𝐋𝐄𝐒𝐋𝐘𝐄
Sans savoir pourquoi j'ai fait ça, j'ai embrassé Germain. Mais en réalité, ça m'a libéré d'un poids. Un poids que je ne pensais pas porter en réalité. Alors je pars, le plus loin possible de lui et de cette soudaine envie de recommencer. Il ne faut pas que je revoie son visage et son sourire et encore moins cette tristesse dans ses yeux lorsqu'il m'a vu sortir. Je pensais que cette journée allait être un calvaire, mais je commence à croire qu'elle est en train de prendre un tout autre chemin.
Alors que j'ai fait quelques mètres, je sens une main qui me prend l'avant-bras et me fait me retourner.
Tout se passe au ralenti. Comme dans un rêve. Mais nous sommes bien dans la réalité et c'est bel et bien Germain qui est de nouveau face à moi. Il apparait comme s'il n'avait jamais été là, comme si j'avais souhaité sa présence et qu'on m'avait entendu dans les cieux. Peut-être est-ce de cette manière qu'il m'a été présenté ?
J'aime cette hypothèse et la garde donc en tête.
Il pose ses mains autour de mes joues, me regarde un instant avant de reposer ses lèvres sur les miennes. Et comme second baiser, je ne pouvais pas espérer mieux. Tout est parfait, de nos lèvres qui s'emboitent parfaitement jusqu'à ses mains qui sont douces sur mes joues. Jamais je n'avais autant aimé en avoir à cet endroit-là. Pendant quelques secondes, je m'arrête de penser et de respirer. Rien ne peut me venir en aide, pas même ce que nous sommes en train de vivre.
Si je dois partir aujourd'hui, je suis heureuse d'avoir vécu cela comme dernier instant sur Terre. Heureuse que ce soit en sa compagnie.
Je ne pensais pas un jour tomber amoureuse de lui ou même l'embrasser comme nous sommes en train de le vivre. Ça m'est tombé dessus d'un coup, comme si je prenais la pluie ou ratait mon bus. Au début, ce n'était pas très agréable puis au fur et à mesure, j'ai appris que c'était peut-être une autre manière de voir les choses et de profiter de cette occasion. Je ne comprends pas pourquoi ça m'est arrivé à moi, mais pour rien au monde je ne donnerai ma place à quelqu'un d'autre. Maintenant que ses lèvres ont rencontré les miennes, je ne peux plus m'éloigner de lui.
Ça m'est impossible, inenvisageable. Mais il nous faut nous séparer pour reprendre notre respiration. Et quand cela arrive, je suis toute désorientée. La chaleur de sa bouche est toujours ancrée en moi. Je suis presque en manque de son contact. Heureusement pour moi, il n'a pas enlevé ses mains, certainement pour me maintenir debout mais aussi pour garder cette proximité, cette intimité que nous avons créée.
— Comme ça, on est quitte maintenant.
Germain sourit, fier de lui et ne me laisse pas même lui répondre. Je le vois qui s'éloigne, nos regards toujours vissés l'un à l'autre.
Je reste déconvenue de ce qu'il vient de m'arriver, seule, en plein milieu de la rue, après avoir eu la meilleure expérience en matière de baiser de ma petite vie. Si on m'avait dit un jour que je dirais ça de lui, je ne l'aurais pas cru.
Nous n'étions pas destinés à en arriver là. Et ça, nous le savons tous les deux. Je crois même que c'est être au courant de ça qui m'a influée dans mon choix. Il fallait que je teste cela, il fallait que je ressente ce que j'espère ressentir depuis quelques temps. Ça en devait presque trop puissant pour que ça ne soit pas évacué.
Et maintenant que je suis sûre, personne ne pourra me faire cesser d'éprouver ce que j'éprouve.
****
Je finis la bouchée de mes lasagnes, m'essuie la bouche et croise les bras, commençant à regarder mon père.
— Papa, c'est quoi la chose qui te rend le plus heureux aujourd'hui ?
Il me sourit de ce sourire qui me fait comprendre que je connais la réponse.
— À part Lauris et moi, bien sûr.
— À part toi et ton frère ? Ton père. Notre mariage. Notre amour. Notre manière de montrer au monde que l'amour n'est pas qu'homme-femme.
Une question me trotte dans la tête depuis mon baiser avec Germain, et j'hésite un instant avant de la partager avec mon père.
— Comment tu peux savoir si tu aimes vraiment une personne ? je lance, sans vraiment trop réfléchir à sa réaction.
Il me regarde quelques secondes avant d'ouvrir la bouche :
— Est-ce que tu es prête à aimer cette personne, jusqu'à ne plus savoir vivre sans ce sentiment en sa présence ?
