OCTAVIA
– 5 !
– 4 !
– 3 !
– 2 !
– 1 !
– BONNE ANNÉE !!
Assise sur l'une des nombreuses barrières en métal entourant Times Square, j'observe avec des étincelles dans les yeux le feu d'artifice éclairer la plus célèbre place des Etats-Unis. Les premières notes de la chanson New York, New York, de Frank Sinatra retentissent autour de moi. Je me mets à chanter les premières phrases en compagnie de mon acolyte du moment en me disant qu'à partir de cette année, je passerai chaque fête de noël dans cette ville.
Une main saisit la mienne et m'entraîne loin de la foule. Je me laisse guidée par Rudy, ma voisine de palier de l'hôtel et ma nouvelle meilleure amie (mais chut, ne le dites pas à Ginny et Rosa, elles seraient capables de débarquer dans l'instant pour m'engueuler). Elle me traîne jusqu'à un taxi qu'elle dérobe à un pauvre homme qui voulait quitter les lieux. Une fois à l'intérieur, elle donne une adresse au pauvre garçon forcé de travailler en ce jour et ouvre sa pochette d'où elle tire une carte d'identité.
– Ça a pris plus de temps que prévu mais voilà ! s'exclame-t-elle.
Je prends la carte et découvre mon nom inscrit dessus, accompagnée de la douce mention de ma majorité. Comme si qui que ce soit pouvait croire que j'avais 21 ans.
– T'es sûre que ça va passer ? je m'inquiète.
– Fais-moi confiance, connaissant la personne qui me l'a donné, t'es tranquille !
Et effectivement, une demie-heure plus tard, je comprends que le monde est prêt à offrir beaucoup à une jolie fille avec une fausse carte d'identité ! Rudy m'entraîne sur le rooftop d'un club branché et je découvre avec plaisir les joies de la vie new yorkaise.
– Cette ville est dingue... je murmure, le souffle coupé par la vision que m'offre le club.
– Voici vos commandes ! nous sert le serveur avec un sourire.
Je récupère mon cocktail et prend une longue gorgée après avoir trinqué avec ma nouvelle amie. J'ai rencontré Rudy le premier jour de mon voyage à New York, alors que mon père et Hélène partaient je sais où faire des choses que je préfère ne pas savoir, Rudy et moi nous sommes retrouvées coincées dans l'ascenseur de l'hôtel une bonne heure. Heure durant laquelle nous avons pu faire plus ample connaissance. J'ai découvert qu'elle était étudiante en première année à l'université de New York, spécialisation stylisme ! Elle adore les comédies musicales et m'a permis de réaliser ce vieux rêve de prendre un petit-déjeuner devant l'enseigne de Tiffany's & Co telle une Audrey Hepburn aux cheveux de feu.
– Oh attends ! s'exclame-t-elle. Je vois Aaron là-bas ! Il faut absolument que tu le rencontres !
Elle s'éclipse pour aller chercher ce fameux Aaron et je pose une main sur la rambarde et lève les yeux vers le ciel rempli de feu d'artifices. Mon blazer à paillettes et ma petite robe à franges dorées me donnent l'air d'être une toute autre personne, une personne libérée de tous ses tracas et j'adore cette personne.
– Je reconnais là le regard d'une personne qui découvre New York pour la première fois !
Je me tourne vers la personne qui m'a rejoint : androgyne, pétillante, des cheveux verts vifs, définitivement le genre de personnes que j'apprécie.
– Cette ville est incroyable ! je m'exclame.
– Quand je suis arrivé ici, j'avais peur que cette sensation disparaisse, confie-t-elle. Mais même après trois ans, c'est toujours aussi incroyable.
– Je pensais rester à Seattle pour l'université, je réponds. Mais là... J'avoue que ça fout en l'air absolument toutes mes certitudes.
– Tu veux étudier quoi ?
– J'envisageais le théâtre.
– Alors c'est la NYCDA que tu dois aller ! J'y ai passé deux ans pour ma formation de danseur et c'était... Une véritable torture !
– A ce point ? je pouffe.
– Oh oui ! Mais crois-moi, c'est le genre d'endroits qui change ta vie. On nous pousse toujours plus loin, mais lorsqu'on en sort, toutes les portes nous sont ouvertes.
– Mes amis ont envoyé ma candidature il y a quelques semaines, mais je doute... Enfin il y a des gens tellement plus talentueux que moi...
