez moi, à pied. Ce n'est pas son vrai nom, mais tous ceux que je connais la nomment ainsi. Tout simplement parce qu'il y a une statue pas très élégante au centre.
Je suis finalement arrivée avec une dizaine de minutes d'avance mais j'avais tellement eu peur d'arriver en retard que je me suis dépêchée.
Je le vois marcher, quelques minutes plus tard, les mains dans les poches de son jean. Il balaye rapidement la place du regard et ses yeux s'arrêtent sur moi. Il me sourit et continue d'avancer.
Arrivé à ma hauteur, je suis obligée de lever un peu la tête. Il est plus grand que je ne l'imaginais.
- Salut.
Sa voix est plus grave qu'au téléphone et définitivement beaucoup plus attrayante.
Il sort une de ses mains de sa poche et la pose sur mon bras avant de se pencher pour me faire la bise. Il sent divinement bon ! Je suis déjà complètement tombée sous son charme.
- Tu vas bien ? me demande-t-il en souriant.
- Très bien, et toi ?
- Tout va pour le mieux. Je suis désolé qu'on n'ait pas pu se voir avant.
Je lui offre un grand sourire en réponse.
- Ne t'inquiète pas, je comprends.
Ses joues, parsemées d'une barbe de trois jours parfaitement taillée, font apparaitre deux adorables fossettes et ses yeux insondables semblent m'observer attentivement.
- On va se promener ? me propose-t-il.
J'acquiesce volontiers et on prend le chemin du parc à sa demande. Je l'observe discrètement en marchant. Il porte un simple jean, une paire de baskets noires et un tee-shirt blanc uni. Ses longues foulées m'obligent à accélérer un peu la cadence.
- Tu es bien silencieuse, remarque-t-il. Je ne vais pas te manger, tu sais ?
- Je l'espère ! m'exclamé-je. C'est juste que ça fait bizarre de te voir en vrai plutôt que sur Skype.
- Je suis intimidant ? demande-t-il en haussant un sourcil, amusé.
- Je n'irais pas jusque là non plus ! ris-je en grimpant les marches qui conduisent au parc.
- Je plaisante Ana.
L'entendre prononcer mon prénom me plait beaucoup. Ce n'est pas la même chose qu'au téléphone ou par échange vidéo. Là, il est en face de moi. Son bras frôle le mien lorsqu'on marche, sa voix est réelle et non déformée par des machines électroniques. Et j'adore ça. Totalement.
Il me pointe du doigt un banc au bord de la fontaine, étonnement libre pour cet après-midi ensoleillé.
- On va s'asseoir ?
Je hoche la tête et on fait quelques pas supplémentaires pour rejoindre le banc où on s'installe. Il se tourne à moitié vers moi et me regarde ouvertement. Je me met soudain à stresser. Peut-être ai-je encore du dentifrice autour de la bouche ou alors mon mascara a coulé ? Non, impossible. J'ai vérifié toutes les trente secondes avant qu'il n'arrive.
- Qu'est-ce qu'il y a ? finis-je par demander.
- Rien, rit-il. Je n'ai pas le droit de te regarder ?
- Pas sans raison valable !
- Le fait que je te trouve très belle est une raison valable ?
Je me met à rougir instantanément. Je ne m'attendais pas à une réponse aussi franche. Pourtant, j'en ai l'habitude depuis le temps qu'on parle tous les deux alors ça ne devrait pas me surprendre. Et pourtant...
Il explose de rire en me voyant gênée. Ses yeux fermés et la tête légèrement en arrière, il est plus que craquant. Et son rire ! Une magnifique mélodie dont je viens de tomber amoureuse.
- Tu es encore plus canon quand tu rougis, Ana, insiste-t-il une fois calmé.
- Vas-y, rajoutes-en !
- Quoi ? Ce n'est pas la première fois que je te le dis.
Exact. Mais c'est moins embarrassant lorsque des centaines de kilomètres nous séparent !
- Mais c'est la première fois que tu le dis en face à face.
- Je vais arrêter alors parce que tu vas finir aussi rouge que ta robe !
Je baisse les yeux sur mes jambes recouvertes d'un tissu léger et rouge criard. J'ai vraiment l'impression que mes joues ne sont déjà pas très loin de cette teinte particulière.
