Elisabeth
Il est hors de question de la laisser ruiner mon club de quelque façon que ce soit.
Deux heures de route se sont écoulées durant lesquelles je n'ai fait que prier les dieux de tenir la bouche d'Angelina fermée.
Elle n'a rien à faire dans un rassemblement de bikers mais au vu de sa tenue, je suis sûre qu'elle a essayé de se faire passer pour une brebis pour passer inaperçue.
Anna me suit dans sa voiture et je dois dire qu'elle a l'air tout aussi, voire plus, impatiente d'arriver à la réunion. Elle n'arrête pas de mettre des coups d'accélérateur sur les routes pratiquement vides.
Lorsque nous approchons du lieu qui accueille tous les bikers du pays, je sens l'adrénaline couler à flot dans mes veines. Je sais que je ne voulais pas initialement venir, mais maintenant que j'approche du portail gardé par cinq bikers, l'excitation me fait sourire.
Je suis contente d'être ici même si ma venue n'est pas des plus joyeuses.
L'un des bikers nous arrête en levant la main. Je pose les pieds au sol et relève ma visière lorsqu'il s'approche de moi.
— C'est une réunion privée, beauté. Tu ne peux pas rentrer.
Je n'ai pas mis de cuir. Je suis partie dans la précipitation et dans la panique du moment, je n'ai pas pris le temps d'enfiler mon cuir.
— Je suis Elisabeth Jones-Cole et derrière, c'est Anastasia Patterson.
Il lâche un rire et se tourne vers ses autres frères.
-— On veut une preuve, demanda un autre biker.
-— Hors de question.
Je pourrais sortir ma carte d'identité et leur prouver qui je suis, mais ce serait un signe de faiblesse et un énorme manque de respect envers moi.
Je ne cherche pas à comprendre comment ces hommes des cavernes fonctionnent, je fais simplement comme eux.
-— Va voir la femme derrière, ordonna le premier à un autre biker.
Je fais signe à Anna de fermer ses portières et lorsque j'entends le clic m'indiquant qu'elle l'a fait, je suis plus rassurée.
-— Je ne sais pas à quoi tu joues, mais tu risques de le regretter, reprend le premier qui m'a interpellée.
Je retire mon casque et soupire longuement.
— Je suis Elisabeth Jones-Cole. Je viens à cette réunion tous les ans, pas vous. Vu vos gueules, c'est votre première édition.
Ils se regardent entre eux et je souris.
-— Vos cuirs sont lisses et brillants, rien à voir avec les anciens. Je dirais que vous avez eu vos couleurs il y a quelques semaines, mais vous n'êtes pas encore assez respectés pour rentrer et faire la fête avec les autres, alors vous vous rabattez sur le passage.
Je pose mes mains sur mon casque et les regarde un à un. Ils viennent de cinq clubs différents. Tous des alliés des Devil's Disciples.
Plus personne ne parle.
-— C'est ce que je pensais. Alors je vais passer et vous n'aurez pas de problèmes.
Je redémarre mon moteur et m'avance doucement quand soudainement l'un d'entre eux sort son arme et la pointe sur ma tempe, m'arrêtant.
-— Bouge encore une fois et je te descends, menaça-t-il.
Je souris lorsque j'aperçois au loin mon oncle Dean. Je lève la main et il fronce les sourcils.
— Je vous ai proposé de ne pas avoir de problèmes, mais apparemment être gentil ne sert plus à rien.
— Hé ! s'exclama-t-il, faisant sursauter tout le monde.
Soudainement, venue de nulle part, un coup de feu retentit, me faisant sursauter cette fois-ci. La seconde qui suit, un hurlement s'élève, venant du biker qui me menaçait. Son arme tombe au sol alors que je tourne la tête vers la personne qui venait de tirer.
— Le prochain qui lève son arme sur ma cousine peut déjà commencer à creuser sa tombe.
Junior arrive en rangeant son arme derrière lui. Il ne lève pas une seule fois les yeux vers moi, menaçant plutôt chaque biker. Celui resté au sol commence déjà à pisser le sang alors que Junior continue de fusiller du regard ceux qui ne nous ont pas laissé passer.
Mon oncle Dean arrive à ce moment-là en trottinant.
— Je t'avais demandé de ne tirer sur personne !
— Il l'a cherché. Personne ne barre le passage à une disciple du diable... enfin. Si c'est toujours ce que tu es.