– C'est la vérité ou c'est ce que tu essaie de te faire croire ? répond l'inconnu. Au fait, moi c'est Brooke.
– Octavia.
– Et bien Octavia, prépare-toi à une nuit de dingue !
Et c'est le cas !
Le jour est sur le point de se lever alors que j'enchaine mon je-ne-sais-combientième-verre. Brooke m'a tout dit de New York et de Broadway et l'envie de fuir Seattle pour toujours est de plus en plus tentante. Le dénommé Aaron fait une blague qui amuse tout le monde et j'éclate de rire avec eux, sans réellement comprendre la blague.
– TÉLÉPHONE EN VUE ! s'exclame Jey, non Jake, enfin un J-quelque chose.
– C'est le mien ! je m'exclame.
Tous les téléphones ont été confisqués et sont gardés bien précieusement sur la table. Je tends le bras pour le prendre avant que Rudy ne me tape sur la main pour m'en empêcher. Exceptionnellement, les téléphones sont interdits. Je m'apprête à abandonner la partie lorsque quelqu'un demande :
– C'est qui Nate ?
Je me redresse immédiatement, manquant de faire tomber mon verre, et récupère mon téléphone au plus vite.
– Ooohhhh... s'exclame Brooke. C'est son amoureux !
Je lève les yeux au ciel et déverrouille mon téléphone pour lire le message que j'attends depuis beaucoup trop longtemps :
Nate : tout va bien pour moi, j'espère que tu passes de bonnes vacances
Je pousse un soupir de soulagement et me laisse tomber sur mon fauteuil. Ce n'est qu'un message, un tout petit message de 12 mots, mais il signifie tellement...
Nathaniel est resté silencieux depuis sa disparition soudaine du lycée une semaine avant les vacances. Je sais que Castiel m'avait rassuré sur le fait qu'il avait des choses à régler et que tout irait bien pour lui, mais je n'ai pas passé plus de quelques jours sans nouvelles de Nath depuis... Depuis le mois d'avril en fait.
Je laisse ma tête retomber en arrière, les yeux rivés sur les étoiles, et je réalise que j'ai vraiment besoin de ma dose de Nathaniel pour survivre. Sa présence me manque, ce n'est pas épisodique, c'est constant.
– Bon les amis, lance Rudy. Je vois que notre Miss Washington commence à partir dans ses pensées, je ferais mieux de la ramener chez elle avant que l'alcool ne fasse plus de dégâts !
Et heureusement pour moi, c'est avec toute ma tête que je passe la porte de l'appartement terrasse réservé pour les vacances par mon père. Je crois qu'il culpabilisait à cause de l'histoire de la représentation de théâtre, et pour tout le reste, ce qui s'est soldé par ce magnifique voyage.
– BONNE ANNÉE !!! s'exclame Hélène en levant les bras pour m'accueillir.
Si j'en crois les joues rougies et l'enthousiasme de la copine de mon père, j'en déduis que je ne suis pas la seule à avoir abusé de l'alcool.
– Il est où le vieux ? je demande en retirant mes escarpins.
– Au lit, Papi a eu une dure soirée.
J'éclate de rire avant de me ventiler avec ma main, le choc thermique entre l'air new-yorkais et la chaleur de l'appartement.
– T'as bu combien de verres ? me demande Hélène en ouvrant la baie vitrée.
– Et toi ? je demande en passant la porte.
– Moi je suis majeure très chère, réplique Hélène.
– Tu marques un point.
Je me mets à rire et pique une coupe de champagne à moitié pleine sur la table basse avant de jeter la pince qui retenait mes cheveux. Je m'adosse à la rambarde, et fixe Central Park, le sourire au lèvres.
– Tiens, dit-elle en me tendant son téléphone. Ça fera une bonne photo pour Instagram.
Je jette un coup d'oeil à son téléphone avant d'hocher la tête et de répondre :
– Je vais peut-être éviter de le faire maintenant, je n'ai aucune confiance en mes capacités actuelles.
– T'as raison, confirme Hélène. D'ailleurs...
Elle saisit mon verre et bois d'une traite le reste du champagne sous mes exclamations scandalisées.
– Allez morveuse, au lit !
Je lève les yeux au ciel avant de prendre la route jusqu'à ma chambre en dansant sur la pointe des pieds comme une ballerine.