- D'ailleurs, elle te va très bien.
Je suis ravie que ça lui plaise étant donné que j'ai passé plus d'une demie-heure devant mon armoire et me suis changée pas moins de six fois avant d'opter pour cette robe. Choisie un peu par défaut puisque c'est celle que je mets le plus souvent. Elle est simple, pas trop courte puisqu'elle m'arrive juste au dessus des genoux, et est maintenue par deux larges bretelles sur mes épaules.
J'ai longuement hésité sur comment coiffer mes cheveux aussi, et comme pour la robe, j'ai abandonné l'idée de changer mes habitudes et les ai relevés en queue de cheval haute. Je n'ai jamais aimé mes cheveux bruns. Trop ternes à mon goût et sans le moindre volume quand je les détache. Ils sont seulement lisses et informes.
Finalement, j'ai voulu faire un effort pour lui, mais je suis habillée comme tous les jours. Et ce n'est pas plus mal, puisqu'il me trouve tout de même jolie.
- Merci, dis-je en souriant.
Il me rend mon sourire et détourne le regard pour fixer la fontaine face à nous. Habituellement, on trouve toujours de quoi parler, même si on ne dit pas grand chose d'utile. Aujourd'hui, j'ai l'impression que c'est le contraire. C'est étrange et je n'aime pas trop ça. Je ne veux pas que quelque chose change entre nous - bien qu'il n'y ait pas réellement de nous. Je tente donc de lancer un sujet de conversation banal.
- Tu as finis de t'installer ?
- Pas tout à fait. Je pensais terminer rapidement mais il faut croire que j'ai beaucoup plus d'affaires que je n'imaginais !
- Je croyais que tu voulais finir tout ça avant qu'on se voit, lui rappelé-je.
- C'est vrai. Mais je t'avais dit qu'on se verrait, alors je tiens ma promesse, répond-il avec un sourire. Mais si tu veux, je rentre pour finir, ajoute-t-il avec nonchalance.
- Non ! m'écrié-je. Je veux dire : tu auras tout le temps plus tard, pas vrai ?
- Mademoiselle ne veut donc pas me laisser partir ?
Je secoue négativement la tête devant son air charmeur.
- Maintenant que tu es là, tu restes.
- A vos ordres, déclare-t-il sérieusement. Mais m'autoriseriez-vous à m'éloigner de quelques mètres le temps d'aller vous chercher une glace afin de faire baisser la température de vos joues ?
Je tourne la tête vers le stand de glace installé à sa place habituelle, de l'autre côté de la fontaine, puis je porte mes deux mains à mon visage en plantant mes yeux dans les deux billes noires qui m'observent attentivement.
- Elles sont si rouges que ça ?
Il hoche la tête sans se départir de son sourire.
- Alors je veux bien.
- Quel parfum ?
- Peu importe, je ne suis pas très difficile.
- D'accord. Tu m'attends là ? Je me dépêche.
Je lui fais signe que oui et il se lève du banc. Arrivé au stand, quatre personnes patientent déjà pour commander. Il se retourne pour me sourire et reporte son attention sur le panneau blanc où sont sans doute affichés tous les parfums de glace. J'espère qu'il m'a proposé une glace parce que lui aussi en veut une. Je n'aime pas manger devant quelqu'un qui ne mange pas.
Il revient quelques minutes plus tard, deux cornets à la main.
- Caramel ou fruits de la passion ?
- Prends ce que tu préfères.
- J'ai pris les deux que je préférais alors dépêche-toi de choisir où je mange les deux, déclare-t-il en s'asseyant sur le banc.
Je prends donc celle au caramel puisque c'est celle qui est la plus proche de moi.
- Merci.
- Je t'en pris.
On déguste notre glace en silence. Pourquoi il ne dit rien ? Peut-être qu'il ne voulait pas me voir finalement et qu'il a accepté seulement pour être débarrassé de moi. Il a dû se dire que plus tôt c'était fait, mieux ce serait. Ou alors, il me trouve ennuyeuse. Par téléphone, il pouvait faire autre chose tout en discutant avec moi, alors que là, il est coincé sur ce banc, à côté de moi. Je suis stupide. J'aurais dû y penser avant. Bien sûr qu'il a autre chose à faire que de sortir manger une glace avec une gamine.
