Une petite semaine se succomba. Shinju se plaisait à rester longtemps chez celui qui lui vouait un amour sans limite. Il pouvait bien sûr lui arriver de rentrer à son appartement mais la plupart des soirs, surtout en week-end, c'était avec Dazai qu'elle les passait. Des moments toujours aussi magiques, mais bien sûr le petit nuage sur lequel elle planait dut se dissiper quelque peu. Disons que ses pensées regagnaient leurs habitudes, après le temps de rêverie, ses autres priorités refaisaient surface.
Elle constatait aussi que justement, depuis cette semaine, elle n'était pas beaucoup sortie. Le métier certes en était responsable, mais elle omettait complètement de se rendre à ses balades nocturnes au port. Ses soirées avaient changé, devenant désormais du temps consacré à Dazai et ses lectures pour éditions. À croire que le temps ne passait qu'avec lui, des heures entières pendant lesquelles il lui confiait son amour parsemé de baisers tendre. Mais... est-ce que sortir lui manquait ? Là était la question, car bien que ça pouvait paraître perturbant, peut-être que Shinju appréciait ce changement. La vérité c'était qu'elle ne pouvait jamais résister et Dazai le savait très bien.
Lorsque l'idée de sortie nocturne se déclenchait, elle comptait évidemment s'y rendre. Mais le temps même de proposer à Dazai de l'accompagner, celui-ci était prédisposé à la faire craquer. Il sentait une réelle douleur en l'imaginant le quitter et sa paresse plus agile le forçait à ne pas se déplacer. Alors elle restait, s'abandonnant à lui, oubliant presque ce qui lui avait passé par la tête et se laissait réconforter, câliner, Dazai ne cessait jamais. Shinju pensait à lui et acceptait son attachement, pourtant elle voulait changer ce rituel. Ne pas avoir mis suffisamment le pied au Kisamichi promenade lui donnait comme une étrange sensation, quelque chose qui lui manquait ou un signalement comme quoi elle devait sortir plus. Elle avait bien l'intention d'y retourner, et bien sûr en compagnie de son amant.
En cette après-midi partiellement couverte, une senteur légère et agréable de boisson chaude flottait dans l'air. Les bruits de conversations à faible niveau et les cliquetis de cuillères remplissaient l'atmosphère déjà unique. Moment d'insouciance dans un café de Minato Mirai sous le regard bienveillants des quelques buildings de l'autre côté de la mer qui les séparait. Dazai était assis les jambes élégamment croisées, ses doigts fins tenaient une petite tasse avec dextérité. La faible brise des lieux venait remuer les boucles qui encadraient son visage, le rendant ainsi majestueux, tel une fleur rare qu'on ne pouvait qu'admirer. Il se fichait bien des autres qui seraient frappés de sa beauté, car seul le regard de Shinju comptait. Cela ne lui servirait à rien d'être charmant si ce n'était pas sa moitié qui en succombait. Cette dernière se trouvait face à lui, adoptant quasiment la même posture, sirotant quand elle le voulait, son thé. Elle semblait heureuse et satisfaite mais un léger trait plus sombre gênait son sourire, ce qui inquiétait Dazai qui s'intéressa prudemment :
_ « Quelque chose ne va pas ? Tu sembles pensive. »
_ « Si ça va. J'ai juste... » commença l'autre.
Elle hésita à poursuivre. Effectivement, elle songeait un peu trop depuis ces derniers temps et surtout elle se concentrait sur l'air qu'elle prenait actuellement. Shinju était bien, mais quelque chose la perturbait ou tracassait, elle ne savait pas.
_ « Ok, disons que depuis une semaine je ne suis plus retournée au port, et ça commence un peu à m'inquiéter. Enfin, c'est surtout que je me demande si c'est normal de rester autant à l'appart avec toi. »
_ « En quoi ce serait étrange ? Beaucoup préfèrent un moment amoureux à la place d'une promenade en extérieur. » répondit le brun sur un ton calme et chaleureux.
_ « Ce n'est pas ça... »
Shinju n'aimait pas contrarier et encore moins blesser, elle cherchait mentalement ses mots avec difficulté. Comment lui dire que c'était son comportement qui suscitait ces questions ?
