Le dernier Homme

By ChristopheNolim

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Le monde des Derniers Hommes n'est plus qu'une ombre. Le Temps, seul maître des lieux, joue comme il veut ave... More

Avant-propos
1. Le dernier Monde
2. Le dernier Vide
3. La dernière Mélodie
4. Le dernier Départ
5. Le dernier Spécialiste
7. La dernière Résolution
8. La dernière Tour
9. La dernière Machine
10. Le dernier Gardien
11. Le dernier Spectacle
12. Le dernier Prix
13. Le dernier Rêve
NDA : références

6. Le dernier Démon

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By ChristopheNolim


« Non, pour y aller, c'est très simple, il suffit juste de prendre le pont. »

L'homme se gratta la tête.

« Ça chatouille, les flammèches, expliqua-t-il, elles sont joueuses. Quand elles auront mangé deux ou trois âmes, elles seront assagies. »

Voyant qu'Akin était mal à l'aise, il regarda intensément une publicité pour une marque de lessive, étalée à l'intérieur de la rame de métro.

« Mais ne t'inquiètes pas, tu ne risques rien, je parie qu'il n'y a rien de bien à manger sur toi. C'est quand même dingue qu'on se soit retrouvés après l'hôpital, non ? Je m'appelle Igor, au fait. Enfin je crois. Ça change assez souvent. C'est mon âme que je bricole en permanence, tu comprends, à force de jouer avec le feu, on se brûle.

– Où veux-tu trouver un pont ?

– Ben, des fois, on trouve un pont qui mène au septième ciel, et des fois, euh, il descend. Au septième ciel, l'Olympe, le nirvana, tout ça, il n'y a rien et on s'ennuie pas mal ; en dessous, c'est un peu brûlant mais on fait des affaires. Enfin, je fais des affaires. Euh, je. Moi quoi. Igor. Oui, c'est ça, c'est Igor. »

Il regarda derrière lui. Il n'y avait bien sûr personne.

« Un peu de silence, on ne s'entend plus ! »

Puis revenant à Akin :

« Ouais, je disais, c'est fou qu'on se soit retrouvés comme ça.

– Ça m'a coûté ses cheveux.

– Hein ?

– Je vends des souvenirs. Les transactions sont âpres. J'ai vendu ses cheveux à un graphiste.

– Ouais, attends, c'est dangereux de faire ça. Si tu n'as plus tes souvenirs tu n'as plus rien. Regarde moi. Je ne sais même plus comment je m'appelle.

– C'est Igor, non ?

– Ouais, ils disent tous ça. »

Le train s'arrêta et ils en descendirent.

C'était une station en plein air. Du lierre s'était accroché aux colonnes de béton et de là, les lorgnait en se moquant d'eux.

« Je ne vois pas de pont, dit Akin.

– Attends un peu. »

Akin tourna la tête vers Igor, et dans le même temps, son crâne rencontra un objet contondant.


***


Lucifer était assis sur un fauteuil imprimé d'un motif de billets de banque. Il avait l'apparence d'un jeune homme, pas plus de trente ans, très séduisant, les dents agressivement blanches, les ongles manucurés. Emballé dans un smoking beige, il regardait Akin en souriant.

Des flammes se promenaient sur le mur.

« Bienvenue en Enfer, dit-il. D'habitude, on n'en ressort pas, mais depuis quelque temps, c'est un vrai moulin.

– Je...

– Je sais ce que tu veux, mon ami. D'ailleurs, je sais à peu près tout ce que les hommes veulent, c'est pour ça que je les connais si bien. C'est pour ça aussi que je m'ennuie tellement. La vie manque de piquant. »

Tandis qu'il parlait, un arbre avait commencé à pousser sur le carrelage couleur cendre du sol. Il semblait déjà vieux, recroquevillé comme un bonsaï, ses branches portaient à peine quelques feuilles.

Les flammes qui jouaient sur le mur refluèrent vers Akin, mais Lucifer leur fit un signe, et elles s'écartèrent en renâclant.

« Il fut un temps où le monde était un paradis terrestre. Si paradis terrestre, il paraît logique, n'est-ce pas, qu'il y ait un enfer. Donc j'avais du travail. »

L'arbre s'était arrêté. À peine plus haut que le maître des enfers assis, il portait un unique fruit, bien lourd en comparaison de ses branches frêles, une pomme jaune et rouge.

