Je me sens vraiment mal. Avoir ressassé toute cette mouise m'a fait réaliser à quel point notre situation à tous est désespérée. Je n'ai pas un regard pour les Brasiliens présents dans la salle principale. À ma grande surprise, nous quittons l'immeuble où nous nous trouvons pour nous rendre dans celui d'en face, tout aussi délabré. Avant d'entrer, mes yeux se posent sur l'étrange bâtiment faisant office de cathédrale, à plusieurs centaines de mètres de moi. Derrière la structure, le soleil se couche, donnant une teinte orangée au ciel.
Le rez-de-chaussée de ce nouveau lieu ressemble à un magasin de bricolage dévasté par une tornade. Il y règne un bazar sans nom. Vis, outils, dalles, tuyaux, miroirs, casseroles et tant d'autres objets sont entassés sans organisation logique. Je traverse trois grandes pièces du même acabit avant de rejoindre une cage d'escalier. Mes deux guides m'accompagnent jusqu'au quatrième étage. Je me sens si lourde que cette montée me vide de toutes mes forces. Nous finissons par stopper devant une porte métallique d'apparence solide. La femme sort une clé tandis que l'homme en chemise me pose une main sur l'épaule.
— Le protocole de sécurité nous impose de vous isoler. C'est pour votre propre sécurité. Je suis navré. Passez une bonne nuit, mademoiselle.
La porte s'ouvre et la première chose que je vois, c'est Kalen, assis contre le mur, la tête sur les genoux. Je cours vers lui et me jette à son cou. Je n'entends pas mes deux guides refermer la porte. Tout ce qui compte, ce sont les deux bras de Kalen qui s'enroulent autour de mes épaules. Nous nous blottissons l'un contre l'autre, silencieux et immobiles. Malyan signale alors sa présence d'un raclement de gorge. Je me détache de mon amant pour l'enlacer et m'assurer qu'elle se porte bien. C'est le cas et elle commence à m'interroger sur les coutumes un peu brutales des terriens. Je ris et lui explique que ce genre d'accueil est une spécificité due à leur nature selcyne.
Quelques minutes plus tard, notre repas est livré. Je lève enfin le nez pour observer ce qui m'entoure. La pièce est dépourvue de fenêtre. Le lit est en meilleur état que celui de mon ancienne cellule, et le robinet laisse échapper un mince filet d'eau, ce qui est une merveilleuse avancée dans le progrès. Cependant, le liquide me paraît bien trop trouble pour que je m'y risque. Heureusement, on nous fournit une grande bouteille d'eau et un repas de roi : des wraps au poulet et aux pommes de terre (dommage que nous devions manger par terre). Rassérénée par la présence de Kalen, j'engloutis ma part.
— C'est gustativement assez incroyable ! s'exclame Malyan.
— La nourriture terrienne m'avait manqué, m'avoue K en se léchant les doigts.
Ce simple geste provoque des remous dans tout mon corps. Il n'a pas l'air de se rendre compte de l'effet qu'il me fait. Je décide de me réfréner pour faire durer cette quiétude sans doute passagère.
— Le maire m'a dit que tu avais découvert le vrai café, le taquiné-je.
— Ce breuvage noir immonde ! Ne me dis pas que tu aimes ça ?
Je ris devant son ton dégoûté en totale contradiction avec son visage impassible. Du Kalen tout craché. Il tend la main vers moi et me caresse la joue. Je me fige, le cœur battant.
— J'aime ton rire, Chaton. Je voudrais l'entendre tous les jours.
Je suis incapable de répondre. J'oublie ma fatigue, j'oublie où nous sommes et ce que nous avons vécu : il n'y a plus que lui et moi. Jusqu'à ce que Malyan lâche un rot immonde.
— Délicieux, mais un peu rude pour l'estomac, se justifie-t-elle. Je tombe de fatigue, pas vous ?
Kalen et moi approuvons. La brunette bâille, puis se remet à parler. Nous la regardons quelques secondes avant de nous dévisager, amusés. Ni lui ni moi ne l'écoutons. La porte s'ouvre à nouveau. Un homme en uniforme orange et noir nous informe que Malyan est demandée pour la fin de son interrogatoire tandis qu'un autre en jean et tee-shirt débarrasse notre plateau. La rebelle se lève en s'étirant comme une panthère sous le regard intéressé du type en jean. Elle nous adresse un bref salut avant de replaquer son sourire figé sur son visage pour suivre le Brasilien.