- Tu n'aimes pas ? me demande-t-il soudainement.
- Pardon ?
- Tu ne manges pas. C'est parce que tu n'aimes pas ?
Je jette un coup d'œil au caramel qui commence déjà à me couler sur les doigts.
- Si, j'aime beaucoup.
Pour appuyer mes propos, je lèche les trainées de glace qui ont coulé sur le cornet avant de continuer de manger normalement. Cette fois-ci, c'est lui qui a cessé de manger et qui me fixe.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
Il secoue légèrement la tête.
- Rien rien. Tout va bien.
Puis il me tend sa glace.
- Tu veux goûter ?
Contrairement à la mienne, il ne reste plus grand chose. Je n'avais jamais goûter aucun des deux parfums qu'il m'avait proposé alors ça me tente de connaitre le goût de sa glace. J'hésite.
- Oui ? Non ? s'impatiente-t-il en riant.
- Ça ne te dérange pas ?
- Si te propose.
- D'accord.
Par réflexe, je pose ma main sur la sienne pour approcher mes lèvres du cornet. Ce simple contact m'électrise totalement. Davantage encore que lorsqu'il m'a fait la bise tout à l'heure.
- Je ne sais pas laquelle je préfère, dis-je en relâchant sa main. Tu avais raison de ne pas savoir quoi choisir.
- La prochaine fois, on échangera.
- La prochaine fois ? répété-je.
- Oui. Sauf si tu ne veux pas qu'on se revoit, bien entendu, ajoute-t-il sur le ton de la plaisanterie.
- Si, je veux bien.
Il tourne la tête vers moi et porte sa main à mon visage. De son pouce, il essuie le coin de ma bouche et le porte à ses lèvres.
- Tant mieux.
C'est seulement la première fois qu'on se voit et il me fait déjà bouillonner. J'ai très chaud tout d'un coup et la glace n'a aucun effet rafraichissant sur moi, mais je la termine quand même dans l'espoir que ça change. Ce qui n'est définitivement pas le cas.
Après cette glace, on finit par trouver de quoi discuter. De tout et de rien, en réalité. Mais j'aime beaucoup.
Puis, vers dix-huit heure, il me raccompagne jusque chez moi puisque sa mère vient le voir dans moins d'une heure. C'est dommage, j'aurais bien voulu rester avec lui un peu plus longtemps.
Une fois arrivés devant ma maison, je ne sais pas quoi faire, ni quoi dire. Alors j'opte pour la valeur sûre.
- Merci pour aujourd'hui.
- Merci à toi, Ana. J'aurais aimé t'inviter à manger quelque part, mais ce soir, c'est impossible. Désolé.
- C'est pas grave, lui souris-je.
Il fait de même et s'approche de moi pour m'embrasser sur la joue, puis il se retourne pour s'en aller.
- Adam ?
A l'entente de son prénom, il s'arrête instantanément pendant quelques secondes, puis se tourne face à moi.
- On va se revoir alors ?
Il marque un temps d'hésitation avant de revenir sur ses pas et de combler les quelques mètres qui nous séparent. Ses deux mains se posent sur mes joues au moment où ses lèvres viennent à la rencontre des miennes. Mes yeux se ferment et je me laisse aller contre sa bouche qui bouge délicieusement contre la mienne. Étrangement, je ne suis pas surprise par ce baiser. Un peu comme si je le savais d'avance que cette journée allait se finir ainsi. Et j'en suis plus que ravie. J'attendais ce moment depuis le début.
- Avec plaisir, Anabelle.
Un dernier baiser sur mes lèvres et il s'en va, me laissant seule sur le pas de ma porte, un sourire indélébile placardé sur le visage.
Il passe le portail et se retourne pour m'adresser un dernier signe de la main, accompagné d'un clin d'œil, avant de disparaitre derrière l'épais buisson qui sépare mon jardin de celui des voisins.
Voilà. Trois semaines d'échange par messages, appels ou Skype, un rendez-vous de seulement cinq heures, quelques sourires, des rires et un baiser magnifique ont suffit pour me faire tomber amoureuse de lui.
Adam.