Auguste et moi nous précipitons à la suite de Morgane même si, à bien y réfléchir, ni lui ni moi ne sommes aussi anxieux que ma jumelle de connaître ces fameux résultats. Je sais déjà que j'ai eu un zéro à mon oral de magie féerique, ce qui rend l'enjeu assez faible. Quant à mon petit ami, je ne suis pas certain qu'il soit très soucieux de ses notes.
Lorsque nous arrivons devant les panneaux d'affichage placés dans la vaste entrée au sol de marbre, les lieux sont déjà occupés par des élèves de toutes les espèces. La plupart d'entre eux viennent tout juste d'arriver, comme moi, et il est étrange de les voir habillés autrement qu'en uniforme. A quelques pas de moi, Titania Prigent est vêtue d'une robe en laine bleue et d'un épais collant noir. Elle effectue tout un détour pour éviter de passer trop près de Morgane. Ma jumelle ne lui accorde cependant aucune attention, trop préoccupée qu'elle est à avancer le plus rapidement possible. Je la sens à deux doigts de sortir ses ailes pour utiliser la voie des airs et doubler tout le monde.
Je me demande au passage pourquoi l'institut s'obstine à tout communiquer par voie d'affichage. Ils ne pourraient pas tout nous envoyer par mail ? Ça serait tout de même plus simple et plus discret. Ai-je envie que tout le lycée soit au courant que j'ai eu un zéro à mon oral de magie féerique ? Pas vraiment...
Tous les élèves rassemblés me regardent de travers quand je joue du coude pour essayer de m'approcher. Il est vrai que je roule sur un pied ou deux avec ma valise. Oh, et j'ai quasiment dévoilé l'existence des créatures surnaturelles à l'humanité toute entière.
— Fais attention où tu vas, me lance une louve sur un ton très menaçant.
Auguste tourne aussitôt la tête vers elle. Je lui attrape le bras, inquiet à l'idée d'une bagarre (les loups sont sanguins).
— Laisse tomber, je lui murmure en cherchant à l'entraîner plus loin.
Il résiste un peu avant de se laisser faire.
J'aperçois Jérémie à une dizaine de mètres de là. Il m'adresse un grand sourire et un signe de main. Le soulagement m'envahit. Au moins, mon colocataire ne me déteste pas comme tous les autres. Bizarrement, il est vêtu d'une veste en cuir noir avec des piques sur les épaules et d'un jean savamment troué. J'ignorais qu'il avait un style aussi rock n' roll. Je le pensais plus du genre à porter un pantalon en toile et une chemisette à carreaux.
Arrivé enfin devant les panneaux, je me mets sur la pointe des pieds pour prendre une photographie de la ligne me concernant, quand je ne suis pas très grand, surtout par rapport aux loups. Quand j'en ai obtenu une pas trop trouble, je vais me mettre dans un coin tranquille pour prendre connaissance de mes résultats.
À mon grand soulagement, mes notes ne sont pas si mal. J'ai eu un 17 à l'oral d'artéfact ! Et un 18,5 en mathématiques, ce qui n'est cependant pas aussi glorieux que cela en a l'air étant donné que j'ai (accidentellement !) triché dans cette matière. Oui, il est possible de tricher accidentellement.
— Comment t'es-tu débrouillé pour avoir zéro à l'oral de magie féerique ? veut savoir Morgane qui regardait mes notes par-dessus mon épaule.
Apparemment, ses résultats ne doivent pas être catastrophiques, car elle paraît plutôt satisfaite d'elle-même.
Je soupire.
— Je suis arrivé en retard et Mme Bihan a refusé de me faire passer l'examen.
Ma jumelle fronce les sourcils.
— Mais Vivien, cela veut dire que tu ne pourras pas suivre les cours du second trimestre !
Je me mords la lèvre.
— Je sais. Mais, de toute façon, je n'aurais jamais réussi à avoir la moyenne.
Elle secoue la tête.
— Enfin ! Une fée ne peut pas renoncer à apprendre la magie féerique !
Je ne lui fais pas remarquer qu'elle a essayé de me dissuader de prendre cette matière à la rentrée de septembre, car elle ne le prendrait pas très bien.
M. Markovitch, notre professeur de mathématiques, débarque soudain avec une pile de feuilles à la main. Je me planque autant que possible derrière Auguste. Et s'il avait remarqué que j'avais triché dans sa matière ?
— Voici les emplois du temps individuels pour chaque d'entre vous, annonce-t-il. M. Kérébou, je vous charge de les distribuer.
Il remet son paquet dans les bras de Jérémie.
Je récupère le mien au bout d'un moment, avant Morgane et Auguste. Je grogne en voyant que je termine à 18 h le lundi et le jeudi. Et que j'ai cours tous les mercredis après-midi !
