Cinq ans ont passés.
Cinq ans où j'ai pris de la maturité, et où je me suis entraînée dur chaque jour.
Anton était mon seul confident à l'époque. N'étant qu'une adolescente quand j'ai commencé a imaginé mon plan, je suis allé lui demandé conseil. J'avais besoin du support de quelqu'un de plus âgé. Madame Olga n'aurait sûrement pas été la personne que je recherchais. Je lui ai raconté ce que je voulais faire, mais étant à l'époque très jeune, je ne savais pas comment m'y prendre.
Anton m'a avoué qu'il connaissait un homme qui serait apte à répondre à ma demande, et qui pourrait me former comme une véritable Archère. A mes dix-huit ans, il m'a emmenée au fin fond de la Chaîne de Bronze pour le rencontrer.
Hiro Ota.
C'était le nom de ce mystérieux personnage. Ota vivait seul dans un dojo perdu dans les montagne. Il avait pour qualité d'avoir pu former les meilleurs archers de la Province. La rencontre fut très formelle. Hiro Ota était un homme petit, les cheveux longs et noirs remontés en chignon. Son visage ne laissait transparaître aucune émotion. Il m'a longuement laissée parler, sans une seule fois m'interrompre, exécutant des petits hochements de têtes répétés et énigmatiques à mesure que je lui racontais mon histoire. Je lui ai alors parlé de Nikolaï, de sa mort, de ma volonté d'intégrer la Formation de la Troisième Congrégation dans quatre ans, pour pouvoir plus facilement enquêter sur les lieux qu'il avait connu.
Ota, après m'avoir laissée mystérieusement raconter toute mon histoire, m'avait confirmé qu'il était en capacité de m'aider. Je lui alors demandé ce que je devais lui fournir en échange. N'ayant pas d'argent, je craignais ne pouvoir payer mon dû. Mais, Ota me répondit que je n'aurais rien à lui donner. Suspicieuse, je lui ai demandé pourquoi. Sa réponse fut courte et vague à la fois. Il m'a dit que mon profil l'intéressait et qu'il voulait faire une expérience. Il voulait voir s'il était réellement possible d'acquérir les facultés d'un Archer sans être né comme tel.
Cela me convenait. Je n'aurais donc pas de dette à lui rembourser, ce qui m'arrangeait fortement. Ota m'a alors fait signer un contrat. Il me logeait, me nourrissait et m'entraînait durement pendant quatre ans, et je postulais par la suite à la Formation de la Troisième Congrégation. Pour ma part, je devais aussi promettre de rester enfermée le temps de ses enseignements. Comme je serai amenée à changer d'identité, il fallait que je disparaisse le plus possible pour qu'Ana tombe dans l'oubli le plus total.
Ota me servait tout ce que je désirais sur un plateau d'argent. Je ne pouvais donc pas refuser de signer son accord. Je ne suis ensuite plus sortie de l'enceinte du domaine pendant quatre longues années, à m'entraîner sans relâche pour apprendre tous les réflexes et manières de combattre des Archers, pour ainsi devenir le prototype le plus fiable qu'il soit.
Aujourd'hui, j'ai vingt-deux ans. Je m'apprête à finaliser mes enseignements. Le travail de Ota a été qualitatif. J'ai beaucoup progressé et je suis désormais prête à postuler pour la Formation.
Comme tous les matins, je me suis levée aux aurores. L'hiver est rude quand on vit dans les montagnes de la Chaîne de Bronze. Il faut s'habiller chaudement. J'enfile alors un débardeur, un survêtement et un legging noir. Le domaine de Ota est constitué de petites maisonnettes indépendante les unes des autres. J'ai la mienne, Ota également, et dois marcher quelques minutes pour rejoindre le dojo d'entraînement.
Une fois arrivée, je m'introduis à l'intérieur, retire mes chaussures enneigées et peux enfin me réchauffer. Je commence alors à retirer mon pull, dorénavant en débardeur. La salle est chauffée, ce qui me permet de vêtir une tenue moins couvrante pour ne pas transpirer.
Alors que je me déshabille, j'ai l'étrange impression d'être observée. Le cœur battant à mille à l'heure, je me retourne subitement, avant d'apercevoir une silhouette humaine dans l'obscurité de la pièce.
