Bored- Billie Eilish
Maria
Villa, 09h21
J'avais l'impression d'être de retour des années en arrière, dans ce bus que nous avions pris Elias et moi pour nous rendre à l'université. Non, encore une fois je mentais c'était bien pire, c'était comme si Elias et moi nous nous n'étions jamais rencontrés.
De parfaits inconnus vivant dans la même maison.
Avant mon séjour chez la Kline je n'avais jamais imaginé que quelqu'un puisse nous manquer alors que nous étions juste à côté, mon Elias n'était plus mon Elias, il était Elias Aryan, le dirigeant des Aryan Brotherhood.
J'étais sûrement pitoyable, quelle personne se réjouirait d'entendre toute la nuit des femmes gémir dans la chambre de son mari ? Finalement sans aucun doute j'étais pitoyable, au moins je me disais qu'Elias n'était pas dans le même état que moi, il ne passait pas ses journées à pleurer.
Le minutes semblaient durer des heures, chaque jour se ressemblait. Je me levais, je me douchais, j'allais petit-déjeuner, je croisais Elias qui partait se chercher à manger, je retournais m'enfermer dans ma chambre, je sortais déjeuner, je croisais Elias qui faisait de même, j'allais m'entraîner, je dînais, je croisais Elias, j'allais dormir.
Lorsque nous passions l'un à côté de l'autre je lui jetais un regard, il ne le faisait pas. J'étais devenue une ombre qui se baladait sans but dans sa maison, je me demandais parfois s'il ne voulait juste pas que je parte.
Je ne pouvais me résoudre à m'en aller, j'attendais qu'il me le demande.
J'avais déjà été bien trop lâche, je ne pouvais plus fuir.
Deux semaines que j'étais rentrée auprès de lui, pourtant je n'avais jamais été aussi éloignée de lui.
Assise sur l'une des chaises hautes du bar je faisais tourner mon petit-déjeuner dans mon assiette, j'étais consciente que j'avais perdu beaucoup de poids car j'avais beau me préparer trois repas par jour c'était magnifique si j'arrivais à prendre plus de cinq bouchées.
Des pas dans l'escalier firent naître des frissons sur ma peau, lentement Elias vint juste en face de moi, dans la cuisine se chercher à manger. Je tentais un contact visuel qui se soldait par un énième échec.
Et si avec son silence il me demandait de partir ?
-Elias est-ce que je peux te parler ? Demandais-je d'une voix faible.
Il ne me répondait pas ni ne me regardait mais il s'appuya tout de même contre le plan de travail, signe qu'il m'écoutait. Je ravalais la boule qui s'était logée dans ma gorge et me lançais.
-Si tu veux que je m'en aille demande le moi, je partirai.
Je fermais mes paupières juste après cela, comme si j'allais à nouveau sentir son regard brûlant m'analyser, c'était stupide car évidemment cela n'arriva pas. Nous fûmes écrasés par une ambiance tendue, de longues secondes passèrent sans qu'aucun de nous ne prononce un seul mot.
-JOYEUX ANNIVERSAIRE !
Je me retournais brusquement, faisant tomber ma fourchette sur le carrelage. Je vis mes cadets pénétrer dans la villa et courir vers moi, je descendais de ma chaise et m'abaissais légèrement pour les prendre dans mes bras.
Je me rendais vite compte que cela ne servait à rien, ils avaient bien grandi. Leïla avait à présent douze ans.
D'autres voix résonnèrent dans la pièce, Antoine et Max arrivèrent. Antoine avait un gros gâteau dans ses mains sur lequel étaient plantées des bougies qui représentaient un 2 et un 3, Max, lui, tenait je ne sais combien de sacs remplis de cadeaux plus immenses les uns que les autres.
-Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire, joyeux anniversaire Maria...
Des années que je n'avais pas fêté mon anniversaire.
Leur chanson fit naître un léger sourire aux coins de mes lèvres, des semaines que mes lèvres ne s'étaient pas étirés de cette manière. Alina prit ma main et me tirait vers les canapés, tout comme Leïla le fit avec Elias.
Nous nous assîmes tous, Antoine déposa le gâteau sur la table basse. Je fis un signe de tête à mes frères et sœurs et tous les quatre nous soufflâmes mes bougies.