— Les cours de magie féerique sont tout de même inscrits dans mon emploi du temps, je remarque à voix haute. C'est une erreur, non ?
— Tu n'as qu'à poser la question à la prof, lance sèchement Morgane en me désignant du menton Mme Bihan qui, par malheur, passe justement dans le couloir juste à ce moment-là.
Ma jumelle suit des yeux Jérémie, visiblement impatiente de recevoir son propre emploi du temps.
Je tripote aussitôt mon bracelet d'âme sœur, ce qui semble être devenu ma nouvelle manie.
— Je ne voudrais pas la déranger, et...
Le regard menaçant de ma jumelle me fait comprendre que, si, je vais aller la déranger.
Je me dirige vers la vieille fée, les jambes un peu tremblantes. J'ai affronté le Grand Conseil. Parler à une professeure de magie féerique ne devrait pas se révéler plus effrayant.
— Euh... excusez-moi ?
Mme Bihan se retourne très lentement et me fixe, le visage sans expression.
— M. Guyonvarc'h. Que puis-je pour vous ?
Je tords mes doigts.
— Euh... Je me demandais pourquoi les cours de magie féeriques étaient inscrits dans mon emploi du temps, parce qu'il me semblait que... que... Enfin... Comme je n'ai pas eu...
La prof finit par avoir pitié de mes balbutiements. Elle me toise et lance :
— Sachez, jeune homme, que je n'avais pas la moindre intention de vous accepter à mon cours. Mais le proviseur a insisté. Selon lui, vous avez un besoin impératif d'apprendre à maîtriser votre côté féerique. Après avoir vu cette vidéo, je suis on ne peut plus d'accord avec lui.
Je m'empourpre. Bon sang ! Est-ce qu'il y a quelqu'un sur Terre qui n'a pas vu la fameuse vidéo ? Il faut croire que non.
— Eh bien... euh... merci ? je réponds en reprenant cette mauvaise habitude d'ajouter des points d'interrogation à chacune de mes phrases.
— J'attendrai de vous une grande assiduité, M. Guyonvarc'h. Et une ponctualité à toute épreuve.
Je hoche la tête de la manière que j'espère la plus convaincante et convaincue.
Elle pointe alors un index menaçant en ma direction.
— Et déterminez l'élément auquel vous êtes lié, M. Guyonvarc'h. Parce que ce n'est manifestement pas l'eau.
Elle tourne alors les talons sans faire plus attention à moi.
Je fronce les sourcils. Mon élément ? Cela sous-entend déjà que je fais de la magie féerique. Est-ce le cas ? Aucune idée. Et, si oui, pourquoi est-ce que j'ai développé des dons dans plusieurs éléments ? Je suis détraqué, voilà tout.
Je rejoins ma sœur et mon petit ami, encore un peu plus perdu qu'avant.
— Je suis autorisé à suivre les cours.
Morgane hoche la tête.
— Parfait.
De mon côté, je ne sais pas vraiment s'il s'agit ou non d'une bonne nouvelle.
Auguste compare nos deux emplois du temps avec une moue malheureuse.
— Nous aurons moins de cours communs, à partir de maintenant. Je suppose que tu vas suivre désormais les cours de vol, en sport ?
Je cligne des yeux. Je n'y avais pas vraiment réfléchi. Cela dit, rien ne m'interdit de continuer à suivre le même cours que les loups, non ? Même si je suis le plus nul. Quoique je sois nul en vol aussi, après tout. Un nul reste un nul.
— Bien sûr qu'il va suivre le cours de vol, répond cependant Morgane pour moi sur un ton catégorique. À quoi cela lui servirait-il de s'entraîner à courir s'il peut voler ?
Mon petit ami soutient le regard de Morgane sans se laisser démonter, ce qui est courageux de sa part.
— Nous allons faire du foot au second trimestre.
Ma jumelle émet un bref ricanement.
— Encore moins utile.
Je pousse un grognement, agacé de les voir se battre pour moi.
— Je n'ai pas encore décidé, d'accord ? Je ne suis pas certain d'avoir envie de suivre les cours de vol.
Pour être très honnête, je n'ai pas non plus la moindre envie de me retrouver au milieu d'une partie de foot disputée par des loups. Je les ai déjà vu jouer, et ils se transforment en vraies brutes dès qu'on leur met un ballon devant les jambes. Je me retrouverais instantanément bousculé et piétiné. Sans compter que j'ai effectivement besoin de m'entraîner au vol. Mais, d'un autre côté, le cours de sport était un moment où je pouvais être avec Auguste.
Au fond, j'ai horreur de faire des choix. C'est sans doute pour cela que j'ai toujours suivi les instructions que me donnait Morgane. Sauf que ma sœur ne sera pas toujours à mes côtés. La preuve, elle m'a fait la tête à vie pendant quelques jours.