Pour la première fois, Junior pose le regard sur moi et je sens tout mon être se paralyser.
— Tu remets en question ma place au club ? demandé-je froidement.
Je n'obtiens aucune réponse de sa part. Je n'ai droit qu'à un regard noir.
— À toi de me le dire.
Si je n'avais pas un minimum de compassion pour lui et surtout après ce que je lui ai annoncé hier soir, je lui aurais roulé sur le pied sans aucune pitié.
— Personne ne pourra me retirer mon nom, Jones. Pas même toi.
Je détourne le regard et au moment où le portail s'ouvre, je redémarre en trombe.
Je peux comprendre qu'il soit énervé, frustré et même blessé par ce qu'il a appris, mais je ne me laisserai pas marcher sur les pieds. Je me gare rapidement et rejoins Anna devant sa voiture. Lorsqu'elle en descend, elle me demande si je vais bien. J'acquiesce alors qu'elle referme la portière. Je peux d'ores et déjà sentir les regards se poser sur nous. Anna me tire vers l'arrière de la voiture et ouvre le coffre. Je fais un mouvement de surprise lorsque je découvre, sur la planche arrière, mes deux cuirs.
À droite, celui des Devil's Disciples, à gauche, celui des Black Angels.
— Je savais que tu allais oublier d'en prendre un et comme je ne veux pas faire de choix à ta place, j'ai pris les deux.
Je n'ai jamais voulu choisir entre les deux clubs, ni entre les deux cuirs, mais maintenant je suis prise au dépourvu. Il me faut porter un cuir.
Mais lequel choisir ?
Peut-être que je pourrais ne pas en porter.
Je suis interrompue dans ma réflexion par des sifflements venant de derrière moi. Je me tourne pour tomber sur une bande de bikers venant du club des Riders Of Hell.
— Viens par-là, bébé ! s'exclama l'un d'eux en me reluquant sans aucune gêne.
D'accord, il me faut un cuir.
— Va demander à son père. Je suis sûre qu'il sera très content de ta demande, retentit une voix derrière eux.
— Jones-Cole ? demanda son ami.
Leur regard revient vers moi et j'adore voir leurs espoirs s'effondrer et la peur prendre place dans leurs yeux quand ils comprennent qui je suis. Pénélope les bouscule et s'approche de nous. Sans perdre de temps, les bikers s'en vont sans un second regard dans notre direction.
— Je pensais que tu n'allais pas venir, demanda-t-elle avant de regarder Anna.
— J'ai changé d'avis, dis-je simplement.
Sentant sûrement la tension présente entre nous, Anna prend les devants et se présente.
— Bonjour, je suis Anna P...
— Anna Patterson, vous êtes la mère de Damon, termine froidement Pénélope.
Je la pince discrètement pour la réprimander. À une époque, elle aurait sursauté pour se dégager mais à la place, elle ne fait que se pousser pour éviter mon attaque.
— Je vois que vous me connaissez déjà, sourit Anna.
Elle hoche la tête puis se tourne vers moi.
— Tu devrais venir parce que ça devient tendu entre les deux clubs.
Je me redresse complètement, alerte à présent.
— Quoi ? s'exclama Anna.
Pénélope commence déjà à repartir, Anna sur ses talons, alors que je me tourne pour jeter un dernier coup d'œil aux cuirs. Je décide d'écouter mon cœur et prends mon cuir. Je referme le coffre et enfile mon cuir tout en suivant les deux femmes. Nous traversons plusieurs stands qui représentent les différents clubs présents pour arriver vers la tente collective.
Plusieurs clubs sont réunis et discutent, même si la tension entre les Black Angels et les Devil's Disciples reste l'animation principale. Anna ne perd pas de temps et se dirige vers son fils qui écarquille les yeux en reconnaissant sa mère. Mon club relève un à un les yeux vers moi. Ma mère est la première à venir vers moi et m'enlacer.
— Je pensais que tu n'allais pas venir.
Je hausse les épaules.
— Je me suis dit que l'ambiance devait être à mourir sans moi.
Elle me sourit tendrement.
— Beth !
Contre toute attente, Adalynn s'approche de nous en souriant. Qu'est-ce qu'elle fait là ? Je pensais qu'elle ne devait pas venir non plus. J'enlace ma grande sœur chaleureusement.
— Tu es venue.
— Toi aussi !
