Le Royaume perdu

By Sheila_Letanovsky

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Arcanya Lake vit dans le royaume d'Oriolen, où règne le roi sanguinaire Menevras Erhavsha. Chaque année ving... More

1- L'Appel
2- L'Appel partie-2
3- Verité ou Mensonge
4- Terreur et Combat
5- Plans
6- Nid de Serpents
7- Rencontre surprise
8- Course poursuite
9- Une journée en Enfer
10- Se fondre dans le décor ou faire brûler le décor
11- Eveil
12- Rituel
14- Perte de controle
15- L'aide inespérée
16- Faire le grand saut
17- Evasion
18- En cavale
19- Ratrappés
20- Démons nocturnes
21- Encore marcher
21- La grive
23-L'attaque
24-Ruines anciennes
Ruines anciennes 2
26- Vaenira
27- La cité des espoirs
28- La cité des espoirs partie 2
29- Liens de sang
30- La Bibliothèque
30- Reunion
31- L'arme
32-Les Liés
33- Le Haut Roi
34- L'arène
35- L'entrainement
36- Bataille
37- Affrontement
38- Le sanctuaire maudit
39- Le sortilege

22- La region des Lacs

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By Sheila_Letanovsky

Les pas étaient feutrés, ils se posaient sur le sol en une caresse rapide et assurée. Les muscles brûlants je savais que je n'arriverais pas à le distancer. Mais je souriais car j'avais réussi à le faire tomber et à le surprendre. Car cette cavalcade était à l'image de la liberté même. De pouvoir courir là où on le voulait sans se soucier du reste. A part de rattraper son comparse devant dans une course idiote. À nouveau je me sentais amusée. Il me rattrapa rapidement.

- Vous êtes aussi fourbe que je l'espérais, me cria t'il par dessus le vent qui soufflait dans nos oreilles.

Son expression sur son visage devait être un reflet du mien. Je vis dans ses yeux que lui aussi ressentait comme moi cet esprit de liberté. Il n'était que légèrement essoufflé et son front brillait à peine. Il aurait tout aussi bien put courir que depuis vingt minutes. Nous nous sourîmes et ses traits se concentrèrent à nouveau quand il me doubla sans mal apparent. J'eus une pointe de ressentiment mais la chassai aussitôt. Qu'est ce que cela importait qu'il gagne? J'avais tout de même passé un agréable moment.

Je courus bien moins rapidement et bientôt je le vis atteindre les premières maison du grand village devant moi et disparaître. La lande devant moi surplombait une succession de collines verdoyantes et de lacs de taille diverses et variées qui brillaient. Lorsque j'y parvînt à mon tour, j'adoptais un rythme de marche soutenu et regardait autour de moi. Perplexe, je vis le lieu en proie à une grande agitation. Loin d'être négative, il régnait un climat d'euphorie. J'observai des enfants qui courraient en se poursuivant dans les rues. Au milieu, des charrettes se suivaient, encombrées d'objets, de produits alimentaires et de... fleurs. Des centaines de fleurs. Dans les maison, sur les gens, sur les étaux et les murs. Il y en avait partout. Les gens marchaient, parlaient, riaient en sortant des fleurs des chariots. Certains en ornaient leur fenêtres, d'autres les coiffaient dans leurs cheveux ou à leur cou. Je marchais entre eux, me sentant presque incongrue dans mes habits sales, ma peau transpirante et mon air renfrogné et fatigué. Je défilais entre des étaux qui débordaient de fleurs et de victuailles. Ce village n'était pas petit mais ce n'était pas une ville. Un marché d'une telle ampleur était rare. Je débouchais sur une petite place débordante d'activité. La chaleur qui y régnait était éclipsée par la bonne humeur de chacun. Les mille couleurs des fleurs me firent bientôt tourner la tête. Je souris en retour aux gens que je croisaient. Je passai à côté d'une petite fontaine qui ruisselait gaiement. Son clapotis apaisant, je m'y arrêtais pour savourer l'instant. Je fermai les yeux et renversai la tête en arrière, les couleurs orangées du soleil couchant déversant de l'or derrière mes paupières closes. Lorsque je les rouvrit, j'eus un léger mouvement de recul lorsqu'une fleur au parfum enivrant apparut devant mes yeux. Je me tournai vers le propriétaire.

- Que fêtes ces gens, demandai je à Abrax.

Il était de nouveau comme frais et dispo. Son teint rayonnait sous les rayons du soleil. Je me rendis compte que c'était la première fois que je le voyais tel qu'il était sous la vraie lumière du jour. La pénombre ambiante de la Forêt Sombre n'avait pas rendu hommage à ses traits, déjà saisissants. Sa peau n'était pas bronzée. Elle chatoyait. Sa cicatrice n'en ressortait que plus, accentuant la carrure de sa mâchoire. Les manches de sa chemise étaient relevés et son bras qui me tendait encore la fleur, montrait ses avants bras musclés.

- Raïhcar, la fête qui honore la Déesse Esmeriah, me répondit il.

- Mais, commençai je en levant doucement ma main pour saisir la fleur devant mes yeux, c'est une fête qui ne se fait plus... depuis des centaines d'années. Elle a était interdite par le roi...

Mes mots s'éteignirent presque quand je regardai vraiment la fleur. C'était une rose de toute beauté. Ses pétales s'ouvraient en harmonie dans un cercle parfait. Tous délicats et ondulés. Mais ce n'était pas ça qui me fascinais. Cette rose était noire. D'un jais profond et mélancolique. Je l'effleurais du bout des doigts.

- Ici c'est une tradition. Ils n'ont jamais laissé tomber cette coutume et ce soir aura lieu la célébration.

- Étonnant, fis je à moitié pour ma stupeur qu'une fête interdite par le roi Menevras puisse encore avoir lieu par le courage de ces villageois et à moitié devant mon étrange attraction pour cette rose noire.

Je la pris entre mes doigts et la tins devant mon visage.

- Cette fleur est magnifique, soufflai je, étrange pour une fleur de la couleur de la mort.

- Le noir n'est pas toujours la représentation de la mort, dit Abrax en venant laisser glisser son doigts le long d'un pétale.

Je levai les yeux sur lui.

- Le noir est pourtant la couleur des ténèbres, fis je, et les ténèbres apportent bien souvent la mort.

- Toutes les ténèbres doivent elles être porteuses du mal?, dit il d'une voix étrange.

