MIRABILIS

Par tymlor

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Lors de l'exécution de la dernière enchanteresse des royaumes, celle-ci laisse en son souvenir une malédictio... Plus

La carte des royaumes
Mirabilis - A propos
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22

Chapitre 6

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Par tymlor




Mirabilis





Au fond de la salle, l'orchestre s'en donne à cœur joie. La violoncelliste sourit à s'en décrocher la mâchoire, enchaînant les mélodies comme s'il s'agissait d'une addiction particulièrement agréable qui ne prendrait fin qu'à la dernière danse des convives. Ceux-ci semblent tout autant s'amuser, prêts à tournoyer jusqu'à ce que l'orchestre s'arrête. Et si l'un attend de l'autre un point final, je crains que la nuit soit d'une éternité bien plus douloureuse qu'elle ne l'est déjà.

Quelques heures de plus dans ces chaussures inconfortables et je m'offre nue aux coyotes affamés. Quelle différence cela ferait-il ? Les hommes qui m'entourent ne sont guère plus civilisés que ces prédateurs. Ils attendent chacun leur tour, plus ou moins sagement, les yeux rivés sur ma personne en espérant que je vois en eux un potentiel futur. Père est le pire d'entre eux. Il m'épie et me balade, une main assurée dans mon dos, me poussant vers de parfaits inconnus au pedigree acceptable.

Les présentations se suivent et se ressemblent. L'homme m'offre une révérence, puis sa main. Nous dansons. Il fait semblant d'être intimidé par mon regard, me lance des œillades de haut, fier de sa stature imposante et de son adresse sur la piste – comme si je ne savais pas que père a offert à tous les volontaires des cours de danse pas plus tard qu'hier.

Quand le morceau se termine enfin, l'Homme fait sa main plus présente sur ma taille afin de m'attirer à lui. Je le repousse systématiquement, souris comme je le peux et bredouille des mots que je n'ai moi-même pas compris.

Je les vois un par un rejoindre leurs amis qui se moquent de leur échec avant de s'élancer vers moi dans l'espoir d'être le suivant. Bien que ne connaissant pas la sensation d'un amour sincère, je reste persuadée qu'il s'agit de tout sauf de cela. Et j'ai beau répéter à père que je ne suis pas une biche, la quasi-totalité de ces grands gaillards souhaite m'ajouter à leur tableau de chasse en me pointant du doigt comme si j'étais la biche sacrée de ce satané royaume.

Le nouveau prétendant s'approche de moi en me tendant la main que je m'offre le luxe de refuser en prétextant que mes pieds me font souffrir. Je soupire et m'échappe avant qu'il ne me propose de me porter – en posant ses mains partout là où il n'est pas nécessaire de le faire –, préférant le vent glacial de l'extérieur aux étreintes chaleureuses des mâles en rut.

Arrivée dans le hall tant bien que mal, je suis apostrophée par une jeune femme à l'allure mutine qui me fixe avec des sourcils froncés :

— Où vas-tu ?

Sofia est aux abois, inquiète que je lui glisse entre les doigts alors que le roi l'a déjà sermonnée à plusieurs reprises. Impossible de lui avouer que je fuie le brame du cerf sans être obligée de retourner danser au milieu des bestioles.

— L'éblouissement a-t-il déjà eu lieu ?

Le ciel visible au-delà de la porte grande ouverte est d'un noir d'encre. Est-il minuit ? Ou le petit matin ? Freud est-il déjà passé, affolé, en criant la nuit ? L'horloge la plus proche se trouve dans la salle de bal et je n'ai pas le courage d'y pénétrer pour trouver une réponse à cette question.

— Il y a de cela plus d'une heure, soupire Sofia. Tu dansais.

— Dansais ?! Mille coyotes, je souffrais !

— Le rêve de toutes les femmes de ce royaume est-il une souffrance pour toi ?

— Rêvent-elles d'être une biche ? je m'amuse en pinçant doucement son bras.