Mon père est le prochain à m'accueillir à son tour.
— Je suis content que tu sois là, mon ange, dit-il en embrassant mon front.
Le sourire de mon père s'évanouit lorsqu'il baisse le regard vers mon cuir. Ce n'est pas celui qu'il m'a offert lorsque j'avais à peine l'âge de prononcer un seul mot. Les patches sur le côté gauche du cuir en sont la preuve.
« Black Angels » ainsi que « Devil's Disciples Princess » sont brodés.
À cet instant, dans le regard de mes parents, j'y perçois une nouvelle fois de la déception. Cette même expression qu'ils affichaient lorsqu'ils m'ont reniée.
Je dois assumer.
Je refuse d'avoir peur de la réaction de ma famille plus longtemps.
— Elle n'a pas fait ça, murmura une brebis derrière moi.
Je ne prends même pas la peine de me tourner.
— Poupée.
Je relève les yeux vers Damon qui m'appelle. Je peux sentir la tension suffocante présente entre les deux clubs.
— Salut, dis-je en souriant.
Je m'avance vers lui lentement. Je peux sentir les regards oppressants des bikers, les jugements dans les yeux des brebis. Je peux entendre les chuchotements des personnes qui m'entourent, mais à cet instant, il n'y a que les yeux de jais de Damon qui importent. À la seconde où nos mains se touchent, j'ai l'impression de reprendre vie. Tout le brouhaha disparaît pour laisser place aux rythmes des battements de mon cœur effréné.
— Merci, murmura-t-il contre mon oreille avant de l'embrasser.
Je me tourne dans ses bras vers ma famille, les Devil's Disciples. Certains sont stupéfaits par mon audace, d'autres lèvent leur bière dans ma direction. Il n'y a que ma sœur Adalynn et ma cousine Ellie qui me sourient à pleines dents.
Damon se rassoit sur sa chaise et m'attire sur ses cuisses.
Les Black Angels m'offrent un accueil chaleureux. Ils sont aussi ma famille. Je ne les laisserai pas tomber, toutefois en apercevant le silence de mort autour de la table des Devil's Disciples, je me sens mal à l'aise.
Je n'ai pas envie que cette tension entre les clubs dure plus longtemps.
Alors que les discussions reprennent et que Damon entame la discussion avec moi, je suis surprise de voir Adalynn et Penelope s'avancer vers nous.
— On peut se joindre à vous ?
— Tout dépend, répondit Zely. Tu vas nous trancher la gorge quand on aura le dos tourné ?
Adalynn sourit grandement alors que ma sœur jumelle la fusille du regard.
— Je n'attendrais pas que tu aies le dos tourné si c'est ce qui te préoccupe, répliqua Adalynn en tirant une chaise.
Avoir mes sœurs avec moi me permet de soupirer un coup.
— Qui l'aurait cru ? Les sœurs Jones-Cole avec nous, rit Rusty.
Damon lui jeta un regard noir. Le pauvre Rusty est déjà éméché. Les bikers autour continuent de chuchoter en nous jetant des regards.
— Arrête ça, chuchota Penelope à mes côtés. Arrête de te soucier de ce qu'ils peuvent bien penser.
— Plus facile à dire qu'à faire, répliqué-je en soupirant.
— Assume jusqu'au bout ta décision.
Elle a raison. Je ne regrette pas d'avoir choisi le cuir des Black Angels. Je suis seulement attristée que ma famille ne l'accepte pas pleinement.
— J'en ai assez, Rider ! s'exclama soudainement ma mère.
Toutes les têtes se tournent vers elle alors qu'elle s'éloigne de mon père qui tente de la retenir. Pendant un court instant, j'échange un regard avec mon père. C'est à ce moment-là que je le remarque.
Ses yeux cernés, son visage fatigué, sa barbe mal rasée.
— Qu'est-ce qu'il lui arrive à la Patronne ? demanda Zely sur un ton ironique.
— La ferme, Zely, répliqua Mady en fourrant une cuisse de poulet dans sa bouche pour la faire taire.
Adalynn est la première à se lever. Penelope n'est pas loin derrière. Je les suis après avoir embrassé Damon.
— Pourquoi est-elle dans cet état ? demandé-je en rejoignant mes sœurs.
— Ça fait une semaine qu'elle est comme ça. Elle s'inquiète à longueur de journée, elle se dispute avec papa sans arrêt et...
