Un silence lourd, pesant comme du plomb s'est installé à l’intérieur du bureau.
Je ne sais plus où me mettre.
La colère de Monsieur Monêtre semble flotter dans la pièce.
Guillaume me lance quelques regards, mais je n’ose pas le regarder.
La tête baissée, j’appréhende.
Que vais-je dire ?
« Elle ment » ?
Que vais-je faire ?
Pleurer ?
Que va-t-elle dire ?
« Je n’ai jamais dit ça » ?
Que va-t-elle faire ?
Hurler ?
Le silence est, enfin, interrompu par des pas qui résonnent dans le couloir.
Est-ce Milla ?
Sans doute.
J’ose enfin relever ma tête.
Je regarde Guillaume.
- Ne t’inquiète pas, ça va bien se passer. Me chuchote-t-il.
Je lui réponds, tant bien que mal, avec un sourire.
En effet, je n’y crois pas trop. Comment cela pourrait-il bien se passer ? Notre parole va être remise en doute. Ma parole. Je vais devoir m’expliquer encore et encore. Sans relâche. Et même si je ressors vainqueur de cette entrevue, mes supérieurs et mes collègues auront toujours des doutes sur moi, à cause d’elle.
Donc non. Ça ne va pas bien se passer. Ça ne se passera plus jamais « bien ».
J’entends la poignée se tourner, la porte s’ouvrir, les semelles de chaussures claquer sur le sol du bureau.
Je décide de ne pas me retourner.
- Mademoiselle Ferri. Lance le directeur en guise de salutation.
- Monsieur Monêtre ? Répond Milla de façon interrogative.
- Prenez place. Lui dit-il en lui montrant la nouvelle chaise installée par la secrétaire.
Millabs’exécute. Elle s’assoit.
- Vos collègues m’ont signalé certaines paroles que vous auriez prononcées à l’égard de Mademoiselle Hache.
Elle ne répond pas.
- Est-ce que vous avez besoin que je les répète ?
- Non. Répond-elle enfin.
- Non ? Répète le directeur.
- Oui, et je les maintiens. Ajoute-t-elle.
- Je vous demande pardon ? Hallucine le directeur.
- Oui, je maintiens mes propos. Je suis persuadée qu’elle a couché avec le détenu Alberti.
- Avez-vous des preuves ?
- Non.
- Alors, sur quoi basez-vous vos propos Mademoiselle Ferri ? S'impatiente Monsieur Monêtre.
- Je le sais, c’est tout. Je le sens. Lance la rouquine.
Je pouffe.
Je n’ai pas pu m’en empêcher.
Est-ce qu’elle est sérieuse ?
- Quoi ? Tu vas le nier, Sarah ? Me confronte-t-elle.
- Évidemment. C’est faux. Répondis-je froidement.
Je ne ris plus.
- MENTEUSE ! Hurle-t-elle en se levant.
Je me lève à mon tour.
- Mais je le jure ! Je n’ai jamais couché avec lui ! Comment peux-tu dire ça ?! Je n’en reviens pas ! C’est tellement grave Milla ! Te rends-tu compte ?! Criai-je à mon tour.
- Calmez-vous ! Gueule le directeur.
- Je répète ma question mademoiselle Ferri : sur quoi vous basez vous ? Continue plus calmement le directeur.
Milla s’assoit à nouveau.
- Je, euh, je, elle l’a appelé par son prénom une fois. Bégaye-t-elle.
- Comme tous les autres. Me défendais-je.
- Elle s’est aussi maquillée aujourd’hui ! Dit-elle avec un peu plus d’assurance.
- Je fête la fin de ma période d’essai ce soir.
Elle m’exaspère.
Elle est ridicule.
Elle continue. Elle continue à donner de faux arguments. Encore et encore.
Arguments que je contre. Un. Par. Un.
Elle crie, elle hurle, elle pleure sans arrêt. C’est une comédie sans fin.
Nous n’en pouvons plus.
Combien de temps s’est écoulé ?
Une demi-heure ? Une heure ?
Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Je ressens plus d’anxiété, ni de colère. Simplement de l’ennui.
Elle m’ennuie.
Je m’endors peu à peu.
- ARRÊTE DE MENTIR ! Me hurle-t-elle dessus telle une folle.
Son hurlement m’a réveillé. Mais je ne réponds pas.
Pourquoi répondre encore et encore ?
Hystérique face à mon silence, elle prend un stylo, sur le bureau du directeur et me l’enfonce profondément dans mon avant-bras.
C’est à mon tour de hurler.
Je hurle. Je hurle de douleur.
Du sang. Du sang s’écoule de ma plaie.
Des larmes. Des larmes brouillent ma vue.
Je ne vois plus rien, je n’entends plus rien. Je ressens simplement cette vive douleur.
Je crois que dans une dernière tentative, elle essaie de me porter un dernier coup, mais Guillaume l’en empêche.
Mais encore une fois, je ne vois plus rien, je n’entends plus rien. Je ressens simplement cette immense douleur.
Tout ce qui est autour de moi semble abstrait. Je suis sous le choc. C’est comme si j’étais à l’intérieur d’un énorme bourdonnement.
Pourquoi a-t-elle fait ça ?
Pourquoi cela l’énerve-t-elle autant ?
Est-elle jalouse ?
Des questions pleuvent dans mon esprit.
Quelques instants plus tard, je sors de ce bourdonnement.
Je me rends compte qu'elle se débat avec deux gardes.
Elle hurle toujours, encore et encore.
C’est inaudible, incompréhensible.
Que dit-elle ?
Je ne sais pas.
Mais je crois avoir deviné pourquoi elle se retrouve dans une telle hystérie.
Elle n’est pas curieuse. Elle n'est pas folle.
Elle est amoureuse. Et triste.
Je décide enfin de me lever. Le directeur et Guillaume sont derrière moi. Ils me parlent. Mais je n’écoute pas.
Je ne pense qu’à une chose. À une question.
- Milla ? Dis-je calmement.
Elle se tait. Je m’aperçois que des larmes coulent sur ses joues.
Je prends mon courage à deux mains.
- Tu as couché avec lui ? Demandais-je brutalement.
- Pourquoi ? T’es jalouse ?