Je peinai à m'endormir. Non pas que je ne sois pas fatigué mais...des questions me trottaient dans la tête. Comment Rose connaissait-elle Trù ? Ils avaient l'air de bien se connaître, ce qui me paraissait bizarre. Comment pouvait-elle connaître aussi bien ce monde ? Elle m'avait confié certaines choses mais toute son histoire restait assez vague. J'aurais aimé qu'elle me fasse plus confiance. J'aurais aimé savoir. Qu'allions-nous faire, maintenant ? A priori, nous diriger vers les lieux que j'avais listé avec l'aide de Rose, mais ensuite ? Il nous fallait simplement trouver cette fichue Prophétie ! Quand pourrai-je enfin rentrer chez moi ? Quand pourrai-je voir mes parents ? Quand...
La pièce devint plus sombre. Mes paupières papillonnèrent puis se fermèrent.
Je me vis du dessus. J'étais dans la même pièce que celle où je m'étais endormie. J'étais lové contre les pierres de la caverne, gelé jusqu'aux os. Un peu plus loin étaient allongés Rose et Trù, l'une roulée en boule contre l'autre. Le dos de Trù se levait et s'abaissait au rythme de sa respiration. Ils s'étaient endormis rapidement après le coucher du soleil. Je me vis dormir. C'était bizarre. Puis je compris que j'étais en train de rêver. Mais quel drôle de rêve !
Puis j'aperçus un vieil homme, à quelques mètres de moi. Il me scrutait depuis le début. Il s'avança vers moi.
- Éthéas..., souffla-t-il.
Je penchai la tête sur le côté, intrigué. Je n'avais pas peur, car cet homme n'avait pas l'air dangereux. Le fait qu'il connaissait mon nom ne me surprit pas plus que ça. Nous étions dans un monde magique et qui plus était, dans un rêve !
- Bonjour ! le saluai-je poliment.
J'attendis qu'il arrive jusqu'à moi. Son regard était triste, comme hanté par une mauvaise image du passé.
- Qui êtes-vous ? demandai-je.
- Je suis un homme, Éthéas.
- Simplement un homme ? ripostai-je, peu convaincu.
Il rit.
- Asseyons-nous, tu veux ?
J'hésitai, puis finis par m'assoir face à lui, en tailleur.
- Sais-tu qui tu es ? demanda-t-il.
Je fronçai les sourcils. Comment ça ?
- Je...
Puis je me rendis compte que je ne savais pas qui j'étais. Et ce constat fut particulièrement douloureux.
- Je ne sais pas.
- Et pourquoi ne le sais-tu pas ?
Je jetai un coup d'œil à Rose, qui était toujours endormie.
- Rose ne veut rien me dire. Elle m'a seulement appris que j'allais mourir, consumé par ma magie.
Le vieil homme sourit.
- Et si tu arrêtais de la tenir pour responsable de tout, mon garçon ?
J'ouvris grand la bouche, outré par ses paroles.
- Mais je...
L'homme leva une main, et je me tus.
- Je vais répondre à ta question, Éthéas. Je suis un sage. Je veille sur vous, et je continuerai à le faire jusqu'à ce que vous ayez accompli votre mission.
- Alors vous savez tout ! m'écriai-je. Vous savez où nous devons aller, ce qu'est notre mission !
Il grimaça.
- Ce n'est pas aussi simple, mon garçon. Sinon, ne crois-tu pas que j'aurais trouvé le moyen de vous informer de votre mission plus tôt ?
Je me sentis si idiot que je ne dis plus un mot. La honte me brûla les joues. L'homme me regarda attentivement puis soupira doucement.
- Et si tu arrêtais d'être aussi arrogant et sûr de toi, Éthéas ?
Je fus bouche-bée, mais ne dis rien. J'avais déjà assez rougi pour toute une vie ! Et puis... Arrogant, moi ? Trop sûr de moi ? Pas du tout. Enfin, après réflexion...peut-être un peu. Mais vraiment un peu !
- Ce n'est qu'en devenant meilleur que tu pourras savoir qui tu es.
- Mais...
- Tu vas mourir, Éthéas, me coupa le vieil homme. La fin est déjà tracée, mais c'est à toi d'écrire l'entre-deux. Veux-tu vraiment passer ta vie à être le garçon que je viens de te décrire ?
- Mais c'est moi, ce garçon ! Je ne peux pas me gommer !
Cet homme était fou.
- Tu vas mourir, répéta-t-il.
Je le savais, ça ! Pas besoin qu'il me le dise pour que je m'en souvienne ! J'y pensais chaque jour...
Je n'ai pas envie de mourir. La pensée de mourir à cause de mon pouvoir m'obsédait. Pourquoi moi ? Je ne connaissais même pas ce monde avant d'arriver ici. Alors pourquoi ? La phrase tournait en boucle dans ma tête. Je ne pouvais pas m'en empêcher. La Mort était là, toute proche, tapie dans la pénombre... Elle attendait. Elle m'attendait.