En quatre ans, je n'avais personne d'autre ici qu'Ota. Cette présence étrangère ne me rassure alors pas du tout, puisqu'elle n'est pas censée s'y trouver. Je l'interpelle donc.
— Excusez-moi, ceci est un domaine privé. Personne n'est autorisé à entrer ! je lance alors, usant d'un ton formel et procédurier.
Je garde également une main sur mon arc, au cas où l'inconnu tenterait quelque chose.
L'homme qui avait le visage recouvert d'une capuche noir, fait un pas pour sortir de l'obscurité. Son visage m'est alors visible. C'est un jeune homme, légèrement plus âgé que moi, les cheveux blonds foncés ébouriffés qui lui tombent devant ses yeux noisettes, et vêtu d'une tenue sombre. Il porte à sa ceinture des sortes de Shurikens qui me font comprendre qu'il est très certainement un Archer.
— Oh, j'ai l'habitude qu'on me fasse exception, me répond le mystérieux inconnu.
Quelle audace.
Je fronce les sourcils, suspicieuse.
L'homme paraît très assurant, un peu trop même. Son regard appuyé ne se détache pas de mes yeux. Une aura étrange semble émaner de lui. D'habitude, les Archers ne sont pas très impressionnants. Mais celui-là l'est, de toute évidence, malgré qu'il soit tout de même plutôt jeune. Je plisse les yeux et poursuis, le dévisageant avec minutie.
— Tu es ?
— Un ami d'Ota.
Le jeune homme se dirige vers moi pour me serrer la main, sans avoir répondu à ma question. Je reste néanmoins sur mes gardes, ne le sentant pas du tout.
— Il ne m'avait pas mentionné qu'il attendait un ami. Je suis...
— Ana Yakov. Je sais déjà qui tu es, me coupe l'inconnu, alors que je m'apprêtais à me présenter.
Je lève un sourcil surprise.
— Tiens...Tu sembles visiblement en savoir plus sur moi que j'en sais sur toi, je rétorque.
Je lui serre enfin la main qu'il me tend.
Mais, soudain, ma vue se trouble. Des images que je ne contrôle pas bombardent frénétiquement mon esprit. Des images terribles. Des images de sang, du sang partout. Des images de la mort.
Je sursaute brusquement, lâchant sa main. Les visions s'interrompent alors.
— C'est souvent ce qu'on me dit, me répond-il en esquissant un sourire quasiment imperceptible.
Horrifiée par ce que je viens de voir, je fais un pas en arrière, ne pouvant répliquer pour poursuivre la conversation. Son attitude linéaire ne laisse à penser qu'il ne sait pas que je viens de voir ces choses-là.
J'ai eu qu'une seule fois des visions dans ma vie, c'était celle concernant la mort de Nikolaï. Je commence très sérieusement à penser que ce n'est pas un hasard si je vois ces choses là. Lui, ne semble pourtant pas l'avoir remarqué.
— Tu viens de rencontrer Ana, visiblement, lance Ota à l'étranger, en pénétrant à son tour dans le dojo.
Je lâche un soupire discret de soulagement, de n'être plus seule. Le mystérieux inconnu se retourne et adresse un regard au nouveau venu.
— Beau travail. Elle a visiblement tout d'une Archère, lance-t-il en me dévisageant de haut en bas.
Je n'aime pas son regard. J'ai l'impression qu'il m'analyse. Ce type me met très mal à l'aise. Les images que je viens d'avoir me confirment que ce n'est sûrement pas une bonne personne. Une énergie très noire semble l'entourer. Je ne peux l'expliquer, mais c'est ce que je perçois.
— Tu le connais ? Qui est-ce ? je demande froidement à Ota, avec suspicion, en fusillant l'inconnu du regard.
— Un élément essentiel de ton plan, me répondit-il, restant volontairement vague. Tu as ce que je t'ai demandé d'apporter ? lui demande-t-il alors, en se tournant vers lui.
Le jeune homme retire sa capuche, mettant son visage plus en évidence. Il n'est pas vilain. Son visage est symétrique, ses yeux noisettes sont plutôt beaux, renfermant une onde mystérieuse qui me pousse à les fixer davantage, et ses cheveux blonds décoiffés par sa capuche qui lui tombent légèrement vers le devant l'assombrissant davantage. Il porte des mitaines aux mains, qu'il ne retire pas, avant de fouiller dans sa sacoche. Il sort une pochette qu'il me tend.