Le silence retombe. Nos regards s'accrochent à nouveau, mais l'amusement a laissé sa place... au désir. Saisie par une soudaine urgence, je me précipite sur ses genoux et m'empare de sa bouche. Je l'aime tellement, je me fiche de ce que pensent les autres de notre couple. Je plonge mes doigts dans ses cheveux en pagaille pour approfondir notre contact. Je mordille sa lèvre et je le sens réagir. Son corps se tend et il m'agrippe avec force. Ses lèvres lâchent les miennes pour aller s'égarer dans mon cou et des frissons se mettent à agiter mon corps excité. Me forçant à reprendre mes esprits, je lui retire son haut d'un geste tremblant. Puis je laisse mes mains se promener sur son torse parfait. Mes doigts glissent le long de ses muscles saillants. Kalen me laisse faire, parfaitement immobile, le souffle court. Ses iris brûlants sont braqués sur moi. Je dépose un doux baiser sur ses lèvres et le pousse légèrement pour lui demander de s'allonger. Il obtempère sans me quitter des yeux. Mes mains se remettent à danser sur sa peau, descendant de plus en plus bas. Il lâche un gémissement rauque, mais n'ose toujours pas bouger.
— Chaton, que fais-tu ? grogne-t-il en tentant de masquer sa gêne et son excitation.
— Tu me fais confiance ? lui demandé-je dans un souffle.
— Évidemment, mon amour.
— Alors, laisse-moi m'occuper de toi. Tu es libre de m'arrêter à tout moment si je fais quelque chose qui te déplait. D'accord ?
— D'accord, répond-il en me caressant la joue.
J'embrasse son cou, ses pectoraux, descends sur ses abdominaux bien dessinés et... encore plus bas. Après une minute, je me redresse et réalise que Kalen se cache la tête dans les mains.
— Qu'est-ce que tu as mon amour, tu n'aimes pas ça ? demandé-je, inquiète de l'avoir brusqué.
— Oh si, j'aime ça... j'aime beaucoup ça. Mais... je ne sais pas... j'ai l'impression de te manquer de respect.
— Pourquoi ? m'étonné-je.
— Et ton plaisir à toi ?
Je le regarde, surprise. Puis j'éclate de rire ce qui a pour effet de le faire rougir encore plus. C'est suffisamment rare pour me faire fondre.
— Lily, arrête de te moquer de moi.
— Je ne me moque pas, mon chéri. Je suis juste... je ne m'attendais pas à cette réaction. Ne t'inquiète pas pour moi. Si je te fais ça, c'est que j'en ai envie. Et tu pourras me rendre la pareille si tu en as envie.
Kalen écarquille les yeux et je me mords les lèvres pour ne pas me remettre à rire.
— Si tu veux faire autre chose, je m'arrête, finis-je par murmurer. Je n'ai aucune idée du temps dont nous disposons avant le retour de Malyan, mais nous trouverons bien quelque chose à faire qui te convienne pour patienter. Qu'en dis-tu ?
— Tu peux continuer, bégaie-t-il.
Cinq minutes plus tard, je peux affirmer sans l'ombre d'un doute que mon chéri a apprécié mon cadeau de retrouvaille. Après s'être nettoyé au robinet, il m'a rejoint sur le lit. Allongé face à moi, il me regarde, complètement hébété.
— Lily...
— Kalen ?
— C'était... bon sang, Chaton, c'était fabuleux !
Je me rapproche de lui en riant doucement. Il me caresse tendrement le dos. La tête dans son cou, je me nourris de son odeur. Je suis si bien dans ses bras. Je m'endors presque quand, sans crier gare, il me redresse et me saisis par les épaules.
— Chaton, tu dois m'expliquer ce que je dois faire pour te rendre... ta pièce de monnaie.
— La monnaie de ma pièce, le corrigé-je en souriant. Ok, je vais tout te dire.
Je ne sais pas ce qui m'a le plus épuisée : l'interrogatoire ou nos retrouvailles sensuelles. En tout cas, je me réveille réellement reposée et alléchée par l'odeur de la brioche chaude qu'un Brasilien nous apporte. En voyant sa figure se décomposer quand il nous trouve enlacés, Kalen et moi, je me demande qui est le plus gêné. Je remarque alors la présence de Malyan, assise dans un coin de la pièce et visiblement en train de se réveiller, elle aussi. Contrairement à l'homme, elle ne semble pas faire grand cas de notre étreinte. Le flegme selcyn a ses avantages.
Je demande très poliment s'il est possible de m'apporter des sous-vêtements propres, ce qui a pour effet de faire apparaitre un sourire malicieux sur le visage de mon amant. Même Malyan pouffe dans ses mains.
— Je vais voir ce que je peux faire, bafouille l'homme. Prenez des forces, on vous transfère à Faraday-51 dans une heure.
Et il déguerpit sans demander son reste.
— Tu es obsédée par les sous-vêtements, finit par me lâcher K en se redressant.
— Je ne supporte pas de porter des trucs sales au niveau de mon intimité. Une cystite est si vite arrivée !
— Et lorsque tu vivais à Chongqing, tu pouvais changer tous les jours de culottes ? s'amuse-t-il.
— Les premiers mois, j'ai enchaîné les soucis à ce niveau-là, si tu veux tout savoir. Alors je faisais des lessives quotidiennes. Ça a beaucoup limité les dégâts. Quand je suis arrivée à Faraday-4, l'injection contraceptive a, semble-t-il, contribué à stopper totalement les infections urinaires ou vaginales.