_ « Tu n'aimes pas ces soirées ? »
_ « Non ! Non ! Pas du tout ! Au contraire, j'aime beaucoup. C'est que justement, j'arrive pas à me décider à chaque fois. Je ne sais pas s'il faut que je change un coup et que je retourne au Kisamichi promenade. »
Dazai reposa sa tasse et la regarda :
_ « Et si je t'aidais à décider ? »
_ « Euh... »
_ « Si tu ne sais pas, j'ai la réponse à tes besoins. Je te connais et je sais ce qu'il y a de mieux pour toi, je t'assure. »
_ « Vraiment ? »
Après cette lueur d'espoir, Shinju poussa un léger soupir. Dazai, alarmé de son changement d'humeur si soudain s'avança un peu, observant les traits de l'autre.
_ « Hé ? Qu'est-ce qu'il y a belladona ? Est-ce que tu serais triste ? »
_ « Je te jure que non ! Se défendit vivement la femme en se reprenant, mais j'arrive pas à expliquer exactement. »
_ « Prends tout ton temps. »
_ « En fait je... à chaque fois que j'ai l'idée de sortir ou que je te propose, j'ai l'impression que tu refuse catégoriquement. Alors que je ne suis pas du genre casanière et j'ai envie de profiter de l'extérieur avec toi. »
Shinju reconnaissait que ça lui faisait mal de devoir lui avouer cela. Elle aimait toujours ses étreintes, son attention si parfaite, mais il lui manquait ces moments de sorties régulières. Bien sûr, elle ne pensait pas que Dazai agissait méchamment, elle imaginait juste qu'il voulait peut-être un peu la garder pour lui.
L'homme en entendant ces aveux ne put s'empêcher de s'attendrir encore et se confondit en excuses :
_ « Oh non je ne voulais pas te donner cette impression Shinju. Tu sais que je t'aime plus que tout et que jamais je voudrais te rendre malheureuse. J'ai simplement pris peur et je cherche à te protéger. »
_ « Me protéger ? Mais de quoi ? » demanda la femme avec un sourcil levé.
_ « Ce monde est effrayant et je sais que n'importe qui aimerait sans doute te blesser ou t'éloigner de moi. Même si ça ne paraît pas, on est jamais très sûr de l'entourage et de dehors. Moi je sais à quel point les hommes sont avides parfois de vice et violence. »
_ « Mais pourtant, on vit plutôt dans un pays sûr. Et puis depuis que je suis enfant, je n'ai jamais eu de problème en sortant dehors. Au contraire... »
Le détective inspira profondément, il continua :
_ « Je sais... mais tu n'as aucune idée de ce qu'il se trame parfois ici. Moi-même dans mon métier, je vois les corbeaux sournois qui attendent la cible parfaite pour leurs propres intérêts. »
Sur un ton plus triste il ajouta :
_ « J'ai perdu mon ami à cause de ces hommes. »
Shinju ne dit rien, compatissant à sa perte. Elle ne comprenait pas vraiment en quoi l'humanité serait si dangereuse, ou en tout cas elle peinait à suivre le raisonnement de Dazai. Mais au moins, elle était rassurée qu'il ne lui en veuille pas et entendre qu'il voulait la protéger calma ses doutes. En revanche, elle avait bien l'intention de le convaincre de se détendre, au moins qu'elle puisse retourner plus souvent à ses balades avec lui.
_ « Je comprends, mais il faut aussi que tu arrives à me faire confiance. »
_ « Ce n'est pas le cas ? »
_ « Si... écoute, j'aime ton attention, et ne change rien de ce côté-là. J'aimerais juste sortir plus en ta compagnie. Je suis déjà très contente d'avoir pu te rejoindre ici après ton travail à l'Agence... » sourit Shinju.
Séduit par ce rictus, Dazai entrelaça ses doigts avec ceux de sa compagne, un air de malice glissant sur son visage.
_ « Je vois. Dans ce cas je ferai un effort. Tout pour ma Shinju. Tant que je suis avec toi. »
La jeune fut soulagée, elle avait pu dire ce qui pesait dans son cœur depuis un moment et tout s'était bien passé. Dazai semblait juste un peu à cran et il fallait le lui rappeler, il voulait la préserver de tout mal et pour ça Shinju ne pouvait pas lui reprocher, surtout si elle imaginait cela comme une norme dans les couples amoureux.
_ « Je ne peux certainement pas me permettre de la lâcher. »
Dazai avait prononcé cette sentence dans sa tête. Il pensait si profondément chacun de ses mots, qu'il en avait ressenti un apaisement dans sa poitrine. Son cœur s'affolait quand elle était loin de lui et à présent, il ne doutait plus. Il savait qu'il était complètement accrochée à elle et ça le rendait heureux. Alors il la suivrai, où qu'elle aille il serai son ombre pour la protéger et l'aimer.
