C'était surprenant, comme nouvelle ! Je ne m'attendais pas à ça, mais repris aussitôt contenance, et me tournai vers Luzraël.
- Maintenant, tu ne diras plus de menaces de mort, au moins.
Il esquissa un sourire imperceptible.
- Oh, si, Éthéas. Car le jour où je parviendrai enfin à te tuer, tu ne verras rien venir.
Cette menace aurait dû m'effrayer. Cependant, je n'en avais rien à faire. Pourquoi ? Eh bien...je ne le savais pas moi-même. Toujours était-il que sa réplique nulle m'indifférait.
Je croisai les bras.
- Très bien. Et si on passait aux choses sérieuses ?
Je vis passer une lueur d'incrédulité dans les yeux noirs de Luzraël.
- Tu n'as pas peur de moi ?
Je haussai négligemment les épaules.
- Parce que c'est le cas des gens que tu rencontres, d'habitude ?
- Oh oui. Personne ne veut se trouver devant moi. Les gens m'évitent, en général.
- J'aurais bien aimé t'éviter, répondis-je sèchement, mais pas pour les mêmes raisons. C'est toi qui t'es ramené. On n'avait vraiment pas besoin de toi. Et je n'ai pas peur de toi, Lulu. Retiens bien ça dans ta petite cervelle...
- Pour l'instant.
- Prépare-toi à ce que je n'ai jamais peur de toi, Lulu.
- Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.
Je pris une mine attristée.
- Ohhh... Eh bien, Lulu, je resterai un imbécile.
Il leva les yeux au ciel.
- Aurais-tu la maturité d'arrêter de m'appeler comme ça ?
Je fis mine de réfléchir, un doigt posé sur mon menton. Puis je me frappai le front de la paume de main.
- Je ne possède pas assez d'intelligence pour répondre à ta question, je suis vraiment désolé. C'est dommage, je vais devoir continuer à t'appeler Lulu... Ton prénom est trop long pour moi, qui ne suis, je te le rappelle, qu'un pauvre imbécile.
Je désignai Rosessa et terminai sèchement.
- Maintenant, aurais-tu l'obligeance de la réveiller ?
- Non.
- Je te demande pardon ?
- Pas tout de suite.
- Pourquoi ?
Il esquissa un sourire carnassier. Puis il s'adossa à un tronc d'arbre et croisa les bras.
- J'aime jouer avec toi.
Je lui tendis une main.
- Tu la réveilles, et j'arrête de t'appeler Lulu.
- C'est nul, comme marché.
- Propose-moi autre chose.
Les yeux noirs de Luzraël flamboyèrent.
- Admets que tu n'es pas le véritable Élu, Éthéas.
- Seul le temps en sera juge, répliquai-je.
- Alors je ne la réveille pas. Tant pis.
Je me mis à faire les cent pas devant lui.
- En fait, Lulu, tu n'as pas le choix de la réveiller ou non. Elle est la seconde Élue de la Prophétie. Vous avez besoin l'un de l'autre pour trouver la Prophétie, l'entendre dans son intégralité. Donc soit tu la réveilles immédiatement, soit tu n'atteins jamais ton but ultime. C'est aussi simple que ça, Lulu.
Son sourire s'élargit, tout le contraire de ce que j'avais espéré. Et oui, son sourire était toujours aussi glacial qu'un iceberg. Je frissonnai.
- Tu crois que je n'y ai pas déjà pensé, peut-être ? Je suis beaucoup plus intelligent que toi, Éthéas.
- Ça va, les chevilles ? marmonnai-je.
Il ne m'entendit pas, ou fit mine de ne pas m'entendre et poursuivit :
- Je peux réveiller Rose dans, disons...quelques semaines. Et m'amuser avec toi pendant ce temps-là.
- Et ta Destinée ? Tu en fais quoi ?
- Je l'accomplirai plus tard.
- C'est du bluff, Lulu. Tu es obligé d'aller au bout, maintenant.
- Ah oui ? Et qu'est-ce qui m'empêche de faire ce que je veux ?
- La Prophétie. Tu dois accomplir ce pour quoi tu es né, si tu es bel et bien l'Élu.
- Oh mais, sois certain que j'accomplirai ma "Destinée", se moqua-t-il. Seulement, elle peut encore attendre quelques semaines.
- Si tu as fait les rêves, tu sais que c'est urgent.
Il me scruta de son regard vide.
- Effectivement.
Un silence plana entre nous. Je savais qu'il réfléchissait, qu'il passait chaque option en revue dans sa petite tête.
- Très bien, céda-t-il. Comme je suis très généreux, je réveillerai ta Rose.
- Ton ton condescendant, tu peux te le garder, marmonnai-je.
Il me lança un regard si glacial que je devinai qu'il m'avait entendu cette fois-ci.
- Seulement... Il se pourrait que vos petites retrouvailles ne se passent pas comme prévu.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Veux-tu que je la réveille, oui ou non ?
- Oui !
- Alors tais-toi !
- Non, le coupai-je, lors qu'il levait les mains en direction de Rosessa. Qu'est-ce que tu entends par "ne se passant pas comme prévu" ? Qu'est-ce que tu manigances ?
- Je pose mes conditions. Un marché doit aller dans les deux sens, Éthéas.
- Parle-moi en avant ! exigeai-je.
Il ricana.
- Certainement pas. Je t'ai dit que je voulais m'amuser avec toi, Éthéas, pendant les semaines à venir, que tu vas passer avec nous. Alors j'ai trouver le moyen parfait de m'amuser avec toi, même si Rose est réveillée !
Je ne le sentais pas, mais alors pas du tout...
Luzraël leva à nouveau les mains, paumes tournées vers le ciel, le regard figé sur le corps immobile de Rosessa.
- Prépare-toi à souffrir, Éthéas.
Et comme dans un écho, la forêt entière répéta ses mots :
Prépare-toi à souffrir, Éthéas.
A souffrir, Éthéas.
Souffrir...