Adalynn ne termine pas sa phrase.
— Et elle s'inquiète à en vomir pour toi, termina Penelope.
Je les arrête toutes les deux.
— Vomir ?
Adalynn soupire longuement et reprend :
— Maman se rend malade à cause du stress. Si ça continue comme ça, elle risque réellement de perdre son bébé.
Réellement ?
J'interroge ma sœur du regard.
— Dis-lui, qu'on en finisse, répliqua Penelope.
— Me dire quoi ?
Adalynn hésite encore.
— Adalynn !
— D'accord, d'accord ! renonça-t-elle. Maman a fait un début de fausse couche la semaine dernière.
À cet instant, j'ai l'impression que le ciel me tombe sur la tête.
— À cause de moi ?
Aucune des deux ne me répond. Bien sûr que c'est à cause de moi.
— Pourquoi vous ne m'avez rien dit ?
Elles se regardent pendant un instant sans me répondre.
— C'est autant ma mère que la vôtre. Vous n'avez aucun droit que je n'ai pas !
Je les bouscule et je me mets à la recherche de ma mère. Il y a des bikers partout qui se bousculent, boivent, rient à gorge déployée ou même certains qui sont déjà HS, à même le sol.
Je passe de longues minutes à la chercher jusqu'à finalement la retrouver à l'écart de tout ce monde. Une de ses mains est posée contre l'arbre, sa tête penchée en avant comme si elle combattait une nausée. Je me précipite pour la rejoindre quand soudainement je me fige en apercevant Angelina poser sa main sur l'épaule de ma mère.
Elle sursaute avant de soupirer en reconnaissant sa salariée.
Angelina fait mine d'être inquiète pour ma mère quand son regard croise le mien. À ce moment-là, elle me sourit.
Je vais lui arracher la tête.
Elle se penche de nouveau vers ma mère et lui dit quelque chose.
Je le vois de loin. Le visage de ma mère se décompose à vue d'œil. Elle devient pâle et je sens qu'elle ne tiendra plus très longtemps sur ses jambes.
Sans perdre une seconde de plus, je cours vers elles. J'ai à peine le temps de la retenir lorsque ses jambes se dérobent sous son poids.
— Maman !
Elle relève les yeux vers moi et je remarque qu'ils sont larmoyants, menaçant de laisser échapper un torrent de larmes.
— Tu as un cancer ? demanda-t-elle d'une voix blanche.
Je ne sais pas quoi répondre à cet instant.
— Rebecca ! entendis-je derrière moi.
Mon père et quelques membres de mon club s'approchent de nous.
Je relève les yeux vers Angelina. Ses mains sont posées sur sa bouche, feignant une expression inquiète mais lorsqu'elle croise mon regard, elle me gratifie une nouvelle fois de son sourire mesquin.
Mon père arrive à cet instant à nos côtés. Il s'accroupit près de ma mère et s'assure qu'elle n'a rien en lui posant des centaines de questions à la minute. De mon côté, je ne quitte pas celle qui vient de peut-être détruire ma mère.
— Dis-moi que c'est faux ! explosa Rebecca en se redressant.
Je détourne le regard pour la regarder. J'ai l'impression qu'elle va faire une attaque.
— Maman, calme-toi, lui demanda Adalynn en prenant son pouls.
— Dis-le, Elisabeth ! hurla-t-elle en me prenant par les épaules.
Je ne réponds toujours rien, comme si ma mâchoire était bloquée.
— Eli !
Damon s'approche. Je n'ai pas la force de me tourner pour affronter son regard, même si à cet instant la seule chose dont j'ai envie, c'est qu'il me prenne dans ses bras et qu'il m'emmène loin d'ici.
— Regarde-moi et dis-moi qu'elle ment pour que je lui arrache le cœur, demanda Rebecca suppliante.
Les larmes coulent déjà sur ses joues, le regard fou. Ses mains sont posées à présent sur mes épaules et sa poigne est dur, me faisant presque mal. Je secoue la tête pour lui intimer qu'elle ne lui a pas menti. Elle me relâche, continuant à me regarder.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda mon père.
Je relève les yeux vers Penelope derrière notre père. Je la supplie du regard. Je supplie aussi les dieux qu'il reste ne serait-ce qu'une once de connexion entre nous pour qu'elle comprenne le message.
Elle hoche la tête avant de le dire à ma place :
— Elisabeth a un cancer.