Dans l'inconfort du froid, le silence de la pièce et la présence muette de Cindy, Julien pleurait. Il pleurait toutes les larmes de son corps. Ses cris, bien qu'étouffés atteignirent le couloir désert de l'hôpital. Cette femme, il l'aimait vraiment. La preuve ; cette douleur atroce qu'il ressentait au plus profond de son âme. Il l'aimait vraiment beaucoup et s'en était rendu compte que maintenant. Lorsqu'elle n'était plus là. Lorsqu'il ne restait rien d'elle que ce silence poignant et cette expression sereine de mort.
Lorsqu'elle n'était rien de plus que du souvenir.
Julien pensa à leur première rencontre, leurs premiers mots, leur premier regard. Lui qui était marié depuis plusieurs années et aimait sa femme comme un dingue, avait fini par tomber sous le charme de cette jeune fille. L'amour c'est quelque chose d'étrange ! Un jour vous croyiez trouver la personne de votre vie, puis un bon matin vous remettez tout en question. Votre engagement, vos décisions, vos sacrifices, vos convictions. Et pourquoi ? À cause d'un inconnu, un regard complice qui s'attarde un peu trop, un nouveau sourire. Et votre cœur s'emballe, dès lors, rien ne sera plus comme avant.
Honnêtement, au début, il ne voulait pas abandonner Sofia et ses enfants, mais sans savoir comment, ce matin, il voulait fuir, partir loin, très loin avec sa nouvelle conquête. Loin de sa femme, de son passé, de leurs histoires. Tout ce qu'il voulait c'était ce nouveau grain de peau, ces nouvelles caresses...
Cindy!
En effet, l'amour c'est quelque chose d'étrange.
Comme venait de dire Solomon, à cause des dégâts physiques rien n'était possible. Cependant quelque chose avait attiré son attention. L'homme lui avait conseillé de ne pas chercher à savoir qui était derrière tout ça. Pourquoi ? Solomon le savait déjà, peut-être ?
***
Un mois plus tôt...
Dans une petite maison à Delmas.
- J'ai apporté ce que tu avais demandé.
Dans son sac à main, Cindy Saint-Cyr tira un débardeur blanc et le tendit à son interlocutrice.
- Ah un débardeur ? Il sent super bon ton mec.
Cindy ne répondit pas. Elles rentrèrent à l'intérieur dans un petit salon bien aéré.
- Tu as conscience que c'est dangereux ce que tu fais, là ?
- Céleste, arrête ton truc moralisateur.
Elle déposa le débardeur sur une table basse et s'assit sur une chaise à côté. Elle invita son amie à faire de même. Céleste et Cindy se sont connues au boulot, à l'époque, elles travaillaient à Martissant. Elles ont même vécu entant que colocataires pendant plusieurs années avant que Cindy ne fasse la rencontre de Julien.
- Ma chérie, tu sais que tu comptes beaucoup pour moi. Si tu aimes vraiment cet homme, il y a d'autres moyens de le garder. Les hommes ne sont pas si difficiles à garder. Ils aiment être en paix et...
- Pitié on peut sauter cette partie, on en a déjà parlé. J'ai tout essayé. Il est dingue fou de cette femme.
Céleste soupira, se mit debout et trifouilla dans ses affaires.
- Je sais ce que tu te dis. Mais en ce moment je progresse sérieusement et tout ça grâce à lui, je veux qu'il m'aime. Ce n'est pas sorcier, non.
Son amie préféra garder silence. Lorsqu'elle termina, elle prit le soin d'installer devant elle tout ce que la jeune fille avait acheté pour l'occasion.
Céleste attrapa le poulet noir que Cindy avait déposé hier après le boulot. Dans un bol en cuir, elle déposa le débardeur. Avec un couteau, elle écorcha vif la bête et laissa ses entrailles tomber dans le bol. En levant la tête, elle aperçut Cindy qui grimaça, un sourire se dessina sur son visage. Elle récita un psaume dans la bible puis une courte prière qu'elle fit répéter à Cindy à 7 reprises. Puis enterra le tout dans la cour en terre fine dernière sa maison.
Lorsqu'elle finit, elle conseilla à Cindy de renouveler cet accord.
- Après combien de temps ?
- À chaque fois qu'il semblera se réveiller, où qu'il deviendra étrange ou distant.
***
Très loin de Port-au-Prince, à plusieurs milliers de kilomètres de distance, dans l'oufo du houngan Geron, près du peristyle, une jeune femme se réjouissait d'avoir réussi son coup. Dans le verso d'un parchemin, où était inscrit le nom de la victime, quatre chiffres venaient de s'afficher. Le cœur de Sofia cognait fort dans sa poitrine. Elle venait là de mettre un terme définitif à cette relation qui était en train de briser le lien qui l'unissait à son mari depuis environ vingt ans et du même coup, avait gagné un quatre chiffres pour la loterie de cet après-midi. Comme prévu, Sofia allait ouvrir une petite boutique de bijoux et s'installer tranquillement quelque part avec ses trois enfants. Elle avait déjà des connaissances de l'autre côté de la frontière. Des gens qui lui vendraient certes en pesos, mais à bon marché.