Sofia ne sourit ni ne se radoucit. Son air fermé est un signe peu encourageant dans ma quête de liberté, car si père est le plus castrateur des deux, Sofia est tout à fait capable de se montrer aussi féroce. Sa façon de me faire culpabiliser me ramène systématiquement dans ma chambre avant qu'elle m'y rejoigne et me fasse la conversation. Pour l'heure, il est hors de question que je me remette à danser. Un tournoiement de plus et je vomis sur les chaussures cirées de celui qui aurait osé s'approcher d'un peu trop près. Il trébucherait et glisserait sur mon vomi avant de tomber dedans  tête la première, puis il partirait en courant suivi d'une odeur pestilentielle qui découragerait tous les hommes présents à me faire la cour. Tout compte fait, une dernière danse pourrait finalement être la solution.

Je ne culpabiliserai pas de fuir mes responsabilités. La manipulation reste la seule option envisageable pour fuir la danse et les mains moites, que le royaume me pardonne.

— Je voulais rendre visite à Freud.

L'air sévère de Sofia disparaît immédiatement tandis qu'elle triture nerveusement ses doigts. Freud est le mot magique qui met fin à tous ses sermons. Sofia est une belle femme. Sa peau claire et sa longue chevelure brune font en sorte qu'elle est largement courtisée par de bons partis, mais elle n'en a que faire. A tous les chevaliers de ce royaume, Sofia leur préfère le seul et l'unique qui crie la nuit en se terrant dans sa grotte, devenue son foyer. L'émoi qu'elle ressent pour celui considéré comme fou est une énigme insoluble pour le royaume. Les chevaliers se moquent et les dames ricanent lors du thé tandis que Sofia les ignore. Ils ne connaissent pas Freud et préfèrent se fier à des légendes saugrenues plutôt que de connaître l'homme qui se cache derrière l'ermite.

— Veux-tu venir avec moi ? je demande dans un sourire encourageant.

Sans surprise, Sofia décline mon invitation en secouant énergiquement la tête et en rougissant. Si l'amour qu'elle lui porte est sincère, sa timidité légendaire l'emporte sur le bon sens, faisant de leur avenir commun la chose la plus improbable en ce triste monde.

Leurs seules conversations se résument en des salutations hésitantes et des offrandes composées de petits pains et de sucreries préparées avec amour – englouties sans cérémonie par l'intéressé aveugle de l'intérêt de la belle.

— Tu lui passeras le bonsoir, ajoute finalement Sofia avant de s'éclipser vers la salle de bal, sans un mot de plus.

Je regrette quelques secondes d'avoir eu recours à sa corde sensible pour obtenir ce que je veux avant de reprendre mes esprits ; pourquoi mentirai-je ? Le septième jour est demain. Les soldats seront exempts de combats et pourront s'adonner à la chasse, ce qui me laisse bénéficier d'un repos bien mérité.

Je souris, fière d'échapper aux griffes de mon père si facilement et me faufile jusqu'aux écuries sans difficulté. Knight sent ma présence et hennit doucement, attendant impatiemment que je le harnache et le nourrisse de quelques friandises. Quand j'oublie de le faire, il piétine en expirant bruyamment, puis je le caresse en lui promettant que l'homme que nous rejoignons le récompensera pour deux. Freud est de ces hommes différents et lunaires, d'une infinie douceur. Freud est cet homme, le seul, l'unique – mon meilleur ami.

Il faut un peu plus d'une heure pour rejoindre la grotte dans laquelle Freud a établi son foyer. Située à l'est du château, elle est le départ du sentier qui mène au plus haut sommet des monts de Chrysos. Certains curieux y font une halte avant leur randonnée. Ils ne s'y arrêtent jamais, craignant je ne sais quoi. Freud n'aime pas particulièrement la compagnie. Obnubilé par une passion qui lui coûtera un jour sa vie, il ne trouve sens à prendre la parole que quand l'on s'intéresse à ce qu'il fabrique tout seul dans sa grotte. Les Hommes sont bien trop égoïstes pour se pencher sur le sujet, préférant parler d'eux en traitant l'homme qui les accueille de fou. Quand ils rentrent enfin chez eux, ils content leur exploit avec une exagération ridicule, mentant sur le fait qu'ils ont rencontré l'homme qui crie la nuit dans sa tanière, plutôt que leur randonnée sur les monts escarpés.