Sa question n'en était presque pas une. Comme une affirmation dites à voix haute, pour lui seul. Je ne répondis rien, car le souvenir des ténèbres hurlantes de mon songe revenait à ma mémoire. Elles étaient terrifiantes, sombres et tumultueuses. Mais mauvaises... ? Je m'étais lovée dedans... J'avais trouvé un abri en leur sein. Je frissonnais, perdue quant à là réponse à cette question et cette même question étrange.

- Je l'ignore, répondis je finalement d'une voix étranglée.

Je reculai, tenant toujours la fleur entre mes doigts. Abrax me fixait, le visage impénétrable. Une fois encore, je n'avais aucun moyen de savoir ce qu'il ce passait dans sa tête.

- Venez, dit il soudain en me prenant la main pour m'entraîner derrière lui.

Il la lâcha aussitôt et elle retomba le long de mon flanc.

- Où allons nous ?

Son éternel sourire aux lèvres, il regarda la place qui s'ouvrait devant nous. Il écarta les bras en grand:

- N'avez vous pas envie de célébrer notre Déesse ?

- Ne devrions nous pas plutôt nous fondre dans la masse et ne pas nous faire remarquer ?

Nous nous engouffrâmes dans une rue perpendiculaire à la grande rue. Les pavés sous mes pieds, étaient étonnamment pour moi bien moins agréable que le tapis naturel d'une forêt.

- Qu'est ce qui nous empêche de le faire tout en nous amusant, me rétorqua t'il en s'immobilisant devant une petite boutique pleine d'étoffes qui semblait fermée.

Les mains sur les hanches, je décidai que ce n'était pas une mauvaise idée. J'avais posé la rose sur le parapet d'une fenêtre à côté de moi.

- Très bien, fis je à son encontre, mais cette boutique n'est pas ouverte.

Portant une main à son cœur, Abrax me retourna un regard incrédule. Je rougis aussitôt. Bien sûr qu'elle était fermée, nous ne pouvions pas rentrer dans un magasin et nous déguiser devant un vendeur qui aurait tôt fait de vendre la mèche aux première gardes royaux qui l'aurait interrogé.

- Vous êtes en présence de la flèche du grand roi, dit il en se frottant les mains.

- La flèche?, relevai je.

- Toutes les armes secrètes au service du roi revêtent leurs surnoms, me répondit il en agitant la main d'un geste dédaigneux.

Je le regardai scruter la porte et la serrure. Peut être était ce que l'horreur de son vécu l'avait désensibilisé ou bien cachait il ce qu'il ressentait en évoquant cela, mais il parlait de son vécu d'espion tantôt avec amertume tantôt avec dédain. Il poussa soudain un cri de victoire et se redressa.

- Je connais le modèle de la serrure, elles sont peu aisés à crocheter, mais il suffit que je trouve les outils adéquats...

- Oh, fis je en m'approchant.

Je regardai de haut en bas la porte en bois presque branlante.

- Vous savez, lui dis je d'un ton songeur, je crois que j'ai l'outil qu'il vous faut.

- Vous savez crocheter les serrures, me demanda t'il d'un ton presque incrédule.

- Non mais je sais me servir de mon pieds, rétorquai je avant de donner un grand coup du plat de ma botte en plein dans la partie fragilisée du battant.

La porte vola en arrière et je m'avançai devant.

- Quelle crâneuse, marmonna t'il.

Je souris au souvenir que j'avais pensé exactement pareil lorsqu'il courrait sur les branches. Je rentrai dans la pièce et la balayais du regard.

- En attendant, nous pouvons entrer, lui fis je, dans l'attente de vos outils nous serions encore devant le pas de la porte.

- Possible, admit il dans une mauvaise foi évidente. Mais je vis dans ses yeux quelque chose comme une appréciation qui me fit sourire.

Des vêtements s'entassaient partout autour de nous. Des tissus aux couleurs folles courraient sur tout les murs.

- J'ai ce qu'il vous faut!, s'exclama soudain l'ancien espion en soulevant d'un tas d'habits, un bout de tissu qui ne devait couvrir que dix centimètres du corps.

Plutôt que de rougir et de balbutiais comme je l'aurai fais jusqu'à peu avec lui, je souris en retour en saisissant une chemise assez spéciale avec des lanières et des trous partout.

- Seulement si vous portez ceci...

Il partit d'un rire franc et grave.

- Quand vous voulez, petite paysanne.

Je reposai ma trouvaille et m'enfonçai un peu plus dans la pièce. Certains des habits ici étaient... débauchés disons. La chemise n'était qu'une parmi d'autres. Cette boutique était bien plus grande qu'elle n'y paraissait au premier abord. Éclairée seulement par la fenêtre à côté de la porte, une personne normale aurait eut de moins en moins de visibilité. Mes pas se stoppèrent quand brusquement je pris conscience que je n'étais pas seule à posséder cette vision inée. J'avais été bien trop préoccupée par ma fuite, mes angoisses et ma fatigue ces derniers jours pour le relever, mais Abrax avait aussi ce don ! Il l'avait même confirmé lorsque nous courrions dans le tunnel. Mais il avait esquivé toute explication aussitôt confession faites. Cette fois ci, nous n'avions pas des mercenaires personnels et surentraînés du roi juste sur nos pas...

- Dites moi, fis je dans le silence du magasin.

- Vous voulez savoir si j'ai déjà porté ce genre de chemise ? Je vous jure que ce n'est arrivé qu'une seule fois et la dame en question était disons...

- Mais non, protestai je en faisant volte face. Mes pensées ne sont pas toute tournées vers vos ébats, vous savez ?

Farfouillant dans un bac où reposait une multitudes de chapeaux de toute les formes, il ne me regardait pas mais je pouvais voir son air ravi sur son visage. Son large dos cachait ce qu'il fabriquait. Lorsqu'il se redressa, il arborait un chapeau aux bords extrêmement large et du vert le plus criard que je n'ai jamais vu. J'étouffai un éclat de rire.

- Il y en a donc qui sont tournées dessus ?

- Comment ?

- Vous avez dis « ne sont pas toutes », insista t'il. Certaines de vos pensées les concernent donc.

- Vous aimerez bien hein, me contentai je de répondre ne rentrant pas dans son jeu. Son ricanement s'infiltra dans ma peau et la fit frissonner. Je voulais savoir, repris je, comment vous pouviez avoir la même faculté que moi de voir dans la pénombre.