— Combien de temps durent les effets de cette injection ? demande Malyan en nous rejoignant.
— Trois ans. Il me reste... quelque chose comme un an de protection, peut-être moins.
— Ranissa pense qu'un bébé mixte pourrait faire changer les mentalités, reprend la rebelle. Certains selcyns attendent impatiemment que Kalen te féconde.
— Que Kalen me féconde ? m'indigné-je. Voilà une façon bien peu habile d'évoquer l'idée de fonder une famille !
— Nous ne savons ce qu'est une famille, Chaton. Malyan ne voulait pas t'offenser.
— Je sais, m'agacé-je. Mais nous allons décevoir ces impatients. Hors de question de devenir un cobaye en me faisant engrosser par un selcyn.
— Tu as raison, Lyna.
— Lyna ? répété-je.
— C'est ton prénom, non ?
— Tu ne m'appelles plus par mon prénom entier depuis longtemps. Tu es contrarié ?
— Absolument pas.
J'observe Kalen mordre rageusement dans sa brioche.
— Oh si, déclare Malyan. Il est contrarié.
Je soupire et m'approche lentement de lui.
— Mon amour... tu as envie d'avoir un enfant avec moi ? demandé-je en posant une main sur son avant-bras.
Kalen s'immobilise, mais ne se retourne pas vers moi. Je l'entends souffler avant de me répondre.
— Tu ne veux pas être engrossée par un selcyn, pourquoi en discuter ?
— K... J'ai été maladroite dans le choix de mes mots. J'avoue ne pas ressentir le besoin d'enfanter pour le moment. Et je ne sais toujours pas si ça arrivera un jour. Cela n'a rien à voir avec tes origines selcynes. Sache que si je devais changer d'avis, nous franchirions ce pas ensemble, tout simplement parce que je ne vois pas mon avenir sans toi.
— Je comprends, me dit-il d'une voix adoucie. Rassure-toi, faire un enfant n'est pas non plus dans mes projets. C'est juste que... J'ai eu l'impression que cette idée te dégoûtait.
— Non, non... oh, je suis désolée, Kalen.
— Lily, tu m'as donné envie de construire un avenir, un futur où les termes selcyn et terrien n'existeront plus. Les couples feront un enfant, ou n'en feront pas, sans se poser la question des origines du père.
Malyan siffle entre ses dents avant de s'exclamer :
— Dire que ce sont les terriens qui sont censés être de grands sentimentaux.
— Malyan, râlé-je. Juste... ne te mêle pas de cette conversation.
— Comme tu voudras, continuez.
Je lève les yeux au ciel, exaspérée, avant de poser ma main sur le bras de mon compagnon.
— Mon chéri... excuse-moi. Je t'aime, sincèrement, passionnément. Je suis prête à risquer ma vie pour toi, tu le sais. Nos différences ne sont pas un problème. Cependant, ne nous voilons pas la face : ce n'était pas le cas il y a peu. Nous venons à peine de nous trouver, de nous accepter. Tout ça est si frais...
Kalen vient enrouler ses bras autour de moi. Je sens que ma réponse n'est pas celle qu'il attendait, mais il ne semble plus fâché.
— Tu veux quand même de moi ? demandé-je timidement.
— Bien sûr, Chaton. Tu es ma moitié.
— Je crois que nous devons rester concentrés sur notre mission.
— Sauver la Terre, soupire Kalen.
— Et nos deux peuples, si nous voulons un jour pouvoir envisager de n'en former qu'un seul.
Malyan applaudit et nous la fusillons du regard. Elle rit, amusée par notre synchronicité soudaine. La porte s'ouvre alors et Kalen me saisit le bras pour me placer derrière lui. L'homme de tout à l'heure passe sa tête et nous observe. Puis il pose un sac et marmonne :
— Des sous-vêtements propres pour vous, mademoiselle, ainsi que pour vos compagnons. Je vous suggère de vous changer au plus vite. Plus que quarante minutes avant le départ.
Puis il disparaît en refermant à clé.
Kalen se retourne pour me faire face. Il m'approche de lui et vient me mordiller le lobe. Je n'ose plus bouger, de peur de commettre un nouvel impair.
— Quel dommage que nous n'ayons pas plus d'intimité, me chuchote alors mon chéri à l'oreille. Je me suis bien renseigné sur les couples terriens, et j'ai lu que beaucoup se réconcilient sur l'oreiller. Je crois que ça signifie qu'ils font du sexe récréatif.
Oh mon Dieu ! Je contracte mon ventre pour retenir mon fou rire.
— Hum... oui, réponds-je en enroulant mes bras autour de son cou. Mais ils évitent de se produire devant public.
— Je peux fermer les yeux, nous propose Malyan non sans malice.
Les selcyns et leur ouïefine...