Ils m'applaudirent tous l'un après l'autre, tous sauf Elias qui avait l'air plus que contrarié d'être là. Je ne fis aucun commentaire quant à cela, il n'avait pas fui ce qui était déjà plus qu'étonnant.
-LES CADEAUX MAINTENANT ! Criait Nicola.
Nous froncèrent tous les sourcils l'un après l'autre lorsque nous entendîmes la porte d'entrée s'ouvrir, mon regard se braqua dans celui d'Antoine qui se figea lorsqu'il entendit une voix, cette voix.
-Heureusement que nous avons prévu un autre gâteau, vous avez soufflé les bougies sans nous.
La chanson recommença, mes cadets suivirent même s'ils ne comprenaient pas ce qu'il se passait. Mes yeux restaient fixés dans ceux d'Antoine, il me demandait silencieusement ce que je voulais qu'il fasse mais la seule chose que j'avais envie de faire là maintenant c'était de fuir ainsi que de pleurer.
Deux mains se posèrent sur mes épaules, ce toucher je le reconnaissais parfaitement. J'avais beau l'avoir oublié durant des années à la seconde où il avait reposé un doigt sur moi les souvenirs étaient revenus l'un après l'autre comme des gifles.
Sa tête s'approcha de la mienne, ses lèvres étaient assez proches de mon oreille pour qu'il puisse me donner un ordre que moi seule pouvais entendre.
-Souffle tes bougies ma poupée.
Je l'écoutais, je me penchais et soufflais mes vingt-trois bougies, on m'applaudit à nouveau mais ces applaudissements n'avaient rien à voir avec ceux de quelques minutes auparavant, ils ne fêtaient pas mon âge, ils fêtaient le pouvoir que j'avais obtenu en vingt-trois ans.
Je ne sais par quelle force je parvins à faire un sourire à Alina pour lui dire que j'avais malheureusement des affaires à régler et que je viendrai ce soir dans leur villa pour qu'on fête mon anniversaire entre nous, évidemment je ne toucherai pas à mes cadeaux sans eux.
Ma demande plaisait à mes cadets, ils se sentaient privilégiés et s'en allèrent donc sans même hésiter mais ne se privèrent pas de dévisager chaque personne ici présente.
Les personnes défilaient l'une après l'autre, chacune me prit dans ses bras, j'étais pourtant incapable de bouger, je les laissais faire car pas une seule fois ses mains ne s'étaient décollées de mes épaules.
Ma poitrine se gonflait puis se dégonflait au rythme de ma respiration erratique, en voyant cela il se mit à me faire des légers massages qui ne firent que crisper mes muscles plus qu'ils ne l'étaient déjà.
-Ma poupée tu ne nous présentes pas ?
Mes doigts étaient gelés tant la peur me possédait, il était juste derrière moi, j'étais son pantin et il tirait les ficelles.
J'étais sa poupée.
-Antoine... Max... et- Elias.
-Oh c'est donc lui le fameux Elias.
Antoine abandonna l'idée de se contrôler et se leva, mon regard le suppliait de ne pas faire de mouvement brusque, je savais que je serai incapable de lui dire non s'il m'ordonnait de le blesser.
-Les présentations sont faites alors maintenant dégage, dégagez tous. Crachait Antoine.
-Antoine tu ne peux pas me demander de partir de l'anniversaire de ma nièce, n'est-ce pas ma poupée ? Dis lui que tu ne veux pas que je parte.
-Je veux que mon parrain reste avec moi Antoine.
À la seconde même où je prononçais le mot « parrain » Elias et Max réagirent, ils se levèrent précipitamment, Antoine eut le temps d'empêcher Max de commettre un acte qu'il regretterait mais pas Elias.
Elias dégaina son arme et la pointa droit sur mon parrain, toute ma famille se mit à rire face à cela. Voilà ce qu'il attendaient, que l'un d'eux perde son calme.
Pour que ce soit moi qui le calme.
Je suppliais intérieurement Elias d'arrêter ses conneries mais il ne m'avait toujours pas adressé un regard, il ne comprenait pas, il ne pouvait pas comprendre à quel point il me tuait en faisant cela.
Et si c'était ce qu'il cherchait ?
Et si il était en train de se venger ?
-Dégage de chez moi. Ordonnait Elias.
-Tu ne l'as pas entendu jeune homme ? Ma nièce ne veut pas que je m'en aille.