Il haussa les épaules.

- Je n'en sait rien je suppose que nous sommes nés avec. Vous même vous ignorez comment cela est possible je me trompe ?

Je dut bien admettre que non je n'en avais pas la moindre idée. Je m'en était aperçue très jeune et avais grandi avec. Jamais je n'aurai crut qu'une autre personne serait affublé de la même faculté. Quelle drôle de coïncidence tout de même....

Je parvînt à trouver un pantalon qui devait être pour enfant et qui semblait à ma taille. Je le saisit mais aussitôt une grande main le fit tomber d'un grand geste.

- Eh, protestai je à son encontre.

- Ne pas se faire remarquer, induit de ne pas être la seule femme vêtu comme un homme, me fit il remarquer.

Je grinçais de dents devant la jupe qu'il me tendit. Dire que certaines femmes étaient forcés d'en porter toute leur vie, sans jamais goûter à la liberté des pantalons. La dernière robe que j'avais porté n'avait pas connue une fin très glorieuse. J'examinais le tissu jaune foncé d'un air dégoûté.

- Vous n'allez pas faire la fine bouche, se moqua Abrax.

- Si vous choisissez ma tenue, je choisis la vôtre, décidai je.

Mais alors que je tendis la main pour attraper le vêtement, il le retira brusquement hors de ma portée.

- Vous me permettrez de choisir avec plus de soin dans ce cas, dit il un air excité sur le visage.

Je levai les yeux au ciel mais bientôt je me retrouvai à mettre sans dessus dessous tout ce qui tombait sous mon regard. Ce pantalon? Pas assez ridicule. Je le reposais. Le chapeau vert qu'il avait coiffé quelques minutes plus tôt ? Je l'attrapai et le calai sous mon bras. Je saisis une chemise noire qui arborait des centaines de petites fleurs multicolores dessus et un pantalon en cuir simple, qui le ferait apparaître extravagant mais sans se faire trop remarquer. Ma cargaison sous le bras, je me hâtais vers sa silhouette en train de débattre avec de nombreux fils. Curieuse je jetais un coup d'œil et pouffai de rire :

- Nous avions dit des vêtements, non pas une pelote de fil.

- Qu'est ce que vous croyez, c'est un haut, me répondit il.

Je me figeai et protestai aussitôt :

- Posez ceci tout de suite !

Poussant un soupir boudeur, il reposa cette ignominie là où il l'avait trouvé.

- Tenez, lui dis avec un sourire onctueux en lui tendant mon paquet.

- Ah, s'exclama t'il en découvrant le chapeau vert.

Il le coiffa aussitôt avec un grand sourire, qui s'éteignit bien vite à la vue de la chemise florale. La tenant du bout de doigts il la regarda comme un guerrier aurait regardé une grive avant d'attaquer. Il me regarda moi et mon petit sourire satisfait.

- Qu'importe, je serai tout de même beau, finit il par dire en haussant les épaules.

Il se tourna et attrapa à son tour un paquet qu'il me lança. Je le réceptionnai en m'attendant au pire.

....

Nous sortîmes du magasin en regardant autour de nous. Personne n'étant en vue, nous nous hâtâmes de rejoindre la grande rue principale.

- Vous êtes très jolie, me souffla t'il en riant sous cape.

- La ferme, soufflai je en réajustant l'horreur sur ma tête.

J'ignorais qu'on pouvait faire pire que le chapeau dont j'avais affublé Abrax. Mais celui que je portais en était la preuve. Il avait fallut cacher mes cheveux. Leur teinte écarlate aurait eut tôt fait d'attirer l'attention. Hélas ils étaient si longs que les replier sur ma nuque, nécessitait un accessoire assez...large. J'avais l'impression de marcher avec une énorme sphère au dessus de ma tête. Heureusement dans cette contrée, se vêtirent bizarrement était une coutume. Nos tenues qui n'importe où ailleurs, nous aurait fait repérer en moins de trois secondes, nous dissimulaient avec aisance dans cette foule colorée et bigarrée. La chemise d'Abrax lui allait, comme il l'avait prédit, merveilleusement bien. Étant presque un peu petite, sa musculature ressortait avec force. Son chapeau rajoutait la touche adéquate à cette fête et de nombreuses têtes se tournaient sur son passage. Féminines comme masculines. Je baissai les yeux sur mon propre accoutrement. Abrax était parvenu à dénicher le seul corset doré de toute la boutique. Le tissu brillait de mille feux malgré qu'il soit peu étendu. Il n'enserrai qu'avec peine ma poitrine et s'arrêtait au dessus de mon nombril. Ma jupe rouge écarlate, de la même teinte que mes cheveux dissimulés, était fendu sur le côté dévoilant jusqu'à la naissance de ma hanche. Peut être les têtes masculines se tournaient vers moi aussi. Nous formions un duo hétérogène. Mais personne n'aurait put soupçonner notre identité. Mis à part notre sac de voyage qui se balançait sur l'épaule d'Abrax, nous ressemblions à n'importe quel couple de villageois.

Je me rendis alors compte avec regret, que j'avais oublié la rose de jais sur le rebord où je l'avais laissé. Regardant autour de moi, je fronçais les sourcils. Aucune fleur n'avait cette couleur. Elles étaient toute d'une couleur colorée et vivante. Je pourrai difficilement m'en procurer une autre. Abrax avait dut tomber sur un marchand isolé. Nous marchâmes d'un pas décidé durant encore plusieurs minutes. Lorsque nous arrivâmes devant l'auberge du village, le soleil c'était couché et les rues flamboyaient aux lueurs des flammes des lanternes. Les ombres projetées formaient un ballet de ténèbres et je les suivis des yeux, obnubilée. Une pression sur mon bras me ramena à l'instant présent. Abrax avait ouvert la porte et attendait galamment que j'entre.

Mes pas me menèrent dans une pièce grandement éclairée et très bruyante. Les tables débordaient de chopes qui s'entrechoquaient, entre des groupes d'hommes et de femmes qui riaient et hurlaient des blagues. La bonne humeur ambiante se ressentait dès nos premiers pas dans cette assemblée. Un groupe de gens dansaient gaiement et passèrent devant nous dans un tohu-bohu qui me fit sourire. Nous nous avançâmes jusqu'au comptoir. Une jeune femme blonde servit à Abrax un sourire éblouissant et m'ignora complètement.

