William sorti de la réunion avec un sentiment de malaise, comme si sa présence avait gêné le bon déroulement du conciliabule, alors que le Seigneur Mordrais avait toujours été transparent avec lui. Quand il avait essayé de savoir ce qui avait été dit durant son absence, il s'était heurté à un mur. Tout au long de l'entretien, William avait eu l'impression d'être surveillé dans ses moindres faits et gestes. Cette impression qui le poursuivait depuis plusieurs jours s'était muée en un malaise persistant. Il était sur le point d'être repéré, il le savait, il ne pourrait pas rester encore longtemps au château. Ce qui le contrariait car il n'avait pas eu toutes les informations qu'il recherchait. Il ne savait ni où se cachait Finwë, ni de combien d'hommes il disposait.
Quand il entra dans sa chambre il remarqua qu'une baignoire remplie était placée près de sa cheminée dont l'âtre rougeoyait encore un peu. Des vapeurs s'échappaient de l'eau du bain, laissant échapper un doux parfum de plantes. Il sourit en voyant l'attention qu'avait eu sa servante, se débarrassa de ses vêtements et entra dans l'eau chaude avec délectation. William se laisser aller durant de longues minutes, jusqu'à ce que la peau de ses doigts se fripe et que l'eau soit suffisamment refroidie pour le faire frissonner. Le soleil se couchait plus tôt désormais et un vent frais se faisait sentir depuis trois jours.
William se sécha rapidement et enfila un pantalon de lin noir, ainsi qu'une tunique d'un vert émeraude faisant ressortir superbement ses yeux de la même couleur. S'il se sentait moins angoissé, il avait cependant besoin de se changer les idées et l'invitation d'Océane était tombée à point nommé. William avait décidé d'aller à la fête du village ; il voulait apprendre à connaître le peuple des Plaines du Soleil. Du moins, c'est ce qu'il se disait, sans s'avouer l'autre raison, principale, qui gouvernait cette envie.
Océane avait aidé le village à organiser la soirée, décorer la place centrale avec les dernières fleurs trouvées, des feuilles flamboyantes, et des branches d'arbustes encore vertes. Elle avait également donné un coup de main aux plus anciennes qui préparaient la nourriture, passant ainsi du temps avec sa mère. Ses frères et les autres jeunes hommes s'occupaient d'apporter les boissons et embrochaient le gibier. Cette année, c'était à son père de faire tourner la viande qui les nourrirait tous. Les enfants couraient autour du feu qui prenait, les fillettes avaient des rubans multicolores dans les cheveux et les garçons avaient mis leurs plus beaux vêtements et, sous le regard attentifs de leur mère, essayaient de ne pas les salir tout de suite.
Une fois les préparatifs finis, Océane alla se changer. Pour l'occasion, elle avait confectionné, avec l'aide infinie de sa mère et de Mina, une sublime robe orange tirant sur le brun aux reflets mordorés, s'assortissant parfaitement avec ses cheveux devenus châtains foncés assortis de reflets cuivrés et faisant ressortir ses yeux ambrés. La robe était croisée sur sa poitrine et l'échancrure dans son dos, seulement recouverte d'un fin tissu transparent, descendait presque jusqu'aux reins, mettant en avant sa taille fine et sa poitrine menue, soutenue par un ruban. Les bretelles étaient tressées et l'étoffe était si fine qu'on aurait dit qu'elle ne portait qu'un voile opaque sur le corps.
C'était une tradition sur les Plaines du Soleil, les jeunes femmes revêtaient leur plus belle robe, ainsi il n'y avait plus ni maîtresse ni servante, seulement des femmes honorant la nature. C'était les seuls moments où Océane se permettait de porter ce genre de tenue, le reste du temps elle mettait des robes pratiques et confortables pour son travail mais nettement moins jolies et douces. Ce fut avec une certaine coquetterie qu'elle remonta ses cheveux et y glissa quelques fleurs sauvages, laissant quelques boucles auburn tomber négligemment dans son cou.
Quand William approcha de la place du village, il pouvait entendre les rires, les chants et la musique. Il voyait le feu bruler et les flammes s'élevaient haut vers le ciel. Il s'approcha discrètement et se glissa parmi la foule masculine.