Je tournai la tête vers Rose et Trù, endormis l'un contre l'autre. J'aurais aimé qu'elle me dise que j'allais mourir un peu plus tôt, pour savoir à quoi m'attendre. Mais...Est-ce que ça aurait été si différent de maintenant ? Est-ce que j'aurais plus facilement accepté l'idée de mourir ? Pas vraiment. Je l'aurais sans doute encore plus mal pris. Quand Rose me l'avait annoncé, je m'étais dit que c'était de sa faute, puisque c'était elle qui m'en avait parlé. Mais personne d'autre ne l'aurait fait à sa place, car nous étions seuls. J'essaie de me mettre à sa place. Si je savais qu'elle devait bientôt mourir, est-ce que je n'hésiterais pas à le faire ? A sa place, je n'aurais sans doute rien dit du tout. C'était pire. Elle avait eu le courage de me l'annoncer en face, même si ce n'était pas une nouvelle agréable.
Le vieil homme surprit mon regard.
- Quand tu auras un peu changé, Éthéas, tu comprendras. Elle a mené une vie difficile. Le jour où tu seras meilleur, peut-être que Rose te racontera ce qu'elle a vécu.
Je fronçai les sourcils.
- Éthéas, prononça l'homme. Tu as été chéri toute ta vie par tes parents. Tu devrais savoir que tout le monde ne vit pas la même chose. Des enfants sont haïs, battus à mort, violés ou vivent encore d'autres horreurs qui ne portent pas de noms. Certains subissent l'indifférence de leurs parents, la peur chaque jour. Des tonnes d'enfants souffrent de bien des manières, et endurent bien des calvaires.
- Rose...A-t-elle vécu ce que vous me décrivez ?
Le vieil homme se leva.
- Le jour où elle sera prête, tu sauras...
Je sautai sur mes pieds.
- Attendez, s'il vous plaît ! J'aimerais vous poser des questions !
Mais j'étais déjà seul. Il était parti. Mon rêve se termina comme il avait commencé.
Et je me réveillai en sursaut, le cœur battant à tout rompre.
La conversation que j'ai eu avec le vieil homme de mon rêve tournait en boucle dans ma tête. Les mots : "Tu vas mourir" revinrent souvent.
Soudain, je n'eus plus d'air. Je me redressai dans le noir, me forçant à respirer le plus calmement possible. Il me fallait...de l'air. J'expirai. Encerclai mes genoux de mes bras. J'avais l'impression d'être à nouveau un petit enfant, qui serrait son doudou parce qu'il avait peur du noir. Ce n'était pas faux, en un sens. Sauf que je n'étais plus un enfant. Je devais être courageux, comme Rose l'était. Quitte à accepter la Mort...
Parce que je ne pourrais pas l'arrêter. Si c'était à cause de mon pouvoir, je mourrai dans tous les cas, et rien ni personne ne pourrait l'empêcher. Surtout pas moi. Je serrai les lèvres. Je voudrais hurler. Pourquoi le monde était si cruel et injuste ?
Je n'aimais pas les grottes. Je préférais voir le ciel. Peu importait qu'il pleuve, qu'il neige, qu'il vente. Ici, j'avais l'impression d'être enfermé dans une boîte, malgré la grandeur de l'endroit. J'étouffai.
Pour me calmer, je regardai l'endroit où est dessiné le soleil au plafond. J'aurais aimé me réveiller chez moi, prétendre que tout ceci n'était qu'un cauchemar, enfin me réveiller... Mais c'était impossible, car je savais que c'était bien réel. Jamais je n'aurais pu avoir autant d'imagination pour avoir inventé toute cette histoire.
Je me rendis compte, la gorge nouée, que le vieil homme avait raison. Je n'avais pas été une bonne personne. Avec ma famille, mes amis, les gens que je connaissais parfois plus ou moins bien. Arrogant, trop fier, pourri gâté, moqueur, hautain... Je prenais toujours les gens de haut. Voilà comment je pourrai me décrire. Je compris mieux les réactions de Rose à mon égard. C'était la seule qui ne m'avait pas laissé faire ma loi. Elle avait créé la sienne à la place. Elle m'avait empêché de me placer au-dessus d'elle, parce que je n'y étais pas. J'étais sans aucun doute bien en-dessous. Qu'est-ce que j'avais été stupide ! Je ne m'étais jamais rendu compte de mon comportement par rapport aux autres.
Il fallait que je change. Cette pensée me frappa de plein fouet. Je ne pouvais pas continuer à être comme ça. Aussi...insupportable.
Je pensais que ce serait compliqué pour moi d'essayer de changer. Sans doute long et difficile. Mais je pouvais y arriver, parce que j'en avais envie. Je souhaitais changer, montrer aux autres le meilleur de moi-même. Il était temps que je m'en rende compte !
La conversation avec l'homme m'avait ouvert les yeux. J'avais besoin que quelqu'un me remette les idées en place.
Je serrai les poings avec détermination. Rien ne m'arrêterait. Je changerai, coûte que coûte.