— Je n'en sais rien, je lui avoue, prise de court par sa réponse.
— Si c'est le cas, tu peux être sûre que tu aimes cet être.
— Tu ne peux pas vivre sans aimer papa ? je le questionne, non convaincue d'avoir bien compris ce qu'il m'a dit, craignant de l'avoir mal interprété.
Mon père ne me répond pas directement, préférant débarrasser la table à la place. Je le regarde faire, attendant patiemment qu'il daigne me donner la solution à mon questionnement. Il se rassoit face à moi, plongeant ses grands yeux dans les miens. Je lui souris de toute mes dents, comme quand j'étais petite et que j'attendais quelque chose de sa part. Il semble comprendre la raison de mon agissement :
— Je n'ai jamais aussi bien respiré qu'à ses côtés. Je n'ai jamais été aussi heureux qu'en étant marié avec lui. Je ne me suis jamais senti aussi vivant qu'en le connaissant. Ton père est ce que j'ai de plus précieux, même malgré les remarques qu'on peut se prendre. Quand tu rencontreras le vrai amour, tu comprendras, Leslye. Mais avant ça, vis pour toi, et pas pour les autres, ni pour cette personne. Parce que quand ils partiront tous, il ne restera que toi. Et tu n'auras pas appris à t'aimer toi-même.
— Papa ne te quittera jamais, le contredis-je, le visage dur.
— Personne ne sait qui quittera qui, soupire-t-il. Mais l'amour que l'on se porte à nous-même est le plus important. Je vous l'ai toujours dit, et je ne souhaite qu'une chose : que vous vous aimiez, et que vous aimiez le monde qui est à votre portée.
Je hoche la tête, un grand sourire sur les lèvres.
— Mais du coup, ton amour pour papa est proportionnel à celui que tu te portes ?
— Certainement pas. Je fais du blabla, mais je peux t'assurer que je ne m'aime pas assez.
— Il le faut pourtant. Tu es super papa, tu n'as pas à douter de toi.
Il me sourit gentiment, regardant ailleurs un instant. Je ne sais dire s'il réfléchit ou s'il est juste parti dans un autre monde. Mais par contre, cette image-là, de mon père penseur est magnifique. Je n'oublierai jamais les mots qu'il m'a présentés, et m'en rappellerais pour le reste de ma vie.
Je me lève de ma chaise, m'arrête à la porte de la cuisine et me retourne vers lui.
— Moi, je peux t'assurer que je t'aime.
Je pars sans attendre une réponse de sa part et me dirige dans ma chambre. L'appartement est bien calme sans le bruit des animés de Lauris, mais mes réflexions font assez de bruit dans ma tête. Je plonge la tête la première sur mon lit et le grincement qu'il produit me fait le regretter bien trop vite. Je m'allonge sur le dos et admire le plafond blanc qui me surplombe.
Au début, je m'ennuie un peu, puis je m'amuse à me triturer le cerveau en cherchant comment il arrive à tenir sans nous tomber dessus. Je fais des hypothèses, un peu bêtes sur les bords mais certaines tiennent la route. A la longue, je me sens un peu trop idiote et je pars faire une recherche Google pour connaitre la vérité. Update : j'ai perdu une bonne heure de ma vie sans trouver la bonne réponse.
Je me perds un peu sur un site internet pour faire des tests de personnalité. Je n'y crois pas à cent-pour-cent, mais je dois bien avouer que quelques fois, le résultat est vraiment proche de la réalité. C'est vraiment intéressant à faire. Ils te font découvrir des facettes de ta personne que t'ignorai jusque-là. Je découvre que je peux être égoïste et hyper sensible, au fur et à mesure de leurs questions. La vérité se cache-t-elle derrière un simple quiz ?
Les mots qu'on a pu me dire me reviennent en tête. Les réactions que j'ai pu avoir apparaissent comme des flashs. Je suis bien cette fille-là, celle qu'un site internet dit comme à moitié fiable est en train de déterrer. Cette Leslye qui ne voulait pas partager ses bonbons à la récrée. Ou celle qui réagissait au quart de tour quand on lui disait quelque chose qui ne lui plaisait pas. Je suis cette Leslye-là, cette gamine-là, cette jeune femme-là.
Je suis celle que je suis. Je vais devoir me supporter encore pour le reste de ma vie. Et je vais, comme me l'a dit mon père, devoir m'aimer quand plus personne ne sera apte à le faire.
Alors je ne suis peut-être pas la fille la plus sympathique, la plus belle ou celle dont tous les garçons rêvent mais je suis moi. Je dois m'aimer avant d'aimer celle que les gens ont envie que je sois.