Hum, pensai je. Je pourrai très bien être invisible.

- Bienvenu à l'auberge du Lac Écarlate, fit elle d'une voix forte en se penchant sur le comptoir.

Abrax lui sourit en retour et s'accouda à son tour.

- Nous cherchons une chambre pour passer la nuit... ma femme et moi, termina t'il en prenant ma taille et me ramenant contre lui.

Je me crispai intégralement mais servit à la jeune femme en face de moi un petit sourire innocent. Le sien se fit forcé et elle me détailla de haut en bas. Je soutins calmement son regard. Je me fichais pas mal de ce qu'elle pouvait penser de moi. Ce qui me dérangeais en rechange c'était le « une » chambre du voleur à côté de moi. Pourquoi nous faire passer pour des époux, pourquoi ne pas prendre une chambre chacun ? C'était l'opportunité de retrouver notre solitude l'espace d'une nuit. Mais je ne protestai pas car l'attrait d'un lit était bien trop attirant pour râler. J'attendis que la jeune femme nous glisse les clés d'une chambre et qu'Abrax lui glisse en retour quelques pièces brillantes.

Aussitôt dans les escaliers, je me dégageais de sa prise et montait en tête les marches. Arrivée devant notre porte, je me retournai et reculai pour le laisser ouvrir la serrure.

- Pas de violent coup de pieds?,me demanda t'il en haussant un sourcil l'air déçu.

- Comment si je faisais ça tout les quatre matins, répondis je en levant les yeux au ciel.

Il souris largement avant de déverrouiller la porte et de rentrer dans la chambre. J'y entrais à mon tour et observai le lit double posé au milieu de la pièce. Ce n'était pas sale et l'air qui y régnait était tout à fait acceptable. Je m'effondrais sur le matelas et fixais le plafond. Des taches d'humidité serpentaient et je les suivis du regard.

- C'est une invitation ?

Sa voix troubla le silence et le repos que j'étais en train de trouver. Je levai avec lassitude ma tête.
Debout devant le lit une main sur la hanche, l'autre s'agitant devant lui, me désignant. Baissant les yeux je glapis et me relevai d'un bond. J'avais oublié que la fente de ma jupe remontait assez haut et que allongé les battants s'écartaient l'un de l'autre. Râlant contre sa propension à me mettre dans l'embarras, je saisi le chapeau sur ma tête et le jetai à l'autre bout de la pièce. Mes cheveux tombèrent aussitôt dans mon dos jusqu'à ma taille. Ils devaient être sales et emmêlés mais je vis Abrax suivre leur progression du regard. Je me raclai la gorge gênée. Je ne savais pas si toute les remarques de l'ancien espion étaient du fait de son caractère dragueur ou bien si il pensait réellement tout ce qu'il disait. Mais à cet instant précis j'aurai juré sur la deuxième option. Il battit rapidement des cils et se détourna. Clignant à mon tour des yeux, je me repris en pensant à son comportement avec la serveuse un étage plus bas. Son sourire était aguicheur et il m'avait pourtant aussitôt présenté comme sa femme. Son attitude envers moi n'était que son caractère habituel.

Tournant sur moi même, je cherchais la salle d'eau. Je rentrais dedans et cherchais du regard le pain de savon. J'allais me prendre un bain. J'en rêvais depuis bien trop longtemps. Je me déshabillais et posai à côté de moi toute mes armes. Je me rendis compte que la broche en forme de loup ne se trouvait plus dans mon corset. Elle n'y était pas non plus quand j'avais retirée ma chemise pour passer ce haut doré. Elle devait encore être avec celui vert dans le sac. Je versai de l'eau dans la baignoire. 

Dix minutes plus tard, je sortais du bac ruisselante et mes muscles apaisés par l'eau chaude. Mes cheveux lavés étaient déjà bien plus doux et disciplinés. Je me séchais rapidement et renfilai mes habits. Mon regard tomba sur le savon. Une idée germa dans mon esprit. Il était noir et fait avec du charbon. Je pouvais me teindre les cheveux le temps de quelques heures. Et je n'aurai pas à porter cet horrible chapeau. Je frottais le savon longuement contre mes mèches. La couleur pris aussitôt et bientôt j'eus les cheveux aussi noirs que les ailes d'un corbeau. Fière du résultat, je sortis enfin de la salle d'eau.

- Par la déesse enfin, s'exclama Abrax avant de se ruer vers la porte de ladite salle d'eau.

Je clignais une fois des yeux, surprise quand la porte claqua. Je n'avais pourtant pas mis plus de trente minutes. Qu'est ce qu'il lui prenait donc ? Ne m'attardant pas plus, je me couchai sur le lit et savourais la sensation molle du matelas sous mon corps. C'était comme si mes os et mes muscles pouvaient enfin se relâchaient et je poussai un soupir d'aise. La fatigue me rattrapait et je m'assoupis bien vite. Je rêvais de mon père. Sans voir son visage, j'étais couchée dans mon lit de ma chaumière et je le sentais à côté de moi. Sa voix chaude et aimante s'élevait dans l'air et les yeux fermés je l'écoutais parler. Je venais de lui demander une histoire pour dormir. Pas n'importe laquelle mais je n'arrivais plus à saisir laquelle je lui avais quémandée.

-...ce roi aimait sa reine plus que tout au monde. Mais il aimait aussi cette autre femme. Perdu et déchiré, il ne savait que faire.

- Et qu'est ce qu'il fit après le roi, papa ?

- Il avait déjà un grand et beau enfant. Son fil était à l'instar de lui puissant et fort. Et lorsque sa maîtresse tomba enceinte, il dut faire un choix. Son amour pour elle ou pour sa femme et la couronne qu'il portait. Il choisit son royaume.

- Mais la femme eut son enfant ?

- Oui, elle l'eut oui, mais l'enfant ne put naître entièrement. Plongée entre le pouvoir de son père qui l'avait renié et la puissance de la colère et de la tristesse de sa mère, l'enfant naquit entre vie et mort. Et y resta pour le restant de ses jours, sans pouvoir se défaire de cette malédiction.

- Ce n'est pas très gentil pour l'enfant ce qu'il a fait le roi.

- Ce n'est, petite louve, que des histoires banales de la cour.

Petite louve. Je souris dans mon sommeil et me lovai un peu plus contre les couvertures. Je me sentais chez moi au son de ces mots. Le parfum de mon père était autour de moi. Il était avec moi. Juste à côté de moi. Je le sentais. Mais mon sommeil m'échappais. Je ressentais de plus en plus, le matelas sous moi et la rugosité des couvertures contre mon nez. Lorsque je me réveillais complètement, mes yeux étaient remplis de larmes. Rien n'était pire que de rêver. Une autre vie, d'autres mondes s'ouvraient à nous, avant de disparaître dans la douloureuse réalité. La douleur de perdre son père était insoutenable. Mais celle de le perdre encore et encore à chaque nuit qui passait était une lente torture. Mû par une impulsion soudaine, je jaillis du lit et ouvris le sac contenant nos affaires. Je fouillais dedans, écartant habits et autres armes. Ce sac était bien plus remplis qu'il n'y paraissait au premier abord. A la vue des barres de viandes séchées, je pris conscience que je n'avais pas mangé depuis la veille au soir. Cela faisait deux jours que je ne mangeais que le soir. L'état d'urgence de mon corps avait complètement mis au second plan ma faim. Trouvant enfin le corset vert, je le secouai sans trouver le moindre bijou. Fébrile à la pensée d'avoir perdu cette babiole qui avait pourtant tant d'importance pour moi, je renversai le sac. Éparpillé sur le sol, je poussai les pantalons, les chemises. Je trouvais un court manteau rembourré de fourrure et lui fit les poches. Je ne trouvais rien hormis un fragment étrange de pierre verte qui ressemblait tant à la pierre incrusté dans les lourdes portes du temple sous le palais que je le relâchait sur le champ. Je passai en revu les couteaux, les courtes épées en me faisant la réflexion qu'Abrax avait pensé à beaucoup de choses. Le bruit d'une porte se fit entendre dans mon dos. J'entendis Abrax jurer doucement avant de se laisser tomber à côté de moi.

- Qu'est vous arrive t'il ?, me demanda t'il aussitôt.

- J'ai perdu ma...

Ma voix s'éteignis. Je regardais autour de moi. Chacun des objets sur le sol étaient clairement distinguables.

- Où est donc votre épée?, demandai je en continuant à la chercher des yeux.

La lourde arme aussi noire que la nuit ne pouvait être caché sous un vêtement. Elle était si grande qu'elle serai forcément ressortie. Mais elle n'apparaissait nul part. Je tournai ma tête vers Abrax qui me dévisageait la bouche entrouverte. Il semblait pris de court. Je fronçais les sourcils.

- Où est elle, réitérai je ma question.

Une méfiance o combien familière m'envahis. Je finissais toujours pas douter des gens autour de moi. A raison ou non. Mais pourquoi cette épée n'était nul part en vue ? Cela me tracassais.

Il cligna des yeux et parut se ressaisir.

- Dans la salle d'eau avec moi bien sûr, dit il, j'étais en train de la nettoyer.

La logique de sa réponse me laissa sans voix. Le ton de sa voix montrait clairement qu'il jugeait la question idiote. Me raclant la gorge, gênée, je hochai la tête en me redressant. Je devenais paranoïaque. J'aurais put avoir des soupçons sur les véritables intentions du jeune homme en face de moi, et la déesse savait que j'en avait eu beaucoup. Mais il m'avait sauvé de la grive, du Palais Noir et de bien plus encore. Il m'avait guidé dans cette forêt désolée. Les Révoltés pouvaient encore cacher beaucoup de choses mais il m'emmener assurément de l'autre côté des montagnes. S'il avait des secrets, ils ne devaient pas me concerner directement. Ou du moins pas suffisamment pour qu'il envisage de me tuer avec une épée de soixante kilos durant mon sommeil. Je rangeais rapidement le sac et le repoussai contre un mur.

- Vous êtes prête ?

Je me tournai vers lui.

- Prête à ?

- A danser bien sur.

Il me servit le même sourire qu'il avait servi à la serveuse tout à l'heure.

- Et pourquoi ne pas manger avant cela, lançai je en me dirigeant vers la porte.

- La meilleure idée que vous ayez eu, répondit il en me suivant. Ça et cette nouvelle couleur de cheveux, très intelligent.

Je jetai un coup d'œil à mes mèches noires. J'avais presque oublié ma nouvelle teinture. Les lourdes mèches bouclaient sur ma poitrine. Je les préférais tout de même dans leur couleur naturelle. Leur rouge avait bien plus d'éclat. Je lançai un sourire à l'image du sien, par dessus mon dos, au voleur derrière moi :

- Ce qui est drôle c'est que je n'ai plus besoin de ce chapeau désormais. Oh n'oubliez pas le votre !

Il s'en saisit en riant et le coiffa sur sa tête dans un grand geste théâtral. Il me suivis dans les escaliers et quand j'ouvris la porte de l'auberge, je vis que cette foi ci la fête avait vraiment commencé. La musique fusait de toute les directions. Les rires et les cris étaient plus fort et plus euphoriques. Je m'engageais dans la rue sur ma droite. Des lampions l'ornait et s'entendaient sur toute sa longueur rendant le ciel couvert de ces merveilles lumineuses. Baissant les yeux je vis que les lumières se reflétaient sur mon corset le faisant encore plus briller que face aux rayons du soleil. Ce tissu était vraiment étonnant. Je suivis une farandole qui grossissait à chaque pas effectués et je débouchâmes sur une placette où une foule de danseurs s'agitaient. La musique des tambours, des flûtes et des autres instruments monta à mon cerveau. J'avais toujours aimé la musique. Son air tantôt entraînant tantôt mélancolique avait le don de faire voyager mon esprit. Mais étant dans la pauvreté la plus extrême, je ne pouvais aller voir la musique jouée, les rares fois où des événements avaient été organisés. C'était un privilège réservé aux gens de la Haute Ville. Je balançais doucement ma tête en continuant à marcher. Une taverne attira mon attention. Un délicieux fumé s'en élevait. Je fus bientôt assise à une table face à la masse des danseurs avec une assiette bien remplie devant moi. J'inspirai a fond et laissait ce parfum envahir mes sens. J'ignorais où avait bien plus filer Abrax mais je m'en fichais. Je pouvais être seule cela ne me dérangeais pas le moins du monde. Je re goûtais à ma solitude au même moment où je goûtais le plat devant moi. C'était un mélange de poisson et de légumes qui explosèrent sur ma langue. Je me laissai aller en arrière. Rien pas même le festin que j'avais partagé avec le roi et le Cercle n'aurait put égaler ça. Je me sentais libre. Libre de déambuler dans ces rues, de m'assoir à une table et de manger ce que je voulais, en écoutant cette musique enivrante.

