6. Le dernier Démon

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« Non, pour y aller, c'est très simple, il suffit juste de prendre le pont. »

L'homme se gratta la tête.

« Ça chatouille, les flammèches, expliqua-t-il, elles sont joueuses. Quand elles auront mangé deux ou trois âmes, elles seront assagies. »

Voyant qu'Akin était mal à l'aise, il regarda intensément une publicité pour une marque de lessive, étalée à l'intérieur de la rame de métro.

« Mais ne t'inquiètes pas, tu ne risques rien, je parie qu'il n'y a rien de bien à manger sur toi. C'est quand même dingue qu'on se soit retrouvés après l'hôpital, non ? Je m'appelle Igor, au fait. Enfin je crois. Ça change assez souvent. C'est mon âme que je bricole en permanence, tu comprends, à force de jouer avec le feu, on se brûle.

– Où veux-tu trouver un pont ?

– Ben, des fois, on trouve un pont qui mène au septième ciel, et des fois, euh, il descend. Au septième ciel, l'Olympe, le nirvana, tout ça, il n'y a rien et on s'ennuie pas mal ; en dessous, c'est un peu brûlant mais on fait des affaires. Enfin, je fais des affaires. Euh, je. Moi quoi. Igor. Oui, c'est ça, c'est Igor. »

Il regarda derrière lui. Il n'y avait bien sûr personne.

« Un peu de silence, on ne s'entend plus ! »

Puis revenant à Akin :

« Ouais, je disais, c'est fou qu'on se soit retrouvés comme ça.

– Ça m'a coûté ses cheveux.

– Hein ?

– Je vends des souvenirs. Les transactions sont âpres. J'ai vendu ses cheveux à un graphiste.

– Ouais, attends, c'est dangereux de faire ça. Si tu n'as plus tes souvenirs tu n'as plus rien. Regarde moi. Je ne sais même plus comment je m'appelle.

– C'est Igor, non ?

– Ouais, ils disent tous ça. »

Le train s'arrêta et ils en descendirent.

C'était une station en plein air. Du lierre s'était accroché aux colonnes de béton et de là, les lorgnait en se moquant d'eux.

« Je ne vois pas de pont, dit Akin.

– Attends un peu. »

Akin tourna la tête vers Igor, et dans le même temps, son crâne rencontra un objet contondant.


***


Lucifer était assis sur un fauteuil imprimé d'un motif de billets de banque. Il avait l'apparence d'un jeune homme, pas plus de trente ans, très séduisant, les dents agressivement blanches, les ongles manucurés. Emballé dans un smoking beige, il regardait Akin en souriant.

Des flammes se promenaient sur le mur.

« Bienvenue en Enfer, dit-il. D'habitude, on n'en ressort pas, mais depuis quelque temps, c'est un vrai moulin.

– Je...

– Je sais ce que tu veux, mon ami. D'ailleurs, je sais à peu près tout ce que les hommes veulent, c'est pour ça que je les connais si bien. C'est pour ça aussi que je m'ennuie tellement. La vie manque de piquant. »

Tandis qu'il parlait, un arbre avait commencé à pousser sur le carrelage couleur cendre du sol. Il semblait déjà vieux, recroquevillé comme un bonsaï, ses branches portaient à peine quelques feuilles.

Le dernier HommeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant