Nos Nuits de Juillet

By DianeHeart1000

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Depuis la mort de son père, Elsa est dans une impasse. Menacée de perdre sa maison d'enfance et étranglée par... More

PARTIE I - Prologue
PARTIE I - Chapitre 1
PARTIE I - Chapitre 2
PARTIE I - Chapitre 3
PARTIE I - Chapitre 4
PARTIE I - Chapitre 5
PARTIE I - Chapitre 6
PARTIE I - Chapitre 7
PARTIE I - Chapitre 8
PARTIE I - Chapitre 9
PARTIE I - Chapitre 10
PARTIE I - Chapitre 11
PARTIE I - Chapitre 12
PARTIE I - Chapitre 13
PARTIE I - Chapitre 14
PARTIE I - Chapitre 15
PARTIE I - Chapitre 17
PARTIE I - Chapitre 18
PARTIE I - Chapitre 19
PARTIE I - Chapitre 20

PARTIE I - Chapitre 16

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By DianeHeart1000

DING DING DING DING, I AM BACK, AGAIIIIIN !

Je retrouve enfin des moments plus calmes pour avancer dans mon manuscrit et vous poster enfin un nouveau chapitre !

J'espère que vous serez au rendez-vous et que vous n'aurez pas trop oublié le chapitre précédent.

Enjoy votre lecture et hâte de lire vos avis et commentaires !

****

— Ce n'est pas ce que vous croyez...

Les jambes légèrement écartées, la main toujours enroulée autour de la crosse de son fusil, il hausse les sourcils, incisif, l'air de dire : « Ah non ? Que dois-je croire, alors ? ». Troublée par le magnétisme intrusif de son regard, je le dévisage une poignée de seconde, confuse, ne sachant pas quoi faire de moi-même. Son silence vaut mille mots et me fait oublier les miens. J'aimerais lui expliquer, me justifier mais tout ce que j'arrive à dire est pathétiquement incohérent.

— Enfin, peut-être un peu..., bafouillé-je en basculant d'un pied sur l'autre, mais pas entièrement.

— Vous ne leur devez pas de l'argent ? souligne-t-il sur un ton plein d'ironie qui hérisse aussitôt le peu de réserve que j'ai en stock.

Malgré cela, sa pondération me déstabilise. Je préfèrerai nettement qu'il s'énerve, qu'il vide son sac, m'engueule et me reproche mon irresponsabilité. C'est en tout cas comme ça que je fonctionne le mieux, par le conflit, les coups d'éclat. Au lieu de ça, il semble analyser froidement la situation... comme l'adulte que je ne suis pas, en fait.

— Si, rétorqué-je, légèrement échauffée, mais pas pour les raisons que vous imaginez.

— Je n'imagine rien, Elsa, soupire-t-il, désabusé. Je sais simplement ce que j'ai entendu.

Justement. En parlant de ça...

— Et qu'avez-vous entendu exactement ?

Je croise les bras sur ma poitrine dans l'espoir de retrouver un peu de stature et de contenance face à lui. Maintenant que la situation est davantage sous contrôle, l'élégance sensationnelle de son allure me saute aux yeux. Sous son costume sombre, parfaitement ajusté, il n'est pas difficile de deviner son corps tonique et musculeux. Difficile de faire plus fringuant, plus séduisant que lui et si j'ai rarement été amenée à côtoyer des hommes de sa trempe, je dois avouer qu'il porte le smoking comme personne. Il m'apparait alors soudain plus charismatique, plus majestueux encore que d'habitude. Une beauté brute mais racée.

— L'essentiel.

Par « essentiel », je comprends qu'il a tout entendu. Une question me taraude alors instantanément l'esprit : pourquoi avoir attendu si longtemps avant de s'interposer ? Combien de temps comptait-il espionner notre conversation ? Fallait-il que je sois au bord du gouffre pour qu'il se décide à me venir en aide ?

— Alors pourquoi n'êtes-vous pas intervenu plus tôt ? lui reproché-je frontalement, trop curieuse pour me priver de sa réponse.

— Je n'ai pas pour habitude d'interrompre des conversations qui ne me regarde pas, explique-t-il avec une certaine gravité aux accents paternalistes. Si j'avais su leurs intentions dès le départ, je me serai annoncé bien plus tôt. Ce n'est que lorsque je les ai vu vous menacer physiquement que je suis allé récupérer le fusil de Gaspard dans la sellerie.

Distraite un instant par le fait qu'il connaisse le nom de ses employés, je ne peux m'empêcher de demander : 

— Vous connaissez le prénom de votre maréchal-ferrant ?

— Et celui de sa femme et de son fils, mais ce n'est pas le sujet. Pourquoi leur devez-vous de l'argent ?

On y est. L'heure de passer aux aveux est arrivée et cette fois, je ne peux plus y échapper. Pas si je tiens un minimum à ma peau. Acculée, je prends mon courage à deux mains et dans un soupir mélodramatique, je commence à lui relater les raisons de cet emprunt inconsidéré.

Sans temps mort, ma langue se délie et avec une sincérité déconcertante, je n'omets aucun détail : la mort de mon père, l'irresponsabilité de ma mère, les menaces de la banque, mon souhait de conserver ma maison d'enfance, l'aide de mon cousin, le montant de ma dette, l'intimidation constante de László et mes tentatives infructueuses d'y échapper.

Tout au long de mon monologue, il m'écoute avec une attention accrue, sans s'étonner ni m'interrompre une seule fois et lorsque mon récit se termine enfin, je réalise, le souffle court, que j'avais pratiquement arrêté de respirer. Largement soulagée d'avoir vidé mon sac, ma poitrine se dilate, permettant ainsi à mes poumons de reprendre pleinement leur place.

Pensif, il m'étudie avec minutie, le regard insondable. À quoi peut-il bien penser ? Est-il encore plus furieux qu'il ne l'était déjà tout à l'heure, maintenant qu'il sait qui je suis réellement ? Anxieuse, je sens mon cœur se soulever dans l'attente, incertain de savoir à quelle sauce il va être cuisiné.

— Léandre est-il au courant ?

Sa question tombe finalement comme un couperet, me rappelant brutalement la réalité de ma relation avec son frère. Non, il n'en sait rien et pour des motifs déjà évoqués, je tiens à ce que ça le reste. Va-t-il exiger de moi que je le lui dise ?  

— Non, bien sûr que non et je préférais qu'il ne le sache pas.

— Pour quelle raison ? s'étonne-t-il en plissant le front. Je pensais que les jeunes de votre âge se disaient tout.

— Je ne veux pas le mêler à toute cette histoire, me justifié-je en tirant machinalement sur l'ourlet de ma robe. La situation est déjà suffisamment humiliante comme ça...

Instinctivement, ses yeux suivent mon geste et finissent par atterrir sur le haut de mes cuisses nues, puis sur le reste de mes jambes, les détaillant avec un attrait furtif mais appuyé qui enflamme aussitôt ma peau. Étourdie par cette soudaine démonstration d'intérêt, j'incline doucement ma tête sur le côté, pitoyablement excitée par l'idée qu'il puisse aimer ce qu'il a sous le nez. 

— Et pourtant, vous êtes venue vous cacher ici, chez lui. Décision plutôt risquée, vous ne trouvez pas ?

Stupéfaite par l'assertivité de sa question, je redresse vivement la tête. Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ? Croit-il sincèrement que tout était prémédité depuis le départ ? Dans quel but ? Piquée par ses insinuations injustes aux accents d'accusations, je me raidis, braquée et dans un souffle exaspéré, je riposte :  

— Ce n'était pas calculé si c'est ce que vous entendez et puis, comment aurais-je pu imaginer qu'ils réussiraient à me retrouver dans ce trou paumé ?

Prise par la fougue de mon irritation, mes mots se bousculent sur mes lèvres avec un mépris qui me surprend moi-même. Cependant, s'il est blessé par ma réflexion, il n'en montre rien. Comme d'habitude.

— Allons, Elsa, ne soyez pas si naïve, me sermonne-t-il avec une certaine suffisance. Quand on pactise avec le diable, il faut s'attendre à tout. Qu'espériez-vous trouver ici ? Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais en Sologne, l'argent ne pousse pas dans les champs.

— Je vous remercie pour la leçon de morale, Monsieur Je-sais-tout, mais je n'avais pas vraiment le choix ! objecté-je en levant les mains et les yeux au ciel. C'était soit accepter l'invitation de Léandre, soit finir au fond d'un trou. Et, au cas où vous vous inquièteriez encore pour votre argenterie, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles, je suis peut-être naïve mais je ne suis pas encore une voleuse.

Voilà, les choses sont dites, puisque c'est ce qu'il sous-entend depuis le départ ! Cette fois, ma critique fait mouche et manifestement affecté par mon reproche, il secoue lentement la tête d'un air réprobateur.

— Vos insinuations sont offensantes, jeune fille, souffle-t-il, la voix voilée.

Alors là, c'est le pompon ! 

— Mes insinuations ? m'écrié-je en plantant mon index dans ma poitrine. Les vôtres plutôt, oui !

L'un de ses muscles tressaille sur sa mâchoire alors que sa main libre se crispe dans un poing serré. Je l'agace, je n'ai aucun doute là-dessus, mais vous savez quoi ? C'est réciproque ! Toutefois, indiscutablement plus doué que moi pour contrôler ses émotions, il passe rapidement le bout de sa langue sur sa lèvre inférieure, puis dans une respiration tendue, il articule :   

— Quoiqu'il en soit, la question ne se pose plus, puisque je compte vous aider.

En entendant une nouvelle fois son offre, je dodeline négativement ma tête tout en le regardant se décaler sur le côté pour aller poser son arme contre le mur.

— Et à nouveau, je ne peux pas vous laissez faire ça pour moi, Térence.

— Soyez raisonnable, Elsa, me sermonne-t-il en faisant volte-face, les mains désormais libres. Quelle autre option avez-vous ?

Aucune, c'est bien le problème et aussi difficile que cela soit à accepter, sa proposition est une porte de sortie totalement inespérée et probablement la seule qu'il me reste. Seulement, quelque chose en moi est un peu réticent à l'idée de lui permettre de sauver ma peau.

Peut-être parce que si je le laisse faire ça pour moi, il prendra une place dans ma vie que je ne suis pas sûre de vouloir lui accorder. Non pas parce que l'éventualité me dérange mais justement parce qu'elle me plaît un peu trop. Quelque chose dans le fait de partager avec lui un secret, une dette, qu'importe, fait accélérer les battements de mon cœur et monter ma pression sanguine.    

— Ah ! Entre la peste et le choléra, mon cœur balance..., ironisé-je pour tenter de noyer le poisson.

— Que préférez-vous ? embraye-t-il en s'approchant doucement de moi tout en redressant son nœud papillon. Me laisser vous avancer la somme qu'il vous manque, vous faire signer une reconnaissance de dette en bonne et due forme, que vous vous emploierez à honorer à votre rythme, sans risquer de finir « au fond d'un trou » au moindre retard de paiement ou bien laisser les molosses de votre créancier roumain finir ce qu'ils ont commencé ? Votre décision sera la mienne.

L'attention focalisée sur sa paire de richelieu vernie parfaitement lustrée, je cherche encore quoi dire pour refuser, mais au fond, je sais que l'affaire est déjà dans le sac. Comment décliner une opportunité pareille alors que Dani, ma mère ou qui sais-je encore, sont menacés de mort par ma faute chaque minute un peu plus ? Je serai folle à lier. 

— Pourquoi faites-vous cela ? finis-je néanmoins par lui demander.

C'est vrai, après tout, je ne suis rien pour lui. Je doute qu'il le fasse pour mes beaux yeux, alors pour qui ? Pour son frère ?

— Pourquoi pas ? J'ai les moyens de vous aider, laissez-moi faire.

Térence d'Alayone ou l'art de répondre à une question par une autre. Bien tenté, mais cela ne suffit pas. 

— Mais qu'avez-vous à y gagner ? insisté-je, à deux doigts de taper du pied comme une gamine impertinente.

Mon regard scrutateur se pose sur sa bouche et aussi minime soit-il, son sourire m'indique qu'il y a bien autre chose. Ou alors ma pugnacité l'amuse, ce qui, de sa part, ne m'étonnerait pas.   

— Une conscience tranquille.

Il humecte ses lèvres, fixe les miennes à son tour et mon ventre se contracte, soudainement affolé. Troublée par la volubilité de son regard ainsi que par la réaction déloyale de mon corps, je déglutis, la gorge sèche.

— C'est très chevaleresque de votre part, seulement, rien n'est gratuit dans la vie, je suis la première à le savoir.

Les mains à présent dans les poches de son pantalon chic, la veste ouverte sur un plastron d'un blanc immaculé, il émet un très léger grognement viril qui – pardonnez-moi Seigneur – suffit à m'incendier toute entière.

— C'est bien le problème de votre génération qui ne sait exister que par l'accomplissement matériel. Vous en avez oublié le fondamental. Toutes nos actions n'ont pas forcément besoin d'être motivées par la vénalité, Elsa. La vraie valeur d'un homme ne se mesure pas aux ambitions de son portefeuille. L'honneur, le courage ou encore l'assistance envers autrui peuvent être désintéressés.

Que répondre à cela ? Si c'est réellement ce qu'il pense alors il fait probablement partie de cette caste rare d'hommes preux et vénérables comme on en fait plus depuis bien longtemps.

Où faut-il s'inscrire pour l'épouser ?

Plus sérieusement, sa réponse me m'étonne qu'à moitié et pour être tout à fait honnête, il n'a pas vraiment tort. À moins de vivre dans une grotte, il faudrait être aveugle pour ne pas se rendre compte que le monde d'aujourd'hui n'est guidé que par le besoin d'avoir, d'obtenir, de posséder. Plus d'argent, de voitures, de vêtements, de reconnaissance, d'attention ou de gratification instantanée. Je comprends qu'il puisse désapprouver et s'en défendre.

— Vous avez une dent contre la génération Z, non ? remarqué-je pour détendre un peu l'atmosphère.

En réaction, il lâche un petit rire d'autodérision, doux, bas et foutrement sexy qui provoque une envolée frénétique de papillons dans mon ventre et me fait regretter aussitôt de l'avoir provoqué.

Calmos, Ramos.

— Je ne vous aide pas car j'y trouve un intérêt, poursuit-il néanmoins, je vous aide car quel genre d'homme serais-je si, après avoir appris ce que j'ai appris ce soir, je tournais les talons et vous laissais dans l'embarras ?

— Vous seriez humain, je suppose, estimé-je en haussant les épaules d'un air détaché.

— Je serai un lâche, conteste-il avec une fougue qui me fait frissonner, malgré moi. J'ai de nombreux défauts, mais celui-là ne figurera jamais sur la liste. Acceptez mon offre, Elsa, remboursez-moi à votre rythme et une fois que cela sera fait, vivez votre vie comme vous auriez dû la vivre depuis longtemps.

Bon sang, comme l'idée est tentante ! C'est presque trop beau pour être vrai. Est-ce réellement possible ? Qu'ai-je fait pour mériter une telle dernière chance ? Et surtout, à quel point ai-je l'air pathétique pour qu'un type comme lui décide de se délester de dix-huit mille euros pour sauver ma pomme ?

Tu parles d'une humiliation !

— À vous entendre, vous auriez presque pitié de moi, bougonné-je, un peu vexée.

La mine soudain chiffonnée, il s'approche encore, me dominant de toute sa hauteur et je retiens mon souffle, fascinée par son aura si solide, si masculine. Comme il doit être rassurant de partager la vie d'un homme pareil, de le laisser vous choyer, vous protéger... Une nouvelle fois déstabilisée par la tournure de mes pensées, je secoue doucement la tête pour tenter d'oublier ces fantasmes absurdes – sans succès. 

— Vous m'inspirez beaucoup de choses, Elsa, mais la pitié n'en fait pas partie, murmure-t-il avec une certaine férocité, comme s'il était en proie à une profonde culpabilité.

Sa voix rauque, ensorcelante, affecte incroyablement mon corps alors que le sous-entendu de sa phrase vient s'imprimer en lettres lumineuses sous mes paupières. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'est-ce que je lui inspire, exactement ? Du... désir ?

Bon sang, mais où sont passées mes limites ?

Sans détourner une seule seconde son regard, il m'observe en silence, analysant avec attention la moindre de mes réactions, comme si j'étais un ouvrage complexe et fascinant. Troublée par l'intensité de son intérêt, je me concentre sur sa pomme d'Adam qui monte et descend dans sa gorge au rythme de ses déglutitions. Subitement, l'envie de poser ma main sur lui est si forte, si électrique qu'elle me procure une douleur presque physique.

Putain, putain, putain... fais quelque chose, dis quelque chose !

— Léandre n'en saura jamais rien ? l'interrogé-je finalement à bout de souffle pour faire diversion.

Les yeux toujours d'une profondeur abyssale, il hoche lentement la tête.

— Cela restera entre vous et moi.

— Et cela ne vous dérange pas de lui mentir ?

— Je survivrai, se moque-t-il en m'adressant un sourire plein de charme qui, encore une fois, provoque une envolée de papillons dans mon ventre.

— Alors, très bien, j'accepte, opiné-je en lui tendant machinalement ma main pour conclure symboliquement notre accord.

Durant la seconde qui suit, il observe ma paume d'un air incertain, comme s'il craignait de me toucher, avant de se décider à la serrer en retour. En étreignant sa peau chaude mais légèrement rêche, une décharge électrique se met à courir le long de mon bras alors que mon corps se contracte, surpris par ce contact différent, ordinaire et en même temps terriblement intime.

Après un court moment à les secouer lentement dans le vide, je commence à retirer la mienne mais, à ma grande surprise, il m'en prévient, resserrant légèrement ses doigts autour de cette dernière pour me retenir et dans une lourde expiration, il ajoute : 

— Ils auraient pu vous blesser.

Surprise par le changement de sujet et l'animosité de son intonation, je lui adresse un petit sourire incertain. 

—  Quelle chance que vous ayez été là, alors, le taquiné-je, ardemment consciente du poids de sa main dans la mienne.

Ses sourcils se froncent, contrarié que je puisse prendre tout cela à la légère.

— Je suis sérieux, Elsa, vous êtes d'une imprudence folle.

Cette fois, je souris franchement en l'entendant. Il y a quelque chose de très galant, de romanesque dans la façon dont il s'exprime. Peut-être est-ce dû à son verbe constamment soutenu et distingué ou à sa façon d'user toujours les bons mots pour chaque situation. Il maîtrise le français comme de moins en moins de gens savent le faire et ça le rend particulièrement... attirant.

Du reste, je mentirais si j'affirmais ne pas prendre beaucoup de plaisir à me disputer poliment avec lui. D'ailleurs, maintenant que j'y pense, je me demande si sa courtoisie coutumière s'étend également jusque dans sa chambre à coucher ? À moins, qu'au contraire, il ne devienne un animal dépourvu de toute éducation lorsqu'il couche avec une femme ?