Mon regard se porta sur les danseurs. Par groupe de quatre ils effectuaient une danse folle en riant aux éclats. Les fleurs accroches partout sur eux, étaient de couleurs si vives qu'elles se confondaient dans les tissus colorés des vêtements. Un sourire aux lèvres je vis un homme d'un certain âge porté par une canne, effectuer les pas de danse aidé par un jeune homme. Ce dernier, de dos, le soutenait d'un bras tout en agitant les jambes et son bras libre dans une danse bien à lui. Les gens autour d'eux, le suivirent et bientôt l'homme âgé put suivre le même rythme que les autres le temps d'une chanson. Lorsque le son du dernier tambour retentit, certaines personnes applaudirent le duo improvisés au milieu de la place. J'applaudis avec eux, vite rejoins par les tables à côté de moi. Je me stoppai aussi sec lorsque ledit jeune homme se tourna. Abrax, qui c'était bien sûr débarrassé du chapeau, rencontra aussitôt mon regard et à la vue de mes mains levées, son sourire arrogant lui barra le visage. J'ignorais comment je n'avais pus remarquer que cette haute stature et ce dos musclé ne pouvait que lui appartenir. Ses cheveux noirs en bataille il marcha et il s'arrêta devant moi.

- Recevoir vos applaudissements, voilà quelque chose que je n'aurais jamais cru possible, fit il mine d'apprécier.

- C'était l'autre homme âgé que j'applaudissais, mentis je en m'empourprant.

Il croisa les bras ne me croyant pas une seconde.

- Vous ne dansez pas ?

Ses yeux brûlaient d'un feu que je reconnut bien. La sensation d'être maître de soi même. De pouvoir décider de ses actions sans rien craindre en retour. De faire ce que bon lui semblaient. Cette excitation faisait courir une adrénaline dans les veines qui était délicieuse. Je culpabilisai un instant en pensant au sacrifice qu'il avait dut faire de se rejeter dans le Palais Noir après tout ce qu'il avait vécu. Perdue dans mes pensées je ne lui répondis que d'un léger haussement d'épaules.

Sa main se saisit soudainement de la mienne et avant que je ne comprenne ce qui ce passait, il me tira sur mes deux pieds et m'envoya valser dans la file des danseurs. Je poussai un cri de surprise qui fut éclipsé par le son tonitruant du tambour qui amorça un nouveau rythme. La foule se désorganisa et se reforma en une ronde. Je regardai autour de moi et vit Abrax, l'air plus joyeux que jamais en train de tendre ses mains à ses deux voisins. J'en fis de même et je me retrouvai à tourner dans un air endiablé. Mes cheveux volaient dans mon dos et peu habitué à ce qu'ils soient détachés, je me surpris à apprécier leur poids sur mes épaules et leurs caresses sur mon front et mes tempes. Les flûtes et autres instruments se déchaînaient. La ronde s'arrêta et mon voisin de gauche se saisit de ma taille et me fit tourner pour échanger nos places. Tout autour chaque personne fit de même. C'était un tempo en quatre temps où le dernier temps tonnait comme le signal pour faire virevolter son partenaire à côté. Les trois autres servaient à se déplacer en rond en rythme. Je me pris à la danse et bientôt un sourire idiot ornait mon visage. Je ne me rappelai plus la dernière fois où je m'étais amusée d'une telle façon. L'air chaud de la nuit m'enveloppait comme une couverture. La musique m'entraînait vers des lieux d'oubli et de réconfort. L'allégresse des gens se déversait dans mes veines, faisant chanter mon sang. Je tournais encore et encore. La musique changea et deux files se formèrent. L'air encore plus rapide, le jeune homme en face de moi, les épaules couvertes de guirlandes de fleurs et l'air aussi épanoui que ses semblables, fit un pas en avant. Me calquant sur la jeune fille à côté de moi, je fis à l'instar d'elle un pas en arrière. Tout était un jeu de pas, en miroir avec son partenaire. En quelque secondes j'en avais compris le sens et m'adonnais a ses sauts et ses vrilles. Le temps s'écoulait presque trop vite. Les musiques changeaient, se rejouaient au milieu des rires et des corps en sueur. Je dansais avec une femme enceinte qui rayonnait de bonheur. Avec un enfant qui riait de joie. Des hommes et des femmes qui semblaient en paix. Derrière toute ma joie, un sentiment de tristesse face à ce spectacle me troubla. Ces gens fêtaient le Jour de la Déesse. Ils se réjouissaient, se réunissaient. Jamais dans mon village où dans aucun autre autour, de telles réjouissances n'avaient été organisées. J'avais l'impression d'avoir passé une vie à me morfondre et à craindre la moindre choses sous prétexte du règne cruel de Menevras. Mais ces gens étaient eux aussi sous son joug. Et pourtant ils semblaient goûter tout ce que la vie avait à leur offrir. Peut être était ce que parce que mon village était celui meme qui accueillait l'Appel? C'était le lieu où tous devaient se rendre afin de passer cette sélection cruelle mise en place par le roi. Une telle chose devait faner tout l'entrain que pouvait endosser l'homme.

Je me redressai et tapais en rythme dans mes mains avec tout les autres danseurs. Tous se rapprochaient pour former des duos. Je n'allais pas me morfondre sur ma vie passée. Elle était derrière moi et je n'avais plus à m'identifier à ce village morne. Celui devant moi faisait partie du présent. Un parfum épicé et fort parvint à mes sens olfactifs.

- Je vous demanderez bien de m'accorder cette danse..., fit une voix chaude et grave derrière moi.

Je me retournai en faisant tournoyer ma jupe. Abrax se tenait devant moi, les mains à nouveau dans les poches.

- ... mais cela induit un oui ou un non, et je ne supporterai pas un refus, termina t'il en me regardant d'un regard intense.

Je levai le menton et enroulai une mèche de cheveux dans ma main que je fis tourner.

- Cela signifie que vous me volez cette danse?, lui demandai je d'un air faussement outrée.