Lorsqu'elle quitta l'oufo de Geron, il était presque une heure. Elle attrapa un taxi pour Kalvè. Dans une bank bòlèt, un type maigrichon au nez allongé, inscrivit sa mise et lui remit sa fiche. Elle devait agir en silence. Personne ne doit le savoir. À présent, elle était une meurtrière. C'était soit ça, soit elle perdait son mari à tout jamais. Assez souvent, on ne mesure pas l'ampleur de nos dires, une fois, pour témoigner son amour pour Julien, Sofia avait affirmé qu'elle était prête à tuer pour lui. Et voilà qu'aujourd'hui elle l'avait vraiment fait. La seule différence, c'est qu'elle n'avait pas tué pour lui, mais plutôt pour elle-même. Cette fille, Cindy n'était en aucun cas, un danger pour Julien, mais pour leur relation. Pour elle.
Sofia quitta la boite peu de temps après et visionna attentivement sa fiche. Avant la tombée de la nuit, elle sera riche. D'après son plan bien établi, durant les deux premiers mois, elle ferait profil bas, et ferait semblant d'investir dans une activité qui pourrait apporter de l'argent, pour ne pas attirer l'attention sur elle. On ne devient pas riche du matin au soir. Sauf si...
Et entant que professeur respecté, elle ferait mieux d'éviter la divulgation de fausses rumeurs, ou d'une information pouvant ternir son image auprès de ses élèves et de ses confrères.
***
- Pourquoi tu ne dis rien ?
Solomon marchait tranquillement dans le couloir de l'hôpital. Une cigarette non allumée à la bouche. Sous le regard désapprobateur d'une infirmière, il enfuit son zippo dans sa poche.
- Hè oh ! fit Marcel, Boba.
L'homme s'arrêta d'un trait.
- Comment tu viens de m'appeler, là ?
Prit de peur, l'infirmière s'excusa.
- Non, ce n'est pas toi, ma belle.
Trop tard, l'infirmière était partie en courant. Solomon se retourna, de dos, sa silhouette imposante était charmante et ses fesses rebondissaient avec élégance et harmonie. L'homme ne pu s'empêcher de secouer la tête.
- T'as vu ce que t'as fait ?
Marcel riposta.
- Oh mais, ce n'est pas ma faute si t'as cette mine affreuse.
Un regard noir vers Marcel.
- Je m'excuse, ce n'est pas ce que je voulais dire.
Ensemble, ils quittèrent l'établissement. Dehors, le soleil était haut dans le ciel et ses rayons chauds écrasaient le parking désert de l'hôpital. Solomon tapota sa poche pour chercher sa clé. Il en profita pour tirer son zippo et alluma son comme il faut. Lorsqu'il déverrouilla la portière de sa Dodge, il remarqua que Marcel s'était depuis longtemps installé sur le siège passager.
- Tu trouves ça drôle, fit-il remarquer.
- Quoi ? je n'avais pas besoin de ta permission pour pénétrer.
L'homme soupira grandement.
- Alors, cette personne, c'est qui ?
Solomon cracha deux spirales de fumée par les narines. L'habitacle fut envahi par une nuage blanchâtre.
- Tu acceptes d'abord et je te dis tout.
- Merde, soupira Marcel.
- Fais pas cette tête, on va s'amuser, je suis super puissant, et toi... t'es...
Il mit sa phrase en suspens.
- T'es là, voilà, comme... Gaspar, grimaça-t-il.
- Gasper.
- On s'en fout.
Un silence envahit l'habitacle. Les deux hommes regardèrent en face d'eux sans prononcer le moindre mot. C'est Solomon qui relança la conversation.
- Pourquoi m'as tu appelé Boba tout a l'heure, à l'hôpital.
- Huh ! J'en sais rien, c'est la Faucheuse qui m'a dit que tu t'appelais ainsi.
- Quelle faucheuse ? L'adolescente qui était avec toi ?
Marcel secoua la tête positivement.
- C'est elle qui t'a dit qu'elle était une faucheuse ?
- Mouais! Ce n'est pas le cas ?
- Non, mon vieux, elle c'est l'ombre.
- L'ombre ? L'ombre quoi ?
Solomon était surpris de voir que Marcel n'avait rien compris. Il l'expliqua.
- L'ombre de la mort, l'entité qui visite les victimes avant leurs morts. C'est cette même entité qui fait hurler les chiens à la mort.
D'un coup Marcel se sentait vaciller comme un objet volant. Pourquoi La faucheuse l'avait-elle menti ? Si ceci était un mensonge, alors il pourrait bien se tromper sur plein d'autres choses. Et voilà que soudainement, il sentit qu'il perdait en énergie.
- Qu'est-ce qui m'arrive ? demanda-t-il.
Solomon le fixait attentivement. Son énergie passait d'un bleu vif à un jaune pâle, et on eut dit qu'il scintillait. Une idée s'ébaucha dans sa tête.
- T'es en coma ?
- Oui, répondit Marcel fébrilement.
- Alors, t'es en train de mourir, ou bien...
Il laissa sa phrase en suspens.
- Ou bien quoi ?
- Ou bien... on est en train de te débrancher.
Merci d'avoir lu !
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