Les rites des Plaines du Soleil étaient différents de ceux de Somgysaï, cependant, cet air lui rappelait quelque chose. Il lui semblait remonter loin dans sa jeunesse. C'était une farandole, les jeunes femmes se tenaient par la main, leurs robes colorées tourbillonnaient autour du feu comme des papillons attirés par la lumière. Il sentait l'effet hypnotisant qu'elles avaient sur les hommes qui l'entouraient. Quand il observa de plus près, les robes étaient plus vaporeuses qu'à l'ordinaire. Elles ressemblaient plus à ce qui se faisait à Somgysaï que sur les Plaines du Soleil. William réalisait que c'était tout à fait le genre de tenues que sa sœur pourrait porter, quand Océane passa devant lui en souriant. Quand elle le vit, son visage s'illumina, elle lui fit un clin d'œil complice, comme si ici, elle n'était plus sa servante mais son amie, puis continua sa danse. William fut sous le charme, son regard ne put plus se détacher d'elle. La jeune femme dansait avec une telle vitalité que sa robe laissait entrapercevoir des formes qu'il n'avait jamais soupçonnées ; excepté la veille où il l'avait surprise sortant de son bain, mais la vue de ses ecchymoses lui avait fait oublier tout le reste.
A cette pensée, son cœur se serra, William se demanda s'il n'avait pas eu une mauvaise idée en venant ce soir-là. Sa mission touchait à sa fin et il ne servait à rien de se torturer l'esprit en se rapprochant un peu plus de sa servante. Il pressentait que ses sentiments étaient un risque pour eux deux tant sa mission était dangereuse. Pourtant, malgré tous ces mauvais présages au-dessus de sa tête, il ne pouvait s'empêcher d'être heureux de se trouver à cette fête.
Il s'aperçut que la musique venait de changer, Océane s'approchait de lui avec le jeune homme qu'il avait observé la nuit précédente au-travers de la vitre. Ils plaisantaient ensemble, se chamaillant. William se surprit, une fois de plus à envier leur proximité. Quand Océane arriva sur lui, elle s'exclama avec chaleur :
- Vous êtes venu finalement. Je vous présente mon frère, Géron, continua-t-elle en se tournant vers son frère. Géron, je te présente ...
- William, la coupa-t-il. Enchanté de faire ta connaissance.
- Moi aussi, répondit Géron surpris.
Géron n'était pas dupe, même si tous les villageois étaient revêtus de leurs plus beaux vêtements, aucun n'en avait d'aussi finement tissés que ceux de l'homme en face de lui. De plus, sa sœur lui avait déjà parlé de son maître, dont il avait parfaitement retenu le nom, ainsi que le visage éclairé de sa cadette lorsqu'elle en faisait mention. Il avait même saisi certaines choses qu'elle n'avait pas révélées, ou qu'elle ne percevait pas encore. Il avait laissé Océane agir comme elle le souhaitait car pour lui, la vie était courte et il s'agissait d'en profiter pour ne rien regretter ensuite. Cela avait plutôt bien fonctionné pour lui, il avait eu son compte de plaisir et de bagarre.
Géron était tout de même surpris de voir le Seigneur William à la fête. Cependant, alors qu'il voyait le regard que ce dernier portait à sa sœur, il comprit instantanément le pourquoi de sa présence. Il eut un sourire espiègle, avant de reprendre la parole.
- Que nous vaut le plaisir de votre visite ? Vous venez découvrir les traditions de notre Royaume ?
Si William fut surpris de voir que Géron savait parfaitement qui il était, il n'en montra rien. Comme cela ne parut pas le déranger de se retrouver au milieu de paysans et de converser tranquillement avec eux.
- Je reconnais volontiers ma curiosité, confessa-t-il. Et tout ceci est magnifique.
Il avait dit cela comme une généralité, pourtant son regard s'attarda quelques secondes sur Océane qui s'empourpra légèrement. Heureusement qu'avec la nuit et la lumière rougeoyante du feu, personne ne put le remarquer.
- Avez-vous les mêmes danses ? demanda Géron, faisant comme s'il n'avait rien remarqué.
- Sensiblement, oui, l'informa William poli.
- Ce que j'aime, c'est qu'ici, la tradition veut qu'aucune personne de la gent féminine ne reste sur le côté durant une danse...
Disant cela, Géron attrapa une de ses nièces qui passait en courant et l'entraîna à sa suite dans la farandole, la faisant rire. Océane resta un moment attendrie devant cette scène familiale avant de se tourner vers le Seigneur William qui la regardait avec attention. Prenant sur elle de masquer sa gêne, elle s'adressa à lui :
- Pardonnez mon frère, il est un peu... extraverti.