Il sourit et me tendit la main. Son sourire semblait caché quelque chose mais dans toute mon allégresse, je ne pensais qu'à danser. Je la saisis et l'attirai à moi. Ses yeux ne me quittaient pas et ses mains vinrent se poser sur ma taille. Je regardais autour de nous et découvris tout les danseurs dans des positions similaires. Je fis de même avec mes mains et la musique démarra au même moment. Son emprise se resserra et il me fit virer sur la droite. Aussitôt une main quitta ma hanche et se saisit d'une de mes mains. Je tournai sur moi même sans même comprendre ce qu'il se passait. Le souffle coupe je lui refis face. Ses yeux étaient éclairés et son sourire lumineux. Abrax était bon danseur. Je m'en rendis compte alors que je tournais sur moi même, autour de lui et autour de chaque personne de cette place. Mes yeux suivaient successivement les lumières autour de moi, les danseurs qui me frôlaient, les yeux d'Abrax toujours rivés sur moi. Je me sentais... pleine. Libérée du poids de toute mes contraintes, de toutes choses pour quelques heures. Légère. Lorsque je croisais à nouveau le regard de l'ancien espion, je m'y attardai.

Ses mains se remirent sur ma taille et nous tournâmes sur nous-mêmes.

- Vous vous amusez, laissa t'il tomber.

Ce n'était pas une question mais bien une affirmation. Comme pour appuyer et rendre plus vrai ce qu'il voyait sous ses yeux.

- Vous ne pensiez pas cela possible?, le taquinai je.

- A vrai dire..., fit il mine d'hésiter.

Je souris largement et tournai sous son bras. Je me replaçai face à lui.

- Vous semblez bien moins austère ainsi.

- Je parais austère?, relevai je surprise.

Il pencha la tête sur moi.

- Pour une fille de dix sept ans, oui, bien trop.

- Vous parlez comme si j'étais une enfant, vous n'êtes guère plus âgé que moi.

Il haussa les épaules et je vis, perplexe, l'éclair de douleur sur ses traits. Puis je compris. Il n'avait peut être qu'une vingtaine d'années, mais il avait été forcé de grandir bien plus vite...

- Vous au contraire, semblez... enfantin. Presque trop souriant, murmurais je.

Son sourire vacilla mais se reforma bien vite.

- Certains ou certaines ne diront pas que je suis enfantin, rit il en agitant les sourcils l'air complice.

Je levai les yeux au ciel. Une fois encore il esquivait un sujet lourd par une pirouette en faisant un trait d'ironie.

- Vous êtes comme toujours un modèle de modestie.

- Dites vous que je ne me vante rarement. Tout n'est que vérité.

- Et comme par hasard, une fois encore vous excellez dans un domaine. Ce domaine en particulier.

- De quel domaine parlez vous, me demanda t'il uniquement pour m'embarrasser.

- Vous savez très bien, lui dis je, à moins que justement cela ne soit que vanterie.

- Vous semblez bien vous y connaître...

- Étonné que la paysanne coincée et austère que je suis ai put partager des expériences dans ce domaine ?

L'adrénaline dans mes veines après mes danses et l'euphorie qui régnait encore me rendait bien plus hardie. Mais je ne mentais pas. Malgré une certaine pudeur, j'avais déjà partagé des plaisirs avec des jeunes hommes, certains de mon village que j'ignorais par la suite ou de jeunes voyageurs qui passaient leurs chemins.

- Oh non, murmura t-il d'une voix grave.

Je frissonnais malgré la chaleur ambiante.

- Puisqu'on en est à nous dire nos vérités, dit il, dites moi pourquoi vous refusez de vous servir de vos facultés.

- La vérité se mérite, répondis je en me crispant.

Il avait orienté le sujet sur ce dont je ne voulais pas parler. Mais je ne pouvais l'en blâmer, lui même esquivait mes questions indiscrètes et je persistais à lui poser. Toutefois, cette occasion pouvait être celle qui me permettrait de récolter plus de réponses.

- En effet, opina t-il, une vérité contre une vérité, maintenant et tout de suite. Qu'en dites vous?

J'inspirai. C'était le moment d'avoir ce que je voulais. De demander une chose capitale telle que le déroulement du rituel, l'identité du chef des Révoltés ou bien encore des précisions sur ce qu'ils attendraient de moi de l'autre côté des montagnes. Tout ce que j'avais à faire était de révéler une petite chose. Son air ne m'échappa pas. Intense et pressé. Il était en train de se permettre de fournir à son chef de plus amples informations sur moi. Une fois encore sa questions n'était pas personnelle mais professionnelle. Il ne se souciait guère de moi en tant que personne. Il me voyait comme un outil, la « clé » de leur réussite. J'eus un petit sourire presque triste et regardai droit derrière lui, pour ne plus avoir à affronter son regard. Les lampions derrière brillaient de mille feux. Les gens continuaient à danser sans se douter de ce qui se tramait en plein centre de la piste de danse.

- Mon pouvoir est... il me semble illimité. Incontrôlable et destructeur, murmurai je. Et je me refuse à me risquer à faire du mal aux gens autour de moi.

Je repensais aux hurlements de terreur, d'horreur et surtout de douleur, qui avaient retentit autour de moi dans le palais. Ce manque de contrôle, cette perte totale de maîtrise de mon propre corps avait fait que des innocents avaient été blessés. Et puis...

- C'est arrivé au palais lorsque je me suis enfuis du temple. Mais aussi lorsque j'étais enfant... je crois, poursuivis je la gorge serrée.

Je n'étais toujours pas sure de la véracité de mon cauchemar cette nuit. Ses mains se saisirent des miennes et je me balançais en rythme avec lui, plus proche que ne l'exigeais la danse.

Je relevai la tête et croisai son regard. L'émotion dedans me fit presque croire à son intérêt pour ma réponse.

- Je comprends, dit il.

Et son air, son ton... On aurait presque cru qu'il comprenait vraiment. Je forçais un sourire sur mes lèvres et tentait d'oublier la pression dans mon cœur qui venait de s'éveiller. Avoir prononcé ces mots à voix haute faisait tout de suite apparaître la chose plus réelle. Plus concrète.

- A vous, murmura t'il.