Je lève un sourcil, méfiante.
— Qu'est-ce que c'est ? je lui demande.
— Tes nouveaux papiers d'identité.
Je saisis la pochette et récupère ma carte à l'intérieur.
Katherina Nedelko.
C'est moi qui avais choisi mon nom. Ana était le prénom que m'avais donné Madame Olga quand elle m'avait recueillie, et j'avais hérité de leur nom de famille. Ce choix de nom était donc important pour moi. Je voulais m'approprier pleinement ma nouvelle identité et oublier définitivement Ana Yakov.
Ma date de naissance a été aussi légèrement modifiée, ainsi que mon Ordre. Je ne suis plus Fée, mais bien Archère. Tout semble en ordre.
— Donc, tu fournis des faux-papiers. Charmant. Les gens pour qui tu bosses proposent d'autres service illégaux ? je lance avec provocation à l'inconnu.
Il hausse un sourcil et me transperce du regard, me faisant comprendre qu'il a bien perçu que je souhaitais le déstabiliser.
— Je ne travaille que pour moi-même, me répond-il tout en restant énigmatique.
Ota m'interpelle alors de nouveau.
— Ana, écoute-moi. Connaissant très bien comment fonctionne la formation qui mène aux Congrégations, il va t'accompagner tout au long de ton plan.
Je fais volte-face.
— QUOI ? Je te demande pardon ? On s'était mis d'accord ! Tu m'entraînes, mais je reste décisionnaire de tout ce qui porte sur mon plan ! je m'exclame alors, sentant l'indignation monter.
Ce n'était pas ce qui était prévu. Ce plan me convenait à la base parce que je restais la principale décisionnaire de mes actes. Je ne veux me fier à personne. Cette histoire ne concerne que moi. Alors, faire confiance à un inconnu, qui en me serrant la main a généré en moi une vision d'horreur, m'est impossible. Je suis quelqu'un de très prudente, et les derniers événements de ma vie ne me pousse pas à accorder aveuglément ma confiance.
L'étranger reste un peu à l'écart, les bras croisés sur sa poitrine, écoutant en silence la conversation.
— Ana, du calme. Je sais ce que je t'ai dis, et cela tient toujours. Cependant, il est dans ton intérêt d'accepter son aide, me répond Ota.
Je secoue la tête, restant sur la défensive et sur mes gardes.
— Désolée, mais je ne lui fais pas confiance. J'ai mis en place un plan pour agir seule. Je n'ai besoin de personne, je rétorque froidement.
Le jeune homme range alors ses affaires et accroche sa sacoche à son épaule, s'apprêtant à s'en aller. Puis il vient se planter devant moi, un peu trop proche à mon goût.
— Très bien, petite fée, c'est ton choix. Mais, tu es jeune et inexpérimentée. Bien qu'entraînée, je laisse aux Formateurs au maximum deux semaines avant de te démasquer.
Je garde mes yeux plantés dans les siens pour continuer de le défier.
— Ne sois pas si sûr de toi.
Le type esquisse un sourire mystérieux en coin, comme s'il s'amusait presque de la situation. Il tourne les talons et jette un dernier regard à Ota qui lui tend un sac de billet.
Il compte son argent puis le range dans sa sacoche, faisant signe à son interlocuteur que le compte est bon.
— Tu sais comment me contacter si tu as besoin de moi, lance-t-il à Ota avant de dissimuler à nouveau son visage derrière avec sa capuche et de tourner les talons, pour se rapprocher de la porte de sortie.
Je suis subitement assaillie par un flot de questions. Ce type n'est pas net, c'est une évidence, et me vient l'envie insatiable de découvrir qui il est.
— Attends. Tu ne m'as pas dit ton nom, je l'interpelle alors.
Le type se retourne une dernière fois vers moi, m'accordant un regard très étrange qui me fait instantanément frissonner.
— Tu ne le l'as pas demandé, me répond-il avant de passer le pas de la porte et disparaître dans l'obscurité de la nuit.