Outrée par l'indécence de mon esprit vicieux, je sens mes joues s'empourprer et ma gorge s'échauffer.

Un peu plus et tu perds tout sens commun, ma fille.

— Vous avez probablement raison, agrée-je tout en essayant de masquer mon émoi, mais je ne pouvais pas les laisser prendre sa maison...

Ses iris, presque trop sombres à contre-jour, me jaugent, impitoyables et enivrantes, alors que son pouce se met soudain à naviguer très lentement sur le dos de ma main. Chavirée par sa caresse, je lâche un petit soupir vibrant d'une excitation nouvelle alors qu'un feu dévastateur se met à courir sous ma peau. 

— Votre père n'aurait jamais supporté que vous vous mettiez en danger pour si peu, me gronde-t-il d'une voix sourde. Si vous étiez ma...

Réalisant l'énormité de ce qu'il s'apprêtait à dire, il s'arrête brusquement, puis dans un mouvement tendu de la mâchoire, il fait discrètement claquer sa langue contre son palais. La tension entre nous monte alors d'un cran, s'intensifie, vibre presque douloureusement. La contiguïté de nos corps, la possessivité de son regard, sa façon si déplacée de se montrer protecteur vis-à-vis de moi me perturbent et... m'enchantent un peu trop.

Misère, mais à quelle sorte de jeu joue-t-il ? De quel droit me laisse-t-il entendre que mon sort lui importe, que si j'étais liée à lui – d'une manière ou d'une autre – il en aurait quelque chose à redire ? Nous ne sommes rien l'un pour l'autre. Ne me l'a-t-il pas déjà suffisamment dit lui-même ? Et puis, a-t-il au moins pensé à son frère ? Tout ceci est beaucoup trop dangereux et surtout foutrement défendu, putain !

Toutefois, alors que je devrais enlever ma main, reculer et mettre de la distance entre nous, je m'approche davantage, les paupières alourdies, la poitrine consumée par l'audace et l'excitation de l'interdit. 

— Votre quoi ? soufflé-je pour le provoquer, en totale roue libre. Votre fille ?

Le mot flotte entre nous, pesant, tabou. J'en ai l'âge, c'est une évidence et pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi femme qu'en sa présence. Dans l'expectative, je plante mes dents dans ma lèvre inférieure sans perdre une miette de son expression tourmentée puis lève le menton pour atteindre à nouveau ses yeux.

D'emblée, l'éclat incandescent de ses prunelles me fait hoqueter. Dieu merci, mon père ne m'a jamais regardé comme Térence le fait à présent, d'un regard magnétique si indécent qu'il pourrait bien me rendre folle.

En outre, en dépit de son apparente maîtrise, je sens, qu'à mon instar, il lutte pour garder la tête froide. Ma raison aimerait qu'il me dise oui, qu'il me repousse avec son indifférence fate dont il se drape habituellement mais mon corps, lui...

Arghhh, je ne préfère même pas y penser.    

— C'est donc comme ça que vous me voyez ?

Malgré sa taille, nos visages sont trop proches. Il suffirait d'un rien pour que nos souffles se mêlent et nos lèvres s'effleurent.

— Non.

La fermeté animale avec laquelle il prononce sa réponse me percute de plein fouet. Seigneur, pourquoi faut-il qu'il soit si honnête ? Ne pouvait-il pas mentir et me laisser croire le contraire ? Sur ma main, son pouce continue de danser, subtil mais électrisant.

Notre attirance réciproque est telle que tout ce qui nous entoure me semble lointain et confus. Je n'ai jamais ressenti ça, avec personne. C'est trop fort, indomptable, impossible à ignorer.

