Portland, 2015
La vie ne lui avait jamais fait de cadeau par le passé. Bien sûr, elle avait rencontré Kol et pendant un moment, elle avait pensé que le bonheur avait finalement frappé à sa porte mais maintenant, et malgré les puissants sentiments qu'elle éprouvait toujours pour lui, elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle se serait bien passée de toutes les complications qu'avait entraîné leur rencontre.
C'était peut-être pour ça qu'elle se retrouvait dans un bar, à boire, seule dans son coin, pour tenter d'oublier combien elle l'aimait et combien elle pouvait parfois regretter ces sentiments. Une moue blasée naquit sur son visage. Elle attrapa son verre, le leva à quelque chose d'invisible et le but d'une traite avant de le reposer sur le bar et de le remplir à nouveau. C'était drôle de se dire que même mort, Kol ne cessait de tourmenter son esprit.
Elle ne put retenir un sourire en pensant à sa réaction s'il apprenait un jour que sa seconde mort avait suscité autant de tristesse et de colère que la première, que malgré ce qu'elle lui avait dit à la Nouvelle Orléans elle l'aimait toujours et qu'elle l'aimerait probablement pour l'éternité. Elle savait que s'il l'avait vu et s'il l'avait pu, il l'aurait, sans le moindre regret, utilisé contre elle.
Trop obnubilée par ses pensées, elle sentit à peine un jeune homme prendre place à côté d'elle. Ce n'est que lorsqu'un afflux, particulièrement puissant, de magie la frappa qu'elle quitta enfin les méandres de son esprit pour se concentrer sur l'instant présent. Elle but un nouveau shot de tequila avant de s'intéresser à l'individu installé à sa gauche. Du coin de l'œil, elle le vit commander un second verre de bourbon et incapable de résister à l'envie de le détailler, la jeune femme se tourna vers lui, feignant de s'intéresser à la jeune chanteuse qui se produisait sur la scène. Elle chantait une chanson sombre relatant un amour tourmenté qui s'était terminé de façon particulièrement tragique, elle sourit face à l'ironie de la situation.
Sans pouvoir l'anticiper, le jeune homme se tourna vers elle et l'observa avec insistance. Sans créer de réel contact visuel, Valentina le détailla elle aussi. Bien qu'il soit assis, elle devina aisément qu'il était grand, bien plus grand qu'elle. Son corps, fin mais néanmoins musclé, dégageait une arrogance incroyable qui lui rappela quelqu'un qu'elle avait particulièrement bien connu. Son visage était orné d'une barbe de quelques jours et malgré l'absence de menace dans son regard, elle put voir un côté tourmenté chez lui. Pire, elle savait qu'il était dangereux. Tout son être dégageait une aura sombre. Sa conscience lui criait de l'ignorer et de quitter ce bar en espérant ne plus jamais le croiser mais son corps, lui, lui disait autre chose. Pour la première fois depuis de nombreuses années, un autre homme que Kol titillait son intérêt.
Ils échangèrent un bref sourire lorsque leurs regards se croisèrent pour la première fois, la jeune femme reporta brièvement son attention sur la scène, non sans se tourner régulièrement vers l'homme. Cependant, ce fut lui qui fit le premier pas vers elle.
- Je suis curieux de savoir pourquoi une jeune femme comme toi traîne dans un endroit comme celui-ci.
- J'imagine que je suis ici pour la même raison que toi, sorcier. Sourit-elle en se tournant vers lui. Je suis ici pour oublier.
Une grimace traversa brièvement son visage et il but une gorgée de son bourbon.
- Qu'est-ce qui m'a trahi ? S'enquit-il.
- Ton pouvoir. J'ai côtoyé assez de sorcières pour réussir à sentir leur pouvoir. Surtout lorsqu'il est aussi puissant.
Les propos de la rouquine ne firent qu'étirer le sourire du sorcier. C'était une merveilleuse façon de flatter son égo. Elle semblait finalement être bien plus intéressante qu'elle en avait l'air.
- Tu as des fréquentations étranges.
- Vous, les sorciers vous faites souvent de fausses idées sur nous.
- Je croyais que les vampires nous détestaient à cause de notre magie.
- Je ne parlerais pas de haine mais plutôt de peur.
- Tu ne sembles pas trembler de peur. Fit-il remarquer.
- Je ne suis pas n'importe quel vampire.
Il se pencha dangereusement vers elle, jusqu'à ce qu'elle sente son souffle chaud et alcoolisé contre sa joue.
- Et quel genre vampire es-tu ? Sourit-il.
- Je suis plus intelligente que la normale. Répondit-elle, le faisant éclater de rire.
Elle était définitivement plus intéressante qu'elle en avait l'air. Pour être tout à fait honnête, il la trouvait plus intéressante que la plupart de ses congénères auxquels il avait eu à faire.
- Tu étais une sorcière avant d'être transformée ? L'interrogea-t-il.
- Non.
- Un de tes proches l'était ?
- Non. Sourit-elle.