- Ne t'en fais pas. J'ai un ami qui lui ressemble un peu. J'ai bien compris ce qu'il voulait me dire, fit William amusé.
- Ah oui ?
Océane, elle, n'en était pas certaine. Finalement, la musique finit et une autre prit sa suite.
- Tu danses ? demanda-t-il en lui tendant la main.
Océane hésitait à la prendre. Etait-ce une bonne idée ? Elle n'en était pas certaine, même si elle devait s'avouer qu'elle le désirait sincèrement.
- Allez, viens, la pressa-t-il gentiment. Je ne voudrais pas créer un incident diplomatique avec ton frère...
La jeune femme ne put s'empêcher de lâcher un petit rire amusé avant de lui attraper la main. La plaçant au creux de sa paume, William ne la lâcha pas un seul instant jusqu'à arriver au milieu des autres danseurs. Pour cette nouvelle musique, il ne s'agissait plus de farandole. C'était une danse un peu plus compliquée, une danse en duo où les partenaires s'écartaient pour mieux se retrouver par la suite. Tout le monde faisait les mêmes pas. Se mettant en place, Océane et William commencèrent la chorégraphie. A chaque fois qu'ils se rapprochaient l'un de l'autre, William glissait sa main sur son dos, la faisant frissonner. Pas un seul instant il détourna le regard de ses yeux. Oubliant tout autour d'elle, Océane dansa pour lui, s'ouvrit à cet homme comme jamais elle ne s'était ouverte à personne. Elle eut l'impression qu'il pouvait lire à l'intérieur de son âme. Plus la musique lancinante avançait, plus elle se sentait happée par lui. C'était complètement grisant, elle aimait cette sensation plus que tout. Son corps entier vibrait, elle se sentait vivante comme jamais. Pour un peu, elle aurait pleuré de cette sensation qui lui oppressait la poitrine.
Les dernières notes s'égrainèrent et William fit descendre sa main tout doucement le long du dos d'Océane et resserra sa prise en la tenant fermement par la taille. Il inclina sa tête vers la sienne, en plongeant ses yeux dans les siens, son souffle frôla sa joue. Océane était totalement captive de son regard. Autour d'eux, les danseurs applaudirent les musiciens, rompant le charme. William sembla reprendre conscience. Il se pencha vers l'oreille d'Océane et déclara :
- Je vais partir, Demain à l'aube je rentre chez moi.
Il la libéra, carra les épaules dans une posture un peu guindée et fit demi-tour, laissant Océane seule au milieu de la foule. Dès qu'il eut prononcé ces mots, elle sentit un froid glacial envahir tout son être. Elle resta un moment figée sans pouvoir réagir le moins du monde.
Au bout d'un moment, qu'elle ne sut qualifier de long ou court, elle sentit qu'on la secouait par les épaules. Elle cligna des yeux et se rendit compte que Mina était en face d'elle et essayait de lui parler. Elle avait l'air complètement paniquée, ce qui acheva de lui faire reprendre ses esprits.
- Qu'est-ce qui se passe ? lui demanda-t-elle, prise d'inquiétude.
- C'est affreux, lâcha Mina. J'ignore à qui le dire, mais il faut que je prévienne quelqu'un. Je ne sais pas quoi faire...
- Calme-toi, l'exhorta Océane. Que se passe-t-il ?
- C'est à propos du Seigneur William. J'ai surpris une conversation que je n'aurais pas dû entendre. C'est Mordrais... Ils veulent le tuer !
- Comment ça ? demanda Océane qui sentit son sang refluer de son corps.
- Mordrais parlait avec un de ses hommes, je les ai très clairement entendus discuter d'envoyer des hommes assassiner William. Ce soir. Par la Lune, paniqua Mina. Qu'est-ce que nous pouvons faire ?
- Toi rien, fit Océane, alors que dans un état second, elle semblait trouver un sang-froid hors du commun. Je vais y aller, voir si je peux le prévenir avant qu'il arrive quoique ce soit. Toi, tu restes ici. Merci de m'avoir prévenue.
Alors qu'elle s'apprêtait à partir. Mina s'écria.
- C'est trop dangereux, Océane. Tu vas te faire tuer !
Mais la jeune servante ne l'entendait déjà plus. Elle s'éloigna de la fête, des rires et de la musique en courant le plus vite qu'elle put.