À quelques centimètres à peine de l'un l'autre, ma poitrine monte et descend, frottant doucement contre le tissu de sa veste alors que des petites étincelles crépitent au bout de mes seins.

Plus de doute, je vais finir en Enfer.

— Non ?

Ma voix est basse, quasi-inaudible, coincée entre les parois de ma gorge serrée. J'ignore comment nous en sommes arrivés là, mais je meurs soudain d'envie de savoir ce que je représente pour lui. Ce n'est d'ailleurs même plus une envie à ce stade, c'est un besoin.  

— Ah ! Tu es là !

Le timbre tonitruant de Jehan nous interrompt brutalement, faisant éclater la bulle chaude et illicite dans laquelle nous étions enveloppés. Comme un seul homme, nous nous séparons hâtivement l'un de l'autre et pivotons pour lui faire face.

D'un bref coup d'œil vers Térence, je constate que son expression est à présent bien différente de celle qu'il affichait il y a encore quelques secondes. L'incandescence lascive de son regard a désormais laissé sa place à quelque chose de plus désinvolte, sans être indifférent non plus. Rassurée qu'il ne soit pas tout à fait redevenu le monstre d'impassibilité qu'il est habituellement, je reporte mon attention sur Montfaucon.

Ce dernier, planté à l'autre bout de la galerie, nous observe un quart de seconde avant de s'avancer à grands pas dans notre direction. L'excitation dans ma poitrine se transforme alors en panique tandis qu'une pointe d'angoisse vient se loger entre mes côtes. Mon Dieu, qu'a-t-il vu exactement ? Depuis combien de temps est-il là ?

— Qu'est-ce que tu fous, mon vieux ? peste-t-il tout en marchant d'un pas décidé. Cela fait vingt minutes que tout le monde te cherche !

Une fois à notre hauteur, son visage s'illumine dès qu'il m'aperçoit aux côtés de son meilleur ami. 

— Oh, Elsa ! Je suis navré, je ne savais pas que tu étais avec... (réalisant l'improbabilité de la situation, il marque une pause avant d'interroger mon voisin du regard) ... Térence ?

Durant une longue seconde sans s'adresser la parole, les deux hommes se dévisagent, l'un clairement intrigué par le tableau que nous offrons et l'autre passablement exaspéré par l'indiscrétion silencieuse du premier. Inutile de préciser qui est qui.

— Que se passe-t-il ? demande toutefois Jehan avec un petit sourire mutin qui ne me rassure pas vraiment.

Nullement perturbé par l'effronterie de son ami, Térence reboutonne tranquillement le premier bouton de sa veste alors que, de mon côté, je ne sais plus vraiment où me mettre, puis, d'un ton égal, il répond :

— Ernest a-t-il déjà sonné le dîner ?

Ébahie de l'entendre évincer sa question de façon si peu subtile, je tourne la tête vers lui en haussant les sourcils. Vraiment ? Plus suspect, tu meurs... De son côté, Jehan lâche un petit rire léger, peu étonné par la réponse de son compagnon.

— Non, mais cela ne saurait tarder.

Au même titre que Térence, il porte un smoking d'un beau bleu sombre dont le nœud papillon pend négligemment autour de son cou.  

— Parfait, argue-t-il avant de se tourner de nouveau vers moi.

Cette fois, contrairement à toutes les autres, la chaleur de ses yeux n'a pas tout à fait disparue. Elle est encore là, à peine tapie sous la surface. Ignorant son ami avec superbe, il finit par ajouter d'une voix nettement plus assourdie :   

— Je vous attends dans mon bureau après le dîner.

Le regard est doux mais le ton péremptoire. Ce n'est pas une proposition, c'est une convocation et je ne saurai être plus perdue. Qu'est-ce qu'il fabrique ? A-t-il conscience que son meilleur ami est encore là et qu'il ne perd pas une miette de notre conversation ? Que risque-t-il penser de tout ça ?