Cette conversation avait été attendue et tout s'était déroulé comme il l'avait souhaité. Les réactions de Shinju étaient de toute façon suffisamment prévisibles pour qu'il puisse les deviner d'avance. Ainsi il avait les réponses exactes à lui dicter, les mots juste pour la rassurer, prenant garde de calmer le moindre doute qu'elle aurait. Une jeune, débutante dans les pas de l'amour, qui n'avait aucun point de comparaison avec une potentielle ancienne expérience. Une situation souple où il était évident de s'excuser, confondre peut-être les bons et mauvais comportements...
Dazai le savait et son ancien lui le répétait souvent : Elle est facilement manipulable.
Il pourrait éventuellement lutter contre ça, se concentrer sur sa meilleure personnalité mais c'était perdu d'avance. L'homme était à présent trop attaché à elle et toute son âme s'était automatiquement liée à la sienne, rendant ainsi son être totalement dépendant de Shinju. N'ayant jamais vraiment reçu d'affection et commis autant d'atrocités qu'il s'en infligeait, Dazai goûtait à ce sentiment doux comme un affamé. C'était si intense et si bon, lui faisant oublier à quel point il était malheureux et c'est de cette impression qu'il avait cherché à se débarrasser. Il ne trouvait aucun intérêt à la vie, voulait mourir c'était un fait, mais il savait aussi qu'il détestait souffrir. Et le simple fait de se réveiller en sachant que son esprit agonisait chaque jour, était un supplice.
Nous voulons mourir mais c'est pour arrêter de subir cette torture. C'est espérer trouver une autre manière peut-être d'exister. Une douleur comme celle d'une flamme ardente effleurant la main, aussitôt il faudra la retirer. Une fuite, pour sa vie au final.
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Après le café, tous deux avaient décidé de prolonger leur après-midi en extérieur. Shinju avait suivi Dazai qui la guidait vers un tout nouvel endroit pour elle.
_ « Donc c'est ici ? »
Les arbres verts et la sérénité de l'atmosphère s'imposaient de plus en plus et c'est ce qui mettait la femme sur la piste. Cette dernière observait le décor avec ses yeux toujours plus intéressés, marchant plus lentement pour pouvoir analyser tout cet environnement. Elle finit tout de même par s'arrêter quand elle vit Dazai stopper sa marche.
_ « Oui. » dit-il d'un ton posé.
Il se tenait debout, près d'une tombe. Shinju en la remarquant ouvrit légèrement les yeux et effectua une très légère révérence, puis elle s'approcha pour s'accroupir et lire ce que la pierre indiquait : S.Oda. Elle regretta amèrement d'avoir omis de prendre des fleurs avant de venir ici, même en ne le connaissant pas c'était la moindre des choses. Pendant qu'elle demeurait encore dans cette posture, le brun lui expliqua :
_ « C'est l'ami dont je t'ai parlé plus tôt. »
_ « Je suis désolée. »
_ « Oh ne t'inquiète pas, j'ai fini par m'y faire. Disons que je me rends le plus souvent possible, histoire de ne pas l'oublier. »
Il rangea ses mains dans ses poches et inspira l'air qui venait dans son visage, faisant bouger ses cheveux au passage.
_ « Il était le seul à vraiment me comprendre et il m'a pas mal éclairé. »
Shinju le laissait parler, curieuse d'entendre plus sur ce dénommé Odasaku qu'il avait affectionné par le passé.
_ « Mais comme tu peux le constater, son sort a été décidé par cette vie hostile et cruelle. J'ai essayé de le retenir, de le faire renoncer à la vengeance et j'ai échoué. »
_ « Je comprends. Et... ce serait indiscret de demander pourquoi il a voulu se venger ? »
_ « Non, on a tué des orphelins qu'il avait recueilli. »
Sur le coup, la femme ouvrit grands les yeux, c'était décidément horrible. Comment pourrait-on injustement tuer des innocents qui n'avaient rien demandé ? Elle-même se voyait scandalisé en entendant les atrocités de l'actualité du monde. Le Japon était peut-être sûr de ce côté-là, mais de ce qu'elle avait su - venant du reste de la planète - pouvait parfois être terrifiant et inimaginable.
_ « Maintenant tu sais tout. Et puis, vu qu'on est ensemble je me devais de te présenter à lui. Je pense qu'il aurait été heureux de te connaître. »
_ « Moi aussi. » Sourit Shinju.