Je mis quelques secondes à comprendre ce qu'il entendait par là. Je me repris et entre deux pas de danse et une pirouette, je me triturais les méninges pour savoir quoi demander. Les questions se bousculaient dans mon esprit. L'identité du chef attisait une grande curiosité. Mais certaines choses comme son statut dans la Révolte ou encore qu'elles étaient les origines mêmes de cette dernière devraient me préoccuper plus. Leurs motivations, les gens qui en faisait partie, les missions qu'ils faisaient, pourquoi seulement certains étaient au courant de l'existence de ce camp derrière les Montagnes Maudites, les ...

- ... Pourquoi êtes vous toujours aussi enclin à me pousser à bout ?

La question fusa de mes lèvres sans que je puisse la retenir. Je les pinçai aussitôt. Je me maudis moi et ma curiosité mal placée. Car bien évidement alors que j'aurai dut me focaliser sur mon objectif premier, mes pensées avaient déviées sur l'homme en face de moi. Ma question dut le surprendre. Bien sûr. Il avait dut s'attendre à une interrogation sur une information secrète ou une chose où il aurait, qui sait, dut mentir dans la seconde. La musique pulsait toujours autour de nous, encore plus forte qu'avant. Mais je ne l'écoutais plus. C'était tout juste si nous dansions encore. Avec stupeur je vis que ma question le figea. Il se stoppa et ses mains retrouvèrent leurs places sur ma taille.

- Que..., articula t'il au moment où je repris la parole :

- Vous me mettez sans cesse en colère, vous me mettez dans l'embarras...

Je décidai de poursuivre. Quitte à avoir poser cette question idiote, autant aller jusqu'au bout et comprendre son comportement ! Les mains posées sur sa poitrine, j'attendais sa réponses. Qu'il me livre sa vérité. A son tour il regarda derrière moi. N'étant plus sous le feu de son regard, j'eus le loisir de le détailler. Ses cheveux étaient à nouveau dans un désordre monstre. Transpirant légèrement et sa peau bronzée brillante, il irradiait d'une manière inexplicable. Sa cicatrice sur son visage, le rendait d'une manière inexplicable bien plus attirant. Plus mystérieux. J'avais bien sûr remarqué qu'il avait fait tourner de nombreuses têtes depuis notre arrivée. Il tourna soudainement les yeux et nos regards s'accrochèrent. Ses yeux n'étaient pas simplement noirs. C'était deux obsidiennes. La comparaison était toute trouvée. J'étais tombé sur une obsidienne, enfant. Cette pierre n'était pas juste noire. C'était une déclinaison de mille couleur, flamboyantes, qui scintillaient au gré des rayons du soleil, de la lune et des étoiles. Ses prunelles étaient à leur image. Des volutes d'obsidienne liquide qui pulsaient inlassablement, tournant encore et encore en reflétant les saveurs et les couleurs du monde entier. Mon regard suivis leur mouvements puis tomba sur ses lèvres qui s'entrouvrirent. Je vis sa gorge déglutir presque avec difficulté.

- Je crois..., commença t'il, je crois que c'est parce que... depuis toute mon existence, vous êtes la seule à ne pas m'avoir regardé avec frayeur. A ne pas me craindre. A m'avoir parlé, frappé et insulté sans retenue. Sans craindre des représailles de la création, de la bête dressée du cruel et grand méchant roi.

Je le contemplai encore longtemps. Ses mots étaient si francs. Ils me frappèrent avec bien plus de force que je n'aurais cru. Ils résonnèrent en moi d'une façon... Pour la première fois, j'avais l'impression que nous parlions sans artifices. Un sourire me remonta les lèvres, malgré que ses paroles m'aient touchée.

- Vous aimez ça quand je vous frappe?

Son sourire revint à l'image du mien.

- Plus que ce que vous croyez, me répondit il en resserrant un peu plus ses mains sur mes hanches.

Je me sentais comme un papillon irrésistiblement attiré par cette lumière aveuglante. Je plongeai dans ses yeux sans même me rendre compte. C'était un saut à l'aveugle. J'ignorais où il me mènerait ou si y aurait un fond a ce précipice. Nos sourires étaient tombés remplacés par une intensité qui augmenta les battements de mon cœur. La musique autour de nous pulsait, les gens tournoyaient encore, mais je ne voyais et n'entendais plus rien. Son visage se pencha. Le mien s'inclina. Nous nous immobilisâmes, chacun regardant l'autre. A cet instant les gardes royaux auraient put investir les lieux que je n'aurais pas bougé. Mais un éclair d'incertitude traversa soudain la pluie étoilée que formait ses iris. Je retins ma respiration et me reculai aussitôt de quelques centimètres. Il en fit de même et nous nous écartâmes, presque tremblants. Peut être avait je mal interprété ce signe ? Je m'étais écartée en une fraction de seconde pour ne pas être brusquement ridiculisée. Mais il en avait fait de même au même moment. Je n'avais pas imaginé cet instant. Mais il était pourtant en train de s'estomper aussi vite que s'enfuyait la fumée dans le ciel. Effarée, je vis ses yeux redevenir presque indifférent. Il recula encore et le sourire qu'il me servit me fis froid dans le dos. Car en comparaison avec ceux que nous venions d'échanger, celui ci m'apparaissait faux et sans saveur.

- Merci pour cette danse, souffla t'il avant de tourner les talons et de s'enfoncer dans la foule des danseurs.

Haletante, je peinais à comprendre ce qu'il venait de se passer. Je n'avais pas amorcé de mouvements de recul avant lui. C'était ses yeux qui avaient trahis une hésitation ou comme un regret...

Je passai le reste de la soirée à naviguer entre ma conviction que je me fichais de ce qu'il se passait et que j'avais reculée la première, et la déception qui m'étouffait de savoir qu'il m'avait laissé en plan, seule, sans se soucier du reste. Je ne dansais plus. Je n'en avait plus envie. La musique me donnait le tournis. Les cris des gens la migraine. Je marchais jusqu'à l'auberge que nous avions loué, maudissant le destin de devoir partager une seule et même chambre avec l'ancien espion. Ruminant une colère que je ne comprenais pas, je traversai la salle bondée et bruyante et j'arrivai en bas des escaliers. Mais je m'y arrêtais aussi sec. Car Abrax était en train d'y monter. Une jeune femme a ses côtés. Sa main reposait sur sa taille, à l'endroit même où la sienne c'était trouvée sur mon corps des heures plus tôt.

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