— Dans votre bureau ? balbutié-je, sans comprendre, le cœur battant une chamade assourdissante.

Désorientée, je réalise, avec un certain désarroi, que je suis totalement pendue à ses lèvres. À dire vrai, j'ai une conscience si acérée de la tension qui habite mon corps qu'il est difficile pour moi de rester plantée devant lui sans bouger. Qu'essaye-t-il de me dire ? Il n'oserait tout de même pas me proposer de...

— Pour signer les papiers, précise-t-il avec un détachement presque professionnel.

Ah oui, les papiers. Pour ma dette. Bien entendu.  

En comprenant la réelle signification de ses mots, mes épaules s'affaissent de soulagement ou de déception – je ne sais pas vraiment. Tout est trop flou dans ma tête pour déterminer exactement ce que je ressens. Et puis, qu'est-ce que j'imaginais ? Qu'il allait me suggérer de s'envoyer en l'air dans son bureau entre la poire et le dessert ? Au vu et au su de son ami, par-dessus le marché ?

Redescends sur terre, ma grande.

— Oh, acquiescé-je en me raclant la gorge, terriblement gênée par l'aberration de mes suppositions. Bien sûr.

Satisfait, il hoche la tête puis sans rien ajouter d'autre, il pivote pour rejoindre Jehan dont le sourire amusé n'a toujours pas quitté le visage. Dès qu'ils se sont un peu éloignés, j'exhale un long soupir pour apaiser un tant soit peu le nœud douloureux de mon ventre, rassérénée à l'idée de me retrouver seule pour digérer tout ça.

Seulement, après avoir parcouru quelques mètres, Térence se hasarde à jeter un coup d'œil par-dessus son épaule et lorsqu'il constate que je ne les suis pas, il s'arrête, imité illico par Montfaucon.

— Vous ne venez pas ? m'interpelle-t-il, l'expression réellement étonnée.

L'esprit englué et les membres engourdis, je ravale ma grimace, me force à redresser la tête pour lui répondre et dans un sourire feint, je rétorque :

— Si, si, allez-y, je vous rejoins dans un instant.

Dubitatif, il y consent néanmoins d'un bref mouvement du menton puis disparait pour de bon, cette fois. Désormais seule, je m'entends à peine pousser un petit râle alors que je plaque ma main sur ma poitrine pour sentir les battements enfiévrés de mon cœur cogner contre ma paume.

Jésus, Marie, Joseph...

Il me faut une minute, juste une minute pour assimiler ce qu'il vient de se passer, pour retrouver un semblant de contrôle avant de me rendre au dîner. Les sens sans dessus dessous, je me penche alors en avant et inspire très lentement en gonflant le ventre pour tenter de me calmer.

Malgré mes efforts, je sens bien que toutes mes terminaisons nerveuses sont en éveil et je ne parle même pas du mélange indistinct de sentiments qui fait rage dans ma tête : confusion, frustration, envie et surtout culpabilité.

Bon sang, mais dans quel pétrin me suis-je encore fourrée ? Plus les minutes passent et plus je me demande si je n'ai finalement pas troqué un enfer pour un autre ? Et tout ça, bien sûr, toujours dans le dos de Léandre. Quelle formidable petite amie je fais !

D'un autre côté, je n'arrive pas à vraiment mettre le doigt sur ce qui m'inquiète. Si j'en crois Térence, je dois voir cela comme un acte de charité sans arrière-pensée ou motivation douteuse. D'après lui, je n'ai qu'à signer sa reconnaissance de dette et à le rembourser à mon rythme. Ni plus ni moins. Franchement, je ne vois pas ce qui pourrait mal tourner...

Allez, respire, tout va bien se passer.

Vraiment ?

****

Alors ? Qui a hâte de l'entrevue dans le bureau ?

Moi. Moi, j'ai hâte que vous la lisiez... mouhaha !

Kiss kiss xxxx

Diane

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