- Alors d'où te vient ce... cet intérêt pour les sorcières ?
Elle vida un nouveau shot et s'en resservi un avant de lui répondre.
- D'un homme.
- Un humain ?
- Un vampire. Il aimait énormément les sorcières. La magie le fascinait.
- Et il t'a transmis cette fascination ?
- Non. Il m'a prodigué des conseils que j'ai choisi de suivre. J'ai beaucoup de respect pour les sorcières mais ça n'a rien à voir avec de la fascination.
- Quel genre de conseils ?
- Il m'a apprit que se lier aux sorcières pouvait être bénéfique.
- Il semble être avisé.
- Il pouvait l'être. Quand il n'était pas occupé à massacrer des humains. Ajouta-t-elle avec un sourire triste.
- C'est l'histoire de la vie d'un vampire non ?
- Non. Les massacres c'était l'histoire de sa vie. Tous les vampires ne sont pas les mêmes.
- Et où est-il aujourd'hui ?
- Il est mort.
Sa brusque révélation lui valu un regard surpris de la part du sorcier. La situation lui sembla plutôt cocasse. C'était lui l'humain, certes il avait des pouvoirs magiques hyperpuissants, mais il restait tout de même un humain. C'était lui qui était censé savoir gérer ses sentiments. Ils vivaient tous les deux un deuil. Pourtant, elle semblait s'en sortir bien mieux que lui. Elle semblait réussir à garder la tête haute et si ce n'était qu'une façade, elle jouait la comédie à la perfection. À l'inverse de lui, elle était apprêtée, son maquillage était parfait, ses cheveux tombaient en cascade sur ses épaules. Lui, avait piètre allure avec sa barbe, son visage plus pâle que d'habitude et ses cernes.
- Tu n'as pas l'air effondrée. Fit-il remarquer.
- Je ne suis pas du genre à jouer les veuves éplorées, du moins pas en public. Il me manque, je suis blessée mais afficher ma peine ne m'aidera pas. Et ça ne le fera pas revenir.
- Tu as déjà... pleuré ? S'enquit-il avec curiosité.
Sa question eut pour effet de la faire se tourner vers lui. Une expression mi-abassourdie, mi-amusée sur le visage. En voyant le visage sérieux du sorcier, ses sourcils se froncèrent.
- Tout le monde pleure. Répondit-elle.
Tout le monde, sauf lui. Il n'avait jamais versé une larme et il avait l'impression d'avoir été un alien la première fois que ça lui était arrivé.
- Comment fais-tu pour gérer tout ça ? Interrogea-t-il. La tristesse, les émotions aussi intenses. Tous ces sentiments étranges qui te prennent aux tripes.
Valentina lui lança un regard perdu et réfléchi quelques secondes à sa question pour le moins étrange. Comment faisait-elle pour contrôler ses émotions ? Comment faisait-elle pour gérer un deuil aussi bien ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Tout ce qu'elle savait c'est qu'elle s'efforçait de garder le contrôle et que, pour l'instant, elle y arrivait très bien.
- C'est une question étrange. Fit-elle remarquer. Les émotions font parties de nous depuis toujours.
- Les émotions son étranges. Je n'avais jamais eu à y faire face jusqu'à très récemment.
- Tout le monde ressent des choses.
- Je n'avais jamais ressenti la tristesse ou la culpabilité.
- Alors qu'est-ce que tu ressentais ?
- La colère. L'envie de violence.
- Qu'est-ce qui a changé ?
Son histoire l'intriguait. Pourquoi un être visiblement très perturbé et ayant un certain penchant pour la violence se retrouvait à s'inquiéter à propos de sa culpabilité ?
Après un bref regard dans sa direction, il se lança dans la narration de son histoire. Il lui raconta les vingt années passées seul dans un monde parallèle. N'omettant pas le fait qu'il l'avait bien cherché en tentant de tuer sa famille, puis comment il s'était sorti de ce monde et comment il s'était lancé à la poursuite de sa famille, comment il avait tenté de forcer sa jumelle à fusionner avec lui et que son frère s'était interposé, se sacrifiant à sa place. Il lui dit comment il avait remporté cette fusion et avec cette victoire était arrivée l'impression d'avoir tué son frère et d"avoir gâché la vie de sa jeune sœur, comment cette même sœur avait tenté de le tuer et qu'il avait été incapable de l'achever lorsqu'il en avait eu l'occasion. Il n'omit aucun détails et lorsqu'il eut fini, il se tourna vers la jeun femme, attendant sa réaction.
- Ta vie est encore plus compliquée que la mienne. Finit-elle par soupirer.
- Est-ce que toute cette empathie va finir par me quitter ?
- Non. Je ne pense pas.
C'était peut-être un peu dur de sa part de briser ses espérances de cette façon. Elle arrivait très bien à s'imaginer à quel point ça avait dû être perturbant pour lui de commencer à ressentir, du jour au lendemain, des sentiments à l'égard de personne qu'il avait méprisé tout au long de sa vie.