Lucifer la cueillit et commença à la contempler méditativement.

« Mais depuis, tu sais bien, le monde est devenu à la fois paradis et enfer. Inévitablement, je m'ennuie. »

Il la leva jusqu'à la hauteur de sa tête.

« Je n'ai plus rien à faire du tout. Je peux contempler le malheur des hommes, mais comme je n'y suis pour rien, cela ne me fait plus envie. »

Il fit encore tourner la pomme dans sa main, puis résolument, y planta les dents.

« Donc, toi, tu veux retrouver quelqu'un que tu es en train d'oublier. Rien de plus facile. »

Il se leva et écarta les flammes du mur comme un rideau, pour qu'elles forment une ouverture assez grande pour eux deux.

Akin lui emboîta le pas, entendant des ricanements à son passage.

« Ne fais pas attention au désordre », dit Lucifer entre deux bouchées.

C'était une grande pièce remplie d'objets hétéroclites. Au beau milieu trônait une table de dissection, ou quelque chose d'une utilité similaire. Lucifer s'approcha d'un placard, l'ouvrit, en évacua la poussière, et jeta le trognon de la pomme au hasard dans la pièce.

Il se saisit d'un très vieux modèle de machine à coudre mécanique et la posa sur la table.

« Est-ce que tu peux me tenir ça ? » Dit-il en présentant à Akin un parapluie à fleurs.

Akin posa l'objet à côté de la machine à coudre.

Il y avait plein de boîtes à chaussures dans les étagères. L'une d'entre elles tomba au sol et un flot de billets jaillit de ses entrailles.

« J'adore l'argent », dit Lucifer comme pour se justifier.

Il extirpa enfin un vieux livre poussiéreux de son placard, l'ouvrit et en arracha une dizaine de pages, avant de le laisser tomber sur la table de dissection, à côté du parapluie.

« Voilà.

– Voilà quoi ?

– Tout sur la mélancolie et la musique. C'est bien ça, ton problème ?

– C'est une personne que je recherche.

– Bien sûr que non. Si tu ne sais rien de ladite personne, tout ce que tu recherches, c'est la seule caractéristique qui t'en rapproche. C'est donc la mélancolie. Un vrai fléau, soit dit en passant. Peu importe. »

Il se frotta les mains.

« Je n'ai qu'une seule monographie sur la mélancolie. J'en ai beaucoup plus sur l'amour. Il y a un peu des deux, dans ton cas, non ? »

Akin le regarda d'un air hagard.

« Tu peux emmener le livre avec toi, dit Lucifer. Il suffit de le planter par terre, de laisser pousser l'arbre et de manger la pomme.

– Ce n'est pas ce que je recherche, dit fermement Akin. Peu m'importe la mélancolie. Je veux retrouver une personne. »

Lucifer se lécha les doigts lentement.

« Tu es assez borné comme garçon. »

Il croisa les bras et indiqua avec dédain :

« Dans ce cas, je garde le livre, mais je t'indique où elle se trouve. Je vois à peu près tout d'ici.

– Je vais devoir payer.

– C'est possible.

– Avec encore un souvenir ?

– Arrête de démonter morceau après morceau le seul souvenir à peu près intéressant que tu as.

– Avec... avec mon âme, alors ?

– Rien à faire. À force de vouloir vendre son âme au diable à tout bout de champ, ça s'est beaucoup dévalué. Bon, peu importe.

– Qu'est-ce que je dois faire ?

– Soit naturel. Ton aventure est tout à fait divertissante. D'ordinaire, le monde des Derniers Hommes anéantit rapidement toute volonté. La tienne a survécu mais ne tient encore qu'à un fil, ou plutôt, à un souvenir. Le suspense est à son comble. C'est excitant. Tu es le dernier héros que nous avons sous la main, tu vis la dernière aventure ; et même si tu ne sais pas ce que tu fais et tu passes plutôt ton temps englué dans de la mélasse, dis-toi que d'ici, je t'observe. Rends ce monde intéressant. Voilà mon exigence. »

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