En se relevant enfin, elle ajouta en changeant de ton :
_ « Crois-moi, je comprends ce que tu ressens. Moi-même je sais ce que ça fait de perdre un être cher... »
_ « Vraiment ? Et de qui s'agit-il ? » s'intéressa Dazai.
Shinju lui faisait dos, s'apprêtant à redescendre les marches qu'ils avaient emprunté peu de temps avant. Elle se remémora la petite fille qu'elle était, des rares moments où elle jouait à l'extérieur quand elle n'avait plus d'idées pour écrire...
_ « Un cousin et ami d'enfance. »
L'homme s'apprêta à lui poser une autre question, histoire de se renseigner mais l'autre fut plus rapide et déclara d'une voix sombre :
_ « Il s'est suicidé. »
Cette seule phrase eut le pouvoir de déstabiliser Dazai, qui se sentit désolé en l'apprenant. Mais était-ce juste ce décès ou l'état dans lequel s'était soudainement plongé Shinju qui l'affectait ? N'ayant pas connu véritablement ce proche à la femme il ne pouvait ressentir aucune vraie empathie pour lui, surtout si ce dernier s'était ôté la vie. Mais la jeune parlait rarement de cette voix neutre et dépourvu de joie, ce qui l'encouragea à rester silencieux. Celle-ci décida de se retourner pour lui faire face :
_ « On avait quoi... 12 ans ou moins. Il passait des fois avec ses parents chez nous, donc on s'amusait comme ça, on s'entendait bien. »
_ « Et ensuite ? Que s'est-il passé ? »
En quelques pas, Dazai se retrouvait déjà près d'elle pour l'épauler, attentif à ce qu'elle dirait par la suite. Ce fut non sans difficulté que Shinju continua :
_ « Un jour, les parents sont venus pour nous annoncer que leur fils en avait fini, il s'est pendu. Et c'est seulement après l'enterrement que j'ai compris pourquoi il avait fait ça. »
Elle marqua une pause et continua :
_ « Il avait pleins de problèmes, ils ne m'ont pas dit exactement quoi. Mais il n'en parlait jamais. Moi qui pensais que tout allait bien, j'aurais dû lui demander plus souvent si c'était le cas... »
_ « Shinju... »
_ « Et depuis je m'en suis toujours voulu. Même si tout le monde m'a assuré que ce n'était pas de ma faute, je me sens coupable, parce que je l'ai fréquenté. On s'est vu tellement de fois et il aurait juste fallu que je lui parle plus... peut-être que ce ne serait pas arrivé. »
Ressasser tous ces souvenirs déplaisait à la jeune qui se reprit vite, laissant Dazai l'enlacer.
_ « Ce n'est pas de ta faute. D'accord ? Tu n'y est pour rien et c'est la vie qui en a décidé ainsi. » rassura l'homme d'une voix douce.
_ « Oui mais... si tu avais vu les parents à l'enterrement, tu comprendrais. »
_ « Je sais mais sache que c'est tout sauf de ta faute. »
Mettant fin à l'étreinte il garda ses mains sur ses épaules et la regarda :
_ « Je te l'ai dit, c'est ce monde qui nous blesse et ça a sûrement été le cas pour ton cousin. Chacun se bat pour sa vie, et c'est pour ça que personne n'hésite à piétiner les autres pour leurs intérêts. »
Shinju écoutait ses mots, cruels mais pourtant vrais. Elle qui essayait de voir que le positif en tout homme, penser à ces phrases la remettait lentement en question. Dazai releva son menton vers lui afin d'achever :
_ « Comme dirait un certain philosophe, l'Enfer c'est les autres. C'est pour ça que je veux t'en préserver, que j'ai cette tendance à vouloir te garder. Avec moi tu seras toujours en sécurité, personne ne pourra jamais t'apporter ce que moi seul te donne. »
La femme but ses paroles sans rechigner, après tout Dazai souffrait peut-être plus qu'elle et son expérience avec les autres était mieux fondée, ou pas. Elle acceptait son côté possessif mais se demandait tout de même s'il n'y avait une légère obsession derrière tout ça.
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Woooooo !
Ce chapitre était assez difficile à écrire, et je fais tout pour varier le plus possible les scènes et points de vue... en espérant que ce soit crédible TwT
Cela dit, merci à ceux qui lisent et laissent une étoile, ça fait plaizzzir ! XD