Contrairement aux autres, j'aime entendre les récits de Freud. Notre amitié a débuté par mon adoration envers la passion qu'il voue à son but. Ma sincérité ne lui a pas échappé et, alors qu'il était concentré sur un nouveau projet aussi fou qu'improbable, Freud s'est assis et s'est confié à moi. Nous avons parlé des heures, bien trop longtemps pour que je rentre avant que père ne s'éveille. C'était une folie qui m'a coûté bien des remontrances, mais que je n'ai jamais regretté.

Ainsi, quand la chasse est suffisamment fructueuse pour que je m'en passe, j'attends que le château s'endorme et rejoint Freud. Une heure de cheval pour quatre heures de lui, qui me paraissent n'être que quelques secondes. A chaque fois, je rentre avant que les horloges ne sonnent six heures et m'endors des rêves pleins la tête.

Je resserre mon écharpe autour de mon cou, prise de cours par la neige omniprésente autour des monts. Knight piétine puis reprend sa course quand je l'y encourage d'une caresse sur son encolure. Devant nous, les monts se dessinent dans la nuit éclairée par la lune qui ne bénéficie d'aucun repos. Plus loin, des lumières scintillent plus encore que les étoiles dans le ciel. Elles sont des centaines, comme des lucioles immobiles retenues entre ciel et terre. Je ralentis au pas et contemple ce spectacle dont je ne me lasserai jamais.

Les grottes des lumières sont ce qu'il y a de plus beau dans ce royaume. Elles sont l'espoir du soleil et la magie des rêves. Et si elles sont la création d'un seul homme quelque peu déjanté, elles sont avant tout la preuve que l'optimisme peut soulever bien des montagnes – ou du moins les éclairer.

Je mets lourdement pied à terre, annonçant mon arrivée à Freud par mon manque de délicatesse. Un bruit sourd de ferraille me parvient, suivi d'un juron et d'autres bruits que je ne saurai identifier. J'ignore ce vacarme et contemple les centaines de bougies faire danser leur flamme au-dessus de ma tête. Conçues par un homme des plus habiles, ces bougies ingénieuses ont pris de la nuit leur caractère éternel. Là où certaines se consument et s'éteignent, celles-ci se régénèrent en évacuant la cire dans un contenant où une mèche l'attend sagement avant de s'embraser à son tour. A l'enfilade suspendue à ce fils de pêche, seule la pluie pourrait éteindre leur flamme.

Je baisse la tête quand celle de Freud apparaît à l'entrée de la grotte. Les cheveux décoiffés et l'air ahurie comme à son habitude, il m'adresse un grand sourire tout en époussetant son pull troué par le fruit de ses efforts brûlants. Tandis que je me demande comment mon ami a réussi à ne pas encore prendre feu, je réalise qu'il est sans doute le seul à espérer encore le retour du soleil. Et si certains pensent que seule la magie est à même d'endiguer la malédiction, Freud mise tout sur les sciences.

Depuis que la nuit est devenue éternelle, l'homme qui la crie n'a plus qu'une seule obsession.

Fabriquer le soleil.


*

Je voue à Freud un amour immense (et ce prénom me fait beaucoup rire) 🤡

J'espère que vous vous y attacherez autant que je le suis déjà, cet homme peu commun est incroyable ♥️

Et bordel, vous n'avez pas idée des recherches que j'ai du faire en astrophysique pour ce roman ! Je peux vous parler des heures du soleil, de ce qui le constitue et de pourquoi il est impossible de le créer, ne serait-ce qu'une pâle copie miniature (sans tout faire exploser, bien entendu). Mais disons que, pour faire simple... le soleil est une immense centrale nucléaire.

Je précise quand même que toutes les références scientifiques sont réelles et sont à prendre au premier degré, elles n'ont pas été inventées pour servir l'histoire. 🔬

A vendredi prochain mes petits coyotes ♥️


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