- Mais, je crois que tu finiras pas t'y faire. Ajouta-t-elle. Par contre, je ne crois pas qu'un jour tu pourras passer au-dessus de la culpabilité mais je crois qu'elle finira par s'atténuer avec le temps.
- Et si je ne veux pas m'y faire ? Pour être honnête, je n'ai pas envie de passer le restant de ma vie dans cet état.
- Il va falloir que tu arrêtes de faire l'enfant et que tu apprennes à vivre avec. Ce sera sûrement difficile mais certainement pas impossible.
Le sorcier médita de longues minutes les paroles du vampire avant de se tourner vers elle.
- Et toi, quel est le problème ? Tu es ici pour oublier, oublier quoi ?
- Je ne savais pas qu'on faisait un échange de confession.
- J'ai appris, très récemment, que parler de ses problèmes personnels à quelqu'un pouvait être bénéfique.
Valentina haussa les sourcils et l'interrogea du regard. Pour un ex-sociopathe qui ne voulait rien avoir à faire avec ses sentiments, il en connaissait beaucoup sur la gestion de problèmes personnels.
- Google. Expliqua-t-il en levant les yeux au ciel.
- Ça se résume en très peu de mots. Mon petit-ami des années 1900, s'est réveillé d'un siècle de sommeil il y a trois ans, s'est fait tuer par un double Petrova et son chasseur de frère, sa mère l'a ressuscité dans un corps de sorcier, il a décidé de me remplacer par une sorcière adolescente et il est mort, pour la seconde fois, maudit par son propre frère.
- C'est... rude. Marmonna-t-il, pensif. C'est très rude.
- C'est l'histoire de ma vie.
- T'as parlé d'une jeune sorcière, malgré elle, tu connues de l'aimer ?
- Je l'aimerais toujours. Il aura beau piétiner mon cœur des centaines de fois, je ne pourrais jamais cesser de l'aimer. J'imagine que c'est un truc qu'on les Mikaelson ce sont des briseurs de cœur.
- Les Mikaelson, le double Petrova ? S'enquit-il soudainement. Le double comme Elena Gilbert ?
- Tu la connais ? S'étonna-t-elle.
- Son copain Damon a passé quelques mois avec moi dans ma prison.
Le nez de la rouquine se retroussa de dégoût et il ne put s'empêcher de trouver ça mignon.
- J'imagine que tu ne devais pas être leur grande amie. Ricana-t-il.
- Elle a tendu un piège à Kol pour le faire tuer afin de trouver la cure contre le vampirisme et donc réveiller Silas.
- Elle a réveillé Silas ? S'étonna-t-il.
- Et elle a fait tuer son charmant petit frère. Opina-t-elle en hochant la tête. Pour finalement enfoncer cette fichue cure dans la gorge de cette garce de Katherine Pierce.
- Et Silas ?
- Je n'ai pas la moindre idée de comment ils se sont sorti de ce pétrin. J'ai quitté Mystic Falls après l'avoir maudite à une éternité de culpabilité et de tristesse.
Un éclat de rire s'échappa de la gorge du sorcier et il frappa le bar avec sa paume, comme s'il venait d'entendre la blague la plus drôle du siècle.
- Tu as fait ça ? Sourit-il.
La jeune femme hocha la tête, un léger sourire amusé dansant sur ses lèvres.
- Et, qu'est-ce qu'elle a dit ?
- Elle s'est contentée de me regarder la bouche ouverte.
Un nouvel éclat de rire secoua le jeune homme.
- Pourtant, tu ne sembles pas être très... sanglante. Finit-il par dire une fois calmé.
- Je ne le suis pas.
- Pourquoi ?
- Parce que je ne méprise pas les humains. Bien sûr, je les trouve ennuyants.
- Tu ne méprises pas les humains, tu apprécies les sorcières. Quant est-il des loups-garous ?
- Je ne suis pas une grande fan. Mais je sais m'adapter à toute sorte de compagnie.
- Tu es la mère Theresa des vampires si je comprends bien.
- J'ai l'esprit ouvert. Rectifia-t-elle.
- Qu'est-ce que tu fais à Portland ? J'ai entendu dire que les Mikaelson était à la Nouvelle Orléans, tu es plutôt loin de chez toi.
- La Nouvelle Orléans n'est plus vraiment chez moi. Portland n'est qu'une escale.
- Qu'est-ce que tu comptes faire ?
- Quitter le pays.
- Pour aller où ?
- J'ai entendu dire que Rio était un bel endroit.
- Rio. Murmura-t-il. Ça pourrait être intéressant. Quand est-ce que tu pars ?
- Demain matin.
- Je suis Kai. Se présenta-t-il en tendant une main dans sa direction.
- Valentina. Sourit-elle en la lui serrant.
Elle était venue là pour oublier l'espace d'un instant et au lieu de ça, elle avait rencontré une âme perdue sur un air de piano plus sombre que jamais. Elle avait trouvé un être encore plus brisé que Kol et étonnement ça ne lui faisait pas peur. Au contraire, elle était impatiente de voir ce que ça donnerait.