-C'est ma putain de baraque alors dégage.
-C'est ma putain de baraque.
-T'aurais pas pu attendre qu'ils sortent de chez nous pour te les taper ?
-Chez nous ?
-Chez nous ? Répétait-il. Tu oses me dire que cette baraque c'est chez nous ?
À nouveau, il me brisait le cœur. Il avouait encore une fois que cette maison était loin d'être la mienne, il me l'avait dit lorsque nous étions seuls-à-seuls mais le fait qu'il le dise devant tout le monde rendait les choses encore plus réelles.
Je n'étais pas à ma place ici.
-Oh ce n'est pas ta maison ma poupée ? Alors si notre hôte ne veut pas de nous nous ne pouvons pas le forcer, s'il souhaite que nous partions alors partons.
Mon parrain contourna le canapé pour se tenir devant moi et me tendre sa main, je voulais hurler, pleurer, fuir mais portant je la saisi et me levais.
Le bruit d'une sécurité qu'on retirait.
-ELIAS NON ! Hurlait Antoine.
Il ne l'écoutait pas, au contraire il fit l'inverse, il appuya sur la gâchette. Il visait mon parrain, mon corps réagit seul je me mis entre la balle et mon parrain, me la prenant à sa place.
Elle se logea dans mon épaule, ma famille se mit à m'applaudir pour mes réflexes tandis que mon parrain se contentait de rire. Mes amis s'étaient figés de terreur, Antoine avait demandé à Elias de s'asseoir et après quelques secondes de réflexion il le fit.
-Et bien à ce que je vois notre hôte a changé d'avis, je vais donc me présenter comme il se doit. Je m'appelle Leandro Costello, je suis le parrain de Maria.
Il avait prononcé sa phrase en s'asseyant sur le canapé et en me poussant à faire de même, sans lâcher Elias du regard il m'avait retiré mon t-shirt.
Lorsqu'il plongea ses doigts dans ma plaie j'entendis Max souffrir d'un relent gastrique, Antoine insultait si fort mon oncle à travers ses pensées que je parvenais à toutes les discerner.
Mon parrain sortit la balle et l'analysa une seconde avant de la plonger dans sa bouche pour sucer mon sang, lorsqu'elle fut nettoyée il la déposa sur la table basse, juste à côté des gâteaux.
-Dis lui de remettre son t-shirt. Ordonnait Antoine.
-Il ne vaut mieux pas, après tout on vient à peine d'arriver qu'on a déjà dû lui retirer une balle. Il tourna la tête vers ma tante. Camilla, prend une barre de fer dans la cheminée nous n'allons pas laisser notre petite se vider de son sang.
Ma tante l'écouta et revint avec ce qu'il lui avait demandé, elle lui tendit la barre et il se fit une joie de la coller contre ma plaie. Je ne ressentais rien, pas une once de douleur, la terreur faisait taire toutes mes sensations physiques.
Mon parrain saisit ma mâchoire en fronçant les sourcils, il analysa la moindre parcelle de ma peau. Je ne bougeais pas, je le laissais faire de moi ce qu'il voulait.
-À ce que je vois tu n'as plus de blessure, tu as continué les tortures ma poupée ? Me demandait-il contrarié.
-Non parrain, je suis retournée ici directement après notre repas de famille. Puis je me suis faite kidnapper.
Il sortit un couteau de la poche de sa veste de costard et le planta dans ma cuisse, je ne sursautais même pas, je m'attendais à ce que cela finisse comme ça.
-TU VAS RECOMMENCER MARIA ! TU VAS FAIBLIR SI TU NE LE FAIS PAS ! Et tu ne veux pas me décevoir n'est-ce pas ?
-Non parrain je ne veux pas te décevoir, je vais recommencer.
Il retira le couteau brusquement en souriant, il poussa ma tête pour qu'elle repose sur son épaule. Ma respiration était redevenue calme, même lorsqu'il me caressa les cheveux je gardais une expression neutre.
-Dis moi Elias, j'aimerai savoir si ma nièce est entre de bonnes mains puisqu'elle restera encore un an avec toi. L'aimes-tu comme elle le fait ?
Un silence pesant s'installa et pour la première fois depuis des semaines son regard se plongea dans le mien, je n'y voyais rien d'autre que du mépris.
-Y'a plus rien entre elle et moi.
Et il s'en alla.